lundi 30 mai 2011

Cet été au musée d'Uzès

Le musée d'Uzès accueille l'exposition
« André Gide, un album de famille »
du 29 juin au 25 septembre


En début d'année le fonds Gide du Musée Georges Borias d'Uzès s'enrichissait de nouveaux objets offerts par Catherine Gide : diplômes, lettre de félicitations à Gide pour ses 80 ans, disques 78T offerts lors de son voyage en URSS, portrait sculpté de Théo Van Rysselberghe par Alexandre Charpentier et surtout le célèbre masque funéraire de Leopardi qui ornait le bureau de Gide.

Autant de nouveaux objets à découvrir cet été en même temps que l'exposition « André Gide, un album de famille » qui, après Ravello et Paris, fait une escale à Uzès du 29 juin au 25 septembre. Une centaine de photographies, choisies par Jean-Pierre Prévost et commentées par Catherine Gide, permettent d'entrer dans l'intimité de l'écrivain et de ses proches. Parfois inattendues, souvent touchantes, elles tracent le portrait d’un homme toujours en mouvement, de rencontres en voyages.




Ces photographies sont également reproduites dans l'ouvrage de Jean-Pierre Prévost, « André Gide, un album de famille », paru en 2010 aux éditions Gallimard avec l'aide de la Fondation Catherine Gide, et accompagné d'un DVD. Jean-Pierre Prévost signera son livre lors de l'inauguration de l’exposition prévue
le mercredi 29 juin à 18h30.

De son côté la médiathèque d’Uzès se joint à cette manifestation avec la projection de films sur André Gide, du 19 au 30 juillet. Le samedi 3 septembre à 17h, elle accueille également une conférence de Jean-Pierre Prévost.

Exposition « André Gide, un album de famille »
Inauguration le mercredi 29 juin à 18h30
Du 29 juin au 25 septembre 2011
Musée Georges Borias, ancien Evêché, 30 700 Uzès
Ouvert du mardi au dimanche.
Juillet-août : de 10h à 12h et de 15h à 18h
Septembre : de 15h à 18h

mardi 24 mai 2011

Émergence de l'homosexualité dans la littérature

Dans la collection "Homotextualités" de l'Harmattan vient de paraître un sixième volume intitulé Émergence de l'homosexualité dans la littérature française d'André Gide à Jean Genet, par Patrick Dubuis. L'auteur, directeur de la revue Inverses, a déjà publié des articles sur Lucie Delarue-Mardrus, Max Jacob et Jean Lorrain. Plus largement, il s'intéresse aux questions de genre à travers la littérature et l'art et est depuis 2001.


Présentation de l'éditeur :

Alors qu’il existe des ouvrages généraux sur l’homosexualité dans les littératures anglaise, allemande, espagnole, italienne, américaine bien sûr, la France a fait le choix pudique des monographies. Ainsi la critique s’est-elle intéressée à l’homosexualité d’André Gide ou de Marcel Proust, mais en privilégiant l’approche biographique, comme si celle-ci pouvait être facilement isolée de l’œuvre de ces écrivains.
La présente étude a pour objet de combler cette lacune, en s’interrogeant sur le foisonnement exceptionnel de la littérature homosexuelle qu’a connu la France au début du XXe siècle. Des œuvres d’écrivains majeurs, outre Gide et Proust, sont abordées, tels Jean Cocteau, Jean Genet, Julien Green, Henry de Montherlant, Marguerite Yourcenar. Mais aussi d’autres écrivains tout aussi réputés mais dont cet aspect de l’œuvre, bien que pouvant être considéré comme déterminant, n’a suscité que peu d’intérêt : Max Jacob, Marcel Jouhandeau, Roger Martin du Gard, François Mauriac.
Pour être la plus pertinente possible, cette étude a aussi cherché à faire sortir de l’ombre des écrivains moins connus comme René Crevel, Pierre Herbart, Maurice Sachs, Francis Carco et une pléiade d’auteurs qui, après avoir connu des gloires très inégales de leur vivant, ont sombré dans un oubli quasi-total : Axieros, Henri Deberly, Jean Desbordes, Charles-Etienne, Marcel Guersant, Henry-Marx, Maurice Rostand…
En effet, ce sont tous ces écrivains qui ont contribué, chacun sur leur mode personnel, à fixer l’approche littéraire mais aussi sociologique de l’homosexualité, en France, durant la période troublée de l’entre-deux-guerres. Les recherches qui, aujourd’hui, s’attachent au genre et à ses avatars, bien que les récusant parfois, ne leur en sont pas moins redevables.

lundi 23 mai 2011

Quoi de neuf ?

Du côté des documents sonores, deux nouvelles émissions de radio viennent enrichir les archives du blog : pour Agora FM Michel Bernard interroge Catherine Gide sur son enfance aux Audides et Frank Lestringant sur sa biographie André Gide, l'inquiéteur, et toujours en lien avec la biographie parue chez Flammarion, William Irigoyen interroge Frank Lestringant pour la Radio Suisse Romande.

Du côté des documents vidéo vous pourrez voir la bande-annonce du film Un amore di Gide de Diego Ronsisvalle (tiré du roman de Vanni Ronsisvalle), sorti en Italie en 2008 et aux Etats-Unis sous le titre Gide in love, mais toujours pas en France. On espère très ardemment cette sortie, ou l'édition d'un DVD. En attendant je vous invite à relire les excellentes critiques parues au moment de la présentation du film dans divers festivals italiens.

Du côté de la liste des sites gidiens enfin, deux nouvelles adresses se sont ajoutées : celle du Centre d'études gidiennes de l'Université Paul Verlaine de Metz, fondé en 1968 par Claude Martin et aujourd'hui dirigé par Jean-Michel Wittmann, où les chercheurs peuvent consulter un fonds documentaire, et celle pour les chercheurs américains du site de John F. Sorrentino, chercheur et enseignant new-yorkais, intitulé Reading Gide.

C'est sur ce site que l'on apprend que John Sorrentino, auteur d'un article intitulé "Imagining Madeleine" à paraître dans le BAAG, devrait également évoquer ce même sujet lors de la 127e convention annuelle de la Modern Language Association qui se tiendra début janvier 2012 à Seattle : “Imagining Madeleine.” How does Gide Relate (to) the Feminine ? (panel sponsored by Association des Amis d’André Gide).

Et je vous rappelle que pour être tenu informé chaque jour de l'information gidienne (mentions dans la presse, parutions de livres ou évènements dans l'univers gidien, échanges, conseils de lectures...) vous pouvez vous inscrire au groupe e-gide de Facebook (une inscription sur Facebook suffit, vous ne recevez que le contenu du groupe et ne diffusez rien de votre mur, pas besoin d'être ajouté à la liste des amis).

vendredi 20 mai 2011

Lecture au Centre Wallonie-Bruxelles


Quand Christian Beck, Federico Fellini, André Gide, Marcel Moreau, Anaïs Nin, Georges Simenon, Emile Verhaeren, Marguerite Yourcenar, Stefan Zweig … s’écrivent.

Les grands écrivains sont aussi de grands lecteurs, l'échange épistolaire qu’ils entretiennent avec leurs confrères nourrit leur travail de création. La lecture des correspondances de Georges Simenon et Federico Fellini, d'Anaïs Nin et Marcel Moreau ou d'André Gide et Christian Beck est un accès privilégié à l’univers des créateurs.


Enthousiasmes littéraires ! une lecture par Pietro Pizzuti dans le cadre de l'opération A vous de lire! du Centre National du Livre, consacrée au thème de la correspondance et proposée par le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris jeudi 26 mai 2011 à 20h.

Entrée libre dans la limite des places disponibles (réservations via le site du CWB)

mardi 17 mai 2011

Quatre nouvelles parutions

La Correspondance d'André Gide avec Paul Desjardins, Jacques Heurgon et Anne Heurgon-Desjardins constitue le cahier annuel servi aux membres de l'AAAG avec son dernier bulletin. En novembre dernier, Pierre Masson, qui a établi, présenté et annoté cette correspondance, en donnait un aperçu. Le livre est paru aux Editions des Cendres. 




