vendredi 31 août 2012

Une rentrée gidienne

Désormais bel et bien annoncé par Flammarion pour le 19 septembre prochain, le second tome de Gide l'inquiéteur par Frank Lestringant tirera-t-il son épingle du jeu dans le flot des 646 titres de la rentrée littéraire ? Couvrant la période 1919-1951, la suite de Le ciel sur la terre ou L'inquiétude partagée s'intitule Le sel de la terre ou L'inquiétude assumée. La première de couverture n'est pas encore connue mais l'éditeur donne déjà la présentation :

Gide, après 1918, invente le personnage de l'intellectuel moderne, un rôle que Sartre et Foucault, entre autres, assumeront à leur tour d'après son exemple. Gide n'a ignoré aucun des grands courants de son siècle, symbolisme, naturalisme, dadaïsme, surréalisme, réalisme socialiste. Acteur majeur de la vie littéraire et intellectuelle pendant plus d'un demi-siècle, Gide a bien mérité le titre de « contemporain capital » qui lui a été décerné de son vivant.
Car Gide est bien l'adversaire de la société bien pensante qui l'a engendré à son dam. Or ce grand témoin, dont l'influence critique, voire révolutionnaire, n'a cessé de s'étendre, a été le maître à penser de plusieurs générations.
Ce second volume de sa biographie couvre les trente-trois dernières années de sa vie. C'est le Gide de la seconde maturité, dont l'influence déborde les frontières, un Gide omniprésent dans le débat public, qu'il s'agisse d'interroger les rapports entre religion et morale, de dénoncer les abus de la colonisation, d'exalter ou de critiquer le communisme soviétique, de prôner la liberté de l'individu face aux oppressions.
C'est à Gide que nous devons certaines de nos libertés, quelques-unes aussi de nos interrogations en matière de morale sexuelle, de tolérance religieuse, ou de dialogue entre les peuples et civilisations.
La leçon de Gide, soixante ans après sa mort, est plus que jamais actuelle.






Tamara Levitz, professeur de musicologie à l'Université de Californie à Los Angeles et spécialiste de la musique moderne, signe avec Modernist Mysteries: Perséphone une étude qui dépasse le champ de la seule exploration musicologique. S'attachant aux rebondissements qui entourent la première de Perséphone et aux rapports entre ses protagonistes (Gide, Stravinsky, Ida Rubinstein, Copeau...), l'auteur explorent les quatre thèmes importants du modernisme : la religion, la sexualité, la mort et la mémoire historique en art.







Présentation de l'éditeur :

Modernist Mysteries: Perséphone is a landmark study that will move the field of musicology in important new directions. The book presents a microhistorical analysis of the premiere of the melodrama Perséphone at the Paris Opera on April 30th, 1934, engaging with the collaborative, transnational nature of the production. Author Tamara Levitz demonstrates how these collaborators-- Igor Stravinsky, André Gide, Jacques Copeau, and Ida Rubinstein, among others-used the myth of Persephone to perform and articulate their most deeply held beliefs about four topics significant to modernism: religion, sexuality, death, and historical memory in art. In investigating the aesthetic and political consequences of the artists' diverging perspectives, and the fall-out of their titanic clash on the theater stage, Levitz dismantles myths about neoclassicism as a musical style. The result is a revisionary account of modernism in music in the 1930s.

As a result of its focus on the collaborative performance, this book differs from traditional accounts of musical modernism and neoclassicism in several ways. First and foremost, it centers on the performance of modernism, highlighting the theatrical, performative, and sensual. Levitz places Christianity in the center of the discussion, and questions the national distinctions common in modernist research by involving a transnational team of collaborators. She further breaks new ground in shifting the focus from "history" to "memory" by emphasizing the commemorative nature of neoclassic listening rituals over the historicist stylization of its scores, and contends that modernists captured on stage and in philosophical argument their simultaneous need and inability to mourn the past. The book as a whole counters the common criticism that neoclassicism was a "reactionary" musical style by suggesting a more pluralistic, ambivalent, and sometimes even progressive politics, and reconnects musical neoclassicism with a queer classicist tradition extending from Winckelmann through Walter Pater to Gide. Modernist Mysteries concludes that 1930s modernists understood neoclassicism not as formalist compositional approaches but rather as a vitalist art haunted by ghosts of the past and promissory visions of the future.
Voir aussi le très beau site de l'auteur.





En juillet dernier les Presses Académiques Francophones donnaient une nouvelle édition revue et augmentée (tout comme son prix !) de la thèse soutenue en 2000 par Christophe Duboile et publiée en 2002 à L'Harmattan : André Gide-André Ruyters : un dialogue littéraire (1895-1907). Contribution à l'histoire de la littérature francophone de Belgique. Présentation de l'éditeur :



André Ruyters (1876-1952) est une figure bien oubliée de la littérature européenne. Si l’on se souvient qu’il co-fonda La Nouvelle Revue française, c’est à peine si l’on sait encore qu’il fut aussi écrivain. Pourtant, de 1895 à 1907, ce Bruxellois, entré en littérature à dix-neuf ans, a entrecroisé ses œuvres à celles d’André Gide (1869-1951) pour donner naissance à un riche dialogue littéraire. Le présent ouvrage tente d'en mettre en évidence la singularité et d’en comprendre l’évolution, à la lumière de la correspondance échangée entre les deux hommes. Par sa triple approche textuelle, biographique et psychologique, il cherche à analyser le rôle que Gide a joué dans la formation de Ruyters écrivain, et dans le développement de ses œuvres. Cet essai se veut une contribution à la connaissance d’un auteur quelque peu oublié appartenant à une époque où la correspondance littéraire était particulièrement riche et vivante, et de l’histoire de la littérature francophone de Belgique au tournant du XXème siècle.











