mercredi 30 décembre 2009

Un oeil dans le rétrogideur

2009 a été une année particulièrement gidifère grâce à la nouvelle édition des Romans et récits dans la Pléiade et au centenaire de la Nouvelle Revue Française. Gide a fêté ses cent-quarante ans sans trop de bruit mais les « cadeaux éditoriaux » n'ont pas manqué, pas plus que les rééditions en formats de poche. Plus curieux : le « personnage » Gide reste présent pour les écrivains avec encore deux romans où se faufile l'ombre gidienne.


En février, Gide posait à la Une du Magazine Littéraire comme « Le plus moderne des classiques ». Le vingtième Cahier André Gide tombait : mille pages de la correspondance Gide-Valéry. L'année s'annonçait fructueuse pour ce blog...

En mars s'ouvrait la première exposition des cent ans de la NRF, en Suisse, à la Fondation Bodmer.

En avril, Gide était convoqué au vernissage de la rétrospective William Blake à Paris, soixante-deux ans après la première, déjà soutenue par Gide. Le même mois démarrait le tournage dune adaptation des Faux-Monnayeurs par Benoît Jacquot.



En mai, alors que les Romans et Récits, Œuvres lyriques et dramatiques viennent de paraître en deux volumes dans la Pléiade, un auteur australien livre le récit de son voyage en forme d'Arabesques, de Cuverville à Biskra, sur les traces de Gide.

En juin, la jeune revue Le Magazine des Livres met elle aussi Gide à sa Une. Voilà qui avait échappé à ce blog à l'époque ! Une valeur sûre : une édition originale de Paludes est adjugée 4750 euros chez Christie's.



Tandis qu'en juillet Pierre Masson évoque Gide au micro de France Culture, on apprenait en août la prochaine tenue d'un colloque Gide à la BnF...

En septembre l'IMEC et Claire Paulhan accueillaient et enrichissaient l'exposition « En toutes lettres... Cent ans de littérature à la NRF », toujours sous la grande silhouette de Gide.


En octobre, comme promis, avait lieu le colloque Gide à la BnF dont les actes viennent tout juste de paraître.

En novembre Gide réapparaît sur la couverture d'un roman : Inéluctable, de Daniel Soil. Uzès célèbre aussi l'anniversaire de Gide avec une journée littéraire qui avait l'air intéressante et conviviale.


Décembre prouvait enfin que la recherche universitaire gidienne et britannique ne chôme pas. Benoît Jacquot déjouait quant à lui la malédiction qui planait sur les projets cinématographiques autour des Faux-Monnayeurs : son téléfilm sera projeté en janvier.

L'activité n'a donc pas manqué pour e-gide avec 97 billets rédigés en 2009, contre 61 en 2008. A la création du blog en décembre 2007 des amis, blogueurs ou non, s'inquiétaient un peu de ce que j'allais bien pouvoir écrire dans un blog à Gide consacré... A mon tour, je me demande si l'année 2010 sera aussi fructueuse et je me rassure en voyant la matière accumulée au fil des lectures ou les billets en retard !

2009 aura été enfin l'année de la publicité, sinon de la consécration... Dans sa version en ligne, le Magazine Littéraire de février dénonçait l'existence d'e-gide. Et les visites mensuelles étaient propulsées de 350 en moyenne à 871 en mars ! Avant de retomber à 660 en moyenne d'avril à septembre. C'est alors que le Bulletin des Amis d'André Gide lui consacrait quatre pages, sous la plume bienveillante de Céline Dhérin. Effet immédiat : 975 visites en octobre, 969 en novembre, et bientôt autant en décembre. Depuis la mise en place des compteurs sophistiqués de Google Analytics en juillet 2008, huit mois après la création du blog, ce dernier a reçu 9947 visites de 6579 visiteurs qui ont visité 16 806 pages.

Si j'en crois toujours ces compteurs complexes, 35% des visiteurs sont des fidèles du blog dont 9% ont consulté plus de 201 fois ses pages. C'est le moment de remercier ces fidèles d'entre les fidèles avec pour commencer Philippe Brin et son blog sur Roger Martin du Gard à qui je dois 858 visites, mais aussi ces liens chez Les Septembriseurs où sévit Lucien Jude, chez Gabriel Letterson, Joseph Vebret, Valérie Scigala ou Pierre Assouline.

Ce bilan aurait de quoi faire enfler les chevilles si les compteurs maléfiques ne révélaient aussi ce qui amène les visiteurs depuis Google... En tête des mots-clés qui semblent faire rebondir vers e-gide : la Villa Montmorency ! Ce « repaire de riches » où Gide habitat un temps une inhabitable maison semble fasciner. Les autres mots-clés les plus fréquents sont e-gide, Voyage au Congo, Elisabeth van Rysselberghe et Maria, puis Roger Martin du Gard.

Ainsi la page d'accueil d'e-gide a été vue 5466 fois, celle sur les photographies du Voyage au Congo 620 fois, celle sur la Villa Montmorency 369 fois, celle sur Elisabeth 336 fois et celle sur l'adaptation télévisée des Faux-Monnayeurs 265 fois. La diffusion de ce film prévue en début d'année sur France 2 devrait être l'occasion de la découverte de Gide par beaucoup et de commentaires intéressants. A suivre...

Bonne année 2010.

mardi 29 décembre 2009

La chambre noire d'André Gide

Les actes du colloque Gide du 9 octobre 2009 à la BnF viennent de paraître chez "l'éditeur alternatif" Le Manuscrit (ce qui est dommage et pose quelques questions, mais c'est un autre sujet...) sous le titre "La chambre noire d'André Gide". Alain Goulet, directeur du colloque et de cette publication, explique ainsi le choix du titre :

"C'est un Gide toujours vivant et actuel qu'offre ce volume, un Gide qui aurait eu cent quarante ans le 22 novembre 2009. Pour cet anniversaire, nous vous proposons d'entrer dans la chambre noire de l'écrivain, ce lieu obscur où se conçoivent et s'écrivent les œuvres, où elles se projettent et s'élaborent, charriant souvenirs, rêves et fantasmes dans un dialogue constant avec soi-même, à la lumière des manuscrits où l'expression se forge, y révélant parfois une intimité et une intentionnalité de façon plus claire que dans l'œuvre achevée et publiée.

Les différentes études rassemblées ici émanent de gidiens chevronnés et jettent différents éclairages sur les intérêts et l'écriture d'André Gide, tant dans ses œuvres achevées que dans ses brouillons et manuscrits, renouvelant la vision de son œuvre, interrogeant ses choix, la permanence de motifs prégnants, la manière dont il peut se révéler parfois intimement dans ses manuscrits, ou encore mettant en lumière des pans entiers de sa production comme son théâtre, généralement mal connu.
"

"La chambre noire d'André Gide" contient les textes des interventions pour lesquelles je donnais à l'époque un rapide aperçu :

- Quand l'écrivain remet son ouvrage sur le métier : l'exemple d'une page supprimée dans Paludes par Jean-Michel Wittmann (résumé ici)

- Histoires de portes et de chambres par Pierre Masson (résumé ici)

- "Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman" par Alain Goulet (résumé ici)

- Gide et le réalisme social par David H. Walker (résumé ici)

- Gide et le théâtre : une tentation impossible par Jean Claude (résumé ici)

- Sur quelques manuscrits de Gide à la Bibliothèque nationale de France par Marie-Odile Germain

- Présentation du dvd-rom André Gide l'écriture vive par Martine Sagaert (résumé ici)

La Chambre noire d'André Gide, sous la direction d'Alain Goulet, Le Manuscrit, coll. "Recherche-Université", 2009, 197 p., 19€90 (version pdf : 7.90 €), à commander sur le site des Editions Le Manuscrit.

dimanche 27 décembre 2009

André Gide and Curiosity, de Victoria Reid

Victoria Reid est maître de conférences en littérature française à l’Université de Glasgow et l'auteur des articles «André Gide and James Hogg : Elective Affinities» (Studies in Hogg and his World, nº 18, 2007) et «Gide et Rembrandt : la leçon d’anatomie» (Bulletin des amis d’André Gide, nº 154, avril 2007). Spécialiste de la réception de l'œuvre de Wilde*, on lui doit aussi un chapitre de The Reception of Oscar Wilde in Europe (Continuum, 2008) sur les relations de Gide-Wilde. Ou encore ce très bon «Gide et Wilde» publié par le Bulletin de la Société Oscar Wilde (n°16, 2008).





André Gide and Curiosity, Victoria Reid,
Editions Rodopi, coll. "Faux Titre" n°340,
Amsterdam,New York, 2009, 322 p.


La couverture de André Gide and Curiosity montre un flambé et un lézard vert**. Illustrations judicieuses qui renvoient bien sûr à la passion de Gide pour l'observation zoologique mais aussi au combat du lézard et du serpent dans Voyage au Congo : comme le lézard, Gide est prêt à abandonner une partie de lui, à se renier, si sa curiosité vient à être déçue. Herbart l'a bien montré. Mais n'est-ce pas aussi en lézard repartant plus léger après le combat que Mauriac peignait Gide ?

On songe encore à la nouvelle du lézard mort annoncée par Catherine à sa grand-mère : Catherine, les mains dans le dos, demande à la Petite Dame de choisir une main. La première est vide. L'autre, vide aussi. Et Catherine dit : «Le lézard est mort». Plus tard, Catherine explique : «Mais tu sais, il y avait quand même quelque chose dans ma main : l'annonce de la mort du lézard». Une façon de susciter la curiosité tellement gidienne !

On songe enfin au célèbre «La chenille qui chercherait à se connaître ne deviendrait jamais papillon.» Affirmation étonnante d'une défiance envers le «connais-toi toi-même» : l'égocentrisme gidien était en quelque sorte centripète. Victoria Reid le montre bien dans son analyse d'une curiosité de soi non pas pour soi mais pour tous les prolongements possibles d'aventures, d'écritures de soi et d'apports à la fiction.

Certes la curiosité de Gide, pour forte qu'elle fût, était très ciblée, ainsi que le souligne Victoria Reid qui la range sous trois grand thèmes-chapitres eux-mêmes rétrécis à la part vraiment gidienne : curiosité sexuelle, curiosité scientifique et curiosité littéraire. Rien de bien nouveau sur Gide - l'auteur rappelle d'ailleurs que le sujet a déjà été abordé, lié notamment à la pédagogie, mais trouve avec la nouvelle édition des Romans et récits dans la Pléiade de nouveaux champs d'étude - et l'ouvrage prend davantage prétexte de Gide pour analyser les mécanismes de la curiosité et leurs prolongements littéraires.

_____________________________

* André Gide and Curiosity comporte d'ailleurs un passage sur les relations entre Gide et Alfred Douglas (Bosie) qui montre bien comment de la curiosité sexuelle Gide passe à la curiosité littéraire.

