lundi 27 octobre 2008

Gide au Congo dans le BAAG n°160

Gide au Congo, 1925, photographie de Marc Allégret

En ouvrant le dernier Bulletin des Amis d'André Gide (n°160 d'octobre 2008) que je viens de recevoir, je découvre que le Voyage au Congo est là aussi à l'honneur.

On y trouve :

- "Gide à Léré", article des souvenirs de Jean Bénilan, chef de subdivision du régime colonial qui accueillit Gide et Allégret à Léré ;
- Deux transcriptions des débats à la Chambre sur la question des concessions en A.E.F. et qui font appel aux témoignages du Voyage au Congo ;
- Une nouvelle partie (la dixième parue dans le BAAG) du dossier de presse du Voyage au Congo et du Retour du Tchad ;
- Enfin un fort intéressant article de Jocelyn Van Tuyl intitulé "Témoignages littéraires sur la préhistoire du sida". Ou comment au travers des récits de Céline, Conrad, Leiris et surtout Gide et Allégret se dessine un moment de l'histoire (les débuts de la colonisation, le déplacement des populations) où des pratiques (consommation de viande de singe, proximité avec eux, vaccinations, variolisations, tourisme sexuel, prostitution) auraient pu favoriser la transmission et la mutation du virus immunodéficitaire simien en virus immunodéficitaire humain.

mercredi 22 octobre 2008

Les photographies du voyage au Congo

Marc Allégret, André Gide... et Dindiki,
un pérodictique potto offert par un chef villageois

Le 19 juillet 1925, Gide et Marc Allégret embarquent à Bordeaux pour l'Afrique. Un périple de dix mois à travers l'Afrique équatoriale française et le Congo belge pour le compte du ministère des colonies : une "mission" acceptée avant tout pour ce qu'elle offrait d'officiel et donc de facilités pour voyager dans ces pays. Le Journal de Gide s'expatrie dans Voyage au Congo et Retour du Tchad.

Le Voyage au Congo restera comme l'un des premiers livres anticolonialistes. Gide y dénonce les horreurs commisent par les grandes compagnies qui exploitent le caoutchouc et pour ce faire les populations, les massacrant sans hésiter pour asseoir leur autorité. Cela sans pour autant idéaliser l'homme noir - Gide n'est pas à l'abri de certains préjugés racistes de son époque même si son "Moins le Blanc est intelligent, plus le Noir lui paraît bête" deviendra fort célèbre.

Ce qui donnera aussi du poids à son plaidoyer, c'est qu'il ne condamne pas le colonialisme en bloc, saluant au passage les comportements plus "humains" de certains gouverneurs et leur bon travail. La presse se déchaîne et le témoignage de Gide devient un argument dans les querelles politiques de l'époque. Mais la plus grande partie de ce journal africain laisse voir un Gide naturaliste en explorateur du dimanche. Savoureux.

Tout au long de ce voyage, Marc ne reste pas inactif. Il prend de nombreuses photographies et filme les rencontres avec les peuples. Là où Gide s'intéresse surtout aux plantes et aux animaux, Marc voit les costumes, les constructions, les danses, la vie quotidienne des hommes et des femmes. Des centaines de photographies non pas anthropologiques ou purement ethnologiques mais composées ou cadrées avec soin pour montrer la différence.


A lire :
Gide André, "Voyage au Congo" suivi du "Retour du Tchad", et illustré de soixante-quatre photographies inédites de Marc Allégret, Paris : Librairie Gallimard, NRF, 1929
Les textes sont également disponibles en format poche dans la collection Folio.

Allégret Marc, "Carnets du Congo, Voyage avec Gide",Presse du CNRS, 1993

A voir :
Allégret Marc, "Voyage au Congo", documentaire, noir et blanc, 101 minutes, production : Société du Cinéma du Panthéon / Pierre Braunberger, Les Films du Jeudi, 1927

A consulter en ligne :
Les archives photographiques de la Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine montrent plus de 600 clichés pris par Marc Allégret au cours de ce voyage.