L'Association des Amis de Jean Giono a la bonne idée de donner une nouvelle édition de la Correspondance André Gide – Jean Giono, établie et annotée par Roland Bourneuf, Jacques Cotnam et Jacques Mény. Ce hors-série de la Revue Giono ajoute quelques lettres à la précedente édition devenue rare, tout comme les textes et documents donnés en annexe. Quatrième de couverture :


De 1929 à 1940, au moins, André Gide et Jean Giono ont entretenu, à l’initiative du premier, une correspondance fidèle, bien qu’irrégulière, dont témoignent quarante-trois lettres, cinq cartes et trois télégrammes publiés ici. (cela «sonne» étrangement, les deux participes sur le même plan). Cet échange épistolaire fut prolongé par plusieurs rencontres, à Paris, à Manosque ou sur la Côte d’Azur, la dernière d’entre elles ayant eu lieu en 1949 à Saint-Paul-de-Vence. Dix ans plus tôt, Gide avait consacré quelques pages (demeurées inédites du vivant des deux écrivains) à la défense Giono, arrêté à la déclaration de guerre. En 1951, à la mort de Gide, Giono a tenu, pour sa part, à lui rendre hommage dans La Nouvelle Revue Française. Ces deux textes sont repris à la suite de leur correspondance, augmentée d’autres lettres, textes et documents actuellement disponibles, dont certains inédits. S’y ajoute un inventaire de la bibliothèque gidienne de Giono, le tout constituant l’ensemble le plus complet jamais publié sur la relation et l’amitié entre André Gide et Jean Giono.



André Gide - Jean Giono, Correspondance 1929-1940
établie et annotée par R. Bourneuf, J. Cotnam et J. Mény
Association des Amis de Jean Giono, 2012
ISBN : 978-2-9529970-6-5, 12€







Toujours côté correspondances, signalons celle entre Francis Viélé-Griffin et Henri de Régnier, établie, présentée et annotée par Pierre Lachasse aux Editions Honoré Champion :


Ce volume réunit 575 lettres qui racontent la double histoire d'une amitié fraternelle née sur les bancs du collège Stanislas et d'une lutte poétique partagée en arrière-plan par la génération de 1885. La correspondance entre Régnier et Vielé-Griffin, commencée avant la vingtième année, possède la spontanéité de la jeunesse avec ses élans de révolte et de passion, ses anathèmes et ses palinodies. Elle constitue une véritable expérimentation de la littérature, témoignant de la genèse de leurs œuvres et de leur combat pour construire une poésie nouvelle fondée non plus sur la soumission à des dogmes immuables, mais sur la libération du vers. Le rythme des échanges épistolaires s'accélère l'été 1886 quand Vielé-Griffin choisit de séjourner chaque année de longs mois en Touraine, puis après la fondation des Entretiens politiques et littéraires (1890), dont le ton polémique et paradoxal contribue à la victoire des valeurs symbolistes. Il décroît après l'entrée de Régnier dans le milieu Heredia. En dépit de leur brouille survenue en 1900, leur amitié passionnée au service de la poésie demeure un merveilleux voyage en Arcadie dont les lettres que l'on va lire témoignent pour la postérité.




Henri de Régnier-Francis Vielé-Griffîn. Correspondance (1883-1900)
Édition établie, présentée et annotée par Pierre Lachasse,
ISBN 978-2-7453-2348-4, 1016p., 210€
(impossible de donner un lien direct vers la fiche du livre : le site de l'éditeur 
est non seulement lamentable sur le plan technique mais aussi pratique.
Seule solution : une recherche avec l'ISBN puisqu'il ne connaît pas les auteurs...)




Nous aurons bien sûr l'occasion de revenir plus en détail sur certains de ces livres. En attendant rappelons, pour un tour d'horizon complet, les récentes parutions et rééditions autour des Faux-monnayeurs déjà évoquées ici ou la Correspondance André Gide - Paul Fort elle aussi déjà signalée .

mercredi 22 août 2012

... vu par Kléber Haedens


« André Gide (1869-1951) eut, comme Péguy, des débuts littéraires très obscurs, mais bien avant Péguy et beaucoup plus profondément, il exerça une emprise frémissante sur des jeunes gens fiévreux, assaillis de questions et de doutes. André Gide est l'initiateur de toute une partie de la littérature qui respire entre 1920 et 1940.