« Ma recherche sur Jacques Copeau a duré quatre ans et demi. Les éditions Imago ont accepté d'en publier un condensé, environ la moitié », expliquait récemmentMarc Sorlot à un journaliste de L'Ardennais. Docteur en histoire, il a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire politique et intellectuelle entre 1870 et 1940 et aujourd'hui ce Jacques Copeau A la recherche du théâtre perdu, dont un chapitre est entièrement consacré à son « Intimité avec André Gide ».

Présentation de l'éditeur :

« Dans l’histoire du théâtre français, il y a deux périodes : avant et après Copeau », disait Albert Camus, rendant ainsi hommage à cette personnalité hors du commun, initiatrice d’une véritable révolution dramatique. Né en 1879, issu de la petite bourgeoisie, autodidacte, critique dans de nombreux journaux, Jacques Copeau fonde en 1908 la Nouvelle Revue française avec quelques amis, dont André Gide et Jean Schlumberger. En 1913, désireux de promouvoir un théâtre aux décors épurés, débarrassé du « cabotinage » des comédiens, il crée le Vieux-Colombier, où il sera tout à la fois directeur de troupe, metteur en scène et acteur. Louis Jouvet et Charles Dullin y feront leurs débuts. En 1924, avec des élèves de son école — les futurs « Copiaus » —, il s’installe en Bourgogne, accomplissant alors une des premières expériences de décentralisation théâtrale. Après une activité bouillonnante, notamment à New York et à Florence, il accepte temporairement de diriger la Comédie-Française en 1941, mais est très vite limogé sur ordre de l’occupant allemand. S’appuyant sur ses journaux et carnets, ainsi que sur son abondante correspondance, en particulier avec Gide et Martin du Gard, Marc Sorlot brosse le portrait d’un homme pétri de paradoxes — intransigeant, soucieux de sa liberté, insatiable séducteur mais austère catholique dans les dernières années… — et retrace avec brio les étapes d’un étonnant parcours intellectuel et artistique.







Citadelles et Mazenod nous a habitués aux beaux livres, depuis les Editions d'Art de Lucien Mazenod auxquelles collabora Queneau. Pour le plaisir des sens -  moins pour celui des phynances  - je vous signale ce monument : Ecrire la sculpture. De l'antiquité à Louise Bourgeois,  par Sophie Mouquin et Claire Barbillon.

Présentation de l'éditeur :


Alors que la peinture suscita la création d‘un genre littéraire, l’ekphrasis, et donna naissance à certaines des plus belles pages de la littérature, la sculpture peut laisser penser qu’elle entretient des rapports complexes et plus rares avec l’écriture. Pourtant, lorsque Victor Hugo faisait dire au Jupiter de Phidias : « L’angle de mon sourcil touche à l’axe du monde », il changeait le regard sur l’œuvre muette. Et David d’Angers, le plus grand sculpteur du début du XIXe siècle, considère son art comme une « écriture monumentale », alors que Bourdelle parle de « petit livre de marbre »…Ainsi les figures nées sous le ciseau des plus habiles sculpteurs ont parfois suscité de belles productions littéraires. De grands écrivains romanciers ou essayistes (Montesquieu, Hippolyte Taine, Stendhal, George Sand, Émile Zola) ; de savoureux poètes (Pierre de Ronsard, Boileau, La Fontaine, Philippe d’Arbaud, Philippe de Massa, Alphonse de Lamartine), de remarquables narrateurs (Jérôme de Lalande, Louis Liger, Dezallier d’Argenville, comte de Caylus, Charles-Nicolas Cochin) ou critiques (Francesco Milizia, Abbé Dubos, Denis Diderot, Quatremère de Quincy, Winckelmann) et même des artistes eux-mêmes (Benvenutto Cellini, Henry Moore) se sont essayés à faire revivre, sous leur plume, la vibration de la pierre, la qualité peaussière, la vie qui jaillit du bloc.
Plus méconnus que ceux consacrés à la peinture, mais non moins passionnant, ce sont ces extraits des plus belles pages de la littérature, consacrées aux plus belles réalisations de la sculpture qui sont ici présentées et réunies pour la première fois.

Liste des auteurs cités : Gabriele D’Annunzio, Robert Antelme, Guillaume Apollinaire, Louis Aragon, L’Arioste, Théodore de Bainville Jules Barbey d’Aurevilly, Charles Baudelaire, Jurgis Baltrusaitis, Yves Bonnefoy, André Breton, Benvenuto Cellini, Blaise Cendrars, André Chastel, Paul Claudel, Jean Cocteau, Colette, Alphonse Daudet, Denis Diderot, Eugène Delacroix, Georges Didi-Huberman, Alexandre Dumas, Maurice Druon, Umberto Eco, Paul Éluard, Dominique Fernandez, Henri Focillon, Jean de la Fontaine, Anatole France, Sigmud Freud, Théophile Gautier, Jean Genet, André Gide, Johann Wolfgang von Goethe, Edmond et Jules de Goncourt, José Maria de Heredia, Jeanne Hersch, Homère,Victor Hugo, Joris-Karl Huysmans, Eugène Ionesco, Henry James, Tahar Ben Jelloun, Alphonse de Lamartine, Valéry Larbaud, Charles–Marie Leconte de Lisle, André Malraux, Louis Marin, Michel-Ange, Jules Michelet, John Milton, Henry Moore, Anna de Noailles, Erwin Panofsky, Charles Péguy, Charles Perrault, Pline l’Ancien, Alexandre Pouchkine, Ezra Pound, Marcel Proust, Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy, Quintilien, Aloïs Riegl, Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, Pierre de Ronsard, Jean-Baptiste Rousseau, marquis de Sade, Charles Augustin Sainte-Beuve, George Sand, Jean-Paul Sartre, Louise-Germaine de Staël, Stendhal, André Suarès, Paul Valéry, Giorgio Vasari, Alfred de Vigny, Virgile, Ambroise Vollard, Voltaire, Johann Joachim Winckelmann, Rudolf Wittkower, Heinrich Wolfflin, Marguerite Yourcenar, Émile Zola.






Signalons enfin la parution d'un livre signé de notre ami Alain Goulet et joliment intitulé La vie d'une femme à des messieurs sans compréhension, aux éditions MJW Fédition (maison créée en hommage à Pierre Fédida).

Présentation de l'éditeur :
« Elle s'appelait Lise et c'était ma grand-mère ». Ainsi commence l'histoire romanesque, touchante et tragique d'une femme qui aspirait à être aimée et à aimer, qui avait décidé d'être libre et qui, peu à peu, s'est trouvée vaincue et acculée à la mort. Mais avant de se passer une corde au cou, se sentant méconnue, elle a tenu à témoigner du parcours de son existence dans un coin de campagne de la Thiérache à une époque marquée par les guerres, et au-delà d'elle, pour toutes les femmes qui, comme elle, ont fini par être écrasées par leur entourage et les circonstances de la vie. Cette histoire, c'est donc d'abord elle qui l'a écrite pour témoigner de ce qu'elle avait vraiment vécu et se faire reconnaître de tous les hommes auxquels elle s'était confrontée, engoncés dans leur prétendue supériorité.
Par-delà ce destin singulier, cette chronique réveille aussi toute une époque, éclaire un milieu, et constitue une tranche d'histoire vécue dans un coin de la France de la première partie du XXe siècle. Au passage, on y trouvera matière à méditer sur ce qu'on appelle la folie et la manière dont elle peut se saisir de chacun, avec son dramatique engrenage.
On se constitue toujours à travers autrui, par transmission ou élection. Grande loi universelle de la sympathie et de l'amour.


lundi 16 mai 2011

Deux colloques


Jean Paulhan et l’idée de littérature
du mercredi 18 mai au vendredi 20 mai 2011
IMEC - Abbaye d'Ardenne
14280 Saint-Germain la Blanche-Herbe

Colloque organisé par Clarisse Barthélemy dans le cadre du programme HIDIL (Histoire des idées de littérature, 1860-1940) de l'équipe Littératures françaises du XXe siècle (Université Paris IV-Sorbonne), avec le soutien de l'Agence Nationale pour la Recherche et de l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine.

