dimanche 31 janvier 2016

Lettre à un inconnu

Le destinataire de la dernière des Lettres de Gide publiées dans la NRF de septembre 1928 est anonyme. On comprendra pourquoi...


IV
A ........

Paris, le 17 Avril 1928.
Monsieur,

Je lis votre lettre avec la sympathie la plus attentive, mais suis fort embarrassé pour vous répondre.

Persuadez-vous qu'en psychologie il n'y a que des cas particuliers et que, dans un cas comme le vôtre, des généralisations trop hâtives peuvent entraîner les plus funestes erreurs.

Ceci dit, permettez-moi de considérer comme bien imprudente une expérience matrimoniale qui, si elle échoue, compromet sûrement le bonheur d'une femme, et très, probablement le vôtre, pour peu que vous ayez le cœur bien placé. Mais encore une fois, il n'y a que des cas particuliers, et pour vous parler congrument, il ne me suffirait pas de vous mieux connaître, il faudrait encore connaître celle à qui vous vous raccrocheriez.

La question des aveux est on ne peut plus scabreuse. Je serais tenté de vous dire : si vous ne les faites pas tout de suite, (je veux dire avant le mariage), ne les faites jamais. Mais dans ce cas arrangez-vous de manière à n'avoir pas besoin de les faire — et vous aurez sûrement besoin de les faire un jour ou l'autre, si vous n'êtes pas capable de vous comporter en mari.

En règle générale, mieux vaut se sacrifier soi-même, que de sacrifier à soi un autre être. Mais tout cela, c'est de la théorie ; en pratique il advient que l'on ne s'aperçoive du sacrifice que longtemps après qu'il est consommé.

Adieu Monsieur, je joins à ces semblants de conseils tous mes vœux, et vous prie de les croire très sincèrement cordiaux.

ANDRÉ GIDE


Cette lettre prend place dans un ensemble publié entre juin 1928 et janvier 1929 dans la NRF. La première des lettres en explique le projet. La liste des lettres donnée dans ce premier billet permet aussi de les retrouver sous forme de sommaire avec liens.

Lettre à André Thérive


Les Lettres de Gide parues dans la NRF entre juin 1928 et janvier 1929, permettent de brosser un portrait de Gide au travers des thèmes qui lui sont chers. Voici dans le numéro de la Nouvelle revue française de septembre 1928 un sujet qui a longtemps préoccupé Gide : la traduction. L'occasion de s'exprimer lui est donnée par un article d'André Thérive dans l'Opinion.


III
A ANDRÉ THÉRIVE
(non envoyée)

Paris, le 14 Mai 1928.
Mon cher André Thérive,

Dans votre article de l'Opinion du 12 mai, vous voulez bien citer mon nom, ce qui m'invite à vous écrire. L'épineuse question des traductions est une de celles sur lesquelles j'ai le plus, et depuis longtemps, réfléchi. « Les bons écrivains qui, par goût, feraient volontiers des traductions admirables (M. Gide, M. Maurois, etc...), ne peuvent sacrifier leur production personnelle à cette tâche », écrivez-vous. Je crois en effet André Maurois très particulièrement qualifié pour nous donner une éblouissante traduction de Tristram Shandy, par exemple.

Pour ma part, ces traductions, admirables ou non, je les ai données. Je serais Napoléon, j'instituerais une manière de prestations pour littérateurs ; chacun d'eux, je parle du moins de ceux qui mériteraient cet honneur, se verrait imposer cette tâche d'enrichir la littérature française du reflet de quelque œuvre avec laquelle son talent ou son génie présenterait quelque affinité.

Hélas ! comme vous le constatez fort justement, les traductions restent confiées le plus souvent à des êtres subalternes, dont la bonne volonté ne supplée pas l'insuffisance. Un bon traducteur doit bien savoir la langue de l'auteur qu'il traduit, mais mieux encore la sienne propre, et j'entends par là non point seulement être capable de l'écrire correctement, mais en connaître les subtilités, les souplesses, les ressources cachées ; ce qui ne peut guère être le fait que d'un écrivain professionnel. On ne s'improvise pas traducteur.

Combien je regrette de n'avoir pas su donner, en pendant à mon Journal des Faux-Monnayeurs, un journal de ma traduction de Hamlet, dont l'intérêt, d'ordre tout différent, eût été, si je ne m'abuse, bien supérieur. Ce journal, je n'aurais pris aucune peine à l'écrire ; il m'eût suffi d'indiquer, tandis qu'elles naissaient devant moi, les difficultés d'une traduction particulièrement ardue, mes recherches, mes hésitations, mes scrupules. J'aurais pris plaisir à citer des exemples de mes prédécesseurs, dont les versions, souvent très exactes, avaient le défaut de rester livresques, c'est-à-dire parfaitement impropres à la scène, et, défaut beaucoup plus grave à mes yeux, s'attachant de trop près à la lettre, de négliger certaines qualités poétiques, auxquelles il importait d'abord d'être sensible, intraduisibles le plus souvent, mais dont il n'était pas toujours impossible de trouver une sorte d'équivalent français. Car j'estime que le traducteur a bien peu fait, qui n'a donné d'un texte que le sens. Dans ce Journal j'eusse fait ressortir incidemment les spécifiques vertus et qualités de chaque langue, ses résistances, ses réticences et ses refus, dont un écrivain ne prend conscience qu'au contact d'une langue étrangère...

Mais je reviens à votre article. Permettez-moi quelques remarques critiques. La première traduction de Wuthering Heights n'est pas, que je sache, de Wyzewa, ainsi que vous le donnez à entendre. Wyzewa n'a écrit de ce livre que la préface.

Vous parlez de la traduction du Nègre du Narcisse, de Conrad, par feu Robert d'Humières, où, paraît-il, on a relevé d'énormes erreurs. Vous regrettez qu'elle ait été patronnée par G. Jean-Aubry, qui a pris, après moi, la direction des traductions des œuvres de Joseph Conrad. Permettez-moi de vous dire que la N. R. F., pour cette traduction, a eu la main forcée : les droits étaient cédés à d'Humières, et nous n'avons pu faire mieux que de racheter cette traduction au Mercure de France — où elle avait paru d'abord. Imparfaite ou non, il n'était pas dans notre pouvoir d'y rien changer non plus que d'en donner une autre. Elle passait du reste pour excellente, et Conrad lui-même l'approuvait. Je n'ai nullement l'intention de la défendre, et d'ailleurs n'ai lu Le Nègre du Narcisse qu'en anglais ; mais, en général, je déplore cette malignité qui cherche à jeter le discrédit sur une traduction (peut-être, d'autre part, excellente) parce que de-ci, de-là, de légers contresens s'y sont glissés. Je n'ai pas lu Verdun de Fritz von Unruh, et ne connais qu'à peine M. Benoist-Méchin, son traducteur ; ne croyez donc pas que je cherche à le défendre. Mais, vraiment, pensez-vous qu'il suffirait, pour que sa traduction soit bonne à jeter au feu, qu'il ait traduit Zug, par : train des équipages, et non point par : section d'infanterie, ou que tombant dans ce traquenard des mots semblables, si perfide d'une langue à l'autre, et dont le traducteur devrait toujours se défier particulièrement, il ait pu croire que : granaten, signifiait grenades, tandis qu'en allemand ce mot désigne les gros obus. C'est ainsi que, par une semblable erreur, ma traductrice des Faux-Monnayeurs en anglais, qui pourtant connaît parfaitement notre langue, mais fort imparfaitement la musique, a pu croire que un « accord parfait », (tonique, tierce et dominante) pouvait signifier un parfait accord. Ce contresens important, mais fort excusable, n'empêche pas sa traduction d'être excellente, et une traduction peut ne pas être moins exécrable, qui pourtant ne laisserait prise à aucune accusation de ce genre.

Un point très important, dont vous ne parlez pas : l'exigence des éditeurs étrangers ; ils demandent pour la traduction de leurs auteurs de tels droits, qu'il ne reste presque aucune marge qui permette de rémunérer suffisamment le traducteur : celui-ci doit se contenter d'une somme dérisoire, et s'il ne travaille par pur dévouement, est par là même invité à bâcler son travail. Les traductions que j'ai pu faire d'auteurs non tombés dans le domaine public (Conrad et Tagore), ne m'ont à peu près rien rapporté, et pourtant je leur ai consacré plus de temps qu'il ne m'en eût fallu pour écrire un livre, plus de temps sans doute qu'il n'en fallut à l'auteur pour écrire le livre que je traduisais. Ce sont souvent, ce sont presque toujours les phrases les plus mal écrites, celles que l'auteur a écrites le plus vite, qui donnent au traducteur le plus de mal. Il lui faut souvent pallier les défauts de logique, si fréquents aux esprits anglais. Rien ne choque un esprit français comme les métaphores qui ne se suivent pas, dont s'indignait tant Flaubert ; rien ne choque moins un esprit anglais. Je sais telle phrase de Shakespeare où un homme aux abois est comparé à la fois à un gibier traqué, et à un arbre qu'on abat... Il est toujours facile d'ameuter le public contre des erreurs très apparentes, qui ne sont souvent que des vétilles. Les qualités les plus profondes sont les plus difficiles à apprécier et à faire valoir. Le souci de littéralité, excellent en soi, qui, de nos jours, tend à prendre le pas sur le reste, devient parfois néfaste. Ayant eu beaucoup à m'occuper, il y a quelques années, de la traduction des œuvres de Conrad, j'eus affaire parfois à certaines traductions si consciencieuses et si exactes, qu'elles étaient à récrire complètement ; — en raison de cette littéralité même, le français devenait incompréhensible, ou tout au moins perdait toutes ses qualités propres. Je crois absurde de se cramponner au texte de trop près ; je le répète, ce n'est pas seulement le sens qu'il s'agit de rendre, il importe de ne pas traduire des mots, mais des phrases, et d'exprimer, sans en rien perdre, pensée et émotion, comme l'auteur les eût exprimées s'il eût écrit directement en français, ce qui ne se peut que par une tricherie perpétuelle, par d'incessants détours et souvent en s'éloignant beaucoup de la simple littéralité. Chaque fois qu'il m'est arrivé de traduire, j'ai eu pour règle de m'oublier complètement moi-même, et de traduire l'auteur comme il pouvait souhaiter d'être traduit, ou comme je pouvais souhaiter d'être traduit moi-même, c'est-à-dire pas littéralement. Dans les premiers temps, je demandais que les traductions de mes œuvres me fussent soumises, et celle-ci me paraissait la meilleure qui suivait de plus près le texte français ; j'ai vite reconnu mon erreur, et, à présent, je recommande à mes traducteurs de ne jamais se croire esclaves de mes mots, de ma phrase, de ne pas rester trop penchés sur leur travail... Mais, encore une fois, ce conseil n'est bon que si le traducteur connaît admirablement les ressources de sa propre langue, et que s'il est capable de pénétrer l'esprit et la sensibilité de l'auteur qu'il entreprend de traduire, jusqu'à s'identifier à lui.

