jeudi 23 mai 2013

Les Amis d'André Gide à la loupe


Après s'être intéressée aux maisons d'écrivains en France et au Québec, Marie-Eve Riel consacre son stage de post-doctorat aux associations d'amis d'écrivains : ceux de Brasillach, Paulhan... et Gide. Un objet d'étude à la fois historique et prospectif fort intéressant, surtout à l'heure de la mutation de ces associations. Résumé de son projet :

Le projet porte sur trois regroupements d’amis d’écrivains français du XXe siècle : l’Association des amis d’André Gide, l’Association des amis de Robert Brasillach et la Société des lecteurs de Jean Paulhan. Il s’agit de faire la lumière sur la composition, l’activité et la production de ces regroupements. Qui sont ces membres qui se désignent comme des « amis » de l’écrivain ? Que font-ils, concrètement, pour assurer la survie de l’auteur et de son œuvre dans l’histoire littéraire ? Quelle est la contribution de leurs bulletins et cahiers (Bulletin des amis d’André Gide, Cahiers des amis de Robert Brasillach et Bulletin de la Société des lecteurs de Jean Paulhan) dans l’histoire interne de ces trois regroupements et dans l’économie générale des revues littéraires au XXe siècle ? Le projet s’inscrit dans un important courant de recherche contemporain, qui replace l’écrivain au centre des études littéraires après sa mise à mort par les post-structuralistes des années 1960, et emprunte aux plus récentes théories sur les réseaux de sociabilités littéraires, les revues littéraires ainsi que sur l’amitié en littérature.
 

mercredi 22 mai 2013

Aux enchères







A la vente de livres et manuscrits Artcurial les 27 et 28 mai prochains à Paris, on verra passer au lot 241 un curieux appareillage en provenance des archives de Jean Tardieu :


[Marcel JOUHANDEAU]
De l'abjection
Gallimard, coll. Métamorphoses , n° VII, 1939. In-12 broché, non coupé. Rare édition originale, avec envoi de l'auteur à Bernard Groethuysen, signée M.J., de ce livre publié sans nom d'auteur, écrit à la première personne. Autres livres joints :
- André GIDE : JOURNAL. Gallimard, 1946. In-12 broché. Envoi de l'auteur.
- André GIDE : INCIDENCES. Gallimard, 1924. In-12 broché. Édition originale. Envoi de l'auteur.
- André GIDE : ET NUNC MANET IN TE. Neuchâtel et Paris, Ides et Calendes, 1947. In-12 broché. Exemplaire H.C. pour Tardieu.
- VOYAGE AU CONGO. N.R.F, 1927. In-12 broché. Service de Presse. Carte de visite d'André Gide insérée. 2 p. autographes de Tardieu : notes de lectures d'après le Voyage au Congo.
Il faut noter que le manuscrit de De l'abjection passera ce même jour au lot 451.

Des éditions illustrées de livres de Gide seront également proposées : Thésée par Mariano Andreu (lot 137), Paludes par Alexeieff Grinevsky (lot 230) et Isabelle par Jean-Gabriel Daragnès (lot 192). Signalons enfin pour être tout à fait complet au lot 345 une collection complète de la revue Mesures.

Vente Artcurial, 
27 mai à 16h  (lot 1-121) 
et 28 mai à 14h30 (lot 133-fin)
Exposition :
24 et 25 mai, de 11h à 19h
26 mai, de 14h à 18h
27 mai, sur rendez-vous