Une page sur Marc Allégret, cinéaste et photographe

mardi 21 octobre 2008

Jef Last : l'ami hollandais


Brièvement évoqué dans l'univers gidien, Jef Last reste un inconnu en France. C'est pourtant une figure étonnante des bouleversements du XXe siècle à qui un film rend hommage (et dont j'emprunte le titre pour ce billet), journaliste, poète, romancier, essayiste et traducteur (français, chinois, japonais), auteur de pas moins d'une soixantaine d'ouvrages... Je donne ici un aperçu de sa vie et de sa rencontre avec Gide, complétant les éléments glanés dans le Journal de Gide et les Cahiers de la Petite Dame par des éléments puisés sur ce site consacré à Last, éléments que j'ai tenté de traduire du néerlandais.
Jef Last, autoportrait

Un an avant le congrès de la Mutualité évoqué dans le billet précédent, l'Association des Ecrivains et Artistes Révolutionnaires organise le 23 octobre 1934 une séance qui devait être un compte-rendu du Congrès des Ecrivains soviétiques. Gide accepte de la présider. C'est là qu'il rencontre Jef Last.

"Belle séance en somme", consigne la Petite Dame dans son journal de ce jour. "A noter [...] Jef Last, marin hollandais, écrivain, emballant, savoureux, ironique, à travers un français impossible". Une excellente impression aussi sur Gide qui invite le "marin hollandais" au Vaneau deux jours plus tard.
"Ils ont abordé beaucoup de questions, entre autres celle de l'homosexualité en Russie où Jef Last avait été déjà en 32, et où il vient de retourner au Congrès des Ecrivains soviétiques", nous apprend la Petite Dame. Jef Last possède aussi des documents de Marinus Van der Lubbe, l'incendiaire du Reichstag, dont il a été un ami proche et auquel il consacrera plus tard un livre.

Qui est exactement ce marin ? Josephus Carel Franciscus Last est né en 1898 à La Haye d'un père officier dans la marine indienne, conservateur, hostile aux artistes, et d'une mère soumise, dont la seule occupation était l'organisation de réceptions et la gestion du personnel de maison. Lors d'une visite d'une usine avec son père, Jef Last qui a six ou sept ans voit un bel ouvrier blond. Plus que son homosexualité, c'est l'attirance vers le milieu ouvrier qu'il souligne en écrivant plus tard au sujet de cet épisode : "Je pense que je suis devenu socialiste ce jour-là."
Plus tard, Last étudie le Chinois. Officiellement, c'est pour devenir plus tard fonctionnaire aux Indes orientales néerlandaises. En secret, il traduit des poèmes et fréquente les cercles des Jeunes Travailleurs. Il abandonne ses études en 1919 pour devenir pêcheur de harengs puis marin dans la marine marchande.
Il épouse Ida, la fille d'un célèbre professeur de lettres, en 1923, avec qui il a une première fille la même année (deux autres suivront). Il quitte femme et enfant pendant neuf mois en 24 pour partir étudier le chinois à l'université Columbia de New-York mais exerce plutôt tout un tas de petits boulots pendant ce séjour.
Son épouse partage ses vues communistes. Elle est même beaucoup plus engagée que lui. Le couple va se radicalisant d'année en année. Jef Last commence à publier des recueils de poésie et des romans. Il écrit aussi pour des revues et c'est pour l'une d'entre elle qu'il part en URSS pour la première fois. Conservant son oeil critique, il en est expulsé.

C'est donc au retour d'un second séjour qu'il rencontre Gide en 1934. Le vieux Gide a l'autorité morale et littéraire. Last lui apporte sa riche expérience du monde ouvrier, de la littérature prolétaire et de l'URSS. Mariés et homosexuels, ils ont en commun le questionnement intérieur sur cette double vie.

Evoquant sa rencontre avec Maurice Lime (autre écrivain ouvrier), Gide en vient à parler de sa relation avec Last : "J'éprouvais avec Last déjà cette sorte de sympathie subite et violente qui bondit par-dessus les barrières factices et à laquelle les odieuses différences sociales semblent ne donner que plus d'élan." (Journal, 6 octobre 1935)

Si bien que Gide entraîne Last au Maroc au printemps suivant. Et il sera aussi du voyage en URSS. Sans renier l'idéal, l'un comme l'autre constatent les dérives et les exactions du régime communiste. Au contact de Gide, Last prend du large avec le Parti et à nouveau prend le large : il s'engage dans la guerre d'Espagne du côté des républicains où sa position en marge du Parti lui fait courir beaucoup de risques.