Programme :

Mercredi 18 mai : "La Forme de la littérature"
14h : Accueil des participants
14h15 : Charles Coustille (EHESS - Northwestern University): La thèse de Jean Paulhan.
14h45 : Marielle Macé (CNRS-EHESS) : Rejoindre une forme.
15h45 : Anna-Louise Milne (University of London Institute) : Le désir de loi chez Jean Paulhan.
16h15 : Inês Bartolo (Université d'Oslo) : La rhétorique de l'exemple dans Les Fleurs de Tarbes.

Jeudi 19 mai
Matin : "Ecritures de Jean Paulhan"
9h30 : Richard Rand (University of Alabama) : Le mystère dans les lettres : Mallarmé ? Blanchot ? Paulhan ?
10h : Michel Murat (Université Paris IV) : Progrès assez lents dans le roman.
11h : Ève Rabaté (Paris IV) :: Jean Paulhan et la revue Commerce.
11h30 : Nathalie Froloff (Université de Tours - Université Paris IV) : Jean Paulhan chroniqueur.

Après-Midi : "Lire - cette pratique..."
14h15 : Éric Trudel (Bard College) : "L'homme qui n'arrête pas..." D'une éthique de la littérature chez Jean Paulhan.
14h45 : Antonio Rodriguez (Université de Lausanne) : Lecture de la poésie et terreur de la fraternité.
15h45 : Benoît Monginot (Université de Toulouse II) : Jean Paulhan théoricien : fragilité de l'humanisme dans la littérature de la première moitié du XXè siècle.
16h15 : Thibaut Sallenave (Université Paris I) : Jean Paulhan et la philosophie.

Vendredi 20 mai
Matin : "Histoire(s) de la littérature"
9h30 : Bernard Baillaud (CNRS-IMEC) : Archives et histoire de la littérature : un évitement manqué.
10h : Didier Alexandre (Université Paris IV) : Claudel et Mauriac à La N.R.F. de Jean Paulhan.
10h30 : Martyn Cornick (University of Birmingham) : Voies et impasses de la Littérature : Armand Petitjean à La N.R.F. de Jean Paulhan.

Après-midi : "Jean Paulhan et ses poètes"
14h : Alix Tubman-Mary (Université de Poitiers-Université Paris IV) : Portrait de Jean Paulhan en fossoyeur shakespearien : représentation de l'ami et de l'editor dans les écrits de Francis Ponge.
14h30 : Sophie Fischbach (Université Paris IV) : La littérature éclairée : Jules Supervielle - Jean Paulhan.
15h : Clarisse Barthélemy (Université Paris IV) : Pour une autre histoire de la poésie : Paulhan à contre-courant.



Gallimard et les sciences humaines
Vendredi 20 mai 2011 de 9h30 à 17h30
Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, petit auditorium.
Avec le soutien du Centre d'histoire de Sciences-Po.
Si la maison d’édition Gallimard domine le panorama des Lettres françaises au XXe siècle, son rôle dans la production et la circulation des idées et des savoirs s’avère également capital. Il est en effet revenu en France à quelques maisons d’édition généralistes le soin de prospecter et de soutenir l’univers nébuleux de la recherche.
Le catalogue Gallimard l’atteste : une bonne partie de la philosophie, de l’histoire, de l’histoire de l’art, des sciences humaines et sociales du XXe siècle, sortent de la fabrique du 5 de la rue Sébastien-Bottin.
Il s’agira de revisiter quelques grands « moments » intellectuels (« moment existentialiste », « moment structuraliste »…) animés par de prestigieuses collections et revues (Temps Modernes en 1945, Le Débat en 1980).
Cette tentative d’historisation permettra de cerner la dynamique de l’institution éditoriale en même temps que le rôle majeur des hommes, directeurs de collection, auteurs et autres passeurs du métier de l’édition.
Programme :

9h30 : Introduction
9h40 : Les années trente et avant (Pascal Mercier)
10h : Les années quarante (François Chaubet)
10h30 : Débat
11h : Jean Paulhan (Claude-Pierre Pérez)
11h30-12h : Freud et la psychanalyse chez Gallimard (Elisabeth Roudinesco)
12h : Débat

14h : Les années soixante (François Dosse)
14h 30 : Les années quatre-vingt (Gisèle Sapiro)
15h : Débat
15h15 : Table ronde animée par Bruno Auerbach « Où vont les sciences humaines ? » avec Jean-François Dortier, Thierry Paquot, Jean-Louis Schlegel
16h30 : Témoin : Eric Vigne
17h30 : Fin

mercredi 11 mai 2011

Charles-Louis Philippe


La collection "L'Un et l'autre" (créée chez Gallimard en janvier 1989 par Pontalis et qui abrite déjà le J'écris Paludes de Bertrand Poirot-Delpech) se met à l'heure du centenaire en publiant trois livres sur des figures de la maison d'édition : Paulhan (à paraître), Queneau (QueneauLosophe, de Jean-Pierre Martin, paru en mars dernier) et plus étonnamment Charles-Louis Philippe avec La mauvaise fortune de Bruno Vercier.





Présentation de l'éditeur :

On sait que, contre la mauvaise fortune, un cœur bon peut accomplir des merveilles. Celui de Philippe l'était et en abondance. Pas assez sans doute pour triompher de tous les obstacles que le temps s'est ingénié à dresser sur sa route. Mais capricieuse est cette fortune, alors pourquoi n'accomplirait-elle pas un autre demi-tour, qui remettrait cette œuvre à sa juste place, celle d'un écrivain qui - et c'est là pour beaucoup un paradoxe inacceptable - n'a pas essayé de dire le peuple, son univers, avec une voix du peuple convenue, attendue, mais avec sa voix à lui, unique ? Le style de Philippe qui n'est celui d'aucun autre.


Gallimard a également la bonne idée de rééditer Croquignole de Charles-Louis Philippe, cette fois dans la collection « L’Imaginaire » :




Quatrième de couverture :

« Croquignole n'était pas un homme comme les autres. Il possédait des yeux, un nez, des joues, une bouche et leur mise en place dans une tête charnue, avec, de plus, une fusion singulière de la chair dans la chair voisine : le nez gros et pris dans le visage, les yeux aux trois quarts entourés par les pommettes et deux joues qui avaient bien mûri. Pour la bouche, elle contenait des dents. D'ailleurs, ce n'était pas tout Croquignole. Il possédait encore une poitrine et deux bras. Il en parlait :
– Regardez, ah ! mais regardez donc comme mes deux bras sont vides !
Ses deux jambes lui servaient à marcher de long en large, son poing aussi était utile. Il le tendait vers la fenêtre :
– Vous la voyez, elle est encore fermée. Un de ces jours, je lui casserai la gueule. »


"L'auteur de Bubu de Montparnasse." C'est par cette périphrase qu'on désigne le plus souvent Philippe, dont il faut tout de même rappeler qu'il fut l'un des trois premiers auteurs à paraître sous la fameuse couverture blanche en 1909, avec Gide et Claudel. Dans une lettre de février 1907 au critique Sébastien Voirol, l'un des rares à avoir aimé Croquignole, il déplorait d'ailleurs les effets du succès de Bubu :