Les balourdises des traductions sont parfois particulièrement amusantes ; mais elles ne sont pas toujours le fait du traducteur. Un aimable correspondant, apprenant que la N. R. F. avait l'intention de donner une nouvelle édition de Typhon, crut opportun de me signaler quelques erreurs, ce dont je lui sus le plus grand gré ; mais certaines me remplirent de stupeur. Avais-je vraiment pu écrire, et par quelle aberration : « Par moments le menton de M. Rout (ce vieux loup de mer) tombait sur sa petite poitrine », ainsi que l'on peut lire dans les dernières éditions. Je recourus aux premières, celles dont le texte avait été revu par moi ; le mot « petite » ne s'y trouvait pas ; à mon insu il avait été rajouté par les protes au cours d'une réimpression. Hélas, cette faute absurde n'était pas la seule, quantité d'autres s'étaient glissées, qui n'étaient pas d'abord dans le livre, en particulier celle-ci, d'autant plus perfide qu'elle présente un autre sens, un sens ridiculement plausible : au plus fort de la tempête, Rout, inquiet, à demi submergé par les trombes d'eau, se penche vers Mac Wirr, le capitaine, pour lui demander s'il croit que le navire peut tenir : « II peutI, répond Mac Wirr très calme ». Or savez-vous ce qu'ils ont mis ? « Il pleut ».

Excusez cette lettre trop longue, mon cher Thérive, mais j'aurais encore tant à dire.

I. She may, donne le texte anglais. Mon aimable correspondant me fait remarquer fort judicieusement que les mots « peut-être », que j'ai du reste adoptés, rendraient encore mieux le texte anglais que : « Il peut », qui serait la traduction plus exacte de She can. Parfait exemple de tricherie fidèle.

dimanche 24 janvier 2016

Lettre à Louis Laloy

Suite des Lettres de Gide parues dans la NRF de septembre 1928.

L'article auquel cette lettre de Gide répond ne figure pas dans les Gidian Archives mais on le retrouvera dans le Dossier de presse de Voyage au Congo et du Retour du Tchad publié dans le BAAG N°129. Son auteur, Louis Laloy, élève de Vincent d'Indy devenu musicologue, avait donné des Notes sur la musique à la NRF dans les années 1909-1910.


II
A LOUIS LALOY
(non envoyée)
Paris, le 14 Mai 1928.
Mon cher Louis Laloy,

Vous parlez excellemment de mon Retour du Tchad, et je vous en sais gré. Mais, au cours de votre article, vous parlez des livres de Lévy-Bruhl sur la Mentalité Primitive en homme qui ne les connaît pas et qui semble ne point se douter de leur importance, de leur valeur. J'en parlais exactement de même il y a peu de mois encore, après lecture superficielle et imparfaite. Certaines remarques de vous à leur sujet m'invitent à vous répondre. Vous écrivez — et il y a quelques mois encore j'aurais écrit avec vous : « Je ne conteste nullement le mérite de cet ingénieux philosophe, l'un des maîtres de la sociologie. Mais c'est la sociologie qui me paraît vaine. Je ne suis pas plus sociologue que socialiste, et pour la même raison : ne pouvant croire, ni au bonheur collectif, ni aux idées collectives, je reproche à l'une et l'autre doctrine de prendre pour réelles des abstractions. »

Eh, bien non, cher Laloy, ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. Et tout d'abord, relevant certains exemples de mon livre, à l'occasion de quoi, citant Lévy-Bruhl, je me reportais à certaines coutumes des indigènes du Kamtchatka, vous contestez que la mentalité de ces tribus puisse avoir quelque rapport avec celle des sauvages du centre de l'Afrique. Or, en quelque endroit que nous retrouvions des peuplades primitives, que ce soit sous l'Equateur africain ou dans les îles océaniennes, dans la Terre de feu ou dans la région glacée voisine du pôle nord, si diverses en apparence que puissent être leurs coutumes, la mentalité primitive est à peu près la même, nous apprend Lévy-Bruhl. Et je suis trop individualiste pour ne pas applaudir à votre phrase : « Les êtres vivants ont tous une personnalité définie, sans quoi ils ne vivraient pas ». Mais, précisément, nous nous trouvons ici devant des êtres non encore individualisés, et qui ne vivent pas encore, du moins qui ne vivent pas d'une vie personnelle, d'une vie particulière.

Vous reportant à mon livre et citant, en démenti de ce que je dis ici, les portraits particuliers que j'ai pu tracer de quelques indigènes, vous parlez de l'un qui est un blanc, de l'autre qui est un métis, et d'un troisième, islamisé et fruit d'une demi-civilisation déjà vieille. En général, nous n'avons eu affaire dans notre voyage qu'à des indigènes déjà dégagés de la communauté primitive, mais notre cuisinier par exemple, dont je n'ai que fort peu parlé... quelle n'était pas ma surprise, et parfois mon irritation, de ne pouvoir obtenir qu'il parlât de lui-même à la première personne. Dans mon incompréhension, je pensais, avant lecture de Lévy-Bruhl, qu'il n'y avait là qu'une connaissance insuffisante du français, et je le reprenais sans cesse, car, d'autre part, il n'était point sot. « Il est tombé. Il a fait... ceci ou cela ». Qui, il ? Ce il était tantôt moi, tantôt mon compagnon de voyage, tantôt n'importe qui d'autre, tantôt lui... Je crois aujourd'hui qu'il fallait plutôt voir là (si bizarre que cela nous paraisse), chez cet être resté primitif malgré sa continuelle fréquentation des blancs, une grande difficulté à se distinguer des autres, et à nous distinguer entre nous. Et, bien entendu, il ne lui arrivait jamais de nous confondre, ou de se confondre avec nous ; mais, mieux averti, quel intérêt n'aurais-je pas trouvé à étudier, dans cet obscur cerveau, l'informe lutte entre le commun et le particulier, entre l'unanime et l'individuel. Force est de se convaincre que la personnalité humaine, l'être moral et responsable, est déjà l'effet de la culture, l'obtention première de la civilisation, et qu'à l'état primitif, en dépit des moralistes ou théologiens, le moi, le je n'existe pas. Rien n'est plus difficile à comprendre, et, une fois compris, plus difficile à admettre ; et rien n'est plus important. L'homme primitif ne naît ni ne meurt ; il est ; ou plus exactement ils sont.

La sociologie, à vrai dire, m'intéresse fort peu, ou du moins m'intéressait fort peu tant que je n'y voyais en effet rien de plus que ce que vous y voyez encore vous-même : l'étude des collectivités ; car l'individu seul m'intéresse. Je me souviens d'avoir écrit, fort impertinemment d'ailleurs, (il y a longtemps) : « c'est l'homme et non point les hommes, que Dieu a fait à son image ». Mais force m'est de reconnaître aujourd'hui que l'homme même, en tant qu'individu, est une lente et patiente création des hommes ; et ce qui m'intéresse particulièrement dans ces livres de Lévy-Bruhl, ce qui m'importe au plus haut point, c'est cette clé nouvelle, insoupçonnée, qu'ils apportent, qui permette d'entrer plus avant dans la connaissance de l'homme. Une clé qui n'a d'égale que celle que nous tend la philologie.

Lettre à Walther Rathenau



 Dans une publicité insérée dans le n° de septembre 1928, 
des Nouvelles lettres d'André Gide sont annoncées

Dans la NRF de septembre 1928, la nouvelle livraison de Lettres de Gide repasse en tête du sommaire. Probablement parce qu'elle va toucher cette fois à des thèmes plus énèréfiens : sociologie, problèmes de traductions, ou relations intellectuelles avec l'Allemagne au travers de cette lettre de Gide à Walther Rathenau. Une lettre qui date de juin 1921, tout juste un an avant l'assassinat de Rathenau.

En 1928, Gide séjourne à Berlin en début d'année, puis lors d'un autre voyage par la Belgique et la Hollande, se retrouve au Luxembourg alors que l'Allemagne élit Herman Müller, du SPD. A ces mêmes élections législatives de mai 1928, le Parti national-socialiste d'Hitler se classe dernier, avec 2,6% des voix. Pour en savoir plus sur la rencontre entre Gide et Rathenau, on consultera avec profit le dossier rassemblé dans le BAAG n°181/182.