Cet homme timide, évasif et prudent, mais aussi héros de confessions courageuses et publiques (Si le grain ne meurt...) a voulu demeurer toujours insaisissable. Tous ceux qui l'ont connu, ses visiteurs et ses amis ont donné de lui des images contradictoires, parfois d'une dureté surprenante. Gide a pris soin, lui-même, d'attiser toutes ses contradictions et d'embrasser les antipodes. « Les extrêmes me touchent. » Elevé parmi les soupirs du symbolisme, il arrive à l'époque où l'on revient à la vie, à la vie dangereuse de Nietzsche, à la vie illégale d'Oscar Wilde. Il s'agit, pour lui, de détruire les contraintes, de briser avec les lois et les coutumes, de rompre avec les traditions de la morale des familles et de libérer sur les chemins du monde l'adolescent pur et voluptueux. L'entreprise de Barrès pour rattacher le jeune Français à sa province natale, à sa famille, à sa terre, à ses morts, éveille son ironie. Gide hait les familles où l'enfant étouffe, où les désirs se meurent et il fait signe à l'inconnu qui passe sur les routes et appuie son beau visage de démon à la fenêtre où l'enfant ébloui l'aperçoit. Gide refuse les âmes paisibles et les certitudes, l'engourdissement mortel du bien-être moral, les conventions qui règlent les actes de la vie et le cours tranquille des pensées. Il lui faut sans tarder arracher le jeune homme, Nathanaël, Bernard ou Lafcadio, au point où il se fixe et lui montrer que la vérité (Dieu) se trouve partout, c'est-à-dire ailleurs, à l'opposé du lieu où l'on se trouve et que, seul, le départ peut donner un sens à la douceur du retour (Le Retour de l'enfant prodigue).

Il convient d'entrer dans la vie, comme le navire qui s'enfonce dans l'onde amère et la fend, avec une extrême ferveur. Que les fruits sont beaux sous les cieux étrangers ! Voici le soleil, les sources dans le désert et les arbres qui embaument. Un courant souterrain glisse dans l'âme et lui apporte cette inquiétude qui aiguise les sensations et permet de ne se reposer sur rien et de ne jamais trouver un moment d'arrêt qui serait fatal à l'imprudent voyageur. Gide va même si loin dans la libération de l'individu qu'il ordonne à son disciple de rejeter son livre pour fuir absolument seul et sans le secours d'un guide à la recherche des extrêmes de la vie, pour conduire cette quête incessante que rien ne peut endormir et combler. Mais Gide sait bien que son disciple gardera Les Nourritures terrestres à portée de l'esprit et qu'il prépare pour l'appareillage des escadres d'enfants gidiens. Bientôt, la destruction de toute règle devient elle-même une règle. La ferveur, l'inquiétude, la fuite, l'état de disponibilité, l'acte gratuit, le refus de tout choix sentimental ou raisonné prennent le poids difficilement supportable de mots d'ordre intransigeants. Aucun écrivain, en effet, ne pèse aussi lourdement qu'André Gide sur ses disciples et ne leur emprisonne plus sûrement l'esprit. Tous les gidiens se ressemblent et ce sont, en général, des garçons falots qui n'ont pas très bien compris leur maître et se donnent de naïves audaces. Il leur a longtemps suffi de caresser les jeunes Arabes, de se rompre l'âme à des tourments vrais ou faux et de se pâmer dans les vergers d'Afrique du Nord pour se croire enivrés des sources cachées de l'existence. Gide offre pourtant d'autres leçons.

Il a eu le très grand mérite de comprendre que les règles de l'art n'étaient pas celles des débauches avouées. Plus qu'aucun autre écrivain de son temps, il s'est imposé une discipline, il s'est plié aux plus rudes contraintes. Gide, écrivain, ne connaît pas une seconde de liberté, ne goûte jamais sa minute d'ivresse et de folie. Ses premiers ouvrages sont gâtés par les molles grâces et le vocabulaire recherché du symbolisme. Mais à mesure qu'il avance vers sa perfection, il se dépouille de tout ornement emprunté et ne laisse pas un mot à l'aventure. C'est pourquoi Gide a pu exercer sur ceux qui l'ont bien compris une influence qui a surpris ses adversaires. Toutes les facilités qu'il offrait d'une main, il les refusait de l'autre. La conscience qu'il montrait dans son travail, la façon hautaine dont il repoussait le succès, sa résistance aux abandons, aux défaites, sa vigilance et sa maîtrise de soi l'inscrivent fortement dans la tradition française. Gide a donné une grande leçon de classicisme vivant : il a montré comment un écrivain nourri de Racine et de La Bruyère, fidèle à cet ordre harmonieux qui donne force et réalité à l'œuvre d'art, pouvait troubler la sensibilité d'une époque. André Gide est de ceux qui ont maintenu le rayonnement de notre littérature dans le monde.
Que reste-t-il de son œuvre ? Gide n'est pas l'homme d'un livre impérissable. Comme Jean-Jacques Rousseau, il laissera, sans doute, le souvenir d'un personnage dont les gestes et les écrits auront eu, à un moment donné, une grande importance. Les Faux-Monnayeurs, où il a voulu unir et croiser tous les thèmes proprement gidiens qu'il tirait de ses méditations sur la vie, demeureront l'une des tentatives les plus curieuses et les plus intelligentes du roman français, Le Roi Candaule et Œdipe ne devront jamais être oubliés dans une histoire de théâtre, mais c'est dans le Journal que l'on ira chercher André Gide, avec son visage inquiet, ses doutes et la somme fuyante de ses pensées. »