** Bestiaire gidien auquel l'auteur ajoute la serine de Si le grain ne meurt : «The canary episode illustrates three key aspects of curiosity in its perfect state : first, the desire for novelty as a prelude to curious investigation; second, the important role of disponibilité, magnetism and contagion in the transmission of curiosity (so André, the passively curious object of the canary's curiosity becomes André, post-epiphany, charged with active curiosity, wich he directs towards the external world); and third, the double meaning of curiosity wich can designate a passive object or an active subject.» (André Gide and Curiosity, p. 16)

vendredi 25 décembre 2009

Gide en Allemagne

Bernard Morlino a publié sur son blog un billet sur le Retour d'URSS Gide prononce urse », note Robert de Saint-Jean dans son Journal) avec une vidéo des informations allemandes de juin 1947 sur le congrès international de la jeunesse de Munich. Gide y intervient dans un discours où il redit son attachement à l'Allemagne. Dans une étude sur les rapports entre Gide et l'Allemagne*, Claude Foucart qualifie ce moment de « retrouvailles ».

______________________
* « Le temps de la «gadouille» ou le dernier rendez-vous d'André Gide avec l'Allemagne (1933-1951) », Claude Foucart, Contacts, Série 2: Gallo-germanica, 1997.

Avant-première des Faux-monnayeurs

Comme le rappelait Alain Goulet lors du colloque Gide à la BnF en octobre dernier, l'adaptation au cinéma des Faux-monnayeurs a été plusieurs fois envisagée mais jamais réalisée, une sorte de malédiction planant sur ce projet. Benoît Jacquot semble l'avoir déjouée. Prévue pour la télévision (France 2), son adaptation sera présentée en avant première le 28 janvier au Festival International de Programmes Audiovisuels de Biarritz.

jeudi 24 décembre 2009

Qui a dit ?

Sur Gide : «Un notaire. Aucune transe chez lui si ce n'est à la vue des fesses du petit bédouin

Sur Mauriac : « La plus belle vedette du Dictionnaire des Girouettes.»

Sur Proust : «Trois cents pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave, c'est trop.»

La réponse dans cet article de l'Express...

mercredi 23 décembre 2009

Journal de Jean Amrouche

Jean El Mouhoud Amrouche, Journal 1928-1962
415 pages, Editions Non Lieu, Paris

Il avait le don d'agacer la Petite Dame lorsque ses parties d'échecs avec Gide se prolongeaient un peu tard et surtout lorsqu'il reprenait à son compte les analyses formulées par d'autres pour interroger l'écrivain au micro de Radio France en 1949... Souvent décrit comme «suffisant» ou «arriviste», Jean Amrouche était surtout en quête de reconnaissance, lui, l'exilé permanent, l'enfant crucifié de l'Algérie et de la France.

Le Journal de Jean Amrouche est paru aux éditions Non Lieu. Tassadit Yacine Titouh, qui avait déjà publié la nouvelle édition de ses Chants Berbères de Kabylie, a établi et présenté ce journal tiré du millier de pages que comportait le manuscrit couvrant les années 1928 à 1962. Soit trois époques de la vie d'Amrouche que Tassadit Yacine résume dans un article d'El Watan : «La première a un rapport avec la quête poétique et existentielle en Tunisie, sa première terre d’accueil, la seconde concerne son inscription dans le monde culturel en Algérie, puis en France, alors que la troisième est marquée par son entrée cinglante dans le champ politique et ses prises de position durant la guerre d’Algérie.»

Jean Amrouche rencontre Gide, avec qui il correspond depuis longtemps, à Tunis en 1942 avant de rejoindre les milieux gaullistes à Alger, où il fonde la revue L'Arche. En 1945, L'Arche devient une revue parisienne. Après avoir travaillé à Tunis-P.T.T. ou Radio France Alger, Amrouche réalise pour Radio France Paris des émissions où il invite Bachelard, Barthes, Merleau-Ponty, Morin, Starobinski, Wahl. Avec Henry Barraud, il invente un genre radiophonique nouveau : les entretiens, avec Gide (1949), Claudel (1951), Mauriac (1952-1953) ou Ungaretti (1955-1956).

Mis à la porte de Radio France en 58, il s'exile de nouveau, sur les ondes de la radio suisse cette fois, où il plaide la cause algérienne jusqu'à sa mort en 1962, trois mois avant l'accord d'indépendance. Chrétien et berbère, imprégné de culture française et défenseur de la cause algérienne, Jean El Mouhoub Amrouche sera écarté du paysage littéraire arabe (aujourd'hui encore si l'on en croit Tassadit Yacine Titouh, empêchée de parler de ce Journal comme elle le confie toujours à El Watan) et tombera peu à peu dans l'oubli dans le paysage des lettres françaises.

Gide est bien entendu très présent dans ce Journal. De 1942 à Tunis, puis du retour à Paris en 1945 jusqu'à la mort de Gide en 51, ils se rencontrent presque chaque jour pour des parties d'échecs. C'est d'ailleurs là qu'est née l'idée des entretiens radiophoniques : remplacer l'échiquier par un micro... Lors de la reprise de L'Arche à Paris, Gide, soucieux de l'accueil qu'on réserverait à Amrouche, disait de lui :


«J'étais un peu inquiet des interventions d'Amrouche, sachant que presque toujours au premier abord on le trouve peu sympathique, d'attitude un peu suffisante ; mais moi qui le connaît depuis vingt ans, je sais tout ce qu'il a de bien, et à quel point on peut compter sur lui.» (Cahiers de la Petite Dame, Maria van Rysselberghe, tome 3, p. 327)

A lire en ligne : ce site consacré à Jean Amrouche et l'article de Beida Chikhi sur Amrouche paru dans La littérature maghrébine de langue française.

lundi 14 décembre 2009

Journal de Robert de Saint-Jean

Les Cahiers Rouges de Grasset & Fasquelle ont réédité le mois dernier le Journal d'un journaliste de Robert de Saint-Jean. Journaliste («le meilleur de sa génération», disait de lui André Maurois), Robert de Saint-Jean travailla à Paris-Soir, au Parisien libéré puis à Paris-Match. Ecrivain, on lui doit La vraie révolution de Roosevelt, Le feu sacré, Passé pas mort, un Julien Green par lui-même dans la formidable collection du Seuil ou encore le Julien Green écrit avec Luc Estang. Julien Green, l'ami, «l'amour platonique», pendant 60 ans. Editeur, il travailla également pour Plon.

Par ses fonctions et ses amitiés, Robert de Saint-Jean a approché Briand, de Gaulle, Pétain, Churchill, Khrouchtchev, Valéry, Claudel, Mauriac, Céline, Cocteau, Malraux... Et Gide. Témoin discret, dans l'ombre, recueillant les confidences à la bonne distance qui permet la vue d'ensemble et la critique. Green disait de son journal : «Il est toujours intéressant, par quelque bout qu'on le prenne.»

La présentation de la nouvelle édition de ce Journal, paru pour la première fois en 1974 chez Grasset, souligne qu'il s'ouvre avec Cocteau («C'est la bouteille de Leyde : des étincelles à l'extrémité des pointes») et se referme (presque) avec Malraux survolant politique et littérature avec ses gestes d'oiseaux et se souvenant d'une soirée commémorant le centenaire de Gide qui était «d'un ennui à pleurer».

Le Journal d'un journaliste éclaire de la coulisse bien des scènes gidiennes, comme cette soirée de juin 1928 où Green emmène Gide dîner au Prunier-Tratkir et où ils se retrouvent au bord de la piscine du Lido devant une glace à 46 francs. Et dire que Green prétend que la glace n'a jamais tout à fait fondu entre lui et Gide... Voici tout d'abord le récit de cette soirée par Gide dans son Journal, puis celui de Green recueilli par Robert de Saint-Jean :


"12 Juin

J'ai eu grand plaisir à dîner l'autre soir avec Julien Green. C'était promis depuis longtemps. Avec une déférence vraiment charmante, et bien rare chez la nouvelle génération, il m'a fait entendre qu'il tenait à ce que je me considère comme son invité. J'ai donc dû me laisser entraîner par lui chez Prunier, avenue Victor-Hugo, moins fastueux du reste dans l'intérieur que la devanture ne me faisait craindre, qui m'avait jusqu'à ce jour effarouché. Je reste, vis-à-vis du luxe, d'une timidité quasi insurmontable, qui s'était peut-être un peu calmée, mais qui semble reprendre et s'accentuer encore avec l'âge. Je me souviens du temps où Vielé-Griffin et Jacques Blanche m'ayant donné rendez-vous pour un déjeuner au Terminus Saint-Lazare, je ne sus prendre sur moi, si invraisemblable que cela puisse paraître, d'entrer dans la salle du restaurant, mais restai à les attendre dans le hall, où ils finirent par venir me chercher après m'avoir très longtemps attendu.

Green est sans doute extraordinairement semblable à ce que j'étais à son âge. Plus soucieux encore de comprendre et de donner son assentiment, que d'affirmer sa personnalité par la résistance. J'aurais voulu pouvoir causer mieux avec lui. Il tenait à souci de me marquer sa confiance, et la mienne envers lui est très grande; mais j'ai de plus en plus de mal à m'abandonner dans une conversation. |e crains de l'avoir terriblement déçu, car je n'ai presque rien su lui dire que de banal; rien de ce qu'il était en droit d'attendre et d'espérer de moi. De plus, j'étais extrêmement fatigué; soucieux de ne pas trop le montrer.

Après nous être attardés chez Prunier, nous avons gagné l'avenue des Champs-Elysées. La nuit était belle et l'un et l'autre avions plaisir à marcher. Je lui ai proposé de l'emmener au Lido, où ni l'un ni l'autre n'avions encore jamais été. Nous n'avions pas besoin d'être en veston, parmi tant de gens en habit, pour nous sentir aussi déplacés l'un que l'autre dans ce lieu de plaisir et de luxe. Une fois attablés près de la piscine, nous avons voulu attendre l'heure du spectacle qui ne commençait que passé minuit. Eusse-je été dans un bon jour, rien n'eût été plus charmant; mais la conversation tirait en longueur. J'entendais pourtant avec grand intérêt ce qu'il me racontait de son prochain livre. Il me plaît qu'il ne sache pas trop d'avance où vont le mener ses personnages, mais je ne suis pas bien sûr qu'il ne m'ait pas dit cela précisément pour me plaire, et se souvenant de ce que je disais des miens dans mon Journal des Faux-Monnayeurs. Il a le bonheur de ne connaître point l'insomnie, se réveillant chaque matin, dit-il, exactement dans la position qu'il a prise la veille pour s'endormir. Voilà qui assure sans doute l'égalité du travail; égalité chez lui presque excessive; chaque jour, à la même heure et dans le même nombre d'heures, il écrit le même nombre de pages et de la même qualité. Sa curiosité intellectuelle et son appétit de lecture m'enchantent. Je voudrais qu'il n'eût pas gardé trop mauvais souvenir de cette soirée où il s'est montré si charmant, où je me suis montré si médiocre, où je déplore de n'avoir su mieux lui parler." (André Gide, Journal)



"9 juin 1928

Green a passé la soirée d'hier avec Gide, l'emmenant au Traktir. Gide fort embarrassé devant la carte des vins, paraît-il. Il choisit une eau minérale mais se ravise aussitôt, opte pour la bière, déclare enfin : «Je prendrai quelques gouttes de votre vin.»