LETTRES

A WALTER RATHENAU.

Château de Colpach, G. D. de Luxembourg. 25 Juin 1921.

Monsieur Rathenau,

Vous voudrez bien m'excuser, je l'espère, si je ne vous ai pas remercié plus tôt de l'envoi de vos œuvres complètes, auquel pourtant je n'ai pas laissé d'être très sensible. J'attendais d'être à Colpach de nouveau pour vous écrire, auprès de ces amis qui précisément viennent de vous revoir, et avec qui j'ai beaucoup parlé de vous. Je m'étais d'abord promis de pousser une pointe du Grand Duché jusqu'à Berlin, dans l'espoir de vous revoir et de vous prouver ainsi le souvenir que j'avais gardé de votre aimable invitation de l'an passé ; mais je me fais quelques scrupules de distraire trop d'instants de votre temps, qui se doit aux affaires publiques, pour le plus grand bien de l'Allemagne sans doute, mais aussi pour celui de la France, je l'espère fermement.

Pour la première fois depuis la cessation des hostilités, l'horizon, grâce à vous, s'éclaircit un peu, et l'on voit diminuer l'épaisseur des nuées qui s'accumulaient, et qu'on accumulait, entre nos deux pays. J'ai lu, sur vous, quantité d'articles ; il me paraît que l'on fait erreur lorsqu'on écrit que vous n'aimez pas la France — et si je croyais cela, je n'aurais pas accepté de vous rencontrer, vous le pensez bien. Que vous préfériez l'Allemagne, il n'est que naturel; mais ce qui doit nous importer en France, c'est que vous ne conceviez pas, aux dépens du nôtre, le relèvement de votre pays ; c'est que vous considériez au contraire le relèvement des deux pays comme solidaire et parallèle.

J'admire la grandeur de votre rôle ; combien m'intéressait votre pensée, dès avant que j'aie pu causer avec vous, et avec quelle curiosité je la suis à travers vos livres ! Je suis heureux de les tenir de vous. J'ai gardé de nos conversations le souvenir le plus vif, et j'entends encore votre voix en me promenant dans les allées de Colpach. J'attendais impatiemment, je puis vous le dire, le moment où vous seriez appelé au pouvoir, ayant la ferme confiance qu'à vous était réservé un rôle insigne. Vous nous donnez le rare spectacle d'un « spéculatif » aux prises avec la réalité ; cette mise en œuvre, par vous-même, de vos propres idées, prouvera, j'en ai l'assurance, tout à la fois la valeur de ces idées et celle de votre haut caractère.

Veuillez ne point trouver trop impertinente l'attention d'un littérateur, dont l'opinion ne prétend certes pas représenter celle de la France, mais qui peut vous assurer du moins que nombre d'esprits, en France, suivent votre pensée avec l'intérêt le plus vif, et que, parmi ceux-ci, il n'en est point qui le fasse avec plus de cordialité que moi.

samedi 23 janvier 2016

Lettres à Rouveyre 4/6

Poursuivons la lecture des lettres que Gide fait paraître dans la NRF entre juin 1928 et janvier 1929. La première salve répondait aux récents ouvrages critiques sur Gide publiés par Mauriac et Rouveyre. Le premier allait répondre par un nouveau livre, et une rumination prolongée tout au long de ses Mémoires intérieurs. Le second, qui n'était homme de lettres qu'à l'heure de la distribution du courrier, mettait sous pli une réponse bouffie.

Gide allait d'ailleurs s'en amuser, et profiter de l'occasion pour donner dans la NRF des extraits de lettres envoyées à Rouveyre entre 1923 et 1924. On y lira quelques mises au point sur son « action décomposante », sa prétendue « inquiétude » et la savoureuse recette de la confiture à la Rouveyre...


LETTRES


A ANDRÉ GIDE

Barbizon, 19 juin 28.
Cher Gide,
J'ai reçu votre carte ce matin comme j'achevais ma réponse. Elle m'a touché dans ce secret des secrets que nous aimons, n'est-ce pas, et dont nous gardons la clef pour les seules rares impressions extraordinaires. Je vous réponds (ci-incluse). Il le faut. C'est votre faute. Pourquoi m'avez-vous écrit si brusquement, sans réfléchir. Pourquoi n'avez-vous pas pris le temps de me répondre honorablement, sur une querelle dont vous savez bien qu'elle n'est pas si hasardeuse pour que quelqu'un de clairvoyant et de sensible comme moi l'ait élevée. Au lieu de cela, voilà que vous attaquez insidieusement, avec des moyens indignes sur des assemblages inexacts, une tête dont vous avez pourtant éprouvé l'équilibre. Est-ce que cela n'est pas un coup de Jarnac dans un assaut qui valait mieux d'un examen de votre raison et de votre conscience ?
Affectueusement votre adversaire — puisqu'il le faut...
ANDRÉ ROUVEYRE

Réponse ouverte.

A ANDRÉ GIDE

Barbizon, 19 juin 1928.
Cher André Gide,
Grand merci pour vos trois lettres1. Je ne sais, s'il m'eût fallu choisir laquelle j'aurais reçue avec le plus d'agrément. Pourtant votre troisième, suivant les deux autres au tour après tout cordial, est assez curieuse. Surprise à vous-même en dernière heure, je gage que vous n'avez pas tardé ensuite de vous en ronger les ongles. Aussi soudaine que la précédente était laborieuse, elle révèle trop, non l'admirable écrivain que vous êtes, mais un défaut de votre caractère habituellement plus circonspect, évoluant à la dérobée et qui ne se montre pas dehors, à moins qu'on ne l'y force. Après déjà tant de fois où je m'y suis heureusement essayé, voici donc que je suis de nouveau la cause que vous vous découvrez. Le courroux indispose. Il est ensemble plaisant et amer de voir un homme de votre qualité qui s'y culbute.

J'ai lu cette troisième lettre, tout d'abord, comme quelque chose qui m'était étranger, malgré la suscription. Excusez-moi si j'ai tardé, jusqu'au prochain loisir, d'y prêter une attention qui, au contraire de ma première impression, a été largement payée. J'ai, en effet, compris, et avec reconnaissance, un témoignage qui est si allègrement la preuve nouvelle que mes remarques les plus indiscrètes sur votre trafic intime sont exactes. Ce ne sont pas seulement vos amis que vous traitez avec une morbide duplicité, mais aussi vous-même. Lorsque vous vous récriez, soit pour eux, soit pour vous, vous le faites avec une telle impéritie, que les propos que vous semblez vouloir détruire s'en trouvent décidément confortés. Sous couleur de les couvrir, vos amis ou vous-même, vous les désaltérez avec un poison décisif.

Pourquoi donc, aujourd'hui, montrez-vous un tel désordre ? Vous ai-je donc jamais caché que la principale qualité personnelle que je distinguais en vous c'est la dissimulation ? Vous n'avez jamais ignoré que nos voies sont opposées, ni que, à mes yeux, rien de ce qui, en nous, est dû à une énergique vérité de nature — et si infamant parfois que cela peut paraître au monde — n'est honteux, en vérité, si un héroïsme conscient en regarde et en maîtrise le débat en nous-même. Ainsi vous avez la chance d'avoir eu pour votre commentateur le seul écrivain qui, à vous considérer, tient pour légitime, chez vous, le drame de l'anomalie congénitale qui vous vaut universellement — sous l'angle personnel — un stupide décri, et c'est contre celui-là que vous pestez inconsidérément, que vous abandonnez tout bon sens, tout esprit, pour un impétueux relâchement, plein de tricherie dans vos interprétations, d'ambiguité sournoise dans vos insinuations, de frime dans vos prétentions arbitrairesI.

Vous êtes la rétractation, la reprise en personne. Chaque instant, chez vous, sue à démentir le précédent. Quoi que vous avanciez, déjà votre discrédit l'accompagne. Sous la roche où vous vous asseyez toujours il y a l'anguille. Votre faveur comme votre disgrâce sont également suspectes. Et vous devrez permettre que, désormais, lorsque l'on s'approchera de vous, on regarde à terre pour éviter la chausse-trappe. J'écarte vos insinuations aventurées et perfides, arguments apocryphes faute d'arguments valables. Je me serais abaissé, sifflez-vous, dans la droguerie, et jusqu'à y perdre et ma santé et mon équilibre. Or, il n'est rien que je méprise, justement, comme quiconque perd son gouvernement. Vous m'auriez toujours considéré avec pitié, et comme irresponsable. Vous m'auriez donné votre estime pour l'énergie avec laquelle j'aurais réussi à me cramponner à la vie.

Cher Gide, ne m'estimez donc plus du tout, je vous prie, car on témoigne au contraire de la naturelle bonne grâce, que j.'ai toujours montrée lorsque, par-ci par-là, j'ai failli passer.

Pour ce qui est de ma responsabilité, non seulement je me suis toujours tenu de manière à la conserver toujours entière, intacte, mais j'ai encore eu l'honneur de l'étendre sur d'autres. Sur vous par exemple :

Suivent de nombreuses citations de mes lettres de 1923 et 1914, qui témoignent en effet ma confiance imprudente et l'affection que j'avais pour Rouveyre avant ses attaques contre ceux qu'il savait mes amis. Mieux vaut donner ces lettres in extenso ; M. Rouveyre lui-même m'en fournit le texte dans l'appendice de son livre : « Le reclus et le retors » (Crès, 1927).