(Kléber Haedens, Une histoire de la littérature française
Les Cahiers Rouges, Grasset, 1989, pp.300-302)

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Il est fait mention de Gide à de nombreuses reprises dans ce livre qui couvre dix siècles de littérature, et qui appartient d'ailleurs à cette histoire comme le monument célèbre mais discret qu’il constitue dans le paysage des lettres. Deux mots sur son auteur :
Du temps qu'il y avait encore des critiques, Kléber Haedens fut un passeur important. Secrétaire de Maurras, journaliste littéraire et sportif à l'Action Française (spécialiste de la « balle ronde » et surtout de l'ovale dans ce journal où il était interdit d'user de vocables anglais), il faisait régner une « terreur du bon sens et du goût » qui dépassait le carcan des dogmes politiques. Et ne reculait devant aucune provocation. Son Histoire de la littérature française le montre bien, qui fut écrite en 1943 – Kléber Haedens a alors 30 ans à peine – et remise à jour en 1970.
« Kléber Haedens écrivait du haut d'un belvédère majestueux et imprenable : l'audace. Avec un garde-fou : l'érudition », commente Etienne de Montety dans le livre qu'il lui consacre (Salut à Kléber Haedens, Grasset, 1996). On ajoutera que le panorama est aussi ordonné avec style. Ce même style qu'on retrouve dans ses romans : citons Salut au Kentucky (1947), L'été finit sous les tilleuls (1966) ou Adios (1974) qui tiennent encore très bien le choc dans la mêlée..

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mardi 21 août 2012

Méfiez-vous du wikimachin






Bibliographie de Gide, selon Wikipedia
(capture d'écran du 14 août 2012)


Avez-vous lu Vie gâchée, d'André Gide ? Moi non, et sans doute vous non plus. En revanche, je sais désormais comment gâcher du temps : en consultant le site Wikipedia !

Un membre du groupe Facebook nous signale que ce livre a ainsi figuré pendant longtemps dans la bibliographie donnée par cette encyclopédie faite par des singes savants à l'usage des singes ignorants.

Et c'est loin d'être la seule erreur, approximation ou interprétation farfelue dans cette page sur Gide (voir comment le reading group du Guardian s'est laissé abuser par cette pseudo-encyclopédie le mois dernier et comment Pierre Assouline en conclut qu'il ne faut pas se laisser wikipéder...).

On ne saurait trop conseiller aux étudiants sérieux de l'éviter. Rappelons qu'il existe une notice biographique impartiale sur le site Gidiana et des repères bibliographiques du côté de andre-gide.fr.

lundi 20 août 2012

Correspondance avec Paul Fort



André Gide - Paul Fort Correspondance (1893-1934)
édition établie, présentée et annotée par Akio Yoshii, 
Centre d'Etudes Gidiennes, Tupin et Semons, 2012


 
En marge de sa scrupuleuse édition critique du Retour de l'Enfant prodigue (Presses Universitaires du Kyushu, Fukuoka, 1992), Akio Yoshii donnait déjà quelques-unes des lettres échangées entre Gide et Paul Fort. Enquêtant depuis longtemps sur les liens de Gide avec l'auteur des Ballades Françaises, Akio Yoshii nous livre aujourd'hui l'ensemble connu de leur Correspondance (1893-1934) dans le vingtième volume publié par le Centre d'Etudes Gidiennes.

Une correspondance pleine de trous et dont il ne subsiste que 43 lettres (15 de Gide et 28 de Fort) mais que Akio Yoshii rapièce à l'aide de commentaires, de notes et de documents très intéressants. Il nous plonge notamment dans les coulisses des revues littéraires qui évoluent et naissent alors : La Plume, que Fort reprend en mains, L'Ermitage où Gide donne ses si injustement méconnues Lettres à Angèle, Vers et Prose créée par Fort et où paraîtra le Retour de l'Enfant prodigue, la NRF enfin. Ces deux dernières naviguant de conserve jusqu'à la guerre.

Les rapports entre Gide et Fort se distendent alors, et c'est par une note de la Petite Dame qu'on a confirmation du peu de goût de Gide pour le « délire poétique » de Fort. Un Paul Fort finalement bien méconnu, sur qui nous n'avons, comme le souligne Akio Yoshii, qu'une monographie très incomplète dans les Poètes d'aujourd'hui de Seghers, des Mémoires très chaotiques et des archives dispersées. Cette Correspondance, précieuse et impeccable jusque dans son index, n'en est que plus importante pour la recherche sur ce Prince des Poètes au règne le plus long !



mercredi 8 août 2012

Quoi de neuf ?