Gide était venu prendre Julien chez lui, rue Cortambert, et s'était montré curieux de l'appartement. Il quitte le petit salon pour le grand, demande à son hôte où il travaille.

— Comment était-il habillé ? dis-je à Julien.

— Ample pèlerine, chapeau aux bords rabattus, une sorte de Méphisto pour agence Cook.

Il a posé à Julien la question numéro un :

— Êtes-vous sans nulle inquiétude morale et religieuse ? Quand la réponse est venue, qui parlait de difficultés, Gide a paru soulagé. Il a conté à Julien l'histoire du petit berger dont le manuscrit — Bastre étincelant — comprend des scènes de magie et de bestialité. A cet adolescent le troupeau qu'il garde dans la montagne fait figure de divinité collective ; il l'adore comme un «astre étincelant» ou plutôt, la lettre B ajoutant une touche magique, un «Bastre étincelant».

Gide apprend ensuite à Julien qu'un moine s'est adressé à lui dans son tourment comme à l'écrivain «susceptible entre tous de le secourir moralement». Cette aide a pris une autre forme plus précise. On a même imaginé une évasion du religieux et la conspiration se noue grâce à des annonces d'apparence innocente que publie la Croix. «Monsieur cherche vieille cuisinière» signifiait : «J'enverrai quelqu'un au monastère pour faciliter votre fuite.» Gide s'était engagé dans cette voie «non sans reluctance», après quatorze jours d'hésitation, parce que son correspondant menaçait de se tuer si le silence de l'écrivain se prolongeait. En conclusion, Gide s'est ouvert de la chose à Maritain.

L'entretien, commencé à sept heures et demie, s'est terminé, me dit Green, à une heure et demie du matin. Après le restaurant Gide a décidé qu'ils iraient au Lido où de nombreux baigneurs évoluent dans la piscine. Sous les arcades Gide a observé la scène avec une attention extrême.

— He looked so conspicuous1, me dit Julien.

De dix heures et demie à minuit et demi, ils ont dû avaler le spectacle : un Casanova de Maurice Rostand ! Nouvel intermède à propos du menu. Le garçon présente une carte où les glaces sont tarifées douze francs. «Que les prix ne vous arrêtent pas !» murmure Gide. Ils prennent deux glaces et le garçon dépose sur la table une note qui étonne Gide, le laisse sans voix :

— Douze francs, dit le garçon, c'est un prix qui ne marche pas le soir... Car le soir, à cause du spectacle, c'est quatre-vingt-douze francs.

— Quatre-vingt-douze francs la glace ? demande Gide dans un souffle.

— Non, les deux.

Gide a confié qu'il aime beaucoup le Voyageur sur la terre, mais il n'a pas parlé des Clefs de la mort.

— Le Voyageur, a-t-il déclaré, n'est pas loin pour moi de The turn of the screw et de Docteur Jekill and Mr Hyde.

Quant à Adrienne Mesurât, ce roman l'intéresse moins parce qu'il relève d'un genre qu'il ne prise guère, la monographie. Parlant de Mauriac — auquel il vient d'adresser dans la N.R.F. de ce mois une lettre du genre bloc enfariné — Gide dit à Julien qu'il trouve les Mains jointes manquées, et les romans de l'auteur des Mains jointes, eh bien il ne les aime pas non plus." (Robert de Saint-Jean, Journal d'un journaliste)

1. Il avait l'air si voyant.

samedi 12 décembre 2009

Erreur sur la personne

Le dernier numéro du Magazine des Livres (n°20 novembre-décembre 2009) consacre un dossier aux «écrivains de la collaboration» sous la plume de Frédéric Saenen. Et dès l'éditorial, ou « synopsis », il y a de quoi sursauter :

«Le 18 septembre 1944, le CNE émet une liste de plus de cent noms d'intellectuels suspectés d'avoir collaboré avec le régime nazi pendant la guerre. S'y côtoient des personnalités en vue - Louis-Ferdinand Céline, Alphonse de Châteaubriant , Jacques Chardonne, Pierre Drieu la Rochelle, Jean Giono, Charles Maurras, Henri de Montherlant, Roger Martin du Gard - et d'autres maintenant oubliés...»

On se dit que l'éditorialiste Eli Flory aura mal repris le prénom, confondant Roger Martin du Gard avec son cousin Maurice Martin du Gard qui lui figurait bien dans la liste noire du CNE... Mais non, l'énumération de Frédéric Saenen dans son « dossier » mentionne aussi Roger Martin du Gard parmi les écrivains de la collaboration !

Le site web officiel sur Roger Martin du Gard est plutôt laconique dans sa partie biographique intitulée «RMG et la seconde guerre mondiale» :

«Profondément pacifiste, RMG ne se rendra que tardivement compte du danger inéluctable du nazisme. Lors de l'invasion allemande, RMG fut contraint de partir en exode et le Tertre fut occupé par les armées allemandes. Il tentera en vain d'obtenir un visa pour les Etats-Unis. Après un séjour à Vichy, où il observera les événements qui marquèrent le début du régime de Pétain, il s'installera à Nice. Il commencera alors son nouveau roman resté inachevé, Les Souvenirs du Lieutenant-colonel de Maumort qui témoigne de cette partie tragique de l'histoire de France.»

La correspondance avec Gide le montre au contraire inquiet dès 1937 pour l'avenir de l'Allemagne où il séjourne lors de son retour de Stockholm où il vient de recevoir le prix Nobel, même s'il doute à cette époque du pouvoir des intellectuels sur l'histoire. On le retrouve en revanche nettement moins tempéré qu'à son habitude quand dans son Journal il évoque le CNE auquel il participe :

«Le Comité national des écrivains fut la seule organisation représentative et agissante des écrivains français qui, de toutes générations, de toutes écoles et de tous partis, sont venus à lui, résolus à oublier tout ce qui pouvait les diviser, et à s'unir devant le péril mortel qui menaçait leur patrie et la civilisation […] C'est grâce à lui que dans les ténèbres de l'occupation nous avons pu libérer nos consciences et proclamer cette liberté de l'esprit sans laquelle toute vérité est bafouée, toute création impossible. […]

II serait monstrueux d'absoudre ceux qui dès 39, n'ont pas eu les yeux ouverts par la politique de conquête et d'invasion de l'hitlérisme; tous ceux que n'ont pas révolté jusqu'au plus intime de leur conscience les abominables méthodes du régime nazi, les massacres de Pologne, l'infâme spectacle des persécutions juives et communistes, la tortueuse activité de la Gestapo dans toutes les villes occupées [...]

Et c'est indiscutablement une besogne de salubrité publique, de rechercher, de stigmatiser, de bâillonner, de bannir peut-être, ceux qui malgré ces témoignages accablants, ont, en pleine Occupation, souhaité l'asservissement de la France et de l'Europe à l'exécrable tutelle germanique, et, délibérément travaillé à son compte.»

Mais il faut noter qu'il qualifie cette démarche de «besogne» et ne réclame tout au plus qu'un bannissement et non le poteau d'exécution. Tout comme Paulhan, il déplorera les excès de l'épuration. Ou comme Gide dont le dossier du Magazine des Livres rappelle l'une des interventions en faveur de Lucien Combelle.

Un dossier sans doute encore vendeur mais qui sent à la lecture la fin d'un filon... Notamment après les livres de Pierre Assouline (L'épuration des intellectuels) et de Gisèle Sapiro (La guerre des écrivains, 1940-1953), étrangement oublié dans la bibliographie donnée par le Magazine des Livres.

lundi 7 décembre 2009

Atelier André Breton

L'Atelier André Breton vient de mettre en ligne un superbe site qui donne à voir l'ensemble de la collection amassée par Breton ainsi que des reproductions de documents, manuscrits et lettres.
Vingt-deux des documents présentés concernent - de plus ou moins près - André Gide.

Ainsi en juin 1920, Aragon, Breton, Eluard, Fraenkel, Paulhan, Soupault et Péret sont réunis pour un "jeu surréaliste" de notation (de -20 à 20) des écrivains et des figures historiques et mythiques. Comme attendu, l'exercice tient à la fois du jeu de massacre qui cache mal les insuffisances, les méconnaissances et les haines, et de la provocation puérilement thuriféraire. Gide ne s'en sort pas si mal. Sa moyenne est bien entendu relevée par Paulhan tandis qu'à l'autre bout de l'échelle de notation, Eluard prend pour Gide comme pour beaucoup d'autres le contrepied de ses amis.

Les notes obtenues par Gide :

Aragon : 9
Breton : 12
Eluard : -19
Fraenkel : 14
Paulhan : 17
Soupault : 10
Péret : 7

A titre de curiosité, on trouvera aussi les poèmes de Pierre de Massot qui s'ouvrent par "Les testicules d'André Gide sont plats comme "le miroir des sports..."", ou ce récit d'un rêve de Breton mettant en scène Copeau et Gide en Dr Jekyll et Mr Gyde...

A voir aussi ce feuillet autographe de Breton, écrit en février 1952, qui commence par "Je ne suis peut-être pas très qualifié pour parler de Gide" mais confesse dans le dernier paragraphe : "En dépit des réserves personnelles que j'ai formulées pour commencer, j'estime que sa disparition laisse un vide dans la conscience de ce temps".

Colloque NRF à l'IMEC

L'ESPRIT NRF : DEFINITIONS, CRISES ET RUPTURES, 1909-2009

Mercredi 9, jeudi 10 et vendredi 11 décembre 2009 à l'IMEC, Abbaye d’Ardenne, Grange aux Dîmes. Colloque co-dirigé par Claire Paulhan (IMEC) et Alban Cerisier (Gallimard).

Mercredi 9 décembre à partir de 14h30 :
"QU’EST-CE QUE L’ESPRIT NRF" ?
Suivi de 21h à 23h d'une visite de l'exposition "En toutes lettres… Cent ans de littérature à La NRF" commentée par Alban Cerisier et Claire Paulhan.

Jeudi 10 décembre à partir de 9h30 :
"FIGURES ET PERSPECTIVES"
Suivi de 21h à 23h d'une table ronde "Lecteurs et acteurs de La NRF", avec Robert Abirached, Henri Godard, Hédi Kaddour, Pierre Oster, animée par Alban Cerisier et Claire Paulhan.