1. Nouvelle Revue Française, n° de juin.

I. Et encore vous êtes léger au point de faire d'une coquille glissée dans mon texte (« ...Un mouvement d'édition qui serait recherché par telle tête avertie... » mis pour : « ...par quelque tête avertie... ») le pivot d'une péroraison dès lors dénuée de sens !
Désolé, mon cher Rouveyre ; mais comment aurais-je pu supposer que cette faute, par extraordinaire, n'était pas île vous ? Voici donc votre texte rectifié :
C'est parfait, et ces maisons, je suppose, n'ont pas la coquetterie, ni l'illusion de prétendre à présenter un mouvement d'édition qui serait recherché par quelque tête avertie, sachant raisonner sur les destins passés et futurs des lettres françaises, et apte à en préparer et à en consolider un terrain actuel propice à leur permettre de prendre, de mener et de suivre leur cours... etc... etc...


*
* *

A ANDRÉ ROUVEYRE.

I

2 juin 1923.

Que je vous redise le plaisir que j'ai eu de vous revoir. Je voudrais vous connaître mieux et causer davantage avec vous ; je sens entre vous et moi des possibilités de sympathie profonde et celle que vous m'avez toujours témoignée m'a mis en confiance près de vous. Je ne sens pas, près de vous, ce terrible besoin de se contrefaire qui paralyse mon esprit et mon cœur en présence de presque tous mes « contemporains ». Je voudrais, malade, pouvoir me soigner près de vous1. Mais vous vous guérirez2 — vous guérissez déjà — comme j'ai guéri moi-même, atteint aussi gravement que vous. Et d'avoir passé par là (je parle de cet affreux détroit de l'ombre) vous laisse je ne sais quelle tendresse au cœur et quelle particulière intelligence à laquelle ne peuvent prétendre les « bien portants ». C'est aussi ce qui me rapproche de vous.

1. Cette phrase, habilement citée par Rouveyre in coda, lui permettait de terminer sa lettre ainsi : « Allons, ce dernier souhait est maintenant exaucé. Portez-vous mieux. Et puissé-je, avec cette lettre, vous avoir, à nouveau, aidé avec fruit. Votre ami André Rouveyre. »
2. Il ne s'agissait pas, ici, d'opium, mais de tuberculose.

II
9 juin 1923.

Je lis avec un vif intérêt les pages du Mercure que vous avez eu la gentillesse de me faire envoyer. Mais quelques lignes m'y font un peu saigner le cœur, je vous l'avoue : non Rouveyre, mon sourire n'a jamais menti, aussitôt que de l'affection s'y mêlait ; et persuadez-vous que j'eusse été incapable à votre endroit d'un coup de patte comme celui que vous me décochez ici en souriant. Ou avez-vous écrit ces mots pour faire plaisir à certains ? Pensez-vous qu'ils me connaissent ? et que cette réputation de perfidie, d'insécurité, etc., etc., colle en quoi que ce soit à mon être réel. Parbleu ! j'espère bien que nous vivrons assez, vous et moi, pour que vous puissiez vous persuader du contraire et qu'il n'est rien de plus sûr et de plus fidèle que mon amitié.
Ne croyez point que je vous en veuille ; simplement vous m'avez un peu attristé.

III

10 juin 1923.

Vous avez bien fait de m'écrire ainsi (et je me félicite de vous y avoir poussé). Tout ce que vous me dites, je me le disais presque ; mais ne croyez point qu'il y ait de ma part une susceptibilité excessive : simplement je m'affectais que vos lignes puissent enfoncer certains dans une fausse idée qu'ils ont de mon personnage, qui ne savent voir dans mon visage que ce sourire, dans ce sourire que le mensonge : « et du reste Rouveyre lui-même, qui est l'ami de Gide, ne se gêne pas pour le dire ». C'est la quasi certitude que j'avais que ce « menteur » serait mésinterprété — mais je ne le mésinterprétais pas moi-même. Et rien n'est changé dans mon affection pour vous, qui est profonde. Après cette dernière lettre de vous j'ai plus envie de vous revoir que jamais, et je sens que, désormais, je pourrai causer avec vous plus à mon aise, plus sérieusement et authentiquement que je ne l'ai fait jusqu'à présent.


IV

12 avril 1924.

Vous parlez d'Anatole France déjà comme on en parlera dans vingt ans, et avec des vues d'une perspicacité singulière. J'aime le ton d'indignation concentrée et de dégoût avec lequel vous dénoncez Lorrain et Mendès. Vous avez à leur sujet des phrases qui m'ont ravi — et l'allusion à mes critiques des Nouveaux Prétextes ne m'a pas trouvé insensible. Mais il me semble que c'est en parlant de Barrés que vous donnez surtout votre mesure. Vous y dites tout ce que je crois profondément juste et que l'on n'avait encore jamais dit. Votre jugement, si sévère soit-il, se tempère d'un tel amour qu'il obtient de vous des accents parfois pathétiques. Ah ! qu'Apollon nous garde de la « surélévation orgueilleuse » !


Lettres à Rouveyre 5/6

Suite des extraits de Lettres à Rouveyre donnés dans la NRF d'août 1928 (voir ici la première partie).


V

Cuverville, 31 octobre 1924.

Je n'ai reçu votre premier morceau qu'hier. Vous pouvez penser que j'attendais votre étudeI avec une assez vive impatience ; mêlée, il va sans dire, d'une certaine appréhension ; car, aux couronnes que vous tressez, vous n'enlevez jamais les épines, et c'est souvent par elles qu'on reconnaît l'authenticité des roses offertes ; ce ne sont certes pas des fleurs en papier. Une lettre de vous me recommande de réserver mon jugement et d'attendre la fin de l'étude. Je ne vous fais donc part aujourd'hui que de quelques réflexions provisoires.

Une de mes grandes déceptions littéraires, c'est la lecture des Souvenirs de Banville qui me l'a donnée. Ce sont compotes où la surabondance de sucre couvre la spéciale saveur de chaque fruit. Vous avez donc raison sans doute de préférer au sucre le sel et le vinaigre. Ils conservent aussi bien, sinon mieux. Mais l'important, c'est la saveur, la saveur propre. L'avez-vous toujours préservée ? Il me paraît que vous avez plongé si avant vos doigts dans la marmite que parfois, dans votre confiture, je sens plus votre parfum que le mien.

N'allez pas croire que je me rebiffe ; j'ai tendance au contraire (et ceci ne vous surprendra pas) à reconnaître pour vrai de préférence ce qui ne m'est pas agréable ; mais ceci dit, osons marquer les traits qui, dans votre portrait, me paraissent exacts, et ceux que je tiens pour fausser nettement ma figure.
« Sous les attaques de Béraud, il blêmit... tant la chose lui put paraître effrontée... » Voici qui est mal dessiné. L'attaque de Béraud m'étonna par la subite importance qu'elle donnait à ma figure... Ne nous faisons pas plus modeste que de raison : je n'ai jamais douté de mon importance. Mais j'ai vécu jusqu'en 1916 dans la conviction que cette importance ne serait reconnue que beaucoup plus tard ; qu'après ma mort. Aucun article ne la signalait. J'ai connu ce destin bizarre (peut-être unique) d'être magnifié par l'attaque avant de l'avoir été par l'éloge. La caricature a pris le pas sur le portrait. Cela donnait beau jeu a mes ennemis ; ce n'est pas contre des éloges qu'ils protestaient, mais bien contre mon œuvre même, et ce qu'ils appelaient : mon influence. Or, de cela, j'ai pu souffrir, car cette œuvre, les lecteurs de Béraud, Massis, etc., ne la connaissaient pas. Toutes les imputations, si mensongères fussent-elles, seraient donc acceptées sans contrôle. Elles l'ont été. Peut-être eût-il été bon que vous vous fussiez persuadé de cela davantage. Dans dix ans d'ici, il n'importera plus guère ; mais il était des traits faussés qu'il importait de rétablir. Après quoi j'eusse plus volontiers reconnu pour parfaitement exact... ceci par exemple : « ...manque d'ouverture nette de son anarchie »... car cette anarchie, je n'ai su me l'avouer à moi-même et la recon­naître qu'assez tard. Il n'y a pas si longtemps que j'ai cessé de ramer contre le courant... je veux dire : celui qui m'entraîne et que je reconnais aujourd'hui pour le vrai. De là, sans doute, ce que vous appelez : « volonté affectée de l'obscurité » et : « ses gestes allaient à l'encontre en secret », qui est fort bien observé, mais qui ne suffit pas à expliquer l'ostracisme dont vous parlez, et dont, à vrai dire, je ne m'affectais guère, en bon élève de Mallarmé.

Et je ne crois pas juste non plus, du moins sommaire­ment indiqué comme vous faites : « Gide n'a pas de souci plus grand que celui de la figure qu'il fait dans le monde. » J'ai beaucoup médité sur cette phrase, par peur d'une protestation trop hâtive. L'attitude, la position du moins, que les attaques me forcent de prendre, et qui me paraît à présent la meilleure, celle de quelqu'un qui s'est mis tout le monde à dos, n'est pas du tout celle que j'eusse prise naturellement. C'est aussi que je me suis longtemps considéré simplement comme un artiste ; je n'ai compris qu'à la faveur de ces attaques qu'il me fallait accepter d'être surtout un novateur. « En général tout novateur est artifi­cieux », dit Bossuet. A vrai dire ce sont ces attaques qui m'ont révélé ma valeur.

Très juste : « une partie (de son œuvre) est criante et trépidante : l'autre compassée... » C'est aussi que j'ai plus grand souci de cacher ma pensée que de la dire, et qu'il me paraît plus séant de la laisser découvrir, par qui la cherche vraiment, que de l'exposer. Et tout le paragraphe qui suit est on ne peut plus perspicace.