Comme il est de coutume, un point sur l'évolution du blog à l'occasion d'une importante mise à jour et qui concerne les différentes sections du site :

Les documents sonores peuvent désormais êtres lus directement à partir du blog grâce à des lecteurs intégrés. Trois nouvelles émissions ont été ajoutées : une analyse du Thésée par des élèves d'une école d'art et les deux parties de Par Ouï Dire de La Première (RTBF) avec Philippe Hellbois, l'auteur de Lacan lecteur de Gide Editions Michèle, 2011).

On retrouve Philippe Hellebois du côté des documents vidéo avec un enregistrement réalisé par la Librairie Mollat et un long entretien en quatre parties avec les membres de l'Association de la Cause Freudienne en Belgique. Et c'est en six parties – presque trois heures ! - que Yann Moix interroge Frank Lestringant pour le magazine La Règle du Jeu. A voir enfin : « Re-translating Gide's Thésée for the 21st century », l'intervention de Helane Levine-Keating (Université Pace, New-York) lors d'un colloque à la Fondation Singer-Polignac.

Les ressources en ligne continuent elles aussi de s'accumuler. Il y a désormais 333 articles de revue, thèses, livres et documents divers recensés, tous consultables gratuitement. La dernière moisson est de 17 documents en français (dont deux numéros de la Revue d'Histoire Littéraire représentant chacun une dizaine d'articles différents) et 2 en anglais :

ABDALLAH EL SOKATI Chahira : André Gide au miroir de la critique : « Corydon » entre œuvre et manifeste
BONNET Henri : Il n'est pas prouvé que Gide ait menti
BORNECQUE Jacques-Henry : André Gide et Du côté de chez Swann
BROGNIET Eric, JAMME Emile : Fontaine, Un engagement au service de la poésie et de la liberté
de Jacques Rivière
DIVAY Gaby : English and French Decadents in Germany: Felix Paul Greve’s Translations of Wilde, Gide & Wells, 1902–1909
EGLI Irina : Lumière de nuit ; et La ligne de fissure : la construction des personnages dans Les faux-monnayeurs d'André Gide
GOULET Alain : André Gide, notice du Dictionnaire Octave Mirbeau
GUAY Patrick : Jean Schlumberger
LOUETTE Jean-François: Bataille et Dostoïevski via Thibaudet, Gide, Chestov.
MARTEL Jean-Philippe : Discordes à La Table Ronde (1948-1954): Paulhan, Mauriac, Laurent et les autres
MASSON Pierre : Gide et Mirbeau
MURESAN Maria : Les chambres vides d’André Gide
NAKACH Geneviève : Jean Malaquais (1908-1998)
REVUE D'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE : Les avant-gardes et la critique : le rôle de Jacques Rivière
REVUE D'HISTOIRE LITTERAIRE DE LA FRANCE : Roger Martin du Gard
SCIANNAMBLO Ralph : Signification et portée du personnage de Ménalque chez Gide
SIMS Nicholas : Gide et Conrad
TATEKAWA Nobuko : Le Changement de l'Esthétique d'André Gide de 1926 à 1946. Etude de Geneviève et de Thésée
WALKER David H. : Assuming homosexuality : the correspondence between André Gide and Eugène Rouart

Un mot enfin des réseaux gidiens : avec 94 membres dans le groupe Facebook, l'activité est de plus en plus régulière et les échanges intéressants comme actuellement autour des livres numériques à l'occasion de la mise sur le marché de nombreux titres de Gide en version epub. On peut y découvrir chaque jour plusieurs liens vers des articles de journaux ou de blogs évoquant Gide, mais aussi les artistes de son époque ou des sujets d'actualité, non moins gidiens... Une petite partie de cette activité se reflète dans le fil d'actualités Twitter qui figure désormais en tête de ce blog.

J'allais oublier : ce billet est le 502ème ! En route vers 500 autres !

lundi 6 août 2012

... vu par Jules Romains (2/2)