Vendredi 11 décembre à partir de 9h30 :
"CRISES ET RUPTURES"
17h : conclusion par Alban Cerisier

Pour le programme détaillé, c'est par ici (document pdf).
Contact et renseignements :
IMEC - Abbaye d'Ardenne
14280 Saint-Germain-la-Blanche-Herbe (près de Caen)
Tél. : 02 31 29 37 37
Fax. : 02 31 29 37 36
email : ardenne@imec-archives.com
http://www.imec-archives.com

lundi 30 novembre 2009

NRF et Gide à Uzès samedi

Gide, par Paul-Albert Laurens
(collection du Musée Georges Borias d'Uzès)


La Médiathèque d'Uzès (baptisée Bibliothèque André Gide en 1977 lors de sa création), organise une journée littéraire consacrée aux cent ans de la NRF samedi 5 décembre à partir de 10h. Au programme :

- 10h : Présentation du fonds Gide de la médiathèque, par Mireille Vallat

- 10h30 : Amical Ermitage : l'avant NRF, par Martine Peyroche d'Arnaud ; six personnages en quête d'une revue, amitiés et rencontres ; l'avant NRF.

- 11h : André Gide : Au cœur de la NRF, la NRF au cœur, par Pierre Masson ; trente années d'une relation fusionnelle entre une revue et un homme évoluant d'une direction effective à une autorité morale jamais contestée.

- 15h : Jacques Rivière dit aussi "L'homme de barre" de la NRF, par Jean-Louis Josserand ; l'apparition et la place grandissante d'un jeune provincial téméraire au sein de la NRF ; Jacques Rivière à la tête de la NRF ; le débat des divergences Gide-Rivière.

- 16h : le Crépuscule des revues, par Pierre Lepape ; l'histoire de la NRF, après la démission de Drieu la Rochelle en 1943, son interdiction et sa reparution avec Paulhan sous le titre étrange de Nouvelle Nouvelle Revue Française est celle d'une longue lutte conte le déclin.

- 17h30 : projection d'extraits de films : Gide et la NRF.

- 18h : conclusion et clôture par Mireille Vallat.


La Médiathèque d'Uzès dispose de 860 ouvrages dans son fonds Gide (Charles et André). Dont de nombreux ouvrages de et sur André Gide, de ses proches (Schlumberger, Maria van Rysselberghe, Herbart, Martin du Gard, Paulhan, Rivière...) ainsi que des manuscrits et lettres, dont une grande partie provient de donations de Irène de Bonstetten. On peut en consulter l'intégralité ici (document pdf).

Non loin de là, dans l'ancien évêché près de la cathédrale, le Musée Georges Borias consacre une salle à Charles et André Gide où sont rassemblés peintures, livres, correspondances, objets, et souvenirs divers sur l'écrivain et sa famille.On peut y voir notamment les portraits de Gide par Paul-Albert Laurens, Segonzac, Simon Bussy, Mac Avoy...

C'est la conservatrice du musée Martine Peyroche d'Arnaud qui interviendra lors de cette journée sur le thème de «l'avant NRF». On lui doit aussi le catalogue illustré des collections du Musée Georges Borias (dont la Collection André Gide, Marguerittes, Editions de l'Equinoxe, 1993, 48 p.). Vous disposerez d'une petite heure pour visiter la salle Gide puisque le musée ouvre à cette saison de 14h à 17h et les conférences ne reprennent qu'à 15h...

Enfin pour se mettre dans l'ambiance gido-gardoise, on peut lire en ligne la conférence prononcée par Daniel Moutote le 19 février 1977 à Uzès pour le vingt-sixième anniversaire de la mort d'André Gide.


Gide, par Solange de Bièvre

(collection du Musée Georges Borias d'Uzès)

mercredi 25 novembre 2009

... vu par Marguerite Yourcenar

Gide-Yourcenar : paternité et parricide

Entrée en littérature avec un titre gidien, Alexis ou le traité du vain combat, Marguerite Yourcenar n'aura de cesse de renier cette tutelle sous laquelle elle s'était pourtant placée. Sans doute parce que Gide n'attirera pas à lui celle dont Brasillach disait «Elle a choisi un maître, et au lieu d'écrire les livres de Mme Yourcenar, elle recopie les livres d'André Gide» (voir cet autre billet).

Marguerite Yourcenar était pourtant proche du cercle gidien. «J'ai toujours été contente de connaître ceux que j'ai rencontrés, comme Cocteau, ou Martin du Gard, ou Schlumberger, ou d'autres...», confie-t-elle à Matthieu Galey*. Ajoutons Jaloux, Du Bos ou Kassner à la liste. Mais son œuvre solitaire ne souffrait pas les lectures qui étaient d'usage au Vaneau.

«Cela, je dois dire que je ne le comprends pas. Je ne suis pas non plus choquée, chacun s'arrange comme il veut, mais que le groupe de Gide se soit rassemblé pour lire à haute voix ses œuvres! Imaginez cela, l'embarras, la gêne! tout ce que cela pouvait produire d'artificiel! Quand on pense qu'il s'étonnait que Mme Gide eût un rendez-vous ce jour-là chez le dentiste : comme elle avait raison! Ce sont des façons de travailler que je ne comprends pas.»**

Alors ? Alexis ? Gidien ? demande Matthieu Galey :

«- Bien moins gidien qu'on ne l'a dit. Rilkéen, plutôt […]
- On a également pensé à Gide à cause du titre, Alexis ou le traité du vain combat, qui rappelle le Traité du vain désir.
- Ça oui, c'était gidien, c'était celui d'un ouvrage assez faible de la jeunesse de Gide, mais le titre avait frappé mon imagination. […] Je me sentais très proche de Rilke durant cette période. Mais, évidemment, ce qui rapprochait de Gide, c'est qu'il s'agissait d'un récit «à la française», et que ce genre de récit, pour nous, à cette époque, c'était Gide. On pensait toujours à lui dans ce cas-là. Je crois que la grande contribution de Gide a été de montrer aux jeunes écrivains d'alors qu'on pouvait employer cette forme qui paraissait démodée, contemporaine d'Adolphe ou même de La princesse de Clèves, et que cela donnait encore quelque chose.»***

Au détour d'une question sur l'égotisme de Proust, Matthieu Galey revient à la charge. Et Yourcenar répète son argumentaire sur le «récit à la française» mais ajoute aussi quelques mots qui témoignent de la ferveur qui entourait Les nourritures terrestres, livre aujourd'hui quasiment incompréhensible, tout comme était incompréhensible à Patrick Modiano cette ferveur de l'époque :

«- Et Gide, autre égotiste, qu'en pensez-vous ?
- Que les jeunes écrivains de ma génération lui doivent d'avoir redécouvert, à travers lui, cette forme si française et devenue désuète, du récit, et d'avoir compris, grâce à Gide, que cette forme demeurait ductile et pouvait encore leur servir. Il faut aussi se rappeler que pour la génération sortie à peine adolescente de la guerre de 14 Les nourritures terrestres ont représenté une leçon de ferveur et de goût pour la vie : le style, entre-temps, a vieilli, et le point de vue nous paraît parfois légèrement faussé comparé à ce qui est venu ensuite, mais il est naturel que cela soit. Il faut lire dans Le regard intérieur de Gabriel Germain la description du Père Teilhard de Chardin citant une phrase des Nourritures terrestres avec une intensité peut-être plus grande, à la vérité, que celle que Gide y avait mise, pour comprendre ce que ce petit volume a pu signifier pour des esprits attentifs et ardents, vers 1910. Mais il me semble que la pensée de Gide s'est très vite refroidie, prosaïsée, peut-être aussi sclérosée. Il a rêvé d'une vieillesse gœthéenne, mais ses derniers livres me gênent par le peu de répercussion sur eux des bouleversements du temps. Son Thésée, pour qui une sorte d'humanisme désinvolte a réponse à tout, lui a paru un authentique testament; il me semble au contraire terriblement en retard, après les camps de concentration, après Coventry et Dresde, et Hiroshima.»****


________________________

*« Marguerite Yourcenar, Les yeux ouverts, entretiens avec Matthieu Galey, Le Centurion, 1980, p. 94
**Ibidem p. 95
***Ib. pp.66-67
****Ib. p. 252

D'un anniversaire (6)

D'un anniversaire à l'autre : Gide a eu 140 ans dimanche. Il y a quarante ans (tiens, c'est aussi le titre d'un recueil de souvenirs de la Petite Dame...), Samuel Beckett recevait le prix Nobel vingt-deux ans après Gide dont on célébrait cette année-là le centenaire. La Quinzaine Littéraire consacrait alors un dossier à Gide, dont j'ai donné dans les précédents billets un aperçu avec les souvenirs de Pierre Herbart et les jugements de Nathalie Sarraute, Philippe Sollers et Patrick Modiano.

Le chapeau de ce dossier contraste très nettement avec ces jugements sévères d'une jeune génération "encombrée" de Gide sinon "à plaindre" de ne pas connaître ce qu'elle lui doit :


"Né, à Paris, le 22 novembre 1869, André Gide aurait eu cent ans ce mois. Cette date anniversaire nous ne voulons pas la laisser passer sans marquer au moins un temps d'arrêt.

Si Gide, en effet, ne préoccupe plus aujourd'hui beaucoup de nos jeunes gens - même ceux qui écrivent -, il a été pour nombre d'hommes et de femmes d'entre les deux guerres mieux qu'un maître à penser: le «contemporain capital», comme disait André Rouveyre, l'homme qui, usant de l'écriture comme d'un art, a formulé avec le plus de franchise et d'urgence les questions que ne pouvaient pas ne pas se poser les individus les plus conscients de ces générations. A chaque époque il semble ainsi qu'un artiste (ou deux, ou trois) parle au nom des vivants embarqués en même temps que lui dans le même voyage ou plutôt: que ces vivants se parlent à travers lui. Plus universel que Claudel, moins cérébral que Valéry, André Gide a eu le souci - ne fût-ce, souvent, qu'en parlant de lui - de révéler à ceux qui le lisaient le sentiment qu'ils constituaient, chacun, un phénomène de vie quelque peu miraculeux et en tout cas unique. Ils devaient, s'élevant de degré en degré vers plus de conscience (au sens où l'entendait Goethe) et de respect de soi (de ses instincts et de ses désirs) travailler à se rendre heureux.

Si Gide fait œuvre de libérateur (invitant à briser le carcan de la famille, à s'évader des prisons confessionnelles et sociales), s'il donne lui-même l'exemple de la parfaite disponibilité au regard de ce que lui propose la vie, qu'a-t-il fait d'autre que de donner bonne conscience à une jeunesse qui n'avait pas besoin de cette autorisation pour se détourner des questions sociales et politiques? Sans doute l'auteur des Nourritures terrestres n'échappe-t-il pas tout à fait à ce reproche. On serait pourtant mal avisé de s'en prendre, pour les mêmes raisons, à l'auteur du Voyage au Congo, de Retour du Tchad, des Souvenirs de la Cour d'assises, de retour de l'U.R.S.S et de Retouches à mon retour de l'U.R.S.S. Le devoir de chaque individu est de faire son propre bonheur, mais non aux dépens des autres, au contraire : avec les autres. Si Gide, communiste, est souvent plus près de l'Evangile que de Marx, du moins a-t-il su voir le vrai visage du stalinisme et dire, avec courage et parmi les premiers, que ce visage n'était pas beau.

