Tout comme la correspondance Gide-Blum, celle échangée entre Gide et Paul Desjardins a été saisie par les Allemands, lorsqu'ils firent main basse sur les archives de l'abbaye de Pontigny. A partir d'une vingtaine de lettres rescapées Pierre Masson proposera l'année prochaine une Correspondance Gide-Desjardins, qui fera l'objet du cahier annuel des Amis d'André Gide à paraître fin 2011.
La correspondance à proprement parler occupera un tiers du livre, et les deux autres tiers seront consacrés plus généralement à la relation de Gide avec Paul Desjardins (et avec les Heurgon qui prolongeront le dialogue). « Une relation qu'on a sous-estimée : il y a une partie « immergée » d'avant les Décades de Pontigny », souligne Pierre Masson. « Né dix ans jour pour jour avant Gide, Desjardins était un aîné proche, un repère intellectuel possible. »
Un exemplaire dédicacé des Cahiers d'André Walter, conservé par la famille Heurgon, témoigne de ce côté « grand-frère en réflexion » que Desjardins aurait pu être pour Gide. Mais dans Le voyage d'Urien le narrateur jette à la rivière Le devoir présent : par ce petit coup de griffe, Gide défend surtout Baudelaire que Desjardins juge dans ce livre d'un effet néfaste, « négatif » sur la société, contre les écrivains « positifs » au rang desquels Sully Prudhomme...
« Dans un deuxième temps, aux environs de 1906, Gide a mûri et est à la recherche d'un classicisme. Des textes de Desjardins comme Sur Poussin et Sur la méthode des classiques
vont marquer le retour de Gide qui lui enverra un tiré à part de son Prodigue et son Dostoïevski », poursuit Pierre Masson. Un « point commun mince » autour duquel s'articule désormais une relation faite d'ententes, de conflits, de méprise parfois.
« Pour Desjardins, l'œuvre doit être moralement impeccable parce qu'elle témoigne d'une vie elle-même impeccable : il va ainsi totalement se méprendre sur La Porte étroite. Et alors qu'il fait figure de représentant de la morale religieuse, Desjardins passe pour un laïc aux yeux des catholiques. Avec Gide il collabore à l'Union pour la Vérité et créé les décades de Pontigny. » C'est en 1906 qu'il a acheté, un an après la séparation de l'Etat et de l'Eglise, l'abbaye cistercienne, et c'est à partir de 1910 qu'il y organise les décades. « En 1911, la droite catholique attaque Desjardins au motif qu'il détourne les biens de l'église ! »
« Avec Desjardins rien n'est jamais simple, son comportement est agaçant car il donne l'impression d'être toujours en représentation », ajoute Pierre Masson. Desjardins doit « faire tourner » l'abbaye. « Il raisonne en hôtelier autant qu'en intellectuel. Il n'a pas de fortune personnelle et doit assurer la rentabilité de Pontigny. » Ainsi à la parution de Corydon, Desjardins est moins effarouché que soucieux de ne pas perdre sa clientèle. Des échanges diplomatiques fort amusants s'engagent : Desjardins voudrait que Gide ne participe qu'à la décade politique et non à celle concernant la morale et la religion...
Pierre Masson a donné un avant-goût de l'étude des rapports
Gide-Desjardins qui paraîtra l'an prochain
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