 
« Les amis du Vieux-Colombier se rappellent que je fus chargé, en plus de l'école proprement dite, d'organiser des conférences, avec, éventuellement, récitation de textes — lesquelles récitations, ou lectures, étaient confiées à des acteurs du théâtre. Je m'en occupai très sérieusement. J'eus l'occasion de constater que des acteurs excellents lisaient mal, obéissaient à de vieilles traditions des plus contestables. Je m'efforçai de les habituer à mettre dans la diction des textes littéraires les qualités de simplicité et de naturel que Copeau leur recommandait pour les textes de théâtre.
C'est dans cette fonction d'organisateur des conférences que je fus amené à hospitaliser celles que Gide voulait consacrer à Dostoïevsky, dont le Théâtre du Vieux-Colombier avait joué Les Frères Karamazov. Je ne me souviens pas que ces conférences de Gide nous aient causé des embarras quelconques. Tout au plus me souviens-je que la tendance générale de ces conférences — qui furent sauf erreur au nombre de trois* — marquait un désir, à mon avis discutable, de faire de Dostoïevsky un apôtre de l'homosexualité**. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que cette arrière-pensée du conférencier, que nous avions peu de mérites de percer à jour, fut saisie par le public, auquel l'œuvre de Gide était loin d'être familière, ainsi que sa personne.
C'est dans la même catégorie que se range un autre souvenir que j'évoque parfois avec humour. Cela se passe dans mon bureau directorial du Vieux-Colombier. De quoi s'agit-il au juste ? je ne sais plus. Peut-être desdites conférences. Depuis quelque temps déjà j'avais rasé ma barbe ; et l'opinion de mon entourage discrètement approuvait cette transformation. Gide me dit, sans préparation : « Vous savez que vous êtes beau ! » Je me sentis embarrassé. Quelle était l'intention de Gide ? La réputation, justifiée, qu'il avait donnait à une telle déclaration un sens qu'elle n'aurait pas eue dans une autre bouche. Je détournai la conversation, sans nullement me prévaloir de ce jugement de connaisseur.
Je me rappelle encore ce jour de 1913 où Gide, qui venait de les recevoir et de leur consacrer dans la Revue une note pleine de bienveillance, me parla des Copains (qui venaient de paraître chez Figuière). La conversation avait lieu au sortir de la boutique, rue Madame, où la N.R.F. logeait alors.
Gide me dit : « Vous devez être content d'avoir écrit ce livre. Dans la création littéraire l'élément comique n'est nullement à dédaigner. »
Or l'année suivante paraissaient Les Caves du Vatican. Je n'étais pas assez un familier de Gide pour savoir de quand au juste dataient la conception de cette œuvre*, et sa découverte de la place qui peut revenir au comique dans la pensée et dans le style. Autrement dit, il m'était impossible de mesurer la part qu'avaient pu avoir les Copains, à titre de précédent et d'exemple, dans l'élaboration des Caves. Ce que l'on pouvait affirmer avec certitude, c'est que Les Copains ne devaient rien aux Caves, en particulier quand Bénin célèbre dans Les Copains les vertus de l'acte gratuit et de l'acte pur.
Ce qui n'a point empêché plus d'un juge soi-disant clairvoyant, et même plus d'un lecteur, d'attribuer à Gide une antériorité en la matière. Comme si, en fait de priorité, dans la mesure où la question se pose, c'était l'âge respectif des écrivains qui comptait, et non l'âge des œuvres.
Je dois dire qu'à ma connaissance Gide ne s'est jamais servi lui-même de ce faux argument.

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*   *

En revanche, je ne lui ai jamais tout à fait pardonné le rôle qu'il joua dans ce que j'ai appelé l'affaire de L'Armée dans la Ville. Je l'ai raconté, pages 147 et suivantes, dans le livre que m'a consacré André Bourin, et qui s'intitule : Connaissance de Jules Romains, discutée par Jules Romains**.
Les faits que je rapporte sont, hélas ! incontestables. Les hypothèses que je forme sur le rôle de Gide dans l'affaire ne comportent pas le même degré de certitude. Mais tout ce que nous savons du caractère de Gide et de sa politique nous rend ces hypothèses très probables.

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*   *

Je me revois encore, lui faisant visite rue Vaneau, à la fin de sa vie. Je n'ai pas retenu nos propos dans le détail. Néanmoins, je l'entends encore me parler d'un recueil d'essais, que j'avais publié à New York et que je lui avais envoyé.
« C'est un aspect de votre œuvre que je n'aime pas spécialement », me dit-il, sans m'en donner la raison.
Je le revois également, à la même époque, le soir de la générale des Caves du Vatican au Français. Alors que la plupart des auteurs dramatiques se cachent pudiquement en de pareilles circonstances, Gide, vêtu de sa grande cape et de son chapeau à larges bords, se tenait planté au milieu du hall d'entrée et, de ses yeux bridés, regardait arriver les spectateurs. »

(Jules Romains, Amitiés et rencontres, Flammarion, 1970)

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* En février-mars 1922, Gide donne en réalité six conférences sur Dostoïevski au Vieux-Colombier qui paraîtront dans La Revue Hebdomadaire les 13, 20, 27 janvier et 3, 10, 17 février 1923 (reprises la même année en un volume chez Plon-Nourrit. On les trouve aujourd'hui avec d'autres textes sur Dostoïevski dans André Gide, Dostoïevski, idées NRF, Gallimard, 1964, et dans les Essais critiques de la Pléiade).
** On sait que les livres de Gide ont des origines, des motivations très en amont de leur écriture. Les Caves sont imaginées dès 1905 et l'épisode du train est dans les brouillons dès 1911. En outre l'ébauche de la théorie gidienne de l'acte gratuit se trouve déjà dans Paludes (1895) et Le Promethée mal enchaîné (1899). Et si l'on devait chercher des influences, ce serait davantage du côté de Dostoïevski, comme le montrent les conférences évoquées plus haut, ou de Nietzsche... Sur cette tendance de Romains à voir des « plagiats » un peu partout, voir dans le même volume de souvenirs la notice consacrée à Martin du Gard...
*** Dans la NRF d'avril 1911, Apollinaire éreintait L’Armée dans la ville, drame unanimiste de Jules Romains. A la demande de Gide selon Romains : « [...] on était venu dire à ce parfois naïf Apollinaire (le même qui se laissait compromettre par le voleur de la Joconde) : « Allez-y ! Ne vous gênez pas ! Cette pièce a été l'objet d'éloges ridicules. Ayez le courage, vous, de la démolir ! » L'inspirateur de la manœuvre, c'était Gide bien entendu [...] » (Connaissance de Jules Romains, André Bourin, Jules Romains, Flammarion, 1961, p.151). Ce fut la seule et unique contribution d'Apollinaire à la NRF. « Et il demeure peu contestable que, pour attaquer Romains – fut-ce en devant le regretter ensuite – Apollinaire n'avait nul besoin d'être « manœuvré » par Gide et ses amis » commente d'ailleurs Claude Martin dans son édition de la correspondance André Gide - Jules Romains (Cahiers Jules Romains, vol.1, Flammarion, 1976).