Paris, le 1er février 1907

Monsieur et cher confrère,

Votre article sur « Croquignole » m'a fait un grand plaisir, d'autant plus grand que ce livre m'a valu un certain nombre d'articles violents et que le vôtre venait à point pour me remonter. J'ai eu le malheur, il y a quelques années, d'écrire un livre dont le succès a été plus grand que je ne le souhaitais, et depuis cette époque on me le jette au travers des jambes. Il semble maintenant bien entendu, que je ne ferai plus jamais « Bubu de Montparnasse », que tous mes efforts m'écarteront de ce type de la perfection. On ouvre ordinairement mes nouveaux livres avec le désir d'y retrouver le style, les personnages, les scènes de ce « chef-d'œuvre » et comme on y trouve autre chose, il n'y a qu'une voix pour dire : « Ce garçon devient de moins en moins intéressant. Il ne nous donne pas ce que nous attendions de lui ».
Votre article m'a fait plaisir d'abord parce qu'il n'y était question que de « Croquignole ». Vous en analysiez attentivement le sujet, vous me laissiez être ce que je veux être : l'auteur de chacun de mes livres et pas du tout de « Bubu de Montparnasse ».
Mais ce qui, pour moi, a donné tant de valeur à votre article, c'est que vous touchez à une des questions que je me pose encore aujourd'hui.
Dans mon esprit, Croquignole ne se tue pas à cause du suicide d'Angèle, il se tue parce qu'il ne peut plus retourner au bureau, parce qu'il a exagéré son amour d'une vie violente et sensuelle, parce qu'il lui faut l'air, l'espace, le feu, parce qu'il n'est pas capable de devenir le zèbre du Jardin des Plantes.
Voici comment j'avais voulu construire mon livre. Je posais mon personnage, je définissais son caractère et son tempérament, je donnais un exemple de ce qu'il peut faire en le montrant au milieu de ses camarades de bureau, en le faisant séduire Angèle et annihiler Claude. Et ensuite, très rapidement, je disais : Voilà où ça le conduit, voilà où le mène cet amour effréné d'une vie purement charnelle. Sa force est ce qui le tue ou, plus clairement, sa force le tue.
Un écrivain naturaliste n'eût pas manqué de le suivre pas à pas, de nous parler de son automobile, de ses voyages, de ses fêtes, de ses fautes, de nous donner le détail de son dernier repas et de son suicide. Il en eût amusé le lecteur ; il y aurait eu des descriptions, des tableaux de genre, des « tranches de vie ».
Le roman que j'ai voulu faire était plutôt de caractères qu'un roman de mœurs.
Je crois du reste que je ne l'ai pas fait assez sentir, beaucoup de lecteurs n'ont pas très bien compris, j'ai dû manquer de clarté dans la composition, dans le dessin de mon roman.
Peut-être même eussè-je dû mettre un avertissement, une préface, expliquer en détail ce que vous appelez mon procédé. Le ton sympathique que vous y avez mis m'a beaucoup touché. On commence à m'en déshabituer dans les revues. Vous avez dû voir cela par vous-même.
Je voulais vous écrire beaucoup plus tôt, mais je n'ai eu votre adresse que ces jours-ci par Francis Jourdain. Vous allez trouver la mienne au bas de cette lettre et vous me laisserez bien espérer, n'est-ce-pas, que nous allons bientôt faire connaissance. Voulez-vous un de ces jours me donner rendez-vous.
Veuillez agréer, Monsieur et cher confrère, avec tous mes remerciements, l'expression d'une bien sincère sympathie.

Charles-Louis Philippe.
31, quai Bourbon.

lundi 9 mai 2011

BAAG n°170



Le BAAG n°170 d'avril 2011 est arrivé. Il s'ouvre par Cinq lettres inédites de Gide à Jacques Schiffrin, retrouvées dans le fonds Schiffrin entré récemment à la Bibliothèque Littéraire Jacques Doucet, et annotées par Pierre Masson. Un ensemble à ajouter à la Correspondance Gide-Schiffrin 1922-1950 établie par Alban Cerisier en 2005 chez Gallimard.

Une importante correspondance inédite dormait également dans les archives de l'Académie des sciences de Russie à Saint-Petersbourg : 120 lettres et cartes postales de Gide à Rosenberg, couvrant 35 années, plus 9 de Madeleine Gide et 7 de sa sœur Jeanne. Boris Kaganovitch en donne un très intéressant avant-goût en même temps qu'il nous fait mieux connaître Fédor Rosenberg et son amitié avec André Gide.

Rosenberg meurt (malade et impécunieux, Gide venant à la rescousse financière) en 1934. Deux ans plus tard Gide arrive en Union Soviétique. Mihaela Marin donne un condensé des motivations et des contours de "l'engagement communiste" de Gide sous le titre Retour de l'U.R.S.S. ou l'impossible témoignage de l'Est.

J'avais signalé en 2008 la parution des Cahiers de jeunesse 1926-1930 de Simone de Beauvoir (voir ici cet ancien billet). Eugène Michel passe en revue les passages qui évoquent Gide et l'Influence des Nourritures terrestres sur une jeune fille rangée.

Sur les traces du Réveil est un ensemble de textes réunis par le pasteur Franck Keller à l'occasion du 200e anniversaire de la naissance de son ancêtre Jean-Jacques Keller, édition privée dont Alain Goulet nous donne un aperçu. "Ce mémoire concerne bien entendu l'histoire d'André Gide et éclaire tout un pan de son protestantisme et du milieu dans lequel il a été élevé", explique Alain Goulet.

Les Faux-Monnayeurs, le téléfilm de Benoît Jacquot vu par Alain Goulet et Céline Dhérin
ou deux critiques joliment argumentées et pas si contradictoires ferment ce 170e BAAG : Alain Goulet déplorant les libertés prises avec la littérature, Céline Dhérin se réjouissant des libertés offertes par la forme filmique...




Le BAAG est disponible par abonnement et envoyé aux membres de l'Association des Amis d'André Gide.

Abonnement au Bulletin seul (4 numéros/an) : 28€ (abonné étranger : 36€ )
Cotisation annuelle (4 bulletins + cahier annuel) : 39€ (adhérent étranger : 46€)
Plus d'informations sur cette page de Gidiana.

Gide et Brunetière (2/2)

[Le blog e-gide prend un peu de vacances... pendant lesquelles je vous invite à feuilleter chaque jour des pages de la Revue d'Histoire littéraire de la France de mars-avril 1970, consacrée à Gide. Voici donc la seconde partie de l'article signé Masayuki Ninomiya sur Gide et Brunetière...]