On le retrouve pendant la seconde guerre mondiale chef de la résistance hollandaise. Et le 20 mai 1946, le voilà de retour au Vaneau. "Naturellement, il n'y en a que pour Jef, que de choses n'a-t-il pas à raconter de sa vie clandestine durant l'occupation ! C'est dix fois qu'il a manqué d'être fusillé, sa fille aînée a été mise dans un camp de concentration, elle servait de courrier dans la Résistance", note encore la Petite Dame. En 47, Last accompagne encore Gide dans une tournée de conférences qu'il donne en Allemagne.

Puis en 1950, Last embarque pour l'Indonésie. Professeur à Bali pendant 4 ans, puis docteur en sinologie à l'Université de Hambourg en 1957, il voyage dans tout l'Orient. En 1966, il écrit "Mon ami André Gide", recueil de souvenirs qui, à ce jour, n'a toujours pas été traduit en français. Il meurt à l'âge de 73 ans le 15 février 1972 à Laren, Pays-Bas.

Gide et Last

Quelques livres de Jef Last :
ZUYDERZEE, trad. du néerlandais par Eckman , préface d'André Gide, Collection Du monde entier, Gallimard, 1938.
LETTRES D'ESPAGNE, Collection blanche, Gallimard, 1939.
ANDRE GIDE CORRESPONDANCE AVEC JEF LAST 1934-1950, Presses Universitaires de Lyon, 1985
et on espère toujours une traduction de "Mijn Vriend André Gide", Van Ditmar,1966...

lundi 20 octobre 2008

Au Congrès de 1935

Je viens de retrouver quelques belles photographies de l'agence Magnum, parmi lesquelles celle-ci :


On y voit Malraux, à la tribune du Congrès des Ecrivains en juin 1935. A sa droite à la table : André Gide, Paul-Vaillant Couturier et Jean-Richard Bloch. A l'arrière plan, un portrait de l'écrivain russe Maxime Gorki (Photo de David Seymour pour l'agence Magnum).

Ce "Congrès international des écrivains pour la défense de la Culture" s'est déroulé au Palais de la Mutualité entre le 21 et le 25 juin 1935 à l'instigation de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires (AEAR). Quelques 230 "délégués" venus de toute l'Europe doivent y faire une allocution – tous n'y parviendront pas dans le temps imparti, temps de parole souvent monopolisé par les grandes "stars" de la défense du communisme – parmi lesquels : Boris Pasternak qui remplace au pied levé Maxime Gorki, Mann, Brecht, Musil, Huxley, Wells, Giono, Barbusse, Dabit, Guéhenno, Cassou, Crevel, Mounier, Rolland, Vitrac, Forster, Nizan, Benda, Aragon, Roger Martin du Gard, Guilloux... et bien sûr Gide et Malraux qui en sont en quelque sorte les animateurs.

Face à eux, encore des écrivains, des intellectuels, hommes politiques qui se mêlent à la foule de quelques 3000 étudiants et ouvriers. Si le Congrès est aujourd'hui devenu une légende, il était à l'époque un événement incontournable : la salle de la Mutualité est bondée jusque dans ses couloirs et dans les cafés proches où se poursuivent les débats. Nous sommes à quelques encablures du Front Populaire. La Grande Guerre est encore toute proche, moins cependant que la prochaine que beaucoup redoutent déjà. Les nouvelles venues de l'Allemagne nazie alimentent à raison ces inquiétudes.

Aux communistes déclarés et autres thuriféraires de l'URSS se mêlent ainsi une grande part de pacifistes et d'autres comme Gide pour qui le marxisme n'est pas très clair (il a eu bien du mal à lire Le Capital) mais qui voit là une occasion de développer une morale nouvelle et de faire jouer aux arts une plus grande part dans la vie de l'individu. On sait depuis les procès truqués de Moscou que l'URSS a des défauts, mais de deux maux, à savoir nazisme et communisme, beaucoup sont ceux qui appellent à choisir celui qui est à leurs yeux et à leur époque le moindre. D'ailleurs la France a choisi en signant le pacte franco-soviétique un mois avant ce congrès.