vendredi 3 août 2012

... vu par Jules Romains (1/2)


« ANDRÉ GIDE

C'est à propos de La Vie unanime que je fis la connaissance d'André Gide. Il en avait fait, dans la Nouvelle Revue Française qui venait de se fonder*, un compte rendu intelligent et bienveillant.
Il me cita quelques noms d'écrivains, auxquels il lui semblait que je devais envoyer ou porter mon recueil. En particulier André Suarès et Charles Péguy. Je crois même qu'il me donna une lettre d'introduction pour certains d'entre eux.
C'est armé de cette recommandation que je me présentai chez eux. Sans être franchement déçu, je les trouvai un peu inférieurs à l'idée que je m'en faisais. André Suarès me reçut avec un souci évident de mise en scène. Il tint à me faire savoir qu'il m'accordait une grande faveur en consentant à perdre vingt minutes avec moi. Il me dit, d'un air grave : « Surtout ne communiquez mon adresse à personne. Ne dites à personne que je vous ai reçu. » Dans l'ensemble j'eus l'impression d'être en face d'un photographe d'art.
Chez Péguy, dans la boutique qu'il occupait alors rue de la Sorbonne, la mise en scène était différente, mais je n'eus pas davantage l'impression d'authenticité. Péguy s'arrangea pour que j'eusse de mon passage près de lui un sentiment conforme à sa légende, qui était celle d'un travailleur, descendant de travailleurs, et d'un catholique fervent. Il se livra devant moi à des besognes manuelles, comme d'empaqueter des livres ; et, pour être sûr que je le remarquerais, il me déclara qu'il faisait lui-même, de ses mains, les corvées qu'exigeait son petit commerce. D'autre part, il me fit cadeau d'un de ses livres, et y inscrivit une dédicace qui faisait état de la date où nous étions de l'année religieuse, et qui était le vendredi de la semaine sainte.
J'ai souvent pensé à cette entrevue, quand je lisais une étude sur Péguy — étude où ne figurait jamais la moindre réserve touchant la sincérité intégrale de l'homme.

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Le Gide dont je fis la connaissance aux environs de l'an 1910 était partagé entre plusieurs préoccupations, dont les principales étaient le désir de grouper autour de lui les meilleurs éléments de sa génération, et celui d'être en contact avec les meilleurs des jeunes. La fondation de la Nouvelle Revue Française répondait au premier de ces désirs. Cette fondation avait failli être ratée. En donnant une place à des écrivains comme Eugène Montfort, le numéro initial perdait une partie de sa valeur de manifeste. Un second numéro de lancement avait essayé de rattraper cette erreur, et y avait en somme réussi. Il était facile d'apercevoir autour de quelles idées et en faveur de quels écrivains ce rassemblement avait lieu. Ces écrivains étaient d'abord Gide lui-même ; puis Schlumberger, Claudel, Valéry... Les idées, celles de perfection, de solidité classique, au sortir de la tourmente symboliste. Un exemple, sinon un précédent, s'imposait à Gide : celui de Maurice Barrès. Barrès avait évolué en gardant, outre un nombre grandissant de lecteurs adultes et de connaisseurs en littérature, son ascendant sur les jeunes. Obtenir la même chose en évitant l'engagement politique était un but raisonnable.
Malheureusement Gide n'avait, de la jeune littérature, qu'une image très incomplète. Et son nom, sans être inconnu de nous, n'était pas de ceux que nous prononcions avec ferveur. Je me rappelle l'un de nous, René Arcos, nous signalant un jour, en tapotant la couverture d'un livre — je ne sais plus lequel — qu'un certain André Gide, qui en était l'auteur, méritait notre attention.
Dans ces conversations que j'eus avec lui, j'eus la certitude que des noms comme Duhamel, Vildrac, etc., lui étaient aussi inconnus que ceux d'Apollinaire, d'André Salmon, sans parler de Max Jacob ou de Louis de Gonzague Frick, qu'il fallait être de leurs amis proches pour savoir situer.
J'ai raconté ailleurs quelle était ma situation personnelle. J'avais refusé, dès le début, de faire de l'unanimisme une école. J'avais laissé mes amitiés littéraires se former librement.
C'est ainsi que je m'étais lié avec Apollinaire et avec Max Jacob. Tout en me sentant plus près des gens de l'Abbaye (Duhamel, Vildrac, Arcos, etc.), je n'avais pas manqué d'éprouver un vif intérêt pour le groupe dont Apollinaire représentait la tête, ou le centre. Mon rêve avait même été de servir de lien entre ces deux groupes. La création du Dîner de Valois*** n'avait pas été étrangère à cette vue.
Auprès de Gide, et de l'équipe N.R.F., je me plus à jouer un rôle analogue. J'écrivis dans cet esprit un article intitulé La Génération nouvelle et son unité****, que la N.R.F. publia. Je soutins la même thèse dans une conférence que je donnai au Salon d'Automne, sur l'invitation d'Apollinaire.
Donc je m'efforçai d'initier Gide à cette situation. Je me revois dans le pavillon de la Villa Montmorency qu'il habitait alors. Assis sur un canapé, dans une pièce communiquant avec la salle à manger, et prononçant les noms alors tout nouveaux pour lui de Duhamel, de Vildrac, d'Apollinaire*****.
Je ne puis pas dire que je lisais dans son jeu. Mais j'en devinais quelque chose, qui était le désir d'entrer en contact avec cette jeunesse littéraire, et d'en utiliser les tendances divergentes, sinon contradictoires. Alors que je me préoccupais surtout de ce qui pouvait les rapprocher.
La politique de Gide à l'égard des jeunes écrivains se laisse assez bien définir par la formule célèbre, « diviser pour régner »******. Mais il l'appliquait avec modération, et en se trahissant le moins possible.