GIDE ET BRUNETIERE par Masayuki Ninomiya




Il faudrait d'ailleurs préciser la notion du Moi chez Gide. D'après lui, le Moi n'implique pas l'égoïsme. « L'égoïsme est haïssable de toute façon. Je m'intéresse de moins en moins à moi-même, et de plus en plus à mon œuvre et à mes pensées », dit-il dans son Journal (25). On pourrait dire que chez Gide le Moi existe comme une fonction, qui lui permet d'être à la fois personnel et impersonnel. Un passage de ses Feuillets nous révèle clairement cette modalité de l'existence :
Je présidais à tout, sur tout, mais c'était d'une manière impersonnelle ; je m'oubliais, m'éperdais dans une volupté imprécise, m'y dévouais absolument. Il est permis que là tout l'individualisme triomphe, car tout égoïsme y finit (26).
Dissolution du Moi. Dispersion de la personnalité. Le Moi a une structure ouverte. Le côté du Moi et le côté de l'Homme ne sont pas juxtaposés, mais fondus. D'où sa conception caractéristique de l'originalité et de la sincérité de l'écrivain. Dans les mêmes Feuillets, Gide a consigné une remarque significative :
Je sais bien que tout ce qui fait l'originalité de l'artiste vient en surplus ; mais malheur à qui songe à sa personnalité en écrivant ; elle apparaît toujours assez si elle est sincère et c'est en art qu'est vraie la parole du Christ : « Qui veut sauver sa vie (sa personnalité) la perdra » (27).
Jusque là, c'est presque du Brunetière. Mais qu'est-ce que signifie en réalité « être sincère » ? Le problème était pour Gide une hantise, comme on le voit par son Journal :
La chose la plus difficile, quand on a commencé d'écrire, c'est d'être sincère. Il faudra remuer cette idée et définir ce qu'est la sincérité artistique. [...] La crainte de ne pas être sincère me tourmente depuis plusieurs mois et m'empêche d'écrire. Etre parfaitement sincère [...] (28).
Rappelons ici le coup de griffe de Brunetière à certains auteurs d'œuvres auto-biographiques qui, selon lui, faussent la réalité en racontant leur vie (29). Gide répond en renversant le rapport de la vie et du récit :
On peut dire alors ceci, que j'entrevois, comme une sincérité renversée (de l'artiste) :
Il doit, non pas raconter sa vie telle qu'il l'a vécue, mais la vivre telle qu'il la racontera. Autrement dit : que le portrait de lui, que sera sa vie, s'identifie au portrait idéal qu'il souhaite ; et, plus simplement : qu'il soit tel qu'il se veut (30).
Cette fois aussi, Gide cherche à faire une synthèse des deux notions conçues séparément chez Brunetière : le naturel et le factice, l'artificiel et la sincérité. Et c'est justement dans cette tentative de synthèse qu'il voulait découvrir une source de la création littéraire :
Je m'agite dans ce dilemme : être moral ; être sincère.
La morale consiste à supplanter l'être naturel (le vieil homme) par un être factice préféré. Mais alors, on n'est plus sincère. Le vieil homme, c'est l'homme sincère.
Je trouve ceci : le vieil homme, c'est le poète. L'homme nouveau, que l'on préfère, c'est l'artiste. Il faut que l'artiste supplante le poète. De la lutte entre les deux naît l'œuvre d'art (31).
Sur le plan des conceptions esthétiques fondamentales, il existe entre l'un et l'autre des analogies frappantes. Dans un article qui s'intitule « Le Roman de l'avenir », Brunetière expose ses idées sur l'avenir du genre :
La littérature ne saurait se contenter d'être un divertissement de mandarins, et le roman moins que tout autre genre, si c'est l'imitation de la vie dans sa complexité qu'il a pour premier et pour dernier objet [...] Mais les problèmes de. toute sorte qui sont comme engagés dans la vie même; tant de questions que nous résolvons, que nous tranchons du moins, dès que nous agissons, et rien qu'en agissant ; toutes ces difficultés qui nous font hésiter tous les jours sur la valeur de nos actes, voilà les sujets que traitera le roman de demain, ce qui le différenciera du roman naturaliste, et ce qui le renouvellera (32).
Et dans le même article, il prévoit le retour à l'idéalisme dans la littérature et ses conséquences. Le passage suivant mérite d'être cité pour nous éclairer pleinement sur les idées esthétiques de Brunetière :
De ce retour à l'idéalisme, il résultera plusieurs conséquences, et tout d'abord celle-ci, que la composition redeviendra, comme il convient, l'une des parties essentielles du roman. Au lieu d'être notés pour eux-mêmes, avec l'intention de n'en rien omettre, les détails le seront par rapport à l'ensemble ; et on en sacrifiera précisément ce qu'il faudra pour les faire servir à la mise en valeur de l'idée. [...] Dans le roman comme ailleurs, être idéaliste, c'est d'abord avoir des idées; [...] et ensuite c'est faire servir les moyens de l'art à l'expression et à la communication de ces idées. En ce sens, le roman de demain sera sans doute idéaliste. On voudra qu'il soit œuvre d'art autant ou plus que d'observation ; et le premier caractère de l'œuvre d'art, c'est de se distinguer de la nature par la précision de son contour, l'équilibre de ses parties, la logique intérieure de son développement. Il se permettra donc de « corriger », de « rectifier » et — [...] — il se permettra « d'embellir la nature » (33).
On retrouvera plus loin dans certains écrits de Gide tous les thèmes présentés ici : rapport de l'idéalisme et du naturalisme, de l'idée et de la composition, de l'œuvre d'art et de la nature. Brunetière souligne d'autre part l'importance primordiale de la « forme ». Car c'est uniquement la forme qui peut donner à une œuvre d'art une existence durable, en lui donnant une valeur universelle (34). Il approuve, cela va sans dire, le « vieux Boileau », qui connaissait mieux que personne, l'importance de « l'art d'écrire ».

L'attitude de Gide sur ces questions s'exprime sans aucune ambiguïté. Pour ce qui est de la primauté de la « forme », il n'a rien à objecter à Brunetière (35). De même, en ce qui concerne le rapport de l'idée et de la composition d'une œuvre d'art, nous voyons bien qu'il est tout près de Brunetière :
L'idée de l'œuvre, dit-il, c'est sa composition. C'est pour imaginer trop vite, que tant d'artistes d'aujourd'hui font des œuvres caduques et de composition détestable. Pour moi, l'idée d'une œuvre d'art précède souvent de plusieurs années son imagination. Dès que l'idée d'une œuvre d'art a pris corps, j'entends : dès que cette œuvre s'organise, l'élaboration ne consiste guère qu'à supprimer tout ce qui est inutile à son organisme (36).
Gide analyse et formule le rapport de l'idéalisme et du naturalisme d'une part et celui de l'œuvre d'art et de la nature d'autre part, suivant la ligne tracée par Brunetière. A une conférence sur « Les Limites d'Art », il a précisé sa pensée de la manière suivante :
L'œuvre d'art est œuvre volontaire. L'œuvre d'art est œuvre de raison. Car elle doit trouver en soi sa suffisance, sa fin et sa raison parfaite ; formant un tout, elle doit pouvoir s'isoler et reposer, comme hors de l'espace et du temps, dans une satisfaite et satisfaisante harmonie. [...] Dans la nature, rien ne peut s'isoler ni s'arrêter ; tout continue. [...] Ici, l'homme est soumis à là nature ; dans l'œuvre d'art au contraire, il soumet la nature à lui. — « L'homme propose et Dieu dispose », nous a-t-on dit ; ceci est vrai dans la nature ; — mais je vais résumer l'opposition que j'indique en disant que, dans l'œuvre d'art, au contraire, Dieu propose et l'homme dispose ; et tout prétendu producteur d'œuvres d'art qui n'est pas conscient de ceci est tout ce que l'on veut : pas un artiste.
Poussant cette idée jusqu'au bout, Gide formule une synthèse en ces termes :
Dieu propose : c'est le naturalisme, l'objectivisme, appelez-le comme il vous plaît.
L'homme dispose : c'est l'a-priorisme, l'idéalisme...
Dieu propose et l'homme dispose : c'est l'œuvre d'art (37).
Gide exprime clairement ici ce que Brunetière pensait d une manière peu précise. Mais il ne s'éloigne pas beaucoup de celui-ci.
Or Gide, qui se considérait comme le premier représentant des symbolistes dans le domaine du roman (38), ne pouvait pas s'empêcher d'associer la notion du symbole à sa conception de l'œuvre d'art. Il dit alors :
En étudiant la question de la raison d'être de l'œuvre d'art, on arrive à trouver que cette raison suffisante, ce symbole de l'œuvre, c'est sa composition.
Une œuvre bien composée est nécessairement symbolique. Autour de quoi viendraient se grouper les parties ? qui guiderait leur ordonnance ? sinon l'idée de l'œuvre, qui fait cette ordonnance symbolique.
L'œuvre d'art c'est une idée qu'on exagère. Le symbole, c'est autour de quoi se compose un livre.
La phrase est une excroissance de l'idée (39).
On sait d'autre part que Brunetière n'est pas arrivé à bien comprendre l'importance du symbolisme. Effrayé par l'incompréhensibilité insurmontable des poèmes de Mallarmé par exemple, Brunetière ne pouvait pas concevoir la possibilité du roman symboliste. N'a-t-il pas prétendu dans son article sur « Le Roman de l'avenir » que « si l'on ne voit pas d'ailleurs les raisons que le roman pourrait bien avoir d'être symboliste, on voit encore moins les moyens qu'il en aurait » (40)?