mardi 21 mai 2013

Les faux-monnayeurs vus par André Billy


« En cet hiver 1906-1907, un scandale défrayait la chronique du Quartier Latin. L'affaire aujourd'hui oubliée et dont André Gide tira l'idée première d'un de ses romans les plus déconcertants*, l'affaire dite des faux monnayeurs du Luxembourg, avait éclaté au mois d'août précédent. Plusieurs de nos camarades y étaient compromis. C'est au Luxembourg que la bande avait établi le siège de ses opérations. Je ne m'en étais pas douté, et je dois dire que la plupart d'entre nous étaient dans la même innocence que moi. Si quelqu'une des pièces fausses mises en circulation dans des boîtes d'allumettes par les adeptes de cette sorte de bourse en plein air m'avait passé par les mains, je ne m'en étais pas aperçu. C'est la pièce d'or de dix francs à l'effigie de Napoléon III et au millésime de 1857 qui avait le plus de succès. Il y avait aussi des pièces de dix francs de la République (1906) et des pièces de cinq francs. Le cours en variait de deux à cinq francs. Elles étaient faites d'un alliage d'étain et d'antimoine mélangé à une petite quantité de cuivre. Au sortir du moule, elles recevaient une légère dorure. Leur prix de revient était d'environ vingt-cinq centimes. Ce commerce fit vivre assez longtemps une trentaine d'individus, parmi lesquels Mousset, repris de justice et faux monnayeur professionnel, et Lancelot, formé à l'école de Mousset, à qui celui-ci commandait jusqu'à cent pièces à la fois. Il en fabriquait une trentaine par jour. Son atelier n'était pas le seul, et l'on citait le mot d'un de ses émules : « La fausse monnaie est une question sociale comme une autre. »
Cinquante arrestations avaient été opérées. Étudiants, artistes, acteurs, employés, ouvriers, le coup de filet avait ramassé un peu de tout. Sur la terrasse du Luxembourg, on ne s'abordait plus qu'à voix basse, pour se séparer aussitôt. Le vent qui balayait les feuilles mortes des marronniers avait dispersé tous les groupes. Aux pieds des reines de France, les chaises ne trouvaient plus d'amateurs. La chaisière n'avait plus à se gendarmer pour obtenir ses deux sous.
Plus de vingt non-lieux mirent hors de cause les moins imprudents des clients racolés par Mousset, Lancelot, Torlet, Berthelon et compagnie. Lucien Nicole, le seul des inculpés dont je puisse dire que j'étais l'ami, s'en tira moins facilement. Il avait donné rendez-vous à son fournisseur habituel dans la cathédrale de Rouen et tenté de refiler une pièce fausse au sacristain. Le cierge qu'il avait eu l'idée de faire brûler à la Sainte Vierge ne fut pourtant pas perdu. La Cour d'Assises l'acquitta.
L'affaire des faux monnayeurs porta à la bohème de la rive gauche un coup dont elle ne se releva pas. Une époque s'achevait, celle de l'anarchie, de l'antipatriotisme, de l'antimilitarisme, du dreyfusisme. Un air nouveau, soufflé de L'Action Française et des Cahiers de la Quinzaine, commençait à transformer complètement le climat intellectuel de la jeunesse. »

(André Billy, La Terrasse du Luxembourg,
coll. C'était hier, Librairie Arthème Fayard, 1945, pp. 235-237)

_______________________

* Notons un tout autre qualificatif sous la plume du même André Billy dans un compte-rendu de L’Œuvre du 16 février 1926 :
« Les Faux-Monnayeurs non plus n'ont pas leur pareil, mais que dire pour les faire aimer ? C'est un livre haïssable, sur lequel je me garderai d'insister, reculant devant la difficulté qu'il y aurait à vouloir, dans un journal comme celui ci, rendre tous les aspects, indiquer toutes les pentes d'une œuvre si désagréablement immorale. Nous ne nous ferons pas, n'est ce pas, plus vertueux que nous ne sommes. Nous ne dénierons pas au vice ses attraits, mais nous mettrons nettement à part le vice pour lequel M. André Gide fait dans ses Faux-Monnayeurs une sorte d'apologie en action. Tel que nous le dépeint M. Gide, ce vice là relève beaucoup plus de la correctionnelle que de la littérature.