Peu de traces de cet événement dans le Journal de Gide qui y déplore le monopole de l'éloquence face à tant de délégués venus de loin et qui n'auront pas même l'occasion de s'exprimer. Il s'y peint dans sa posture habituelle du gaffeur confondant la déléguée indienne avec la déléguée grecque... En revanche, les pages de cette époque montrent bien que sa prise de position reste sur le plan moral et esthétique bien avant d'être politique.

Il faut chercher du côté de la Petite Dame pour trouver l'ambiance des séances et de leurs prolongations, de ces cinq jours "d'indescriptible encombrement", de "confluent de circonstances", "un véritable embouteillage", "un hourvari". "Les trois grosses vagues qui soulevèrent [le congrès] d'un accueil spontané, chaleureux, furent les Russes, en bloc, le discours et la personne de Gide, et l'Allemagne en exil."

"Gide fut simplement parfait", assure la Petite Dame qui n'a pas son pareil pour critiquer Gide quand il ne donne pas le meilleur de lui-même. Pour bien se rendre compte de "l'adhésion" de Gide au communisme ou plutôt de ce qu'il espère de l'URSS, avant le Voyage en URSS et ses Retouches, je donne ici le texte d'un message téléphonique de Gide au peuple russe à l'occasion de l'anniversaire de la révolution le 5 décembre 1935. Il résume ses positions de principe et à la fois anticipe son courageux revirement de 1936 :

"En m'adressant à l'Union Soviétique, il me semble que je m'adresse à l'avenir. Il importe que l'Union Soviétique sache ce qu'elle est pour nous. Quelque chose a eu lieu en Russie, quelque chose qui a rempli de terreur ceux qui se croyaient à l'abri de la crainte, rempli d'espoir ceux qui n'avaient plus d'espérance. Vous nous avez précédés sur cette route montante où la douloureuse humanité fait un immense effort pour vous suivre. Je voudrais que vous sentiez là-bas que nos regards anxieux restent fixés sur vous, chargés de reconnaissance pour hier, d'attente encore pour demain, et j'allais dire : d'exigence.
Il nous semble que c'est un engagement que vous avez pris devant l'histoire ; un engagement pour l'avenir. Dans le coeur de chacun de nous qui vous écoutons, l'écho de ces grands jours qui ébranlèrent notre vieux monde, retentit comme une promesse.
Je pense qu'en cet anniversaire solennel chacun de nous, depuis les hauts dirigeants jusqu'au plus humble travailleur, se demande : Ceux qui sont morts en 1917 et à qui nous devons la vitoire peuvent-ils être contents de nous ?
Je vous salue de tout mon coeur, nouveaux héros qui ne vous reposez pas dans la victoire, forces de la Russie nouvelles qui saurez assumer jusqu'au bout votre tâche : celle de demeurer la jeunesse du monde.
"

(Ce texte a été publié par Les Nouvelles Littéraires le 29 décembre 1935 mais n'a été depuis repris ni dans Littérature engagée, le recueils de textes établi par Yvonne davet en 1950 ni dans aucune biographie de Gide. Le Bulletin de l'Association des Amis d'André Gide l'a exhumé en juillet dernier dans son numéro 159.)

mercredi 15 octobre 2008

Gide et Malraux

Sur le site La République des Lettres, Marie-Michèle Battesti-Venturini signe un article sur l'amitié littéraire entre Gide et André Malraux. Il y est notamment beaucoup question du tronc commun de leurs influences littéraires.

C'est une forte estime mutuelle, une admiration du nouveau venu à la littérature pour son aîné et une admiration aussi chez Gide face à ce brillant esprit, tout particulièrement dans la conversation, don que Gide n'a pas toujours... Plus encore qu'un proche de Gide, Malraux était profondément "du Vaneau", c'est à dire de ce milieu fécond autour de Gide qui avait tant d'influence sur l'univers de la littérature, de la politique et de la morale, ainsi qu'il l'explique dans sa préface aux Cahiers de la Petite Dame.

lundi 13 octobre 2008

Nobel de littérature, 1947-2008

"Ai-je dit déjà qu'il paraît qu'il est question de Gide pour le prix Nobel ? Il ne sait trop s'il s'en épouvante à l'idée des corvées qui s'ensuivront, ou s'il s'en réjouit", note la Petite Dame.

