lundi 20 octobre 2008

Au Congrès de 1935

Je viens de retrouver quelques belles photographies de l'agence Magnum, parmi lesquelles celle-ci :


On y voit Malraux, à la tribune du Congrès des Ecrivains en juin 1935. A sa droite à la table : André Gide, Paul-Vaillant Couturier et Jean-Richard Bloch. A l'arrière plan, un portrait de l'écrivain russe Maxime Gorki (Photo de David Seymour pour l'agence Magnum).

Ce "Congrès international des écrivains pour la défense de la Culture" s'est déroulé au Palais de la Mutualité entre le 21 et le 25 juin 1935 à l'instigation de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR). Quelques 230 "délégués" venus de toute l'Europe doivent y faire une allocution – tous n'y parviendront pas dans le temps imparti, temps de parole souvent monopolisé par les grandes "stars" de la défense du communisme – parmi lesquels : Boris Pasternak qui remplace au pied levé Maxime Gorki, Mann, Brecht, Musil, Huxley, Wells, Giono, Barbusse, Dabit, Guéhenno, Cassou, Crevel, Mounier, Rolland, Vitrac, Forster, Nizan, Benda, Aragon, Roger Martin du Gard, Guilloux... et bien sûr Gide et Malraux qui en sont en quelque sorte les animateurs.

Face à eux, encore des écrivains, des intellectuels, hommes politiques qui se mêlent à la foule de quelques 3000 étudiants et ouvriers. Si le Congrès est aujourd'hui devenu une légende, il était à l'époque un événement incontournable : la salle de la Mutualité est bondée jusque dans ses couloirs et dans les cafés proches où se poursuivent les débats. Nous sommes à quelques encablures du Front Populaire. La Grande Guerre est encore toute proche, moins cependant que la prochaine que beaucoup redoutent déjà. Les nouvelles venues de l'Allemagne nazie alimentent à raison ces inquiétudes.

Aux communistes déclarés et autres thuriféraires de l'URSS se mêlent ainsi une grande part de pacifistes et d'autres comme Gide pour qui le marxisme n'est pas très clair (il a eu bien du mal à lire Le Capital) mais qui voit là une occasion de développer une morale nouvelle et de faire jouer aux arts une plus grande part dans la vie de l'individu. On sait depuis les procès truqués de Moscou que l'URSS a des défauts, mais de deux maux, à savoir nazisme et communisme, beaucoup sont ceux qui appellent à choisir celui qui est à leurs yeux et à leur époque le moindre. D'ailleurs la France a choisi en signant le pacte franco-soviétique un mois avant ce congrès.

Peu de traces de cet événement dans le Journal de Gide qui y déplore le monopole de l'éloquence face à tant de délégués venus de loin et qui n'auront pas même l'occasion de s'exprimer. Il s'y peint dans sa posture habituelle du gaffeur confondant la déléguée indienne avec la déléguée grecque... En revanche, les pages de cette époque montrent bien que sa prise de position reste sur le plan moral et esthétique bien avant d'être politique.

Il faut chercher du côté de la Petite Dame pour trouver l'ambiance des séances et de leurs prolongations, de ces cinq jours "d'indescriptible encombrement", de "confluent de circonstances", "un véritable embouteillage", "un hourvari". "Les trois grosses vagues qui soulevèrent [le congrès] d'un accueil spontané, chaleureux, furent les Russes, en bloc, le discours et la personne de Gide, et l'Allemagne en exil."

"Gide fut simplement parfait", assure la Petite Dame qui n'a pas son pareil pour critiquer Gide quand il ne donne pas le meilleur de lui-même. Pour bien se rendre compte de "l'adhésion" de Gide au communisme ou plutôt de ce qu'il espère de l'URSS, avant le Voyage en URSS et ses Retouches, je donne ici le texte d'un message téléphonique de Gide au peuple russe à l'occasion de l'anniversaire de la révolution le 5 décembre 1935. Il résume ses positions de principe et à la fois anticipe son courageux revirement de 1936 :

"En m'adressant à l'Union Soviétique, il me semble que je m'adresse à l'avenir. Il importe que l'Union Soviétique sache ce qu'elle est pour nous. Quelque chose a eu lieu en Russie, quelque chose qui a rempli de terreur ceux qui se croyaient à l'abri de la crainte, rempli d'espoir ceux qui n'avaient plus d'espérance. Vous nous avez précédés sur cette route montante où la douloureuse humanité fait un immense effort pour vous suivre. Je voudrais que vous sentiez là-bas que nos regards anxieux restent fixés sur vous, chargés de reconnaissance pour hier, d'attente encore pour demain, et j'allais dire : d'exigence.
Il nous semble que c'est un engagement que vous avez pris devant l'histoire ; un engagement pour l'avenir. Dans le coeur de chacun de nous qui vous écoutons, l'écho de ces grands jours qui ébranlèrent notre vieux monde, retentit comme une promesse.
Je pense qu'en cet anniversaire solennel chacun de nous, depuis les hauts dirigeants jusqu'au plus humble travailleur, se demande : Ceux qui sont morts en 1917 et à qui nous devons la vitoire peuvent-ils être contents de nous ?
Je vous salue de tout mon coeur, nouveaux héros qui ne vous reposez pas dans la victoire, forces de la Russie nouvelles qui saurez assumer jusqu'au bout votre tâche : celle de demeurer la jeunesse du monde.
"

(Ce texte a été publié par Les Nouvelles Littéraires le 29 décembre 1935 mais n'a été depuis repris ni dans Littérature engagée, le recueils de textes établi par Yvonne davet en 1950 ni dans aucune biographie de Gide. Le Bulletin de l'Association des Amis d'André Gide l'a exhumé en juillet dernier dans son numéro 159.)

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