Aussi bien trouve-t-on dans Les Faux-Monnayeurs quelques tableaux de mœurs assez bien faits, un ou deux types curieux et des idées esthétiques discutables mais intéressantes à débattre en petit comité, vers une heure du matin dans la fumée des pipes. Je ne mettrai pas à la charge de M. Gide les fautes de français qu'on relève dans son roman, puisqu'il n'en a pas, m'assure t on, corrigé les épreuves. »

jeudi 16 mai 2013

Conférence à Uzès

La médiathèque d'Uzès propose une conférence sur "Un manuscrit d’André Gide", par Nicolas Chaine, vendredi 17 mai 2013 à 18h. Présentation :


La médiathèque a reçu une œuvre originale d’André Gide en 2011. Le manuscrit, en partie autographe de la main de Gide se compose de six pages, il est accompagné d’une lettre autographe de Gide, datée du 28 février 1950.
Il s’agit du dernier état manuscrit de l’article paru dans France Illustration en juillet 1950 et s’intitulant l’AEF, un article sur l’Afrique Équatoriale.
Le reste de l’article est de la main d’Elisabeth Van Rysselberghe, mère de Catherine Gide, fille unique de l’écrivain.
Ce manuscrit fut découvert dans un coffre-fort de l’ancienne propriété des Gide, Cuverville, propriété actuelle de Nicolas Chaine, qui, généreusement, en a fait don à la médiathèque.
Il va retracer cette découverte et les recherches entreprises pour authentifier ces documents.
La médiathèque continue ainsi à enrichir son fonds Gide, aidée par ailleurs par la Fondation Catherine Gide.

Plus d'informations sur le site de la médiathèque.

Lettre de Gide à Fabulet

Notre ami Akio Yoshii nous signale une lettre de Gide à Louis Fabulet proposée par les Autographes des Siècles sur e-bay :




André GIDE (1869-1951)
Lettre autographe signée à Louis Fabulet.
Deux pages in-8° sur papier à en-tête. Cuverville. 1er janvier 1933.

Très intéressante lettre de Gide tentant de dénouer un désaccord littéraire et financier entre Fabulet et Gaston Gallimard, quant à des retours d’ouvrages.

« Cher ami, Je reçois communication du double de la lettre de la N.R.F (excusez tous ces génitifs !) du 24 novembre à vous adressée. Cela est déjà vieux et c’est contre cette lettre même que vous protestez. Mais une lettre du 22 décembre (que je ne reçois que ce matin) y est jointe, à moi adressée, en réponse à ma protestation orale, qui s’était faite écho de la vôtre – lettre que je vous communique à mon tour. Vous y verrez que j’avais chaudement défendu vos intérêts, qui me semblaient liés – et que G. Gallimard ne s’est pas endormi sur les griefs que je lui présentais. Il me semble que le seul point qui pourrait prêté à discussion c’est celui des « retours » dont, d’après les termes de votre contrat, il n’y aurait pas lieu de tenir compte, puisque les sommes de droits d’auteur seraient exigibles non après vente, mais après sortie des éditions. Point assez discutable et où je ne suis pas bien sûr que, de droit, vous ayez raison. En tout cas vous ne pourriez vous tenir frustré de cette somme, me semble t-il, qui devra vous revenir aussitôt que le trou causé par ses « retours » sera comblé. Et surtout je ne voudrais point que vous puissiez vous croire victime d’un « traitement de défaveur », si j’ose dire ; si peut-être au Mercure les règlements sont faits sans tenir comptes des retours, c’est ainsi que Valette se hasarde jamais de lancement d’auteurs nouveaux. Songez que souvent ces retours massifs sont de plusieurs mille à la fois – lorsqu’un prix Goncourt par exemple pour Deberly, Arland, etc a pu faire escompter un succès qui ne s’est pas produit. Si, sans aucun fait nouveau, je vous parle un peu différemment aujourd’hui (que je ne le faisais dans mes deux lettres précédentes) c’est que je me suis renseigné, car votre affaire me tenait à cœur – et ce sont les renseignements obtenus dont ici je vous fait part. J’ajoute, moins que fort peu « homme d’affaires », je suis susceptible de me laisser convaincre peut-être par des arguments insuffisants, que je ne suis pas capable de critiquer. Mais est-ce ici le cas – et les arguments de G. Gallimard ne vous semblent-ils pas de bon aloi ? Tous les vœux bien affectueux de votre vieil ami André Gide. »

Sur la rencontre entre Gide et Fabulet autour de Walden, ou la Vie dans les Bois, voir le texte de Louis Fabulet publié dans La Revue de Paris du 1er mars 1921, et mis en ligne par La Revue des Ressources.

vendredi 3 mai 2013

Enquête sur les maîtres de la jeune littérature


Entre le 30 septembre et le 30 décembre 1922, Pierre Varillon et Henri Rambaud mènent une « Enquête sur les maîtres de la jeune littérature » dans la Revue Hebdomadaire. Enquête qui a été reprise et augmentée dans un volume paru en 1923 à la Librairie Bloud et Gay. Dans leur introduction à cette compilation, les enquêteurs s'expliquent :

« Nous avons donc posé à un certain nombre de jeunes écrivains les deux questions suivantes :
1° Quels sont les maîtres à qui vous devez le plus et pourquoi ?
2° Quelles influences vous paraissent devoir commander les directions de la littérature contemporaine et que pensez-vous notamment de l'épuisement ou du renouvellement possible des genres traditionnels ?
On s'étonnera peut-être de ne pas trouver certains noms et des plus marquants, parmi les écrivains que nous avons interrogés. Notre règle a été de nous en tenir aux écrivains parvenus à la notoriété depuis la guerre et à ceux dont les premières œuvres, encore peu connues du public, mais distinguées par les connaisseurs, font souhaiter qu'ils y parviennent bientôt. Leurs aînés ont déjà répondu avant la guerre à des enquêtes analogues* ; ou s'ils n'ont pas eu l'occasion de la donner, chacun sait quelle serait leur réponse. Est-il bien utile, par exemple, que le grand poète qu'est M. Paul Valéry reconnaisse en Mallarmé son maître et son guide, qu'il devait d'ailleurs dépasser; ou, dans une génération plus jeune, que MM. Jacques Bainville ou Henri Massis témoignent de ce qu'ils doivent à Charles Maurras ? »

Vingt-quatre romanciers, dix poètes, six dramaturges et neuf critiques répondront aux questions de Varillon et Rambaud, parfois de manière très détaillée, parfois de façon laconique... Les noms les plus cités par les romanciers sont dans l'ordre ceux de Bourget, Maurras, Barrès, France, Loti, Boylesve, Gide et Proust. Les critiques ont affirmé l'influence de Maurras, de France, de Lemaître, de Gide, de Jacques Bainville, de Montfort, de Bergson, de Boylesve et de Péguy.

Nous avons sélectionné parmi les réponses qui citent Gide les plus intéressantes, ou tout du moins les plus motivées. Dans une second temps, la Revue Hebdomadaire écrira aux « maîtres »  les plus influents pour leur poser les mêmes questions qu'aux auteurs de la « jeune littérature ». Nous donnons ainsi en fin de billet la réponse de Gide...

***

« La génération littéraire née autour de 1890 a pu avoir des maîtres jusqu'en 1914. Elle n'en saurait plus avoir aujourd'hui. Entre eux et elle, la guerre a creusé un abîme. Si la guerre n'avait pas creusé cet abîme, ce serait à désespérer de cette génération. Ce serait bien la première fois qu'on verrait le monde changer de face, sans que se renouvelât la littérature.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de renier des admirations légitimes; il s'agit de refuser des modèles périmés. Nous sommes d'un autre temps que France, Barrés, Gide, Maurras ou même Péguy. Qu'avons-nous à faire d'excitants, d'un Nietzsche ou d'un Kipling ?
[...]
France, Barrés, Gide, Maurras, Péguy et tous les autres ont été les liquidateurs du romantisme, soit qu'ils l'aient épuisé en le portant à l'extrême, soit qu'ils aient essayé de le classiciser, soit qu'ils l'aient combattu. Ils se sont ainsi liquidés eux-mêmes, au plus haut prix, je le reconnais. Depuis la guerre, ils se survivent. Et après eux, le déluge.
Mais après le déluge, tout recommence. »
Benjamin Crémieux
***
« Avant la guerre, jusqu'à ma vingtième année, j'ignorais une partie de la littérature de notre temps, celle qu'on est convenu d'appeler la littérature moderne. Comme je vivais complètement en dehors des milieux littéraires, je n'avais rencontré personne qui me révélât l'existence des œuvres contemporaines qui n'étaient pas répandues dans le plus large public.
A peine en 1913 avais-je entendu parler de la Nouvelle Revue française qui, un peu plus tard, a marqué ma formation littéraire comme l'Action française a marqué ma formation politique.
[...]
Je reviens à la Nouvelle Revue française, à André Gide. Je ne pourrai jamais aimer l'homme, mais je respecte l'auteur, sa patience; tant pis si sa prudence tourne au vice. Je lui suis infiniment reconnaissant de l'exemple studieux qu'il donne. J'ai trouvé dans sa critique et dans celle qu'il a inspirée, celle de Jacques Rivière principalement, mille réflexions qui m'ont éclairé sur moi-même et sur les autres. Elles m'ont évité de me jeter dans une démesure où je tendais de tout mon désir de combattre. »

Pierre Drieu la Rochelle

***
« Les gens de cinquante ans sont persuadés que les trentenaires d'aujourd'hui « posent » quand ils déprisent la vulgarité de Musset et de Hugo. Il n'y a pas de pose là dedans. Sans aucune prévention, j'ai toujours été fort éloigné des romantiques, comme de « bourgeois » affreux. Inutile de vous dire que Barrés et Gide pour la prose, Mallarmé pour les vers, quand on les lit dès seize ans, vous font trouver bien plus « cocos » les maîtres du dernier siècle que ceux-ci n'ont trouvé ceux du dix-septième...
Et à bien réfléchir, tout ce qui précède me paraît incomplet, et simplet, et à demi faux.
Mais vous n'attendez pas une confession générale ? »

André Thérive

***
« 1° Les maîtres à qui je dois le plus, je commence à croire que ce sont ceux dont j'ignore l'œuvre. La grande occupation des critiques qui épluchent un roman est, en effet, d'y débusquer tous les « gidismes », tous les « barrésismes ». Je ne dois que des « éreintements » à ces maîtres trop admirés qui, à vingt ans, m'imposèrent des attitudes d'esprit et des tours de phrases dont je commence seulement à me débarrasser. Ma gratitude ira donc à d'autres maîtres vénérables près desquels j'aurai passé, n'ayant rien demandé et n'ayant rien reçu. Une pudeur teintée de prudence me défend seule de les nommer ici.
Pour être franc, j'admire mes camarades qui connaissent leurs maîtres et les dénoncent avec la même assurance que s'il s'agissait de leur tailleur. Sans doute avez-vous pratiqué ce jeu dangereux que Paul Morand, dans son fameux Ouvert la nuit, nous enseigne ? Sur une liste où figurent intelligence, distinction, talent, beauté, élégance, etc., chacun se donne des notes que le voisin corrige. Eh bien! il serait amusant de corriger la liste des maîtres que mes jeunes confrères s'assignent en toute bonne foi. Il n'est pas bon que nous choisissions nous-mêmes nos ancêtres,parce qu'alors nous prétendons tous à la cuisse de Jupiter. J'imagine Bourget, Barrés et Gide en leurs cabinets, Balzac, Stendhal et Baudelaire sous les myrtes immortels, se répétant après avoir lu votre enquête le vers de Booz :

Se pourrait-il, Seigneur, que ceci de moi vînt ?

et je crois voir le spectre de Paul Féval (ce charmant auteur de France trop dédaigné et si supérieur au mulâtre Dumas) accuser Barrés et Bourget de détournement d'enfant. C'est vrai qu'un romancier de l'école du cher Féval peut, dans son particulier, professer la doctrine Bourget-Barrés-Maurras, sans que ses livres en reflètent rien et qu'une œuvre, que littérairement nous portons aux nues, souvent ne déteint pas sur notre vie intérieure. J'ai préféré à tout Anatole France quand j'avais quinze ans et ce fut justement pour moi un temps de crise mystique.
Faut- il concevoir le Parnasse comme un marché où les débutants se fournissent de psychologie chez Balzac-Stendhal- Bourget ; de nationalisme simple [chez Barrés, de nationalisme intégral chez Maurras ; d'immoralisme chez Gide et de style à tous les rayons ? Il arrive souvent qu'un jeune homme de lettres n'accepte rien tout à fait de l'extérieur. Ses maîtres préférés font sourdre en lui des eaux cachées. Nous ne recevons rien que déjà nous ne possédions. Notre œuvre, c'est nous-mêmes et nous ne sommes pas nés des livres, mais de nos pères en qui nous vivions avant notre venue ici-bas ; et depuis nous dépendons de ce monde infini d'images, de sensations, de sentiments, de croyances, où, à peine nés, nous avons baigné. Les pins géants d'un parc que je connais, les charmilles, devant la terrasse d'un autre jardin, m'ont mieux instruit que les livres dont je m'enchantais à leur ombre (dont je m'enchantais vient de Barrés).
Et qui dira, dans une formation même littéraire, la part des amitiés et des amours ? Les maîtres de beaucoup, ce furent leurs maîtresses.

2° Il est inutile, que vous vous inquiétiez de l'avenir des « genres traditionnels » au siècle de Marcel Proust, de Paul Valéry et de tous ceux que vous interrogeâtes. »

François Mauriac

***
« Deux poètes m'ont profondément influencé : Arthur Rimbaud et Lautréamont (Isidore Ducasse). Depuis que j'écris, Je n'ai jamais cessé de penser à eux. Leur influence sur moi a été trop forte, trop exclusive pour que je puisse la définir. J'ai probablement écrit grâce à eux et selon eux. Tout ce que je crois découvrir dans la poésie, c'est dans leurs poèmes que je l'ai découvert. Je sais mal les voir, je manque de recul : je les aime trop.
J'ai aimé aussi quelques autres écrivains : Paul Claudel, Guillaume Apollinaire, Pierre Reverdy, Blaise Cendrars, Jean Giraudoux. J'ai connu encore André Gide ; il a exercé sur moi une certaine influence. Je lui dois beaucoup. Quoi ? je ne sais pas. Je n'aime guère ses livres, sauf les Caves du Vatican. J'ai peur d'être ingrat en l'oubliant. J'aimerais aussi de ne pas parler de Maurice Barrés, mais tout de même je lui dois beaucoup. Je ne pense naturellement qu'à ses premiers livres. Les autres... »

Philippe Soupault

***
« L'exemple de Proust et de Valéry, me permet de penser que les plus importants et intéressants jeunes hommes d'aujourd'hui, ne laisseront connaître leur valeur que dans quelques vingt ans d'ici. Et ceci me rassure un peu — mais, me retient aussi de répondre à votre question, malgré tout le désir que j'ai de vous être agréable.
Veuillez donc m'excuser. »
André Gide

_______________________

* Par exemple l'enquête menée par Emile Henriot qui explique, dans une lettre donnée en appendice de l'ouvrage de Varillon et Rambaud :
« Avant la guerre en effet, des questions semblables avaient été posées aux écrivains. En somme, nonobstant la guerre, qui a plus consolidé chacun dans ses positions qu'elle n'a profondément modifié les façons de voir et de sentir, l'idéal de cette génération n'a pas beaucoup changé depuis le temps que moi-même j'interrogeais, sur un thème analogue au vôtre, ses jeunes aînés et même quelques-uns déjà de ceux qui nous ont répondu (A quoi rêvent les jeunes gens, 1912). Je me reporte à ma brochure : les noms les plus souvent cités étaient ceux de Barrés et de Maurras; après, venaient Gide et Claudel. Bourget n'avait pas encore triomphé de l'ignorance et de l'ingratitude injustes. »