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Une autre des pensées directrices de Gide était de ne pas se laisser démoder. De rester un « jeune ». Donc d'emprunter aux jeunes leurs secrets, sans en avoir l'air. Il se flattait aussi de lire assez exactement dans la pensée des jeunes pour voir dans quelle mesure ils continuaient ses propres aspirations, et dans quelle mesure aussi ils étaient opposables les uns aux autres sans qu'on courût le risque de les coaliser.
Je dois dire que je n'ai point la preuve de ce qu'il faut bien appeler une certaine perfidie. C'est plutôt une affaire d'impression. J'eus constamment l'impression que l'attitude de Gide envers les jeunes était plus habile que sincère. Par exemple, bien qu'il ait été pendant de longues années le principal inspirateur de la Revue (N.R.F.) et le contrôleur de ses sommaires, il n'en assuma jamais la direction avouée, qui échut successivement à Jacques Copeau, à Jacques Rivière et plus tard à Jean Paulhan.
Du même coup les changements de direction de la Revue ne se traduisaient pas par un changement de politique. Dans quelle mesure chacun des directeurs successifs influait-il sur le recrutement des collaborateurs de la Revue, et plus spécialement sur le ton des notes, il était difficile de le savoir*******. En ce qui concerne le Théâtre du Vieux-Colombier, Jacques Copeau avait trop de personnalité pour accepter de Gide autre chose que des impressions de spectateur, et des conseils d'un ordre très général. Lorsque Copeau décida de m'offrir la direction de l'école théâtrale du Vieux-Colombier, je ne pense pas qu'il en eût demandé la permission à Gide. Lequel n'avait aucune objection de principe à m'opposer, mais aurait pu s'arranger pour que l'initiative de Copeau n'eût pas de suites.

Pratiquement, je n'eus pas à m'apercevoir que la direction de Copeau fût un paravent pour une direction réelle exercée par Gide. Et je ne pense pas que ce fût le cas. »

(Jules Romains, Amitiés et rencontres, Flammarion, 1970)

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* Dans le « second premier numéro » de la NRF, celui débarrassé de Montfort en février 1909, Gide donne, outre les premières pages de La Porte étroite, trois articles : Contre Mallarmé, et des notes sur La Vie Unanime, de Jules Romains, et les Poèmes par un riche Amateur, de Valery Larbaud.
** René Arcos (1880-1959), poète du groupe de l'Abbaye de Créteil avec Vildrac et Duhamel, évoqués plus loin par Romains, il fonde en 1918 les Éditions du Sablier à Genève puis participe avec Romain Rolland à la création de la revue Europe dont il sera le rédacteur en chef jusqu'en 1929.
*** Réunion mensuelle dans un petit restaurant de la rue de Valois organisée à partir d'octobre 1908 par Jules Romains pour rapprocher les poètes unanimistes de l'Abbaye et ceux du groupe d'Apollinaire.
**** Voir ici la liste des articles de Jules Romains dans la NRF
***** Gide avait déjà rencontré Apollinaire lors de dîners en janvier 1908.
****** Gide est pourtant innocent dans les différentes ruptures au sein de ces groupes : Duhamel signera un éreintement d'Alcools dans le Mercure de France; Vildrac et Duhamel prennent également leurs distances avec Romains; paradoxalement c'est la guerre qui rapprochera Apollinaire et Romains alors qu'elle entraînera des tensions entre les beaux-frères Vildrac et Duhamel.