J'en arrive à présent avec vous au centre, même : « Action décomposante. » Il est vrai. Mais qu'est-ce que je décompose ici ? qu'un composé factice, ruineux, de morale et de préjugés, où ne s'abrite que de la peur. J'attends que vous le montriez dans vos articles suivants. Oui, c'est là que je vous attends.

Entre parenthèses, pourquoi, me prêtez-vous des senti­ments de « dépit » devant la prépondérance de Gourmont au Mercure ? Fallait-il nécessairement du dépit pour étouffer dans cette atmosphère empoussiérée ?

« Valeur plus authentique encore qu'il ne croit... (eh ! eh ! petit à petit, j'en viens bien pourtant à le croire) telle qu'elle est au creux de lui-même, au plus profond élémentaire et sauvage où il ne plonge pas, où il refuse de plonger par ligature atavique et par vain souci de civilité. » Merci de parler ainsi. Voici, mon cher Rouveyre, qui m'éclaire, et me guide, et me fortifie.

Excellente, la suite ; révélatrice ; mais ne parlez donc pas des « huguenots de ma suite » ; voici qui est de pure invention : les protestants m'ont toujours honni. Partant, assez mauvais le passage où « les pas ouatés et funèbres de ces messieurs... ». A qui diantre en avez-vous ? et de qui voulez-vous parler ? Vous n'écoutez ici que la légende et ne faites pas attention que tous ceux qui composent « ma troupe », à la seule exception de Schlumberger, sont catholiques pur sang.

« Il ne nous est pas donné de pouvoir, nous-mêmes, contempler avec indépendance notre humaine structure. » Votre article, pourtant, m'y aide, et je vous en sais gré.

Je lis ensuite bien des remarques, indiscrètement pénétrantes, subtiles, et dont force m'est de reconnaître l'inquiétante perspicacité.

Plus loin, en passant : « En principe, jamais l'homme ne se retire du monde si le monde ne l'a pas auparavant rejeté », affirmation paradoxale peut-être, mais des plus intéressantes, importante, et où vous êtes excellent.

J'apprécie hautement mon manteau « couleur de murailles croulantes »... un peu moins, je l'avoue, mon « regard oblique de vieille chinoise »... mais ça c'est une affaire de goûts, et cela a dû tellement vous plaire !

Pour ce qui est du satanisme, remettons à plus tard. « C'est par le prince des démons qu'il chasse les démons », disait-on d'abord du Christ lui-même... Je crains que tout cela ne soit simple façon de parler.

Je reste plein d'attente encore.

I. Le Contemporain Capital (Nouvelles), articles repris plus tard dans Le Reclus et le Retors.

VI

Cuverville, 5 novembre 1924.

Oui, c'est encore moi. Heureux suis-je que ma lettre vous ait plu ; j'avais pris grand plaisir à l'écrire... Mais dans votre mot d'aujourd'hui, je relève une petite phrase qui m'inquiète car j'y flaire une erreur d'interprétation contre laquelle, en hâte, je voudrais vous mettre en garde. « Les ouvertures de votre lettre me font espérer que j'aurais atteint le fond de vos inquiétudes », dites-vous. Je crains qu'on ne parle pas d' « inquiétudes », à mon sujet, sans se mettre le doigt dans l'œil. Cela vient, je crois, de cette opinion toute faite, qui veut voir de l'inquiétude chaque fois qu'il y a diversité, complexité, etc. Vous n'en êtes tout de même pas là, je pense, et devez comprendre que si j'étais capable d'inquiétude, je ne serais pas capable d'écrire mes livres. Je prétends que les vrais inquiets sont précisément ceux qui ont besoin, pour vivre, d'un système : les Massis, les Maritain... je dirais même : les Barrés. J'ai pu être inquiet, dans le temps ; mais précisément la diversité de mes livres donne le change, car c'est à elle que je dois de ne plus être inquiet aujourd'hui. Je le serais sans doute encore, si je n'avais pas su délivrer mes diverses possibilités dans mes livres et projeter hors de moi les personnages contradictoires qui m'habitaient. Le résultat de cette purgation morale, c'est un grand calme ; osons-le dire : une certaine sérénité.

Mais nos bons catholiques d'aujourd'hui n'admettent pas que l'on puisse trouver calme, équilibre et sérénité ailleurs que dans le dogme ? Je voudrais que vous ne donniez pas dans ce panneau ; vous leur feriez trop de plaisir.

VII

Cuverville, 10 novembre 1924.

Je reçois la seconde tranche de votre étude à l'instant. Me précipite sur vous ; vous dévore.

Je relirai plus tard, à tête refroidie ; ceci n'est que mon impression première, sans retouches et sans apprêt.

Oui, je sens bien cette fois le bistouri pénétrer dans la chair même, la chair vive ; c'est délicieux ! et il pénètre très avant. Il touche à des points névralgiques ; l'opérateur ne s'en fait pas ; il a le regard clair, la main sûre. Parfait. Mais tout à coup l'opéré pousse un cri, non de douleur, car tant que l'opération qu'il surveille se poursuit sans trébuchement, il approuve. Mais voici .que le scalpel s'égare... Quittons la métaphore et disons simplement que je souscris à ce que vous dites, y applaudis (car vous le dites fort bien et cela n'était pas facile) ; mais dans la dernière colonne, tout à coup, vous faites erreur, une erreur grave ; veuillez non pas m'en croire sur parole, mais prêter attention à ce que je vous en dis ; il me semble impossible que vous n'en reconnaissiez pas, après examen, la justesse : Non, mon cher Rouveyre, non, ce n'est pas le sentiment de la défense qui jamais fit naître en moi le désir. L'horreur du défendu a précédé de longtemps le besoin de légitimer à mes propres yeux ma conduite et l'intime proposition de mon être. Et ceci est très important, car c'est précisément cette horreur du défendu qui m'a contraint de réviser le code ; je ne pouvais prendre mon parti non plus de vivre insincèrement, que de demeurer hors la loi. Et n'allez pas me dire, par pitié, que tout cela revient au même : le psychologue que vous êtes doit comprendre que vous mettez ici la charrue avant les bœufs. C'est ce que mes Mémoires éclaireront suffisamment, par la suite ; mais pour ne rester point en retard vous devriez, sans plus attendre, mettre au point ce petit alinéa. Il n'y aurait, ce me semble, que quelques lignes à modifier, et votre article en vaut la peine ; précisément parce que, par ailleurs, vous y faites preuve d'une perspicacité si indiscrètement pénétrante, et si prophétique; encore une fois, ce que j'en dis me paraît des plus importants.

Et naturellement c'est de ce petit passage que vont s'emparer tous ceux qui prétendent donner raison à la Loi. Massis a parfaitement raison lorsqu'il affirme que l'amour du désordre est incapable de produire une œuvre d'art ; mes livres sont là pour le prouver. Si tout mon être ne tendait pas à l'ordre et à l'harmonie, je n'aurais jamais pu les écrire, et je n'en aurais pas eu le désir.

VIII

Cuverville, 22 novembre 1924.

Combien j'aimerais vous revoir ! C'est seulement maintenant que je pourrais bien causer avec vous. Si je ne pensais que vous préférez la solitude, volontiers j'irais passer quelques heures à Barbizon, auprès de vous.

Je ne vois pas qu'il y ait lieu de souhaiter de retouches à votre étude (une fois faite l'importante rectification dont vous convenez). Elle est extraordinairement perspicace et « fouillée ». Je me reconnais et me plais dans ses lumières et dans ses ombres. Et je reconnais avec vous que, après tout, la question de l'uranisme n'a pas, en elle-même, une grande importance ; mais je crois qu'après lecture de mes Mémoires vous reconnaîtrez que, pour moi, elle put en avoir une capitale, et que, du même coup, vous vous expliquerez mieux ce besoin de justification qui vous gêne dans mes écrits. Car ce n'est pas le fait d'être uraniste qui importe, mais bien d'avoir établi sa vie, d'abord, comme si on ne l'était pas. C'est là ce qui contraint à la dissimulation, à la ruse, et... à l'art. Ce n'est pas moi que je protège. Mais ceci même, l'eussiez-vous pressenti, je vous sais gré de ne pas l'avoir indiqué ; on le comprendra de reste plus tard.

Il reste que cette dernière étude est la digne conclusion d'un livre remarquable et qui devance de beaucoup les jugements contemporains.

Qu'il me tarde que vous puissiez connaître in extenso : Si le grain ne meurt, et peut-être plus encore mes Faux-Monnayeurs ! Je vous quitte pour y travailler, tout empli d'une confiance que je vous dois et dont je vous remercie de tout cœur.

Ci-joint une page de journal :

11 novembre 1924
Ecrit à Rouveyre, après lecture de son second article des Nouvelles Littéraires que je venais de recevoir. Je crains d'avoir donné trop vite mon satisfecit. Ce qui me cause un peu de douleur a vite fait de m'apparaître d'autant plus véridique ; et profitable, et salutaire, etc. Reste d'évangélisme sans doute ; par instinct presque, je tends l'autre joue... Mais, en y repensant, il me paraît que ce portrait ressemble encore plus à l'auteur du Gynécée qu'à moi-même ; strapassé, grimaçant, douloureux. Tout cela, c'est du romantisme ; j'en suis loin. Et plus loin encore de cette sorte de sadisme qu'il me prête et qui, vrai, n'appartient qu'à lui. Dans les bons jours, ceux où je donne ma mesure, où je livre ma vérité, rien n'est plus harmonieux que mon paysage intérieur ; c'est la musique des grandes fugues de Bach qui l'emplit le plus adéquatement. Cette recherche du vice, ce besoin de faire souffrir... quelle invention ! Et comme Jammes était plus dans le vrai lorsqu'à La Roque, examinant des écritures (il se montrait fort expert en graphologie ou, du moins, d'une intuition surprenante), disait que le trait dominant de la mienne et ce qui l'y frappait le plus, c'est la bonté.