Le moraliste fait souvent oublier l'écrivain. Ecrivain classique, soucieux, ici comme ailleurs, d'obéir à des règles pour mieux les transgresser au besoin, forgeant une prose qui évolue de l'affectation des premières œuvres à la transparence. (Mais ces premières œuvres, quand elles se nomment Paludes ou le Prométhée mal enchaîné, sont des chefs-d'œuvre d'ironie légère). Romancier qui, avec les Caves du Vatican et les Faux-Monnayeurs, a laissé deux œuvres maîtresses dans - ce qui est exceptionnel - des registres fort différents. Auteur de ce Journal qui ne s'achève qu'avec la mort de l'écrivain et enfin, critique, qui laisse dans l'ombre pendant trente ans au moins beaucoup de critiques professionnels.

Son œuvre est considérable. Sa vie fut plus remarquable encore et le composé harmonieux qu'elles font toutes deux n'a guère eu d'équivalent depuis qu'il a cessé de régner en souverain discret sur les lettres de ce pays. On trouvera ici des traces de l'agacement que suscite chez les écrivains d'aujourd'hui ce modèle encombrant. On plaindra les plus jeunes de ne point toujours reconnaître ses mérites, ou pis, de l'ignorer. Ils ne savent point qu'ils sont nourris de lui, qu'ils l'ont respiré dans l'air du temps, qu'ils ne penseraient point enfin ce qu'ils pensent si André Gide n'avait contribué à modifier, il y a maintenant plus d'un demi-siècle, l'atmosphère intellectuelle et sensible de notre époque."

dimanche 22 novembre 2009

D'un anniversaire (5)

En novembre 1969, la Quinzaine Littéraire célèbre les 100 ans d'André Gide. Pierre Herbart confie plusieurs anecdotes qui n'ont trouvé place dans son «A la recherche d'André Gide» mais en accusent ou en expliquent certains traits :

«Quand je serai mort, Pierre, compromettez-moi, me disait André Gide.

Ainsi Gide a cent ans. Sans doute faudrait-il, à cette occasion, offrir quelques graves réflexions concernant l'homme et son œuvre. Je me bornerai à évoquer dans ces pages le climat familier d'une amitié de vingt ans avec «le plus irremplaçable des êtres».

Gide et moi, on ne s'ennuyait pas ensemble. Nous avions constitué un petit arsenal de formules, nées de quelque circonstance, et qui s'appliquaient à bien d'autres. Par exemple: Fuyons, fuyons ces lieux intolérables soit que l'ennui nous chassât, d'un salon ou d'une ville, soit que, grillés ici, nous sentions qu'il fallait détaler au plus vite.
Cette force d'anarchie qu'il portait en lui et qui transparait fugitivement dans son œuvre, mais dont elle est imprégnée pour qui sait lire, il n'a su la libérer pour de bon que dans sa vie, au prix d'un ténébreux combat que ses «mœurs» l'aidaient à livrer.
On ne dira jamais assez l'importance des passions interdites dans la fécondation d'un artiste.


C'était dans le Caucase, entre Tiflis et Batoum. Nous faisions halte, nous petite caravane de voitures (des Lincoln), pour déjeuner, sur de grandes hauteurs, dans un site vraiment prométhéen - une sorte d'auberge très vaste. Nous en étions à peine au «chachlik» que Gide, toujours en mal de chandails, me demanda d'aller en chercher un dans l'auto. Le petit orchestre d'accordéons qui nous régalait m'accompagna de son souffle jusqu'au garage. Il y faisait obscur. Je vis, en face, un grand et gros homme qui se dandinait contre le mur. Je m'approchai. Un ours enchaîné dansait, en mesure, au son du lointain accordéon. Dans une solitude affreuse, quand même il «participait». Chandail sur le bras, j'allai rejoindre Gide.
- Venez, dis-je. Il y a quelque chose...
- Mais vous n'avez pas fini votre chachlik.
- Faites-moi confiance. Venez.
Nous arrivâmes à l'ours. Gide le contempla longuement, qui dansait, dansait, sa figure d'ours contre le mur.
- C'est atroce, dit enfin Gide. Mais vous savez, ce sera peut-être notre souvenir le moins bête d'Union Soviétique.


Mais dites-moi, à qui donc se rapporte ce pronom ? disait Gide dans des cas ambigus. Cela datait de loin, d'une lecture de Malraux (le Temps du Mépris, je crois). Gide admirait d'abord de confiance. Puis le lendemain geignait: «J'ai mal dormi : la gratte. Alors j'ai repris son Temps du Mépris là. C'est très bien. Mais dites-moi: à qui donc se rapporte ce pronom? (Et il soulignait de l'ongle une phrase). Dans ses précédents livres, je m'y retrouvais mieux. Un personnage bégaye, l'autre fume l'opium, le troisième est rôti dans une chaudière de locomotive ; on les distingue les uns des autres. Mais là !...»


En revenant d'une visite à un académicien, Gide avait l'air songeur.
- Je me demande si ce qu'on m'affirme est vrai, dit-il enfin.
- Et que vous affirme-t-on ?
- Qu'il est amoureux de son fils... Mais je me méfie : pour me faire plaisir, les gens racontent n'importe quoi.


Parmi nos formules, il y avait : Le plus bête des deux n'est pas celui qu'on pense, qui a, disait Gide, l'avantage de laisser la porte ouverte à toutes les conjectures. Et celle-ci, empruntée à Dostoïevsky: Il est si bête qu'on n'ose pas y penser. C'est en évoquant Jammes que Gide me livra cette perle...


- Je propose pour notre usage, dit Gide, un nouveau proverbe de l'enfer.
- Ah!
- Oui : A chaque jour suffit sa malice.
- Je croyais qu'on disait... «suffit sa peine.»
- Bien sûr qu'on le dit. C'est la version catholique de la chose. La juste traduction est malice. La part du mal, la nécessaire part du diable, quoi.

A la suite de la publication de certaines pages de son journal, Gide fut soupçonné d'antisémitisme. Cela me déplut. Je l'attaquai en direct.
- Je n'ai guère envie d'aborder cette question, me dit-il.
- Si, vous l'aborderez .
- Soit! Puisque vous l'exigez... Eh bien, sachez (je vis pétiller son regard) sachez que j'ai été un peu traumatisé par... eh bien oui, par... Léon Blum dont vous savez qu'il fut mon condisciple. Voilà ce qui est arrivé. Un jour ma femme fut blessée dans un accident de taxi. Le bras cassé : plâtre - clinique - etc. Un ami me dit : C'est ridicule; les taxis sont assurés; vous devez obtenir le remboursement de tous ces frais. Allez voir un avocat. Je ne connaissais d'avocat que Blum. J'y vais. Je lui raconte mon histoire. Blum me dit: «Bien sûr, ton ami a raison. Les taxis sont assurés.
Tu dois être remboursé. Moi je ne m'occupe plus de ce genre de choses. Je vais t'adresser à un ami sûr, maître Blumenfeld. Il prendra ton affaire en main». Je vais chez Blumenfeld. Un homme charmant. Il me demande une «provision» que je lui donne. Le temps passe, et j'oublie. Puis je me souviens et je retourne chez Blumenfeld. «J'allais justement vous écrire que la provision était insuffisante, dit-il, et vous demander de la doubler». Je fais un chèque. Le temps passe, et j'oublie. Puis je me souviens et je retourne chez Blumenfeld. Mais je ne me rappelais pas l'étage
et j'interroge la concierge.
- Maître Blumenfeld ? ricane-t-elle. Il a levé le pied avec l'argent de ses clients.
Je saute dans un taxi et je vole quai Bourbon. «Tu sais, Léon, dis-je à Blum, je te retiens avec ton Blumenfeld.» Et je lui raconte. «Ah! le malheureux! s'écrie Blum. Il a recommencé!»
Une pause tandis que je me pâme de rire. - «Alors, vous comprenez, cela m'a rendu circonspect». Encore une pause, puis : ... « Mais peut-être pas dans le sens que vous imaginez. Blum qui faisait confiance à cet avocat véreux, en abusant de la mienne bien sûr... Mais enfin, c'était de la générosité - de la générosité juive. Vous voyez, Pierre : Problème!»


Les grands hommes suscitent de folles amours et aussi des amours de folles. J'ai connu à Gide plusieurs folles. L'une d'elles m'est restée en mémoire.
C'était aux petites heures. Mal ressuyé d'une nuit éprouvante passée hors les murs, je somnolais.
Gide paraît devant mon lit, en «pudjama» comme il disait, un peu hagard, quelques cheveux
dressés sur le bord du crâne.
- Cher, de grâce aidez-moi, dit-il
- Mais, Gide, l'aube point à peine.
- C'est que, vous n'imaginez pas, il y a là une personne... (il s'approche de moi, et à voix basse) Une folle!
- Comment donc?
- Oui, elle est là, avec deux grosses valises. Elle s'installe.
- Mais pourquoi ?
- Allez savoir! Elle m'a dit: «Je me rends à votre appel, maître. Me voici.» J'avoue que j'ai un peu perdu la tête. J'ai dit que j'allais vous chercher. J'ai dit : mon secrétaire. Pierre, aidez-moi, par pitié. Vous sentez bien que je ne puis, à moi tout seul, surmonter cette épreuve.
Je mis une robe de chambre et me laissai entraîner dans l'appartement mitoyen.
- Elle est là, souffla Gide en me montrant du pouce une porte fermée. Je vous en conjure, tâchez
de tirer les choses au clair. Je m'esquive. Et dire que je n'ai pas pris mon breakfast !
J'entrai. Je vis une dame, assise au bord d'un fauteuil, l'air calme, digne.
- Vous êtes le secrétaire du maître ? dit-elle.
Je m'inclinai.
- Vous le voyez, je me suis rendue à son appel.
- Puis-je vous demander, Madame, par quelles voies vous est parvenu cet... appel !
Elle sourit finement :
- Oh! Monsieur. Je sais lire entre les lignes. C'est grâce à son dernier livre...
- Et quel livre ?
- Mais, Patchouli. Oh, je sais bien qu'il ne l'a pas signé de son nom, qu'il a pris un pseudonyme, comme pour la plupart de ses œuvres.
- Je vais en référer au maître.
Gide me guettait dans le couloir:
- Eh bien ?
- Eh bien, ça va mal. Elle a lu Patchouli.
- Quoi ?
- Patchouli, votre dernier livre, et...
- Il faut réagir, s'écria Gide. Allons!
La dame resta assise.
- Mon secrétaire m'a dit, commença Gide.
- Je vois, maître, que vous m'avez comprise à demi mot. J'ai senti quel labeur gigantesque vous aviez entrepris, en lisant votre dernier livre.
- Patchouli ?
- Oui, Patchouli. A vous seul, penser, composer, écrire tout se qui se publie en France. (Elle se leva.) Je suis venue vous aider dans cette tâche.
- Hélas, Madame... balbutia Gide.
- Oh! Maître, permettez-moi une remarque : De tous les livres que vous avez écrits, les meilleurs ne sont pas ceux que vous avez signés de votre vrai nom. (Gide eut un haut-le-corps.) Quelle modestie ! quelle leçon !
- Hélas, Madame! accablé par ces travaux d'Hercule, j'ai déjà engagé une personne qui me prête son concours. Vous l'entendez du reste. (En effet, la secrétaire de Gide venait d'arriver et, troublée par cette présence féminine près de son dieu, tapait furieusement à la machine dans la pièce contiguë.)
Gide s'inclina:
- Madame !
- Eh, maître, que deviendrai-je ? J'ai tout abandonné, ma maison, ma vieille mère. Que faire, dites-moi, que faire ?
- Apprenez l'anglais! dit Gide d'un ton alerte.
Contre toute attente, la dame frappa allègrement dans ses mains :
- Merci, maître. Oh ! merci!
Elle s'élança dans le vestibule, saisit ses lourdes valises et s'en fut.
- Ouf, dit Gide.
- Quand même, l'anglais, c'était un coup de génie, constatai-je.
Gide prit un air modeste :
- Voyez-vous, Pierre, dans ces cas là, il importe de ne pas désespérer l'âme en peine. Il faut montrer une voie.