Il faut cependant rappeler que Brunetière a approuvé malgré tout le principe du symbolisme. Sur ce point, nous n'avons qu'à relire le fameux article de Brunetière dans la Grande Encyclopédie. En expliquant la classification scientifique des œuvres littéraires, il écrit :
De même encore, tandis que la poésie purement descriptive se borne à rivaliser d'éclat et de coloris avec la nature, si la poésie lyrique, ajoutant l'homme à la nature, mêle ainsi l'expression du sentiment à la description des choses, niais si la poésie symbolique exprime encore en outre quelqu'une de ces affinités secrètes ou de ces correspondances mystérieuses qui relient la nature et l'homme à quelque chose qui les dépasse tous les deux, il faudra mettre la poésie symbolique au-dessus de la poésie lyrique et la poésie lyrique au-dessus de la poésie descriptive (41).
Une lecture attentive de ces lignes nous permet de dire que même au sujet du symbolisme comme théorie, la distance entre Brunetière et Gide n'est pas définitivement infranchissable, bien que leurs jugements sur les poètes symbolistes ne s'accordent pas toujours.

Enfin en ce qui concerne la conception de la critique littéraire, il faut reconnaître qu'une divergence fort nette les sépare. La définition catégorique de la critique de Brunetière est bien connue.

L'objet de la critique est de juger, de classer, d'expliquer les œuvres de la littérature et de l'idée (42).

Le jugement doit être absolument impersonnel. Le critique doit se soucier uniquement « de la valeur  d'exécution des œuvres, de leur signification, et de leur importance dans l'histoire des idées et de l'art » (43). Cette conception de la critique, dite « scientifique », se répète à maintes reprises dans L'Evolution des genres dans l'histoire de la littérature. A propos de la critique de Villemain, Brunetière dit qu'il faut « que la critique juge, puisqu'elle n'a été précisément inventée que pour cela, pour trouver à nos impressions des motifs plus généraux qu'elles-mêmes, des justifications qui les dépassent, des causes enfin qui leur soient antérieures, extérieures, supérieures » (44). Au sujet de Sainte-Beuve, il souligne que « ce que Sainte-Beuve n'a jamais, admis, [..,], c'est que la critique se réduisît à n'être que l'expression des jugements ou des goûts personnels du critique. [...] L'objet de la critique, c'est de nous apprendre à nous élever au-dessus de nos goûts » (45). Et, en parlant de Taine, il répète qu'il faut « donc arriver à la classification des œuvres ; [...] et pour les classer il faut commencer par les juger. C'est ce que M. Taine lui-même n'a pas pu se défendre de faire » (46).

Pour Gide, qui a exprimé une admiration inconditionnelle après la lecture de ce livre, que peut être la critique littéraire ? Un passage de son Journal nous explique ce qu'il pense du jugement :
Les jugements des autres ne m'intéressent d'ailleurs pas plus que les miens ; si pourtant : en tant que l'énoncé d'un rapport entre l'objet et l'individu qui le juge ; et qui me les fait tous les deux mieux connaître. Mais il me suffit que cet autre l'affirme ; quand il veut l'expliquer, prouver qu'il a raison, il me devient insupportable ; on ne peut jamais rien prouver, « Ne jugez point » (47).
Puis il pose la relativité de chaque idée, de chaque vérité personnelle :
Je vois toujours presque à la fois les deux faces de chaque idée et l'émotion toujours chez moi se polarise. Mais, si je comprends les deux pôles, je perçois fort nettement aussi, entre deux, les limites où s'arrête la compréhension d'un esprit qui se résout à être simplement personnel, à ne voir jamais qu'un seul côté des vérités, qui opte une fois pour toutes pour l'un ou pour l'autre des deux pôles (48).
De ce point de vue, on comprend fort bien que Gide ne pouvait accepter la définition de Brunetière. Contre le critique qui essayait de se faire une loi « de ne jamais toucher aux personnes », « de se dégager de son propre goût » (49), le jeune créateur répond : « l'artiste véritable cherchera, derrière l'œuvre, l'homme, et c'est de lui qu'il apprendra » (50). Et comme « faculté maîtresse du critique », il donnera purement et simplement « le goût » (51). Mais faisant lui-même de la critique pour des revues littéraires comme L'Ermitage, La Revue blanche et plus tard La Nouvelle Revue française, etc., il connaissait bien les difficultés du critique, obligé inévitablement de juger. Dans l'article qui ouvre sa chronique dans La Revue blanche, Gide se définit comme « forcé désormais de juger, de penser et d'écouter ce [qu'il] pense, [...] quand il est si pénible de juger, si délicieux au contraire d'admirer, d'aimer et de honnir, sans plus » (52). Pourtant son désaccord sur la théorie n'a pas empêché Gide de s'intéresser à la pratique de Brunetière critique. Il a ouvertement exprimé sa désapprobation du jugement porté sur Baudelaire (53). Mais la manière de penser de Brunetière l'intéressait toujours. Ne peut-on pas dire que derrière les écrits de Brunetière, Gide cherchait l'homme et qu'il a saisi ce qui était le plus essentiel du critique ? En parlant d'un discours de Brunetière sur Balzac, Gide écrit en 1899 :
Il faut retenir ceci, dans ce discours : un éloge très franc, sérieux et maintenu de Balzac ; et même une palinodie (la chose la plus respectable du monde) (54).
Curieuse louange ! Mais chez Gide, « se contredire », « changer », n'est pas un vice. Au contraire, c'est justement un signe de la vie (55). D'ailleurs, Brunetière lui-même n'était pas inconscient du caractère plus ou moins arbitraire de ses jugements. Il avouait dans son article sur Les Artistes littéraires de Spronck que
tout change autour de nous, on nous le dit, et nous le voyons bien, et nous sentons que nous changeons nous-mêmes : il n'y a précisément que nos préjugés qui ne changent guère; et dans la fuite universelle des choses, nous nous y attachons comme aux plus sûrs témoins de notre identité (56).
En 1942, presque à la fin de sa vie, Gide notera dans son Journal :
Je relis avec amusement, mais peu de profit nouveau, le livre de Brunetière sur Balzac. Déjà, je m'étais assimilé tout ce qu'il peut s'y trouver de valable. Brunetière me rappelle la manière de progresser de Dindiki, ultra-précautionneuse. Ses pensées s'enchaînent et l'enchaînent. Il n'avance que sur ses propres brisées. Ce qu'il soutient n'est pas toujours très juste; mais toujours très solidement établi. Oserait-on dire même : d'autant mieux établi que moins juste (57).
L'ironie est évidente, mais c'est une ironie sympathisante. D'autre part, Gide n'hésitera pas à estimer l'érudition de Brunetière comme historien. Son Journal témoigne qu'il a lu et relu « avec un vif intérêt » l'Histoire de la littérature française classique (58). Il consultera l'œuvre de Brunetière pour préparer son essai sur Montaigne (59). Dans la préface pour le Tableau de la littérature française, il tiendra l'ouvrage de Brunetière en haute estime avec ceux de Nisard, de Lanson ou de Lalou (60). Enfin dans sa préface pour l'Anthologie de la poésie française, composée par lui-même deux ans avant sa mort, on trouvera un passage qui résume son rapport avec Brunetière :
Ce n'est pas un chapitre d'histoire littéraire que j'écris ici. Simplement j'ai souci d'expliquer et de motiver mon choix et l'abondance de ce choix pour ce qui est de Ronsard. J'ai plaisir à entendre Brunetière enfin lui rendre justice. Je lis dans son Histoire de la littérature française classique : « Personne plus ou autant que ce sourd — car Ronsard était sourd ou à demi — n'a eu le sentiment des harmonies de la langue. » (Le souci de ce sentiment musical préside, je l'ai dit, à la naissance et à la formation de la présente anthologie).
« Presque toutes les combinaisons de rythmes et de mètres dont le français est capable, il les a inventées, ou — ce qui revient exactement au même — il les a le premier mises en faveur. » (Je préférerais : mises en valeur, ou en vigueur). Brunetière ajoute : « C'est là son premier titre de gloire. » (Son vrai titre de gloire, c'est d'y avoir pleinement réussi). Nous voici sur un terrain solide : c'est celui même de l'art (61).
On est tenté de conclure, après cet examen sommaire mais qui touche à l'essentiel, que le critique célèbre de la Revue des Deux Mondes fut pour le jeune écrivain un initiateur, lui désignant les problèmes fondamentaux de la littérature de l'époque et, au fond, de toujours. En lisant Brunetière, Gide a pris conscience de lui-même ou, pour être plus précis, d'une partie de lui-même. Osera-t-on parler d'une influence ? Oui, si l'on interprète le mot au sens le plus large — en admettant que ce fut parfois une influence « par réaction » (62).


MASAYUKI NINOMIYA

Notes :

25. A. Gide : Journal, t. I, p. 31.

26. Ibid., p. 101.

27. A. Gide : Journal, t. I, p. 49.

28. Ibid., p. 27-28.

29. F. Brunetière : « La Littérature personnelle », p. 227.

30. A. Gide : Journal, t. I, p. 29.

31. Ibid., p. 29-30.

32. F. Brunetière : « Le Roman de l'avenir » (la Revue des Deux Mondes, 1er Juin 1891), p. 692.

33. Ibid., p. 693.

34. F. Brunetière : « Sur la Littérature », p. 212.

35. A. Gide : Préfaces, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1948, p. 10 : « La forme, cette raison de l'œuvre d'art, [etc.] » Voir Marc Beigbeder : André Gide, Paris, Editions Universitaires, 1954, p.106-109.

samedi 7 mai 2011

Gide et Brunetière (1/2)

[Le blog e-gide prend un peu de vacances... pendant lesquelles je vous invite à feuilleter chaque jour des pages de la Revue d'Histoire littéraire de la France de mars-avril 1970, consacrée à Gide. Aujourd'hui et demain l'étude de Masayuki Ninomiya sur Gide et Brunetière : par critiques interposées, ces deux-là semblent en effet "dialoguer", avec des conséquences non négligeables du côté de Gide.
Masayuki Ninomiya a consacré sa thèse à La Méthode critique de Gide jusqu'à la parution des "Prétextes". Aujourd'hui professeur honoraire à l'Université de Genève, ce spécialiste de littérature française, de littérature générale et comparée et de didactique du japonais est notamment l'auteur d'un livre sur la pensée de Kobayashi Hideo et de la traduction japonaise de la correspondance Gide-Valéry.]







GIDE ET BRUNETIERE par Masayuki Ninomiya


On n'a donné jusqu'à présent que très peu d'importance à un rapport entre Brunetière et Gide. Les débuts littéraires de Gide étant manifestement marqués par plusieurs influences comme celle des symbolistes, ou celle d'Oscar Wilde, on a injustement négligé, dans son évolution intellectuelle, la présence de Brunetière. Il ne s'agit pas bien entendu d'un rapport fondé sur des relations personnelles. Gide ne connaissait pas l'éminent critique, son aîné de vingt ans. Il s'agit ici uniquement de lectures, ou de conversations avec des tiers. D'ailleurs Gide n'a consacré aucun article spécialement à Brunetière. Dans Prétextes, Nouveaux Prétextes, dans son Journal, ainsi que dans sa correspondance, il n'a pas non plus laissé de remarques détaillées et développées concernant l'illustre professeur à l'École Normale Supérieure, l'un des plus brillants parmi les critiques de la génération précédente.

Mais, bien que Brunetière s'enfonce aujourd'hui dans un oubli de plus en plus profond (1), classé une fois pour toutes comme dogmatique et traditionaliste (2), pour le jeune Gide cherchant sa propre voie, cet auteur, dont certains propos s'appliquaient à des sujets essentiels et actuels, était loin d'être négligeable. Gide avait encore une autre raison de s'intéresser à Brunetière : comme Jean Delay l'a remarqué dans sa Jeunesse d'André Gide (3), sa mère « avait un culte pour Brunetière ». Il est fort probable que le jeune homme était obligé de confronter ses idées avec celles du critique officiel de sa mère (4).

L'examen du Cahier de Lectures (inédit) (5) tenu par Gide entre 1889 et 1902 nous permet en effet de constater que l'écrivain débutant lisait d'une manière constante les études critiques de Brunetière (6). Il exprime dans le Cahier après la lecture de L'Évolution des genres dans l'histoire de la littérature un enthousiasme sans borne :
J'ai pris plus de cinquante pages de notes ; je n'ai qu'à m'y reporter. C'est un livre admirable et d'un puissant intérêt.
Cet éloge laconique nous intrigue. Comment et dans quel sens Gide s'intéresse-t-il aux idées de Brunetière ? Malheureusement ces « cinquante pages de notes » qu'il a prises sont, à notre connaissance, introuvables. Et dans le Cahier de Lectures, aucune analyse, aucun commentaire n'expriment directement ses réactions. Cependant, si l'on examine de près certains écrits de Gide à cette époque, on comprendra vite que ses préoccupations littéraires coïncident sur plusieurs points fondamentaux avec celles de Brunetière.

Dans un article intitulé « La Littérature personnelle », Brunetière tranche net sur la littérature subjective. Pour lui,
il s'agit de savoir si ce Moi qui jadis passait, selon le mot de Pascal pour «haïssable», et qu'il fallait absolument « couvrir », comme il disait encore, a conquis désormais parmi nous le droit de s'étaler dans sa gloire et de se carrer dans son insolence (7).
C'est une question fondamentale pour Brunetière, parce que son idéal est, comme on le sait, la littérature du XVIIe siècle où, selon lui,
on écrit parce que l'on a quelque chose à dire qui intéresse, ou qui doit intéresser tout le monde, mais non pas pour intéresser tout le monde à ses affaires, et bien moins encore à soi-même. La littérature est impersonnelle ; et ce qui est personnel n'est pas encore devenu littéraire [...] (8)
Il va jusqu'à écrire que
même au célèbre auteur des Essais, ni Pascal, ni Bossuet, ni Malebranche ne pouvaient pardonner d'avoir rempli de lui les deux tiers de son livre (9)
Mais comment juger cette littérature « personnelle » qui est à la mode? Faut-il donc condamner tous ces Mémoires, Journaux et Correspondances ? Brunetière fait d'abord une concession au poète. A celui-ci il reconnaît le droit à « l'expansion de la personnalité »,ou bien à « la prise de possession de l'univers par son Moi » (10). Sinon, on risque de « tarir le lyrisme dans ses sources » (11). Or le lyrisme a changé la littérature tout entière. En effet, à cause de la complexité croissante de la vie sociale, à cause de la diversité de la vie, « le type a cessé d'exister, il n'y a plus que des individus » (12). Brunetière est obligé de conclure, presque malgré lui :
La connaissance ou la science de l'individu, voilà désormais l'objet de la littérature, et en particulier du roman, et, pour y parvenir, au lieu de sortir de soi, c'est en soi qu'il faut s'enfermer et soi seul qu'il faut étudiera (13)
Il dira non sans ironie que nous connaissons assez l'homme général; « ce que nous ignorons, c'est l'homme particulier, c'est l'individu, et nous ne le connaîtrons jamais que par lui-même » (14). Mais, même en disant cela, Brunetière, ne pouvant renoncer à son principe de l'universalité, essaie de distinguer le côté du Moi et le côté de l'Homme qui existent tous les deux en chaque individu :
Notre Moi, c'est en effet en nous ce qui se distingue, pour s'y opposer, du reste de l'humanité; c'est ce qu'il y a en nous, non pas du tout de plus intime, mais de plus différent, et qui ne consiste quelquefois qu'en une déplaisante affectation d'originalité ; [...] Mais l'Homme, au contraire, c'est ce qu'il y a en nous de plus semblable à l'auditeur qui nous écoute ou au lecteur qui nous lit ; c'est ce qu'il y a de plus humain qui nous rapproche le plus des autres hommes (15).
Par conséquent, les chefs-d'œuvre de la poésie lyrique moderne relèvent bien de la littérature personnelle, mais « ce qu'ils ont de plus personnel est aussi ce qu'ils ont de plus universel » (16). Brunetière n'accepte pas cependant cette intervention de la personne ou du Moi dans tous les genres littéraires :
Où l'on ne saurait approuver cette intervention de la personne ou du Moi dans l'œuvre littéraire, c'est dans le roman peut-être, c'est dans l'histoire sans doute, c'est enfin dans la critique (17).
Et comme condition indispensable de la littérature personnelle, il demande premièrement la sincérité de l'auteur. Prenant Baudelaire comme exemple, il critique son « originalité prétentieuse, laborieuse et menteuse » (18). Il condamne catégoriquement « la nature artificielle » chez Baudelaire et ses imitateurs (19). Selon lui,
Étouffée sous l'autorité naturelle de la coutume et de l'exemple, de l'éducation ou de l'opinion, notre personnalité ne s'en dégage que lentement et laborieusement, quand encore elle y réussit. Nous commençons donc par imiter les modèles ou nos maîtres ; et nous ne pouvons mieux faire, [...] Mais lorsque nous sommes devenus à peu près les maîtres de nos idées, qu'elles sont à nous et devenues nous-mêmes, alors, c'est l'effort même que nous faisons pour les traduire qui en altère la sincérité (20).
Ainsi, on trouve dans cet article de Brunetière que Gide a lu en juillet 1890, c'est-à-dire tout au début de sa vie littéraire, une série de problèmes qui préoccupent le jeune Gide : la subjectivité et l'objectivité, le particulier et l'universel, la personnalité, la sincérité, l'originalité, l'imitation : problèmes auxquels il propose des solutions.
Pour vivre avec toutes ses contradictions, Gide avait absolument besoin de créer une œuvre littéraire. Il est donc évident que le problème du Moi dans l'œuvre d'art est le plus essentiel pour lui.
Seulement, il part d'un point de départ diamétralement opposé à celui de Brunetière. Il intitule son Cahier de Lectures « Subjectif ». Citant la phrase de Pascal, il déclare :
« Le moi est haïssable », dites-vous. Pas le mien (21).
A partir de problèmes personnels, comment arriver à une valeur universelle ? Voilà la question qui se pose à lui. Il reprend alors la formule de Brunetière : « ce qu'ils ont de plus personnel est aussi ce qu'ils ont de plus universel ». Il développe cette idée dans un article intitulé « Nationalisme et Littérature » :
les œuvres les plus humaines, celles qui demeurent d'intérêt le plus général, sont aussi bien les plus particulières, celles où se manifeste le plus spécialement le génie d'une race à travers le génie d'un individu. [...] Car il faudrait enfin comprendre que ces trois termes se superposent et qu'aucune œuvre d'art n'a de signification universelle qui n'a d'abord une signification nationale; n'a de signification nationale qui n'a d'abord une signification individuelle (22).
De même, il soulignera l'importance du côté personnel, en critiquant plus tard dans son Suivant Montaigne le jugement de Pascal sur l'auteur des Essais que Brunetière présentait avec une sympathie tacite :
Qui supprimerait tous les passages où Montaigne parle de lui, diminuerait d'un tiers le volume. Certains le voudraient ainsi. « Le sot projet qu'il a de se peindre !» dit Pascal. Pour moi, c'est ce tiers précisément que surtout je voudrais garder. Dans les deux autres, que de bavardage ! (23).
Gide voulait unir les notions du particulier et de l'universel, qui étaient chez Brunetière compatibles certes mais nettement séparées. En en faisant la synthèse, il espérait justifier le rapport du Moi et de l'œuvre. Mais cela ne veut pas dire qu'il approuvait tout ce qui appartient au particulier. Il partage volontiers quelques-uns des sévères jugements de Brunetière sur Marie Bashkirtseff ou sur les Goncourt (24).



Notes :



1. Voir par exemple, Henri Clouard : Histoire de la littérature française, Paris, Albin Michel, 1962, t. II, p. 443.

2. Voir Roger Fayolle : La Critique, Paris, Armand Colin, 1964, p. 125-127.

3. Jean Delay : La Jeunesse d'André Gide, Paris, Gallimard, 1957, t. Et, p. 163-166.

4. Ibid., p. 165. On lit dans une lettre d'André Gide adressée à sa mère, le 26 mars 1892 : « D'exprimer des idées simples n'est rien — ce qu'il faut, le terrible, c'est d'exprimer simplement des rapports compliqués. [...] Le pauvre Brunetière j'en suis sûr souffre terriblement de l'emberlificotement de ses phrases, si bizarres à côté de la précision de ses déclamations, etc. »

5. Le Cahier de Lectures appartient à Mme Catherine Gide. Je me permets d'exprimer à cette occasion tous mes remerciements à Mme Gide, qui m'a permis de consulter le document précieux. On peut en voir une copie dactylographiée à la Bibliothèque Jacques Doucet.

6. Voici une liste exhaustive des écrits de Brunetière lus et notés par Gide dans le Cahier de Lectures. On donne la date de lecture, les annotations de Gide et, entre parenthèses, les références nécessaires.

le 3 décembre 1889 : « article de Brunetière sur Baudelaire, Gautier, de Goncourt, Flaubert, Leconte de Lisle, à propos du livre récent de M. Spronck, Les Artistes littéraires (à avoir). » (Les Artistes littéraires, par Maurice Spronck, Paris, 1889, Calmann-Lévy ; paru dans la Revue des Deux Mondes, le 1er décembre 1889).

le 16 janvier 1890 : « Lu article sur Schylock de Brunetière. » (« A propos du Marchand de Venise », paru dans la Revue des Deux Mondes, le 1er janvier 1890).

en juillet 1890 : « La Littérature personnelle, article ds [sic] Questions de Critique. » (Questions de Critique, Paris, Calmann-Lévy, 1889, p. 211-252.).

en juillet 1890 : « La Philosophie de Schopenhauer, article » (Questions de Critique, p. 139-164).

le 30 mai 1891 : « L'Évolution des genres dans l'histoire de la littérature » (Hachette, 1890).

le 2 juin 1891 : « Article sur le roman futur ». [Gide a noté ailleurs pour la même date « Article sur le roman moderne »] (« Le Roman de l'avenir », paru dans la Revue des Deux Mondes, le 1er juin 1891).

le 6 janvier 1892 : « De la littérature.» (« Sur " la littérature " », paru dans la Revue des Deux Mondes, le 1er janvier 1892).

entre le 18 et le 25 janvier 1892 : « le roman réaliste ». (« Le Roman réaliste en 1875 », dans Le Roman naturaliste, Paris, Calmann-Lévy, 1883, p. 1-28).

en août 1892 : « Etude sur Bayle » (« Etudes sur le XVIIe siècle, IV — La critique de Bayle », paru dans la Revue des Deux Mondes, le 1er août 1892).

le 10 septembre 1892 : « Etude sur Baudelaire » (« La Statue de Baudelaire », dans la Revue des Deux Mondes, le 1er septembre 1892).

en octobre 1892 : « Caractère essentiel de la langue française » (« Sur le caractère essentiel de la littérature française », paru dans la Revue politique et littéraire (Revue Bleue), n° 16, t. L, le 15 octobre 1892).

en février 1893 : « Lamennais, article » (« Lamennais », paru dans la Revue des Deux Mondes, le 1er janvier 1893).

7. F. Brunetière : Questions de Critique, p. 214.

8. Ibid., p. 231.

9. Ibid., p. 215.

10. Ibid., p. 234.

11. Ibid., p. 235.

12. Ibid., p. 247.

13. Ibid., p. 237.

14. Ibid., p. 238.

15. F. Brunetière : Questions de Critique, p. 243-244.

16. Ibid., p. 244.

17. Ibid., p. 247.

18. Ibid., p. 239.

19. Ibid., p. 240.

20. Ibid., p. 240-241.

21. A. Gide : Journal, Bibliothèque de la Pléiade, 1951, t. I, p. 91.

22. A. Gide : Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1934, t. VI, p. 4.

23. Ibid., t. XV, p. 43.

24. Pour l'opinion de Brunetière sur Marie Bashkirtseff et les Goncourt, voir « La Littérature personnelle », p. 225. Quant à Gide, on lit une condamnation sans merci contre le Journal de Marie Bashkirtseff dans le Cahier de Lectures (17 août 1890).