Et c'est peut-être là ce qui fait que je ne puis me préférer a autrui, ni même ma pensée à la sienne, mon émotion, etc... Je commence à croire que c'est là un fait si rare qu'il doive demeurer incompréhensible à la plupart des gens. Et pourtant c'est la seule explication, sinon possible, du moins vraie, de ma nature, de ses hésitations apparentes (qui ne sont que des façons de me prêter à autrui, à sa manière de voir, etc.), de sa duplicité, de ses fuites. Peut-être comprendra-t-on cela plus tard. Même ma non protestation, lorsqu'on m'attaque, vient de là ; et mon besoin de protestation, par contre, pour défendre autrui, qui m'a déjà fait faire tant de gaffes (c'est-à-dire : qui a le plus et le mieux servi à me faire méjuger). Car rien n'est plus difficile à comprendre, à admettre, et partant plus mal interprété, qu'un acte désintéressé... Or il n'y a que celui-là qui m'attire et qui m'intéresse.

IX

Cuverville-en-Caux, vendredi.

Eh bien ! cela m'attriste et me... chiffonne beaucoup d'être rejeté par votre ami, que tout ce que vous m'en dites me rend extrêmement sympathique ; exactement le genre de lecteurs que je souhaite et pour qui j'écris. Et j'estime que c'est un peu de votre faute s'il ne m'a pas mieux compris. Certainement Goethe est, de tous les littérateurs, celui dont je me sens le plus proche et auquel je m'apparente le plus, n'en déplaise à votre ami. Vous devriez bien lui envoyer mon petit volume de Morceaux Choisis (dont il va sans dire que je mettrais sur votre demande un exemplaire à votre disposition). On supporte plus volontiers d'être vilipendé, ou inconnu que méconnu. Attendez-vous à ma visite, puisque aussi bien vous me dites qu'elle ne vous déplairait pas. Et prochaine. Vous ne sauriez croire combien l'idée d'une ou deux journées passées près de vous me sourit. A bientôt donc.

X

14 décembre 1924.

Vous m'auriez déjà vu, sans la grippe qui me boucle à la villa depuis huit jours. Et quand je serai quitte ce sera pour retourner à Cuverville au plus tôt. Remettons Barbizon à des jours meilleurs. Et n'allez pas vous figurer que vous regrettez plus que moi ; mais ce n'est qu'un délai. J'ai trop d'affection pour vous, pour renoncer.

ANDRÉ GIDE

dimanche 17 janvier 2016

Lettre à Edmund Gosse


Les lettres que Gide donne à la N.R.F. entre juin 1928 et janvier 1929 sont comme autant de pièces produites par la défense dans les procès qui lui sont faits. On lui reproche entre autres et à la fois de dissimuler et de trop en dire. La lettre à Edmund Gosse parue dans la N.R.F. de juillet 1928 répond précisément à cette double critique.

Edmund Gosse est un écrivain, poète et surtout grand critique d'art. Il est l'un des premiers à signaler Gide aux lecteurs anglais au début du XXe siècle, et Gide le rencontrera lors de son séjour en Angleterre en 1918. Dans cette lettre, Gide répond aux questions de Gosse sur Si le grain ne meurt. Elle prolonge une correspondance entamée en 1904, avec en 1910 l'envoi par Gosse de son livre autobiographique Father and Son. Et dès 1917, alors qu'il était depuis un an en pleine rédaction de Si le grain ne meurt..., Gide annonçait à Gosse : « Ce que j'écris à présent [...] c'est un peu mon Father and Son ».


Comme l'a montré Patrick Pollard dans son intéressante comparaison Gide et Gosse : histoires de familles dans les actes du colloque André Gide et l'écriture de soi (PUL, 2002), les deux hommes partagent le même goût de la vérité contre la religion. Mais Gide ira beaucoup plus loin quant à l'aveu de sa sexualité.



IV
A SIR EDMUND GOSSE
La Souco, Roquebrune-Cap Martin,
16 janvier 1927.
Mon cher Edmund Gosse,

Quelle excellente lettre je reçois de vous, et combien profondément elle me touche !

Pourquoi j'ai écrit ce livre1 ? Parce que j'ai cru que je devais l'écrire.

Ce que j'en attends ? — Rien que de très fâcheux pour moi (et pas seulement pour moi hélas !) Et certes il a fallu que cette obligation morale fût bien impérative pour me faire passer outre ; mais, vraiment, il m'eût paru lâche de me laisser arrêter par la considération de cette peine et du danger. Je sentais que je ne pourrais mourir satisfait si j'avais gardé tout cela sur le cœur.
— Vous pouviez l'écrire sans le publier.
— Evidemment, et c'est ce que mes amis m'ont dit. Car il en est bien peu qui, tout en accordant que j'avais peut-être raison d'écrire ces mémoires, ne m'aient pas déconseillé, et très vivement, de les laisser connaître de mon vivant. — Mais je ne crois pas aux « posthumes » — et tiens que tous les papiers intimes que l'on nous sort de récents grands disparus, sont plus ou moins fardés. Si je n'avais pas eu le courage de publier, quel ami, par la suite, et moi mort, eût osé l'oser, alors même que je l'en eusse expressément prié ?

Peut-être est-ce à ma formation protestante que je le dois... Cher ami, j'ai le mensonge en horreur. Je ne puis prendre mon parti de ce camouflage conventionnel qui travestit systématiquement l'œuvre de X..., de Y... et de tant d'autres. J'ai écrit ce livre pour « créer un précédent », donner un exemple de franchise, éclairer quelques-uns, en rassurer d'autres, forcer l'opinion de tenir compte de ce que l'on ignore ou que l'on affecte d'ignorer au grand dam de la psychologie, de la morale, de l'art, ... et de la société.

J'ai écrit ce livre parce que je préfère être haï, qu'aimé pour ce que je ne suis pas. « Je reviendrais volontiers de l'autre monde, pour démentir celuy qui me formerait aultre que je n'étais, fût-ce pour m'honorer », disait Montaigne.

Je vous parle sans effort et sans crainte, et même je suis heureux de vous parler. Veuillez voir dans tout ce que je vous dis un témoignage de ma grande estime et de mon amitié profonde.

Votre reconnaissant et dévoué

ANDRÉ GIDE

1. Si le grain ne meurt...

Lettre au pasteur Ferrari


Dans la N.R.F. numéro 178 de juillet 1928, après les lettres à Victor Poucel, Gide a choisi de donner sa réponse à une autre étude parue sur lui : André Gide : le sensualisme littéraire et les exigences de la religion (Lausanne, Association chrétienne d'étudiants, Imprimerie La Concorde, 1927)

Les critiques qui émanent cette fois d'un pasteur protestant, Eugène Ferrari, rejoignent celles du R.P. Poucel : divinisation de la sensation (« Donc, quand il prononcera le mot Dieu, n'y voyons pas invariablement « le Dieu des chrétiens » ; il ne s'agit peut-être que d'une sensation ! ») dans quoi se résumeraient les personnages de Gide, et donc l'éthique gidienne. 

Gide attire encore une fois l'attention de son interlocuteur sur Saül, sur une lecture erronée de l'Immoraliste... Il va également donner le portrait de certains de ses proches, « tant protestants que catholiques, à qui la conviction religieuse semblait mettre un bandeau ». On songe à la scène rapportée par la Petite Dame en 1929, alors qu'elle et Ramon Fernandez sauvent Gide des griffes de Du Bos et ses reproches (notamment à la suite de la lettre à Victor Poucel que nous avons donnée) :

« Nous sortons du local de l'« Union pour la Vérité »; Fernandez propose de me conduire où je voudrai avec son auto; au moment où nous regagnons la rue des Saints-Pères où elle stationne, nous voyons, marchant devant nous, Gide et Charlie qui gesticulent. Je les rejoins pour leur dire adieu, et je dis à Gide : « Fernandez me dépose aux magasins du Louvre. — Comment! dit Gide, vous allez là, mais j'y vais aussi! » et il saute dans l'auto. Il nous dit : « Déposez-moi n'importe où, mais je n'en pouvais plus. Charlie a une manière de vous regarder avec un visage si attristé, et à une telle profondeur! et que voulez-vous que je lui dise? Il m'a dit : "C'est entendu, Marcel ne viendra pas à Pontigny, il n'a peut-être pas été mesuré dans ses expressions, mais moi non plus, cher ami, je ne pourrai jamais vous pardonner cette lettre à Mauriac", etc. Je lui ai dit : Vous m'avez déjà dit la même chose au sujet de la lettre au Père Jésuite (N.R.F. de juillet). "Ah! là, c'était autre chose, je ne pouvais pas supporter de vous voir insulter un saint" (Ignace de Loyola). Je vous assure, la discussion n'est plus possible. » [...] Quand Gide parle de l'attitude des catholiques, j'ai toujours le sentiment qu'il exagère volontiers, qu'il pathétise un peu; mais il faut bien constater qu'à propos de tout, dans les conversations, les revues, les journaux, ça sent la guerre ; les catholiques se tiennent entre eux et combattent où et comme ils peuvent. Fernandez le constate aussi et dit en riant : « Pourquoi ne ferions-nous pas une ligue des humanistes? Il est temps de déclarer ce qu'on pense. — Je ne vous le fais pas dire, Fernandez, répond Gide. — Vous les gênez évidemment plus que les autres, reprend Fernandez, parce que vous ne jetez pas par-dessus bord les valeurs chrétiennes, au contraire; ils ne peuvent pas dire que vous n'y comprenez rien ; vous avez trop parlé de ces choses, comme un qui les voit par le dedans. »
( Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, t. I, Gallimard, p. 415-416)

L'échange avec le pasteur Ferrari s'arrêtera là. Mais Gide le retrouvera en décembre 1933 à Lausanne, où les Bellettriens portent les Caves du Vatican à la scène. Il en résultera un mouvement de protestation de la part de la bourgeoisie protestante, relayé par la Gazette de Lausanne. Le pasteur Ferrari se proposant cette fois de prendre la défense de Gide.