Une amie avait donné à Gide un caniche, une bête grincheuse et, de toute évidence, hystérique. Gide s'essayait à la dresser. Par exemple, ayant par inadvertance marché sur la patte de l'animal qui se mettait à hurler, il lui donnait une bonne tape «pour lui inculquer, disait-il, le sentiment de la faute».
Un matin, Gide me dit :
- Qu'en pensez-vous, Pierre : si nous allions à Tahiti ?
Et devinant ma perplexité :
- Vous voyez ça, là sur la table... C'est le manuscrit de X... Un riche collectionneur suisse m'en propose X... francs. Je crois que cela paierait le voyage.
Je me retirai, rêvant à Tahiti.
Pendant le déjeuner, que nous prenions chez la Petite Dame, Eugénie la femme de ménage de Gide, fit irruption dans la salle à manger:
- Monsieur, Monsieur ! Venez ! le chien mange tout.
.- Mais quoi ?
- Vos papiers.
Dans la bibliothèque, un spectacle désolant nous attendait. Le manuscrit, en tout petits morceaux, jonchait le tapis.
Gide haussa les épaules:
- Pas de Tahiti, dit-il.
A quelques jours de là, je trouvai Gide «au travail».
- J'étais d'autant plus ennuyé avec ce manuscrit, dit-il, que j'avais glissé dedans l'adresse du riche collectionneur. Cet imbécile de chien a tout déchiré. Heureusement ce Suisse m'a téléphoné. J'ai laissé l'affaire pendante.
- A quoi bon, puisque le chien a tout boulotté.
- On ne me prend pas sans vert. (Et d'un air gourmand) : Regardez. Je fais un faux manuscrit. C'est long. Mais ne croyez pas que ça m'ennuie. J'invente des corrections !
Nous n'allâmes pas à Tahiti, bien par ma faute.


En 1941, Gide, à Nice, se plaisait à répéter cette phrase: L'art vit de contrainte et meurt de liberté - dans un moment où, dans ce domaine, la censure sévissait. Quand je m'indignais en disant: «Vous savez bien que cette contrainte, vous entendez vous l'imposer à vous-même. En disciplinant votre création ; vous n'admettriez pas qu'elle vous soit imposée par un quelconque Vichy. Vous jouez sur une équivoque».
- Bien sûr. Et mieux, je joue sur les deux tableaux, car je prétends gagner sur les deux : la contrainte dont je me châtie m'amènera, si j'ai du talent, à une certaine perfection ; celle qu'on m'impose me contraindra à inventer les moyens de la déjouer. Ils existent. Ces gens-là sont, pour finir, des imbéciles. On ne brigue pas un poste de gouvernement sans posséder, à son insu certes, une foncière vulgarité d'âme et d'esprit, en dépit de leur astuce à tous. Quel plaisir de s'en jouer ! Et remarquez nos verbes, Pierre : jouer, déjouer, se jouer.
Toujours l'idée de jeu. «L'œuvre sera joyeuse ou ne sera pas », aurait pu dire Breton.
- Et s'ils vous contraignaient simplement à vous taire ? Cela s'est vu.
- La belle affaire ! Qu'importent vingt ans de silence ? Et puis, on écrit trop, pensait Lafcadio ; je
crois même qu'il l'a dit...
- Ainsi, vous croyez que vos deux contraintes...
- Se combineront, oui. En une combine, pour faire la nique à cette chose bête et basse : le pouvoir.
Que n'ai-je, requis que j'étais par ce que je croyais être des «réalités» plus pressantes, talonné Gide sur cette voie où se révélait une dimension qui, peut-être, manque à sa pensée, par excès de balance.
Là, dans cette chambre de l'hôtel Adriatic où Gide grelottait sur son lit (j'avais beau allumer dans la cheminée des journaux !), moi marchant au hasard autour de lui, ah ! que ne l'ai-je poussé plus loin ?
Du moins, ai-je eu le bon esprit d'écrire cette «conversation», en rentrant chez moi. Nous ne l'avons jamais reprise. L'amitié, décidément, n'est que l'histoire des occasions perdues.


- J'en ai assez d'errer dans cet appartement. Je me sens claustrophobé.
- Moi aussi.
- Eh bien, allons à Taormine.
Le jour même nous prenions l'avion pour Syracuse.
- Avant de louer une auto, dit Gide, je veux vous montrer la fontaine Aréthuse.
Il m'y conduit:
- Là, en-dessous, regardez... Ça ne vous émeut pas ?
- Non.
- C'est que vous êtes si ignorant.
Je lui récitai aussitôt le mythe de la nymphe de Diane.
- Et alors, rien... Pas d'émotion
- Non.
- Moi non plus... «Fuyons, fuyons ces lieux intolérables.»
A Taormine, la vie devint bientôt difficile. Par malheur, l'hôtelier nous avait donné des chambres indépendantes du reste de l'auberge, avec un escalier privé donnant sur la rue - ce qui permettait une incessante circulation.
Nous rencontrâmes Truman Capote et Donald Windham pour qui je me pris d'une vive sympathie. Quand nous partîmes, Windham me donna un livre de lui: Dogstar.
- Qu'est-ce que c'est ce livre? me demanda Gide, dans l'auto.
- Un livre de Donald.
Il le feuilleta un moment puis, soudain, le jeta par la portière.
Furieux, je fis arrêter l'auto, envoyai le chauffeur rechercher le volume sur la route.
Dogstar me plut tant qu'avec Elisabeth Van Rysselberghe je le traduisis. Gide ne voulut jamais le lire. Il avait ainsi des obstinations, des répugnances, incompréhensibles chez un esprit si curieux.


J'étais à Cabris avec Roger Martin du Gard, tandis que la mort rôdait déjà autour de Gide, à grands pas de loup. Alertés par un télégramme, nous regagnâmes l'un et l'autre Paris. Il se levait encore, mais de quelle démarche titubante ! - et ce fut, peu après mon arrivée pour gagner sa bibliothèque où il voulait consulter un livre :
- Aidez-moi, Pierre, à retrouver ce passage dans Proust, vous savez vers la fin, à cette «matinée» chez le prince de Guermantes où l'on retrouve l'ancienne Madame Verdurin et que tout le monde lui apparaît grimé - et tout le monde l'est par l'âge - il... ah! tâchez de me dégoter cela...
Je pris le Temps retrouvé et le lui tendis, ouvert à la bonne page.
- Non. Lisez. Je vois trouble. Je ne peux plus.
Gilberte de Saint-Loup me dit : «Voulez-vous que nous allions dîner tous les deux seuls au restaurant?» Comme je répondais: «Si vous ne trouvez pas compromettant de venir dîner seule avec un jeune homme», j'entendis que tout le monde riait, et je m'empressai d'ajouter: «ou plutôt avec un vieil homme». Je sentais que la phrase qui avait fait rire était de celles qu'aurait pu, en parlant de moi, dire ma mère pour qui j'étais toujours un enfant. Or je m'apercevais que je me plaçais pour me juger au même point de vue qu'elle. Si j'avais fini par enregistrer comme elle certains changements, qui s'étaient faits depuis ma première enfance, c'était tout de même des changements maintenant très anciens. J'en étais resté à celui qui faisait qu'on avait dit un temps, presque en prenant de l'avance sur le fait: «C'est maintenant presque un grand jeune homme ». Je le pensais encore, mais cette fois avec un immense retard. Je ne m'apercevais pas combien j'avais changé.»
- Oui, oui... Voilà ce qui m'arrive. Je suis vieux, n'est-ce pas, et je vais mourir... Eh bien, je n'ai pas encore compris que je n'étais plus un jeune homme.
Les heures passaient lentement, avec une étrange précipitation. Il somnolait sur son lit, dans cette chambre dépouillée de toute trace de confort. Le jour interminable sombrait tout de suite dans la nuit. C'est à une de ces aubes-là qu'il dut écrire, de quelle écriture tremblée! la phrase qui termine son Ainsi-soit-il...
Ce n'est pas ma propre position dans le ciel par rapport au soleil qui doit me faire trouver l'aurore moins belle.
Le médecin avait ordonné des piqûres de morphine, non qu'il souffrît, mais pour son cœur.
Comme je m'avançais avec la seringue, il me dit:
- Qu'est-ce que vous allez me faire là ?
- De la morphine.
- Non, Pierre, je vous en prie... N'allez pas me priver de la mort. Je veux voir comment ça se passe.
J'eus un moment de faiblesse. Il reposait inerte - et je le croyais inconscient. A son chevet, sa main dans la mienne, j'appuyai mon front sur ses doigts.
- Gide! Ne nous quittez pas, murmurai-je.
Il tressaillit - et sa voix, faible mais nette, me parvint, pour la dernière fois :
- Qu'est-ce que vous racontez là ?

Roger Martin du Gard couchait dans la bibliothèque sur un lit de fortune qu'on lui avait dressé.
Dix fois, je venais le trouver. Nous échangions, sans rien dire, un regard.
Les apprêts de cette mort paraissaient bâclés, prenaient le caractère provisoire qui avait marqué toute cette vie.
La présence de Roger était le seul recours.
La dernière nuit, éreintés par les veilles, je dis à l'infirmière d'aller chercher une bouteille de champagne dans le réfrigérateur.
Fût-ce le passage du froid à la chaleur de la chambre, ou maladresse de ma part, la bouteille quand je la débouchai, laissa fuser un flot de mousse dont Gide fut inondé.
Ses yeux s'entrouvrirent, et je crus y lire un éclair de malice.
Je compris qu'il avait reçu les saintes huiles et qu'il allait mourir.
Pierre Herbart»

samedi 21 novembre 2009

D'un anniversaire (4)

Toujours à l'occasion du centième anniversaire de la naissance d'André Gide en novembre 1969, la Quinzaine Littéraire donne la parole à trois écrivains (et à une étudiante en philosophie). Voici le premier de ces quatre jugements, André Gide vu par...