Fin octobre 1947, les rumeurs vont bon train. Elles ont raison : "Le 13 novembre, vers 5 heures, une agence de presse téléphone à André Gide pour lui apprendre qu'il avait le prix Nobel." Gide est à Neufchâtel, mais le "Monsieur Gide est en Suisse" de la concierge du Vaneau semble une ruse pour les journalistes...

Courriers, télégrammes, téléphonages, visites... L'appartement du Vaneau est pris d'assaut et c'est la Petite Dame, restée seule à bord, qui reçoit les journalistes. "Heureusement qu'on n'a qu'un Gide, et qu'on n'a qu'une fois le prix Nobel !" s'exclame-t-elle. Et elle s'amuse de la grande confusion de la presse dans ses descriptions de la famille Gide où se mêle le lien du sang, celui de l'encre et celui des amitiés :

"Je sais bien que dans notre famille, il est malaisé de s'y reconnaître, et que la logique mène à l'absurde, c'est ainsi que Gide a eu trois gendres : Lambert, Herbart et Richard Heyd, que Catherine a été la fille d'Alissa, et Elisabeth la femme de Gide, que Nicolas a été son troisième petit-fils, les deux fils de heyd étant les premiers, etc."

Gide n'ira pas à Stockholm recevoir son prix, sa santé n'étant pas très bonne. On peut lire sur le site de la Fondation Nobel le discours de présentation que fit Anders Österling, académicien suédois, et le discours de remerciements de Gide lu par l'ambassadeur de France en Suède.

Le Monde donne ici un petit historique des Nobel de littérature français à l'occasion de l'obtention du prix par Le Clezio cette année.

lundi 6 octobre 2008

Sur le front éditorial

Gallimard réédite "En URSS 1936" de Pierre Herbart. Un journal du séjour que le gendre de Gide fit en URSS pour la revue Littérature Internationale. Il y est longuement question du voyage que Gide fit lui-même en URSS, averti avant même de partir par un Pierre Herbart plein de désillusions. Lire ici une critique parue dans l'Humanité.

Hamid Grine évoquait lors de récents entretiens ce projet : Le Café de Gide vient de paraître en Algérie aux Editions Alpha. Je n'ai pas encore pris connaissance de ce roman mais l'article qu'on peut lire ici à son sujet est assez alléchant.

mercredi 1 octobre 2008

Gide et Freud

1922 : L'Introduction à la psychanalyse, première traduction française d'une œuvre importante de Freud vient de paraître chez Payot et commence ce que Jules Romains appelle "la saison Freud" dans la NRF du 1er janvier 1922, raillant bien davantage les salons qui s'emparent du phénomène que le phénomène lui-même. Martin du Gard est lui aussi très impressionné et l'écrit à Marcel de Coppet le 5 février. Tout l'entourage de Gide est en effervescence.

"Freud. Le freudisme… Depuis dix ans, quinze ans, j'en fais sans le savoir", rétorque Gide dans son Journal le 4 février 1922. Bien avant cela serait-on tenté de dire en citant l'exergue à Paludes (1895), cette sotie placée sous le signe de l'inconscient – "On dit toujours plus que CELA." - "Cette part d'inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu."

Gide a très probablement entendu parler de Freud dès 1918 lors de son voyage en Angleterre. Le frère de son professeur de langue anglaise Dorothy Bussy n'est autre que James Strachey qui s'intéressa très tôt aux études de Freud avant d'entamer une cure avec le maître dans les années 20, de devenir psychanalyste et traducteur de ses oeuvres vers l'anglais.

L'auteur de l'excellent Gide à Cambridge, David Steel, est aussi celui de deux études sur Gide et Freud* dans lesquelles on apprend que Gide dit avoir rencontré l'oeuvre de Freud pour la première fois au printemps de 1921 dans une lettre à André Lang citée par Steel. Et c'est vers Dorothy Bussy que Gide se tourne dans une autre lettre du 26 avril 1921 pour tenter de rencontrer Freud ou du moins d'en obtenir une préface à Corydon :

"J'achève la lecture (dans la Revue de Genève) d'un troisième article de Freud sur"l'Origine et le développement de la psychanalyse" – (je n'ai pas pu me procurer les deux premiers) [...]. C'est décidément très sérieux. A vrai dire il ne me dit rien (Freud) que je n'aie déjà pensé ; mais il met au net une série de pensées qui restaient en moi à l'état flottant – disons : "larvaire". [...] Il faut absolument que j'entre en relation avec Freud. Votre frère le connaît n'est-ce pas, et ne refusera pas de m'introduire auprès de lui [...] Je rêve déjà d'une préface de lui à une traduction allemande de Corydon, qui pourrait bien peut-être précéder la publication française. [...] Cette préface de Freud pourrait souligner l'utilité et l'opportunité du livre."

Un contact semble bien s'établir entre les deux hommes, bref, au moins une lettre perdue lors de l'arrivée du nazisme mais attestée par Anna Freud et une réponse qui va décevoir Gide : Freud lui refuse la préface mais aussi toute caution à son Corydon. Une édition confidentielle en a été faite en 1920 et Gide attendra 1924 pour en donner une édition "officielle". Quatre années au cours desquelles la percée de Freud est à la fois un soutien aux théories de Gide mais aussi une concurrence qui opère sinon sur le même champ de bataille, du moins tout près...

Fin 1921 et début 1922, Gide participe aux soirées de la psychanalyste Eugenia Sokolnicka, où il se montre un élève curieux mais finalement pris entre assoupissement et rires (voir les comptes-rendus qu'en fait Gide dans son Journal le 16 mars 1922 et la Petite Dame dans ses Cahiers). Pour Gide, les théories freudiennes sont trop systématiques et il a horreur des systèmes.

"Ah que Freud est gênant ! [...] Que de choses absurdes chez cet imbécile de génie !". Le mot est lâché ce 19 juin 1924 dans le Journal. Il y entre aussi un peu de cette mauvaise foi coutumière chez Gide qui, lorsqu'on lui refuse quelque chose ou qu'on le déçoit, n'hésite pas à faire passer à la trappe des passages de son Journal voire à le ré-écrire...

Il réglera encore ses comptes dans le plus psychanalytique de ses romans : Les Faux-monnayeurs** où l'on retrouve notamment Mme Sokolnicka devenue Mme Sophroniska en analyste du petit Boris. Un "cas" qui sera à son tour étudié en 1930 dans la célèbre revue de psychanalyse Almanach der Psychoanalyse par le Dr. Editha Sterba sous le titre "Le suicide d'un écolier dans le roman d'André Gide Les Faux-Monnayeurs", article inédit en français cité lui aussi par David Steel.

Du Journal des Faux-Monnayeurs au roman lui-même jusqu'à ce prolongement viennois, on peut encore poursuivre la mise en abyme chère à Gide et conclure par le commentaire que fait Roger Bastide dans Anatomie d'André Gide :

"Gide, il est vrai, semble avoir connu Freud assez tard. Il le lit mal d'abord; il croit reconnaître en lui ses propres idées; c'est une attitude banale, et que nous trouvons chez d'autres écrivains; on ne voit alors en Freud que le théoricien de la sexualité et il est évident que la littérature française s'est toujours intéressée à dépister les jeux du sexuel. Lorsqu'il le lira ensuite avec plus d'attention, il comprendra mieux tout ce qui le sépare de la psychanalyse et il attaquera la méthodologie de Freud. Le psychiatre de Vienne croit guérir ses malades en changeant ses démons en anges; il ne se doute pas que ses anges sont aussi dangereux que les diables infernaux, pour fuir les flammes on se réfugie dans un ciel sans nuages; mais Gide déteste la fuite; nous sommes dans le réel et nous devons vivre avec lui. Ainsi l'analyste des Faux-Monnayeurs croit avoir guéri le petit Boris de ses pratiques masturbatoires; elle n'a fait que changer le contenu de son cérémonial sexuel et le nouveau rituel qui le remplacera, dans l'imaginaire, conduira finalement l'enfant que l'on avait cru sauver et qui se serait certainement sauvé s'il avait continué ses plaisirs solitaires, à la plus impitoyable des morts."

__________________________

* David Steel, "Gide et Freud", Revue d'histoire littéraire de la France, janvier-février 1977, n°1, pp. 48-74 et "Gide lecteur de Freud", Littératures contemporaines, 1999, n°7, pp. 15-36
** Voir Jean-Yves Debreuille, "La psychanalyse en question dans Les faux-monnayeurs", Semen, 09, Texte, lecture, interprétation, 1994