III
A M. LE PASTEUR FERRARI3

15 mars 1928.
Monsieur,

J'ai lu votre étude avec beaucoup plus d'intérêt que vous ne semblez croire. Dans certaines parties tout au moins, elle me paraît des meilleures ; et j'eusse été désireux de vous dire pourquoi dans certaines autres elle me paraît moins bonne, si je ne vous soupçonnais beaucoup moins soucieux de connaître ce que je pense de ces pages, que je ne l'étais d'apprendre ce que vous pensiez de mes livres ; et si d'autre part votre lettre ne prenait soin de m'avertir qu'il fallait moins chercher à voir là votre propre jugement que celui que vous estimiez décent et opportun de formuler.

Il m'arrive bien rarement de lire une critique de mes écrits sans penser d'abord (et peut-être verrez-vous là quelque reste de mon éducation protestante) : c'est peut-être vrai ; le critique a peut-être raison ; car je me méfie grandement des complaisances envers soi-même. Mais du moins puis-je, et d'autant plus, protester, lorsque le critique me prête des pensées qui n'ont jamais été les miennes ; et c'est ce que vous faites parfois, afin d'avoir plus aisément et complètement raison contre moi, raison de moi. Pouvez-vous croire vraiment que de ce sensualisme, que vous peignez comme l'aboutissement plus ou moins conscient et résolu de mon éthique, et dont vous peignez fort éloquemment et sagacement les dangers, ces dangers ne me soient apparus ? La dissolution de la personnalité où menait une disposition trop passive à l'accueil est le sujet même de mon Saül — que vous ne semblez pas connaître — que j'écrivis sitôt après mes Nourritures, en manière d'antidote ou de contrepoids. « Tout ce qui m'est charmant m'est hostile » s'écrie le roi, qui meurt « complètement supprimé » par ses désirs. Et je m'étonne un peu, que vous n'ayez su voir dans mon Immoraliste, que vous montrez que vous avez fort bien lu, le procès même de cet abandon à soi, qui est précisément à l'opposé de cet abandon de soi que nous enseigne l'Evangile.

Me permettrez-vous de vous dire encore ceci : il m'a été donné de connaître d'admirables figures, figures chrétiennes tant protestantes que catholiques, que je n'ai cessé d'aimer, de vénérer ; et encore qu'il me soit difficile de supposer que, sous quelque autre religion que ce soit, elles eussent fait preuve de moins de charité, d'abnégation, de modestie, je veux bien croire que seul le christianisme pouvait mener leurs vertus jusqu'à ce point de sainteté qui échappe à la sagesse humaine et la domine de très haut.

J'ai, par contre, pu voir, et de très près, nombre de chrétiens, tant protestants que catholiques, à qui la conviction religieuse semblait mettre un bandeau (peut-être éblouissant ?) sur les yeux ; dont la sainteté appliquée n'était qu'une forme subtile de l'égoïsme ; qui contraignaient inconsciemment leurs proches à l'hypocrisie, ou les abandonnaient au désespoir, à l'inconduite et à la « ruine de l'âme ». (Vous savez, une phrase de votre lettre me le laisse entendre, que je n'ai rien inventé dans les peintures que parfois j'en ai pu faire — et j'aurais pu montrer bien pis). Mais soyez assuré que, de ces produits de la religion tant protestante que catholique, il ne m'est jamais venu à l'idée de faire le Christ responsable.

Au revoir, Monsieur. Vous me prêtez des sentiments altiers que je suis bien incapable de fournir, lorsque vous m'écrivez : « un esprit tel que le vôtre se soucie-t-il de... » et c'est pourquoi le peu de sympathie que marque malgré tout votre lettre me touche beaucoup plus que vos louanges.

Croyez-moi, je vous prie, bien attentivement et cordialement.

3. Eugène Ferrari : André Gide : le sensualiste [sic] littéraire et les exigences de la religion. (Lausanne. Imprimerie La Concorde).

samedi 16 janvier 2016

Lettres au R. P. Poucel

En 1925, Gide vend sa bibliothèque et règle quelques comptes en jetant à Drouot, c'est-à-dire sur la place publique, les envois pleins d'admiration des anciens amis. Entre juin 1928 et janvier 1929, il choisit de donner la même publicité à quelques-unes de ses lettres, qu'il publie dans la N.R.F. Après Mauriac et Rouveyre, c'est à Victor Poucel que Gide répond dans le numéro de juillet 1928.

Prêtre jésuite et théologien, Victor Poucel signe aussi des critiques littéraires dans la revue Etudes. En octobre 1927, il publie deux articles, André Gide - Ses idées, son esprit et André Gide - Son art, ses livres*, qui seront repris en 1929 dans un volume, L'esprit d'André Gide, aux éditions L'art catholique. Le Journal de Gide nous révèle une réaction désormais bien connue : 1. Gide écrit une réponse, 2. Gide décide qu'il ne l'enverra pas, 3. Gide l'envoie quand même :

Cuverville. 30 novembre.
Je passe deux matinées à répondre à l'étude (si l'on peut ainsi dire) sur mon œuvre d'un certain Victor Poucel parue dans « Études — revue catholique d'intérêt général ». Et finalement je n'envoie pas ma lettre. A quoi bon ? On est trop loin de compte. Il n'est pas un des traits de ma figure qui, volontairement ou non, ne soit faussé. Mais, somme toute, il a raison, ils ont raison de me considérer comme l'ennemi. Le plaisant c'est que je sois considéré également comme l'ennemi, par leurs adversaires. Il s'agit de ne pas se laisser abattre, ni attrister, ni exaspérer, ni infatuer, mais de trouver au contraire un certain équilibre du cœur et de l'esprit dans le balancement de ces haines. Et se garder, soi, de haïr.

13 décembre.
Je reçois une prodigieuse lettre du père Jésuite Victor Poucel** en réponse à la lettre que je me suis décidé à lui envoyer, à la suite de ses deux longs articles (Études octobre-novembre). Ah! que je voudrais que tout cela fût publié plus tard, pour la plus grande édification des lecteurs. Il proteste, fort courtoisement du reste, contre ce mot de « mauvaise foi » que j'employais. Mais sa lettre entière m'amène à penser un peu plus : la bonne foi est une vertu essentiellement laïque, que remplace la foi tout court.

Ces lettres de Gide à Poucel ont paru dans la N.R.F. puis dans Divers (Gallimard, 1931). Elles nous intéressent à plus d'un titre puisque Gide les verse comme autant de pièces au dossier contre les attaques qu'il subit, mais qu'elles contiennent en outre de nombreux thèmes qui lui sont chers comme la défense de Saül. Et ce n'est à notre avis pas un hasard si cette fois encore on y retrouve l'ébauche de quelques-unes des plus célèbres citations extraites de son œuvre...


LETTRES
AU R. P. VICTOR POUCEL
rédacteur aux Etudes, « revue catholique d'intérêt général ».

Cuverville-en-Caux, 27 novembre 1927.

Monsieur,

Votre longue étude, encore qu'elle s'oppose violemment à moi, respire assez d'honnêteté pour m'inviter à vous écrire. Comme vous le pensez fort bien, votre « rigueur me blesse moins que de sottes louanges ». Aussi bien est-ce beaucoup moins l'outrance que la mauvaise foi qui put me révolter dans le réquisitoire de Massis. Le jour où la critique s'occuperait des pages qu'il me consacre, elle y relèverait des truquages plus graves et plus nombreux que ceux qui émaillent son jugement sur Renan ; inventions à mon avis parfaitement inutiles, car mes écrits fournissent amplement de quoi motiver son indignation et la vôtre. Il faut reconnaître, et malgré le respect qu'on leur garde, que les catholiques, ces derniers temps, n'ont point fait preuve d'un grand souci de la justice et de la vérité. Certes rien ne m'a plus averti contre le catholicisme que son facile accommodement avec le mensonge. Pascal, en eux, n'a jamais vaincu Loyola.

Persuadez-vous que c'est à mon horreur du mensonge que sont dues certaines affirmations, que je comprends bien qui vous choquent, mais que vous avez tort d'imputer à une arrogance, ou une suffisance, dont je doute que vous puissiez trouver des marques dans ma vie.

Je suis donc heureux de trouver dans votre étude plus de bonne foi que je n'osais en attendre, et c'est pourquoi je vous écris. Même vous voulez bien indiquer, dans une citation que vous faites de mon traité du Narcisse, qu'il s'agit là d'un ouvrage de prime jeunesse. C'est une honnêteté à laquelle les critiques (et pas seulement ceux de votre bord) ne m'ont guère habitué, et dont je vous sais d'autant plus gré. Mais, cette honnêteté, pendant que vous y étiez, il me semble que vous auriez pu la pousser plus loin.