"Nathalie Sarraute

André Gide, aujourd'hui, ne représente plus grand chose pour moi. Je ne l'ai plus relu depuis longtemps. Il fut en revanche très important pour ma génération. A dix-huit ans nous étions exaltés par les Nourritures terrestres. Je me souviens avoir lu ce livre après l'avoir plongé dans l'eau de la Méditerranée! Mais, à vrai dire, j'étais par moments gênée par sa forme emphatique, incantatoire. Quant à ses romans, leur substance m'a toujours paru pauvre et leur écriture précieuse et compassée. Dans les Faux-monnayeurs, il y a peut-être une prescience de certaines voies que le roman a empruntées plus tard, mais j'avoue que, sur le moment, je ne m'en suis pas rendue compte, le roman m'a paru plat.
Dans son œuvre, je plaçais à part Paludes où la forme gidienne, avec ses raffinements et ses maniérismes, sert admirablement son propos. Oui, Paludes est un joyau. Il me semblait qu'à un bien moindre degré, car là Gide ne s'était pas arraché à la convention, les Caves du Vatican étaient dans leur genre, une réussite. Nous étions surtout intéressés par son œuvre critique : Incidences, Prétextes, Nouveaux prétextes. Il y montrait, à l'égard de toutes les gloires officielles de l'époque, la même indépendance qu'il manifestait vis-à-vis de la morale traditionnelle. Il a osé dire que le jeu de Sarah Bernhardt avait été détestable. Il nous confirmait qu'Ubu était une grande pièce et que Curel ou Bernstein, alors illustres, étaient de piètres écrivains. Il a parlé de Dada d'une façon pénétrante. Il a voulu faire connaître mieux Dostoïevski en France. Il était un homme en éveil, luttant sans cesse pour se libérer, pour passer outre à tous les interdits. Sa présence et sa parole étaient pour nous un soutien. Son goût comptait pour nous. Quand j'ai fini Tropismes, j'ai souhaité que Gide lise le livre. Je me suis dit qu'il ne l'a pas lu... pour me consoler."

vendredi 20 novembre 2009

D'un anniversaire (3)

Poursuivons la lecture rétro-active du centenaire de Gide paru dans la Quinzaine Littéraire avec cette fois Gide vu par...

"Philippe Sollers

André Gide n'a jamais représenté rien de décisif pour moi, sauf en ce qui concerne sa position critique, ce qu'on pourrait appeler son système de lecture, très différencié et ambigu.
Il serait intéressant d'étudier la façon dont Gide est devenu une formation de compromis, pratiquant une politique de «troisième force» entre ce qu'il y avait d'archi-réactionnaire dans la littérature de la fin du XIXe siècle et une certaine attention qu'il a tenté de porter sur les percées révolutionnaires qu'étaient le surréalisme, le marxisme, le freudisme. Entre ces deux voies, il occupait une position de centralisation imaginaire; c'est ce qui donne ce caractère de musée à son œuvre, ce qu'on pourrait appeler, n'est-ce pas, la nécropole NRF.
On peut suivre à la trace, dans le Journal, l'effort qu'il fait pour s'arracher à son classicisme congénital et pour s'ouvrir à des révolutions dont il sent bien le caractère radical mais qui l'inquiètent. Cet effort a même quelque chose de pathétique. A certains moments, il est tout près de basculer et puis il décroche, il temporise. Dans chaque livre qu'il a ouvert, on trouverait une fleur fanée.
Il lit Lautréamont en 1905, c'est-à-dire extraordinairement tôt. II saisit immédiatement son importance. «La lecture (...) du 6e chant de Maldoror me fait prendre en honte mes œuvres et tout ce qui n'est que le résultat de la culture en dégoût.» Bien! Mais, après avoir aperçu et placé, de manière remarquable, Lautréamont, il se dérobe, il ne revient plus sur ce sujet. Même chose pour Mallarmé, qu'il ne reconnaît que de façon superficielle (tout en restant méfiant vis-à-vis de l'inanité «poétique» de Valéry). Pour le reste, le Journal montre, en effet, une culture «encyclopédique». Il connaît la littérature du monde entier mais s'il s'intéresse à tout, il demeure toujours en centre de l'hémicycle, c'est un représentant parfait de sa classe.
Vis-à-vis de Freud, c'est le même mouvement. En 1922, il dit qu'il fait du freudisme depuis dix ans, quinze ans, sans le savoir, et il conclut bizarrement:
«Il est grand temps de publier Corydon». Donc, très éveillé, intéressé, mais, tout de suite, c'est le refus, la fermeture, la fuite. En 1924, il nous apprend que «Freud est gênant ». «Il me semble qu'on fût bien arrivé sans lui à découvrir son Amérique (... ) Que de choses absurdes chez cet imbécile de génie.» Ce jugement pèse, évidemment, son poids d'aveuglement révélateur.
Même chose pour le marxisme. Il dit avoir essayé de lire Marx, il a lu sans doute quelques livres de Lénine et ses prises de position politiques, au moment de la montée du fascisme, ne sont certainement pas à négliger. Mais en même temps, c'est dans ce domaine que l'ambiguïté culmine. En parlant de Marx, il se trahit, il s'avoue: «Dans les écrits de Marx, j'étouffe. Il lui manque quelque chose, je ne sais quelle ozone indispensable à la respiration de mon esprit.» Vous voyez : toujours cet effort pour se libérer de la marque psychologique et son inaptitude à le faire.
On peut dire que Gide avait une avance considérable sur les autres acteurs de la littérature ou de la culture françaises de son temps, mais le retard de l'idéologie bourgeoise, dont il est malgré tout le représentant, ce retard, lui, est constant et ne bouge pas. II reste un idéologue bourgeois qui voudrait bien changer de terrain car il sent bien que tout se passe ailleurs mais, non, il ne peut pas s'y faire, il le dit lui-même après la lecture de Marx: «Je sortais de là, chaque fois, courbaturé». Ce qui courbature Gide, c'est Marx. Alors, sa venue brève et hâtive au communisme, si elle doit être saluée, doit être réduite à ce qu'elle est : une affaire sentimentale. Il a horreur de la théorie qu'il trouve bien entendu «inhumaine». Il préfère «la chaleur du cœur». Quand il oppose l'idéalisme et le matérialisme, il refuse de choisir l'un ou l'autre. Non! Il voudrait que l'on remplace matérialisme par rationalisme : grâce à ce tour de passe-passe, on pourrait tout réconcilier.
Comme écrivain, il ne m'a jamais touché et il me semble que sa syntaxe est sans intérêt. Mais son itinéraire intellectuel n'est pas sans dignité. Il serait utile d'en faire une analyse approfondie où l'on verrait se formuler toutes les composantes de cette idéologie «de la rue Vaneau» qui nous paraît aujourd'hui sans réalité. Gide est le symptôme aigu d'une idéologie mystifiée, incapable, malgré son désir, de remettre en question les fondements de sa propre culture. En ce sens, il est tout à fait exemplaire.
"

jeudi 19 novembre 2009

D'un anniversaire (2)

Suite du dossier du centenaire de Gide dans la Quinzaine Littéraire n°82 du 1er au 15 novembre 1969, avec Gide vu par...

"Patrick Modiano

Pour moi, André Gide n'a jamais compté et je crois qu'il en va de même pour toute ma génération. Au lycée, on nous parlait des Nourritures terrestres et j'ai été complètement déçu. Le livre datait terriblement et c'était un mystère, pour moi, que nos aînés aient pu lire ce livre en y entendant une sorte de cri de libération. Littérairement, je ne pouvais goûter ce livre. II baigne dans une atmosphère orientale, il dégage des fumées d'encens et, comment dire, un côté rahat-loukoum. C'est même étrange, ce livre qui ne parle que de ferveur et de désir, il ne s'y exprime qu'une accablante onctuosité.
C'est peut-être de ce seul point de vue qu'il mérite d'être lu : comme une espèce de curiosité et aussi comme un signe. II montre qu'en l'espace de quarante ans, une parole qui fut reçue comme subversive, est devenue une parole mièvre et conventionnelle. Les autres ouvrages de Gide ne m'intéressent pas beaucoup plus. Je suis frappé par sa sécheresse de cœur. Celle-ci me paraît si évidente que l'onctuosité des Nourritures, on soupçonne qu'elle n'est là que pour la masquer. C'est vrai, il a une sorte d'inquiétude, il s'agite en tout sens, il a de la bonne volonté, parfois, il voudrait sortir de son système, mais les forces lui manquent. Il n'arrivait jamais à étreindre ce qu'il aurait dû étreindre.
Deux livres peuvent à la rigueur être sauvés : d'abord Paludes, qui est un divertissement merveilleux, peut-être aussi les Faux-monnayeurs. Personnellement, je ne l'ai pas beaucoup aimé, mais il y a là un travail littéraire étrange, ce roman dans le roman. Quant au Journal, ces rhumes, toujours ces rhumes...
"

mercredi 18 novembre 2009

D'un anniversaire (1)

Après l'hommage de 1928 et en attendant celui de 2009 (?), transportons-nous en 1969 : Gide a 100 ans.

La une de la Quinzaine Littéraire n°82 (du 1er au 15 novembre 1969) montre un portrait de Beckett sur fond bleu et ce bandeau en bas de page : "Le centenaire de Gide". Six pages sont consacrées à cet anniversaire avec pour gros morceau des souvenirs de Pierre Herbart qui n'ont pas trouvé leur place dans son A la recherche d'André Gide (Gallimard, 1952), des "Jugements et reflets" tirés du Gide de Jean-Jacques Thierry (Pour une bibliothèque idéale, Gallimard, 1962), une lettre inédite de Gide à Denoël datée du 16 décembre 1943, le fac-similé de la dernière page du Journal de Gide et des propos actuels recueillis par Gilles Lapouge.

C'est par ces propos que je commence aujourd'hui, et jusqu'au 22 novembre, la transcription de cet étrange hommage, et par le plus insignifiant d'entre eux, a priori...

Voici donc Gide vu par...

"Une étudiante en philosophie

D'une manière générale, Gide, pour moi, fait vieillot, désuet, empoussiéré, on dirait un salon de grand bourgeois dans lequel passent des jeunes gens frileux qui se proclament libérés et ferment toutes les fenêtres de peur de s'enrhumer. Quand* aux tourments de leur âme, eh bien, nous avons aujourd'hui d'autres problèmes."


_______________________________

* Sic. Je ne peux pas croire que cette faute n'est qu'une coquille. Elle sonne trop juste dans les propos de notre étudiante qui a d'autres problèmes...

Hommage du Capitole

Puisque nous allons bientôt fêter les 140 ans d'André Gide (avec d'autres "hommages" plus récents) et pour faire suite au billet précédent, voici de nouveau les références de l'Hommage à André Gide rendu en 1928 par le Capitole et son directeur Gustave Pigot, avec pour chaque article le lien vers sa version en ligne sur le site Gidiana.

André Gide, Editions du Capitole, collection «Les Contemporains», Paris, 1928. (24 x 19 cm, 331 pp. achevé d'imprimer le 25 janvier 1928, tirage à 1807 exemplaires dont 250 numérotés sur pur fil avec un portrait de Paul-Albert Laurens et des eaux-fortes de Goor).

Paul VALÉRY, Lettre
André GIDE, Feuillets
Henry BERNSTEIN, Le Personnage
François-Paul ALIBERT, Au hasard d'André Gide
Claude AVELINE, Aspect d'André Gide
Jacques-Emile BLANCHE, André Gide
Jacques COPEAU, Remarques intimes
Benjamin CRÉMIEUX, André Gide et l'art du roman
Marie-Jeanne DURRY, La poésie d'André Gide
Edmond JALOUX, André Gide et le problème du Roman
Pierre MAC ORLAN, André Gide et l'aventure
Roger MARTIN DU GARD, Son «influence»
François MAURIAC, L'Évangile selon André Gide
André MAUROIS, Rencontre d'André Gide
Lucien MAURY, Le bon sens dans l'œuvre d'André Gide
Henry de MONTHERLANT, Acheminement vers Gide
Paul MORAND, André Gide voyageur
Léon PIERRE-QUINT, Notes sur André Gide
Jean PREVOST, André Gide critique
Jean ROYÈRE, Formule d'André Gide
Jean SCHLUMBERGER, Gide et les débuts de la N.R.F.
Jean STROHL, Réflexions sur les relations entre l'art et la science
Albert THIBAUDET, Gide et Flaubert
Appendice contenant l'opinion de M. Henri de RÉGNIER
Arnold NAVILLE, Notes bibliographiques sur l'œuvre d'André Gide

lundi 16 novembre 2009

... vu par Roger Martin du Gard

Philippe Brin donne sur le blog Roger Martin du Gard quelques extraits d'un hommage capital rendu à André Gide par les éditions du Capitole en 1928.

Les gidianArchives en donnent la quasi-intégralité en ligne ici.

En plus des évocations dans son Journal et de leur Correspondance*, Roger Martin du Gard a signé quelques textes sur son ami parus dans des revues :

- André Gide, Editions du Capitole, collection «Les Contemporains»,Paris, 1928. (24 x 19 cm, 331 pp. (Ach. d'impr. 25 janvier 1928, tirage à 1807 exemplaires). Contient :

Paul VALÉRY, Lettre ; André GIDE, Feuillets ; Henry BERNSTEIN, Le Personnage ; François-Paul ALIBERT, Au hasard d'André Gide ; Claude AVELINE, Aspect d'André Gide ; Jacques-Emile BLANCHE, André Gide ; Jacques COPEAU, Remarques intimes ; Benjamin CRÉMIEUX, André Gide et l'art du roman ; Marie-Jeanne DURRY, La poésie d'André Gide ; Edmond JALOUX, André Gide et le problème du Roman ; Pierre MAC ORLAN, André Gide et l'aventure ; Roger MARTIN DU GARD, Son «influence» ; François MAURIAC, L'Évangile selon André Gide ; André MAUROIS, Rencontre d'André Gide ; Lucien MAURY, Le bon sens dans l'œuvre d'André Gide ; Henry de MONTHERLANT, Acheminement vers Gide ; Paul MORAND, André Gide voyageur ; Léon PIERRE-QUINT, Notes sur André Gide ; Jean PREVOST, André Gide critique ; Jean ROYÈRE, Formule d'André Gide ; Jean SCHLUMBERGER, Gide et les débuts de la N.R.F. ; Jean STROHL, Réflexions sur les relations entre l'art et la science ; Albert THIBAUDET, Gide et Flaubert ; Appendice contenant l'opinion de M. Henri de RÉGNIER ; Arnold NA VILLE, Notes bibliographiques sur l'œuvre d'André Gide.

[Repris dans : Hommage à André Gide. Études, souvenirs, témoignages. Editions du Capitole, Paris, 1929. (24 x 16cm, 239pp. (Ach. d'impr. 10 septembre 1928, dépôt légal 29 juin 1929)]

- Hommage à André Gide 1869-1951. Hommages de l'étranger. Gide dans les Lettres. André Gide tel que je l'ai vu. Textes inédits. La Nouvelle Revue Française, n° spécial, novembre 1951, Paris. (23 x 14 cm, 423 pp., Ach. d'impr. 2 novembre 1951). Contient :

Jean SCHLUMBERGER, Tout comme on avait rouvert... ; Thomas MANN, Témoignage ; Ernst-Robert CURTIUS, Amitié de Gide ; Hermann HESSE, Souvenirs d'André Gide ; Ernst JUNGER, André Gide ; Ernst JIRGAL, Élégie de Gide ; Archibald MACLEISH, Dans les grandes générations... ; John STEINBECK, Un grand romancier de notre temps ; Justin O'BRIEN, Deviens qui tu es ; Irwin EDMON, Entre tant d'écrivains... ; Raymond MORTIMER, Lettre ; Dorothy BUSSY, Quelques souvenirs ; Enid STARKIE, À Oxford ; Biaise ALLAN, André Gide et Neuchâtel ; Taha HUSSEIN, Ce grand don de conversation et d'amitié... ; Mgr Ennio FRANCIA, Nous qui étions prêts à le repousser... ; Giacomo ANTONINI, André Gide et l'Italie ; Emilie CECCHI, Contre certains malentendus ; Gianna MANZINI, Sur une photographie des obsèques ; Giuseppe UNGARETTI, À Rome.
SAINT-JOHN" PERSE, Face aux Lettres Françaises ; Marcel ARLAND, Gide reste présent ; Jean COCTEAU, On ne peut se permettre... ; Paul LÉAUTAUD, Une certaine grandeur... ; R.-M. ALBÉRÈS, Gide considéré comme esthète ; André RUYTERS, Unité de Gide ; François MAURIAC, Les catholiques autour d'André Gide ; Jean GRENIER, Le problème de l'expression ; Henri MONDOR, Premier tournant ; André JULIEN, Les Faux-Monnayeurs et l'art du roman ; Marc BEIGBEDER, La grande force d'André Gide ; Robert MALLET, L'équilibre dans le doute ; Henri THOMAS, La leçon difficile ; Jacques BRENNER, Reconnaissance ; Jean PAULHAN, La mort de Gide n'a pas été si mal accueillie.
Maria Théo VAN RYSSELBERGHE, Depuis que vous n'êtes plus... ; Dominique DROUIN, 1904-1914 ; Roger MARTIN DU GARD, Notes (1913-1951) ; Jean GIONO, Lundi ; André CHAMSON. En reste avec André Gide ; Albert CAMUS, Rencontres avec André Gide ; Julien GREEN, Rencontres ; Pierre MAC ORLAN, André Gide et Melun ; Albert-Marie SCHMIDT, A Pontigny ; Louis GUILLOUX, D'un voyage en U.R.S.S. ; Robert LEVESQUE, Le compagnon de voyage ; Léon PIERRE-QUINT, Un entretien avec André Gide ; Pierre SICHEL, Portrait d'un portrait ; Henri BOSCO, Trois rencontres ; Denis de ROUGEMONT, Un complot de protestants ; Monique SAINT-HÉLIER, Deux visages d'André Walter ; ÉTIEMBLE, Avec Gide en Egypte ; Claude MAHIAS, Instants ; Richard HEYD, Révérence parler ; Béatrix BECK, La sortie du tunnel ; Jean LAMBERT, II y a un an ; Yvonne DAVET, Le plus irremplaçable des êtres... ; Jean DELAY, Dernières années. • Textes inédits de Gide.

- Notes sur André Gide (1913-1951), Roger Martin du Gard, Gallimard, Paris, 1951 (19 x 12 cm, 155 pp. Ach. D'impr. 14 novembre 1951).

- Sur la mort d'André Gide, Roger Martin du Gard, P. Aelberts, Editions Dynamo, Liège, 1952 (19 x 14, 8 pp. (Ach. D'impr. Février 1952, tirage à 51 exemplaires).

- Cahier André Gide. Prétexte, n° 1, Bruxelles-Boulogne-sur-Seine, février 1952 (22,5 x 14 cm, 104 pp. Ach. d'impr. 10 mars 1952). Contient :

Jean-Jacques THIERRY et Jean-Michel HENNEBERT, Avertissement ; Jean SCHLUMBERGER, Introduction ; Louis MARTIN-CHAUFFIER, Les poisons toniques d'André Gide ; Roger MARTIN DU GARD, Note ; René ÉTIEMBLE, Sur quelques photos d'André Gide ; Léon PIERRE-QUINT, André Gide, l'homme sans son œuvre ; Léon BOPP, Quelques questions à propos d'André Gide ; Robert MALLET, L'impossible accaparement ; Roger STÉPHANE, Gide psychologue ; René PAULY, Hommage à André Gide ; Victor MISRAHI, André Gide et les littératures étrangères ; Emile LESAFFRE, Un classicisme par l'ironie ; Jean-Pierre BEAUJOT, Du bon usage de l'amour de soi ; André VOKAER, Réserves ; Camille CHAVANY, En relisant Pa-ludes ; Gérard PRÉVÔT, Et nous, Gide... ; Jean-Louis ORNEQUINT, Le Mythe retrouvé ; Claude EVRARD, De Gide aux problèmes de la littérature ; Jean-Michel HENNEBERT, Du Prométhée à l'Art d'André Gide ; Jean-Jacques THIERRY, A la croisée des chemins... Notices, études, documents, par Roger STÉPHANE, Jean-Jacques THIERRY, Jean-Louis ORNEQUINT, Jean-Michel HENNEBERT, André RÉMY, Alain DAUVIGNY, Christian MARBOT, Christian ZIMMER.

- Les Critiques de notre temps et Gide. Présentation par Michel RAIMOND. Editions Garnier frères, collection « Les Critiques de notre temps », n° 6, Paris, 1971 (18 x 11 cm, 191 pp. Ach. d'impr. 24 mars 1971). Contient :

Textes de Léon BLUM, Jean HYTIER, Germaine BRÉE, Jacques RIVIÈRE, Edmond JALOUX, Jean PAULHAN, Charles DU BOS, Ramon FERNANDEZ, Roger MARTIN DU GARD, Albert THIBAUDET, Claude-Edmonde MAGNY, Maurice NADEAU, Jean PRÉVOST, ETIEMBLE, Pierre LIÈVRE, Pierre-Henri SIMON, Henri GHÉON, Jean DELA Y, Jacques LACAN, Daniel MOUTOTE, Lucien DURAN, Pierre de BOISDEFFRE, Jean-Paul SARTRE, Maurice BLANCHOT, Albert BÉGUIN, Robert KANTERS, Marcel ARLAND, Claude MARTIN. Chronologie. Bibliographie.

___________________________

* Signalons le précieux outil qui accompagne cette correspondance : Index des noms et des titres cités dans la Correspondance André Gide-Roger Martin du Gard, avec un avant-propos de Claude Martin, Susan M. Stout, Gallimard, Paris, 1971.