Evidemment, le plus simple est de me repousser tout en bloc, et de laisser Corydon, les Faux-Monnayeurs et Si le Grain... entraîner dans votre enfer toute mon œuvre, voire cette Symphonie Pastorale, que vous louez peut-être à l'excès1. Mais cette indulgence que vous voulez bien marquer pour ce dernier écrit m'invite au Distinguo. Me permettrez-vous de vous proposer celui-ci que j'ai fait à mon tour en toute bonne foi, à votre point de vue.

Il va sans dire que tous mes derniers écrits sont nettement condamnables et damnables, quelle que soit la part de vérité psychologique que l'on peut parfois y trouver. Condamnables également mes Nourritures Terrestres (dont vous citez une phrase assez veule***, qui ne me paraît guère mériter votre louange ; il me semble que vous auriez pu mieux choisir). Mais ce livre est de 1897; et le danger même que présentait sa doctrine (si j'ose ainsi dire) m'est si nettement apparu, que, sitôt après, en antidote, j'ai écrit Saül (dont sans doute on reconnaîtra plus tard l'importance), dont le sujet même est l'exposé de cette ruine de l'âme, de cette déchéance et évanouissement de la personnalité qu'entraîne la non-résistance aux blandices. Relisez-le (ou lisez-le) d'un œil catholique, en oubliant que c'est de moi.

En enfer, nonobstant, Saül, avec ces Nourritures, qui l'y précèdent et l'y entraînent. Car ce que je vous en disais n'est nullement pour le sauver à vos yeux, mais pour vous avertir qu'il n'est peut-être pas très équitable de présenter l'éthique des Nourritures comme la dominante de ma vie. S'il en était ainsi, je m'en serais tenu à ce livre et me serais depuis longtemps laissé supprimer comme Saül par les démons.

Je reviens au Distinguo que je vous propose :

Je ne comprends pas trop pourquoi vous considérez L'Immoraliste, la Porte Etroite et Isabelle comme de mauvais livres (je me place à votre point de vue, bien entendu). Ce sont trois livres avertisseurs, qui, avec la Symphonie Pastorale, travaillent dans votre sens et versent de l'eau à votre moulin. Ils dénoncent tour à tour les dangers de l'individualisme outrancier, d'une certaine forme de mysticisme très précisément protestant (Claudel m'écrivit d'admirables lettres à ce sujet), du romantisme, et, dans la Symphonie Pastorale, de la libre interprétation des écritures. Il ne tient qu'à vous de tirer de chacun de ces quatre livres un enseignement parfaitement orthodoxe. Persuadez-vous qu'il y est.

Et persuadez-vous de ceci : Tout l'acharnement d'un Massis ou d'autres ne parviendra jamais à faire de moi un ennemi du Christ (ce qui ne veut nullement dire que je prétende avoir toujours vécu dans sa lumière et que je cherche à me faire moins grand pécheur que je ne suis). S'il m'arrive par la suite de me dresser contre le catholicisme, c'est vraiment que les catholiques m'y auront poussé, m'y auront forcé. Il me sera toujours, et de toute façon, extrêmement pénible de le faire, car je compte parmi eux des amis qui me restent très chers. Déjà, je l'avoue, l'accent voilé de certaines de vos phrases, à la fin de votre étude, suffit à m'émouvoir. Et sinon je ne vous écrirais pas.

Veuillez croire à mes sentiments bien attentifs.

P.-Sc. — Etes-vous parfaitement de bonne foi lorsque vous protestez devant cette remarque que je fais et que n'importe qui peut faire : qu'il n'y a pas de saints parmi les artistes et pas d'artistes parmi les saints, m'accusant ensuite de méconnaître et l'Angelico et le Poverello; et parlant de la poésie de celui-ci à laquelle vous me reprochez de demeurer insensible ?... Je puis trouver dans les paraboles du Christ plus de poésie que dans Homère, il ne m'en paraîtrait pas moins irrévérencieux de parler du Christ comme d'un artiste, ou de présenter certaines de ses paraboles dans un livre de « morceaux choisis ». L'Eglise, qui sait fort bien ce qu'elle fait, n'a pas canonisé le peintre de Saint-Marc, non plus qu'aucun autre artiste. Libre à vous de vous écrier lyriquement : « Pour moi, je mets l'Angelico dans la Gloire ! », mais ça c'est de la fantaisie et l'Eglise ne vous suit pas. Je crois être, beaucoup plus que vous, près d'elle en disant que, si tendu que l'art soit vers le divin, il garde toujours quelque chose de diabolique, quelque écho du Eritis sicut dii****. Y a-t-il vraiment là de quoi s'indigner contre moi ? En exploitant cette parole si simple, nullement irrévérencieuse, ni pour l'Eglise, ni pour l'art, nullement hétérodoxe ou hérétique, et dont tout au contraire vous auriez pu tirer parti, je dis que vous interprétez mon texte bien autrement que je ne fis jamais celui de l'Ecriture, et que vous cherchez à me faire dire ce que je n'ai jamais pensé.
Quant à l'interprétation que vous me prêtez des paroles du Christ : « Si le grain ne meurt... » ou « Qui veut gagner sa vie... » permettez-moi de n'y pouvoir voir qu'une révoltante monstruosité.

P.-Sc. 2 — Dois-je vous envoyer cette lettre ?... Je relis au hasard quelques passages de votre étude ; votre exposé de mon Immoraliste, en particulier.
Ainsi donc il eût suffi de quelques phrases prémonitoires, de quelque artificieux et prudent discours d'un des amis de Michel, jouant le rôle de Chactas auprès de ce nouveau René, pour vous faire vous écrier : « Ah ! que Gide a bien noté le désarroi, la détresse de l'âme qui cède à sa pente et fait de son désir sa loi ! » Comme si ce n'était pas là précisément le sujet même de mon livre et comme si je ne menais pas à la banqueroute mon héros ! Que pouvez-vous dire ou penser contre lui que je ne vous aie pas d'abord suggéré ? Pourquoi prendre cet air malin de : « Ah ! ah ! je ne te le fais pas dire » et dénoncer comme d'inconscients aveux de ma part tout ce que vous découvrez dans mon livre (et dans mon œuvre en général) qui vous serve à fronder cette fausse image que vous vous faites de moi ; ces armes que je vous tends loyalement, pour quoi donner à entendre que vous me les subtilisez ?

1. « Pour moi, ce dernier ouvrage prendrait place à côté de la Princesse de Clèves, qu'il dépasse de beaucoup par le nuancé du sentiment, l'art des transitions insensibles dans les situations, une délicatesse de touche, une perfection d'ensemble, un « serré », qui dénotent la main d'un grand artiste ; on ne peut s'y tromper. »

II
AU R.P. VICTOR POUCEL

Paris, le 17 décembre 1927.

Monsieur,

Je voudrais vous dire à mon tour combien je suis sensible à votre lettre. Mais elle éclaire, à votre insu peut-être, les points sur lesquels nous ne pourrons jamais nous entendre.

Il me semble assez naturel que le sens et le goût de la vérité ne soit pas le même chez celui qui la cherche et chez celui qui croit l'avoir trouvée. Le premier craint sans cesse de se tromper. Le second marche plein d'assurance, « si sûr de lui qu'il n'hésite pas à rudoyer, en toute bonne conscience, les faits qui le gênent. Ce sont vos propres paroles, exemplairement révélatrices. — « A votre insu » disais-je, car vous ajoutez aussitôt : « N'est-ce pas là une loi de psychologie courante ? »... Mais non, Monsieur, pas courante du tout, Dieu merci ! Et pour trouver ce rudoiement des faits tout naturel, et ne s'apercevoir même plus que ce « en toute bonne conscience » est précisément le propre de Loyola1, il faut avoir l'esprit déjà bien profondément faussé par sa doctrine2.

Hélas ! tout dans votre lettre le confirme : appeler « travail d'Allemand » le simple souci de la chronologie ; cette piètre excuse, en reconnaissant les erreurs de votre critique, d'alléguer que le commun des lecteurs les commettrait aussi ; et jusqu'à ces assurances privées de très humble serviabilité et d'entier dévouement, après que vous venez de me traîner publiquement aux gémonies... A tout cela je reconnais le Saint-Office.

Pourtant je ne puis ne pas être sensible à la proposition que vous me faites de publier ma lettre. J'y vois un effort d'équité presque laïque, qui vous fait le plus grand honneur et dont je vous sais gré. J'accepte donc volontiers et vous remercie.

Croyez, je vous prie, à mes sentiments bien attentifs.

1. Ou du moins de ses disciples.
2. Ou du moins celle qu'on enseigne en son nom.
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* La revue Etudes est disponible en ligne sur le site Gallica pour les numéros des années 1857 à 2000. On peut notamment consulter le tome 193 contenant les numéros des 5 et 20 octobre 1927 et donc les articles de Poucel sur Gide (utiliser la navigation par page en bas à droite de l'écran pour aller directement aux débuts des articles, page 5 et 144).
** La lettre de Poucel à Gide, datée du 8 décembre 1927, figure en appendice de L'esprit d'André Gide.
*** « Et comme pour ajouter à la magnificence d'un pareil désespoir, l'homme trompé dans la poursuite d'un bien qui le fuit se rassure en divinisant cette poursuite même :
Je te le dis eu vérité, Nathanaël, chaque désir m'a plus enrichi que la possession toujours fausse de l'objet de mon désir. – Ne distingue pas Dieu du bonheur et place tout ton bonheur dans l'instant.
Les Nourritures terrestres sont par excellence le livre religieux de Gide; l'évangile du pécheur qui se sauve dans son péché, je ne vois pas de définition plus juste. » (V. Poucel, L'esprit d'André Gide)
**** Génèse scit enim Deus quod in quocumque die comederitis ex eo aperientur oculi vestri et eritis sicut dii scientes bonum et malum (mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal)