samedi 27 février 2016

Colloque « GIde l'Européen »




Du 16 au 18 mars à l'Université de Haute-Alsace, à Mulhouse, se déroulera le colloque « André Gide l'Européen », organisé par l’Institut de recherche en langues et littératures européennes (ILLE — EA 4363).

Liste des communications :

Meriem AHMED
Thésée et la nouvelle quête de la Cité perdue

Biljana ANDONOVSKA
Gide, le surréaliste : la réception d’André Gide par le surréalisme serbe

Christine ARMSTRONG
Lafcadio Wluiki et Bernard Profitendieu : une double représentation de la bâtardise européenne

Stéphanie BERTRAND
Penser l’Europe d’aujourd’hui avec Gide

Frédéric CANOVAS
« Décidément je n’aime point Rome » : regards ambivalents chez André Gide et Maurice Denis

Stefania CARISTIA
La réception d’André Gide dans les revues italiennes d’après-guerre (1944-1952)

Paola CODAZZI
André Gide et le principe de l’union dans la différence

Martina DELLA CASA
L’Europe chrétienne, l’Europe christique selon André Gide

Paola FOSSA
André Gide et la revue La Voce (1908-1916)

Ambre FUENTES
La réception d’André Gide autour du monde

Mechthilde FUHRER
La « Préface » à l’Avertissement à l’Europe de Thomas Mann par André Gide (1937)

Robert KOPP
Gide et les limites de l’art

Thierry LAURENT
La réception d’André Gide en Lituanie

Pierre MASSON
De la Belgique au Luxembourg : étapes d’une éducation européenne

Vincenzo MAZZA
Gide et Kafka réunis par le théâtre. Le Procès, un spectacle européen ?

Marie-Gabrielle QUENTIN DE GROMARD
L'Œdipe de Gide, un héros nietzschéen ?

Carmen SAGGIOMO
Gide et la culture italienne comme fondement de l’identité européenne

Peter SCHNYDER
« Comment peut-on être Suisse ? »

Elżbieta SKIBIŃSKA
Gide en polonais

Nicolas SURLAPIERRE
Place de l’Europe : Gide et Benjamin

Slaven WAELTI
Gide-Nosferatu ou les séductions du cinéma allemand

Jean-Michel WITTMANN
Gide, du « génie des races » à la « culture européenne »

Maja VUKUŠIĆ ZORICA
Gide, « homme occidental » en Croatie

Avec aussi : 

Du 16 mars au 8 avril,
Portraits d’amis européens d’André Gide
exposition présentée par Jean-Pierre Prévost



samedi 20 février 2016

Lettres à Maurice Saillet

La Librairie Hugues de Bourbon propose, sur e-bay (jusqu'au 24 février 21 heures), un ensemble de lettres de Gide à Maurice Saillet. Cette correspondance est exemplaire du ton libre, de la proximité d'esprit et de jeunesse de Gide avec les jeunes interlocuteurs qui viennent solliciter ses conseils. Glissant un mandat par ici, une proposition d'aide ou d'hébergement par là, Gide s'y montre une nouvelle fois à l'opposé de sa réputation de pingrerie. On notera cette formule alerte :

« [...] c’est folie de prétendre demeurer sage lorsqu’on est au milieu des fous ; de rester sobre parmi des ivres et de garder faux col quand tout le monde est débraillé. J’aime à t’imaginer crasseux et débitant des conneries avec les autres et me sens plus avec toi, plus près de toi, que de Malacki [Jean Malaquais] ou de  [Henri] Thomas qui s'enveloppent le moral de capotes anglaises. » (lettre du 18 décembre 1939)


ANDRÉ GIDE.

5 lettres autographes signées adressées à Maurice Saillet du 13 avril 1935 au 18 décembre 1939.

8 pages in-8 ou petit in-4 (de 220 x 175 à 190 x 150 mm). 5 enveloppes.

Belle et amicale correspondance, datée du Maroc puis de Nice, au jeune Maurice Saillet.

En 1935 au Maroc, Gide conseille amicalement le jeune Saillet qui s’inquiète de devoir partir au service militaire. Il l’incite à accepter cette soumission provisoire : "Mettez, pour un temps somme toute très court, votre amour-propre dans votre proche de derrière. […] Cette soumission même, considérez-la comme un tremplain [sic] d’où prendre élan, plus tard". Saillet ayant évoqué l’idée de partir en U.R.S.S. pour éviter l’armée, Gide l’en dissuade, sachant combien il est difficile d’être accueilli dans ce pays, d’autant plus qu’il y serait considéré comme un déserteur. Il évoque ensuite la publication du compte-rendu de la séance organisée par L’Union pour la Vérité [voir document joint] ainsi que celle de ses Pages de Journal, qui le satisfont peu mais dans lesquelles Saillet pourra sentir sa "constante et impatiente" perplexité au sujet des questions qui le tourmentent.
En novembre 1937, Gide dit toute son admiration pour Melville, dont Billy Budd et Benito Cereno viennent de paraître. Au début de la guerre, en 1939, Gide séjourne à Nice tandis que Saillet est mobilisé. Il lui envoie un mandat à partager en déjeuner avec ses camarades et demande s’il sait ce que devient Henri Thomas, aussi sous les drapeaux. Plus tard, Saillet devant se rendre à Paris, Gide lui propose sa chambre du 6e arrondissement, précisant qu’elle n’est pas chauffée. Il lui suggère de s’adresser à Arnold Naville et à Adrienne Monnier qui pourront l'aider. La dernière lettre, au ton libre et chaleureux, encourage Saillet à se laisser aller : "C’est folie de prétendre demeurer sage lorsqu’on est au milieu des fous ; de rester sobre parmi des ivres et de garder faux col quand tout le monde est débraillé. J’aime à t’imaginer crasseux et débitant des conneries avec les autres".

Critique littéraire et futur Satrape du Collège de Pataphysique, Maurice Saillet (1914-1990) fut le collaborateur d'Adrienne Monnier. Spécialiste de Lautréamont, Jarry et Saint-John-Perse, il édita en 1960 La Porte étroite.

Provenance : Maurice Saillet (Drouot, 1989, n° 151, 156 et 157).

Très bel état de conservation.

jeudi 18 février 2016

Les insoumis ont enfin leur maître

L'actualité nous fournit l'occasion de donner ici une autre lettre de Gide.

Lundi 15 février dernier, Jean-Luc Mélenchon concluait son discours d'entrée en campagne par une citation d'André Gide : 




Après avoir joué du « Familles politiques, je vous hais » pour faire cavalier seul dans cette campagne électorale au grand dam de ses camarades communistes, Jean-Luc Mélenchon devrait se méfier des citations gidiennes...

Celle-ci prend naissance en 1946, alors que Gide est en Egypte, et répond à l'appel d'un jeune homme de 23 ans. Il s'appelle Bernard Enginger. Né à Paris dans une famille bourgeoise, il suit des études au collège de Jésuites d'Amiens, puis dans un lycée parisien jusqu'au baccalauréat avant une classe préparatoire à l'école coloniale. Selon Jean-Paul Trystram, jeune professeur que Gide retrouve en Egypte, et qui va partager le voyage vers l'Inde avec Bernard Enginger (voir lettre ci-dessous), il serait le neveu du dernier gouverneur français de Pondichéry*, qu'il rejoint alors pour travailler dans l'administration coloniale.

Pendant la guerre, Bernard Enginger a pris part dans la Résistance au réseau Turma Vengeance. Il sera arrêté en 1943 par la Gestapo et déporté au camp de concentration de Buchenwald. Ainsi qu'il l'explique dans sa lettre à Gide et dans ses mémoires, les livres de Gide, découverts en 1940 avec Les Nourritures terrestres, l'ont aidé à survivre dans les camps. La lettre à Gide reflète un esprit à la recherche d'un cheminement spirituel : il le trouvera en Inde auprès de Sri Aurobindo et Mirra Alfassa, connue sous le surnom de « Mère », et publiera sous le surnom de « Satprem » de nombreux ouvrages sur le yoga et la « spiritualité » née à Auroville.

« Un bon maître a ce souci constant : enseigner à se passer de lui. » Bref, Gide l'anti-guru lançait dans sa réponse à Bernard Enginger un appel à l'insoumission totale. Et à faire advenir Dieu par l'homme ! Et à préserver la civilisation, la culture ! Mélenchon en « nouveau maître » des insoumis, « sel de la terre » et « responsables de Dieu », avouez que c'est roulant ! A moins qu'à l'image de « Satprem », il ne décide d'ouvrir un ashram, un Mélenchonville. Qu'il se méfie : pour la convertir en déesse, les adeptes de Mère l'ont murée vivante avant de l'empoisonner...

_________________
* Jean-Paul Trystram, Souvenirs sur André Gide, Bulletin des Amis d'André Gide, n° 95, juillet 1992, pp. 311-331

24 février.

A Nag-Hamadi où je retrouve le charmant accueil du docteur Girardot et de Mme Girardot, dont j'avais gardé si bon souvenir. Rencontre inopinée de Jean-Paul Trystram que je retrouve avec un vif et profond plaisir. Il se rend en Afghanistan, pour occuper un poste de professeur à Kaboul ; nous accompagne dans une tournée à travers les champs de canne à sucre et jusqu'au barrage.

Hier soir je reçois cette lettre d'un inconnu : Bernard Enginger, significative au point que j'en veux consigner ici copie :

« Voilà cinq ans que je désire vous écrire. Je découvrais à cette époque vos Nourritures terrestres ; j'avais 17 ans. Je ne saurais vous dire combien j'ai été bouleversé. Depuis, je n'ai plus été le même. Je veux ici vous dire mon respect et mon admiration. Des centaines de lettres pareilles à celle-ci ont dû vous parvenir. Ce n'est pas seulement cela que je voulais vous écrire.

« Je me suis battu cinq ans contre vous. Votre Ménalque sait dire : « Quitte-moi. » C'est trop facile. J'ai lutté contre cette tyrannie spirituelle que vous exerciez sur moi. Je vous aimais, et certains passages de vos livres, m'ont aidé à vivre dans les camps de concentration. J'ai puisé chez vous la force de m'arracher à un confort bourgeois et matériel. J'ai cherché avec vous « non point tant la possession que l'amour ». J'ai fait une table rase pour être neuf à la loi nouvelle. Je me suis libéré. Cela ne suffit pas. « Libre pour quoi ? » C'est la terrible question. Je me suis enfin détaché de vous, mais je n'ai point trouvé de nouveaux maîtres, et je reste pantelant. L'effrayante absurdité des Sartre et des Camus n'a rien résolu et n'ouvre que des horizons de suicide.

« Je vis encore avec tout ce que vous m'avez appris. Mais j'ai soif. Tous les jeunes ont soif avec moi. Vous pouvez quelque chose. Et pourtant je sais que l'on est seul, toujours.

« Je n'attends pas de vous une solution commode à mon petit problème. Ce serait trop facile, une solution collective. Chacun doit trouver son chemin qui n'est pas celui du voisin. Mais une lueur de vous pourrait indiquer le sens qu'il faut prendre... S'il y a un sens.

« Oh! Maître... Si vous saviez le désarroi de toute notre jeunesse... Je ne veux pas abuser de votre temps. Je n'ai pas dit tout ce que je voulais dire. Il y aurait trop à dire.

« C'est un appel que je vous lance. Pardonnez ma maladresse : je sais que vous n'aimez pas la sympathie1.

« Je veux vous dire quand même toute mon immense admiration et l'espoir que je mets en vous.

« Croyez, Maître, à mes sentiments très fidèles et respectueux.

«Bernard ENGINGER.
Hôtel de Paris. Le Caire
(jusqu'au 27 février)
en partance pour Pondichéry. »

Il va prendre à Suez le même bateau que Trystram, qui gagne l'Afghanistan par les Indes. Je confie à celui-ci une première lettre hâtive, qui ne me satisfait guère; puis, à tête plus reposée, écris ceci, sans grand espoir de pouvoir atteindre encore B. E. au Caire — et c'est pourquoi j'en prends copie.

Cher Bernard Enginger,

Pressé par le départ de Trystram, je vous écrivais trop précipitamment hier soir. Voici plutôt ce que j'aurais dû vous dire :

Pourquoi chercher de « nouveaux maîtres » ? Catholicisme ou communisme exige, ou du moins préconise, une soumission de l'esprit. Fatigués par la lutte d'hier, les jeunes gens (et nombre de leurs aînés) cherchent et pensent trouver, dans cette soumission même, repos, assurance et confort intellectuels. Que dis-je ? Ils y cherchent même une raison de vivre et se persuadent (se laissent persuader) qu'ils seront de meilleur service et assumeront leur pleine valeur, enrôlés. C'est ainsi que, sans trop s'en rendre compte, ou ne s'en rendant compte que trop tard, par dévouement — ou par paresse — ils vont concourir à la défaite, à la retraite, à la déroute de l'esprit; à l'établissement de je ne sais quelle forme de « totalitarisme » qui ne vaudra guère mieux que le nazisme qu'ils combattaient.

Le monde ne sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis. Sans eux, c'en serait fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète. Ils sont, ces insoumis, le « sel de la terre » et les responsables de Dieu. Car je me persuade que Dieu n'est pas encore et que nous devons l'obtenir. Se peut-il rôle plus noble, plus admirable et plus digne de nos efforts ?

P.-S. — Oui, je sais bien, j'écrivais dans mes Nourritures : « Non point la sympathie : l'amour. » Mais moi aussi, le premier, j'ai, suivant mon propre conseil, « quitté mon livre », et passé outre. Même à soi-même, il importe de ne point s'attarder.

1. Allusion évidente à une phrase de mes Nourritures : « Non point la sympathie : l'amour. »
 (André Gide, Journal, 1939-1949, pp. 294-296)

mercredi 17 février 2016

Lettre à François Porché


La dernière des Lettres données par Gide dans la NRF entre juin 1928 et janvier 1929 est celle en réponse au livre de François Porché, L'amour qui n'ose pas dire son nom. Le livre a paru fin 1927 chez Grasset, et cette lettre-réponse connaît une succession d'aventures :
  • 19 décembre 1927 : Gide « fait tenir privément quelques passages » de sa lettre à François Porché, nous apprend ce dernier dans la réponse à celle parue dans la NRF de janvier 1929, cette réponse de Porché étant quant à elle datée du 2 janvier 1929. Porché y révèle aussi que Gide et lui se sont rencontrés ce même jour de décembre 1927.

  • le 2 janvier 1928, Gide note dans son Journal : « Ecrit une réponse au livre de François Porché ; où je ne dis pas le dixième de ce que j'aurais à dire. C'est une flèche que je crains d'alourdir. Il est bon de laisser entendre qu'on en a d'autres dans son carquois. Au demeurant, ce n'est pas contre Porché que je tire, et j'espère qu'on le comprendra. »
  • deux jours plus tard, Gide va porter son texte à Maurice Martin du Gard, alors directeur des Nouvelles Littéraires (voir le récit de cette visite de Gide par Martin du Gard) qui laisse passer un peu de temps pour, comme il l'espère, épargner à ses lecteurs « cette scène d’exhibitionnisme ».
  • le 10 février 1928, c'est la Petite Dame qui note : « Il renonce décidément à répondre à Porché ». « Les choses intéressantes que tout de même je disais dans cette lettre que j'ai bien fait de retirer, je les mettrai peut-être en appendice à Corydon » explique Gide à la Petite Dame.
  • le 12 novembre 1928, Gide corrige des épreuves, et la Petite Dame nous apprend : « Ce que Gide corrige aussi, c'est sa réponse à Porché à propos de son livre L'amour qui n'ose pas dire son nom. Il la fit voici longtemps mais ne l'a pas publiée. Nous ne la connaissions pas. Gide compte l’imprimer en queue d'une nouvelle édition de Corydon. Jean [Schlumberger], qui la trouve bonne, objecte qu'ainsi elle n'atteindra qu'un public de seconde zone, précisément celui auquel elle n'est pas destinée. Je propose que Gide la donne dans la N.R.F. »
  • en janvier 1929, la lettre à François Porché paraît dans la N.R.F.
  • mais dans l'édition augmentée de Corydon, portant l'achevé d'imprimer du 27 avril 1929, cette lettre ne figure pas, contrairement aux différentes notes qui semblent avoir colporté cette erreur, depuis les Cahiers de la Petite Dame, à la biographie de Gide par F. Lestringant, en passant par la notice de Corydon dans l'édition des Romans et Récits de la Pléiade en 2009.


A FRANÇOIS PORCHÉ

Janvier 1928.

Mon cher François Porché,

On dit que vous avez écrit un livre courageux1. Je le dis aussi, et que votre grand courage a été, tout en vous opposant au mal, de ne pas faire chorus avec les aboyeurs ; de comprendre et de faire comprendre qu'il y a, dans le sujet que vous traitez, autre chose que matière à anathèmes, à quolibets et à brocards.

Tout votre livre respire, à l'égard de la question, non seulement une intelligence peu ordinaire ; mais aussi une honnêteté, une décence et une courtoisie, (particulièrement en ce qui me concerne), auxquelles je suis peu habitué, et, partant, loin d'être insensible. Il y a plus : je n'ai pu lire sans une émotion profonde les pages où vous évoquez certains souvenirs du temps de guerre, et veux que vous sachiez l'écho que l'expression de votre estime et de votre sympathie trouve en mon cœur.

Combien fut grande ma surprise, en poursuivant ma lecture, de ne rencontrer, de page en page, à peu près rien que je ne dusse approuver. Partout l'on sent le plus sincère effort de ne pas condamner sans juger, de ne pas juger sans comprendre, et j'estime qu'on ne saurait pousser plus loin l'intelligence de ce que pourtant l'on désapprouve.

Si quelques objections, irrésistiblement, se soulèvent en mon esprit au sujet de ce qui touche à ma personne ou à mes écrits, est-ce uniquement parce que mon amour-propre entre en jeu ? Je ne crois pas. Il me paraît que, dans le portrait que vous tracez de moi, certains traits sont un peu grossis, d'autres un peu faussés (sans du reste aucune intention malveillante) et que, pour vous donner plus de raisons de la combattre, parfois vous outrez un peu ma pensée. Enfin cette évolution, cette courbe que vous découvrez dans mon œuvre et dans mon caractère, et que les titres mêmes de vos derniers chapitres dénoncent, cet enhardissement progressif, c'est vous qui l'inventez.

Ainsi vous signalez mon Immoraliste ; mais ne parlez pas de Saül, bien plus topique assurément, publié en 1902 également, mais écrit cinq ans plus tôt. Il ne dépendait pas de moi que la pièce fût jouée ; je fis ce que je pus pour la produire ; Antoine faillit très courageusement m'y aider... Je ne rappelle pas cela pour me targuer d'avoir devancé Proust, mais parce qu'il n'est pas dans mon humeur de jouer ce rôle du Moron de la farce, qui ne descend de son arbre pour combattre l'ours, qu'un autre ne l'ait préalablement mis par terre.

De même, selon vous, je n'aurais « pris que sur le tard cette détermination d'écrire mes mémoires ». Quelques amis communs pourront vous certifier que cette détermination, avec toutes ses conséquences, fut prise dès avant 1900 ; et non seulement la détermination de les écrire, mais bien aussi celle de les publier de mon vivant. Et de même pour Corydon.
Ceci encore, pas très important, mais qui nous ramène à des considérations moins personnelles : vous me faites plus érudit que je ne suis. En général, j'ai plus interrogé la vie que les livres, et, nombre de ceux dont vous parlez, j'avoue que je ne les ai point lus2. Mais, après avoir achevé le vôtre, j'ai rouvert la Divine Comédie et je m'étonne un peu, que, dans le chapitre sur « la tradition de l'anathème », où vous nommez Boccace, Machiavel, l'Arétin, vous n'ayez pas interrogé Dante, le grand poète justicier.

— « Attends ! Avec ceux-ci, il sied d'être courtois », fait-il dire à Virgile, parlant de cette sorte de gens qui vous occupe, si tant est que l'on accepte l'interprétation généralement admise. Car Dante ne précise pas sur ce point, et laisse son lecteur supposer le péché qu'ont bien pu commettre ceux qu'il présente dans le chant XVI de son Enfer, péché que l'on ne peut induire que par raccroc et connaissant d'autre part la vie des damnés que voici ; de Jacopo Rusticucci par exemple, dont une note de Lamennais nous apprend que, marié à « une femme acariâtre, il la quitta et se jeta dans d'infâmes débauches ». Du reste, le chant qui précède semble bien avoir trait également à cette même classe de pécheurs ; et c'est peut-être pourquoi Dante reste si chastement imprécis. D'un medesmo peccato al mondo lerci, se contente-t-il de dire, et tous dans le monde souillés d'un même péché — en parlant de cette troupe dont fait partie Brunetto Latini, son maître ; de cette troupe dont « Ser Brunetto » lui dira : « Sache, en somme, que tous furent clercs et grands lettrés et de grande renommée3 », lorsque Dante lui demandera de lui désigner « li suoi compagni piu noîi e piu somme ».

Madame Espinasse-Mongenet, dans son excellente traduction de l'Enfer, croit également que les deux chants XV et XVI parlent de « ceux qui firent violence à la nature ». Mais, cherchant ce qui différencie la troupe suivante de celle dont Brunetto Latini fait partie, la traductrice hésite et doute si c'est la nature du péché commis. « Il se peut aussi », ajoute-t-elle, « que les âmes soient groupées suivant la profession qu'elles eurent dans ce monde : d'une part les clercs et les hommes de lettres (sodomites dont il est question dans le chant XV) ; de l'autre, les guerriers et les hommes d'état (sodomites du chant XVI) ». Et voici, de cette dernière troupe, les trois damnés qui s'empressent vers Dante : C'est Guido Guerra qui « fit de grandes choses avec sa prudence et avec son épée » — et Madame Espinasse ajoute en note : « Fier et valeureux soldat et sage conseiller. » Puis : « Tegghiajo Aldobrandi, dont la voix, dans le monde, là-haut, aurait dû être écoutée et obéie » ; et une note de Madame Espinasse ajoute : « Valeureux chevalier, homme agréable et sage, accompli dans les armes, digne de foi. » Puis : Jacopo Rusticucci, « vaillant soldat, riche et bon Florentin, homme d'un grand sens politique et moral », dit Madame Espinasse.
Tels sont les homosexuels que Dante nous présente.

Et, que si l'on se refuse à reconnaître dans ces damnés des chants XV et XVI la sorte de pécheurs qui nous occupe, n'admettant pas que Dante ait pu leur faire la part si belle, il faudrait alors reconnaître que Dante ne jette pas Sodome en Enfer, la réservant au chant XXVI du Purgatoire. Ici plus aucun doute possible ; Dante précise à deux reprises le péché de ceux à qui ses premières paroles sont : « O âmes sûres un jour de reposer en paix4 ». Et, de nouveau, ces âmes pécheresses sont celles de poètes de grand renom au temps de Dante.

L'importance que Dante reconnaît à ceux-ci, quand ce ne serait que par la place qu'il leur accorde, la cortesia, pour reprendre son mot, avec laquelle il estime qu'il convient de parler d'eux, et l'extraordinaire indulgence dont il fait preuve à leur égard, s'explique peut-être un peu par le sentiment que Virgile lui-même, « tu duca, tu signor e tu maestro », après l'avoir quitté, irait rejoindre cette troupe5. A moins que l'on ne préfère dire que cette indulgence vînt directement de Virgile. Elle venait sûrement aussi de la considération que l'un et l'autre étaient bien forcés d'avoir pour les gens de valeur qui la composent.

Si je dis tout ceci c'est que votre livre ne le dit pas. Mais ce qui me paraît y manquer surtout, c'est un chapitre, que semblait promettre votre préface, un chapitre qui formerait réponse à cette question que personne n'a l'air de se poser, encore qu'elle me semble inéluctable : — Quelle est, selon vous, dans leurs rapports avec la littérature, le devoir de ces « grands lettrés », j'entends : de ceux qui font partie de cette troupe ? Certes ils ne sont pas tous tenus de parler de l'amour ; mais, s'ils en parlent, ce qui est assez naturel, poètes ou romanciers, devront-ils feindre d'ignorer celui « qui n'ose dire son nom », alors que, si souvent, c'est à peu près le seul qu'ils connaissent ? Car enfin, s'écrier avec tel et tel : « En voilà assez ; la mesure est comble ! », c'est fort joli, mais c'est avouer du même coup qu'on préfère le camouflage. Ne voient-ils qu'avantage dans le travestissement qu'implicitement ils conseillent ? Pour moi je crains que ce constant sacrifice à la convention, consenti par plus d'un poète ou d'un romancier, parfois célèbre, ne fausse un peu la psychologie et n'égare grandement l'opinion.

— Mais la contagion ! direz-vous. Mais l'exemple !...

Pour épouser votre crainte, il me faudrait être un peu plus convaincu que je ne suis :

1° que ces goûts puissent si facilement s'acquérir ;
2° que les mœurs qu'ils entraînent portent nécessairement préjudice soit à l'individu, soit à la société, soit à l'état.

J'estime que rien n'est moins prouvé.

Le snobisme et la mode m'irritent autant que vous ; et, peut-être, sur ces points, plus que vous. Mais je crois que vous vous exagérez leur importance, tout comme celle de l'influence que je peux avoir.

« A qui M. Gide fera-t-il croire qu'on doive préférer l'œillet vert à la rose ? » s'écriaient hier Jérôme et Jean Tharaud. (Et l'on sait ce qu'il faut entendre par ces deux fleurs symboliques.) — A qui ? Mais, à personne. Et je ne puis mieux répondre que par cette question même, à ceux qui m'accusent de pervertir.

Si je m'occupe ainsi de votre livre, mon cher Porché, c'est que, pour la première fois, je me trouve en face d'un adversaire honnête ; je veux dire : que n'aveugle point une indignation préconçue. Et même, à ce reproche de forfanterie que vous formulez et qui s'adresse peut-être un peu à moi, si je ne proteste que faiblement, c'est certain que vous m'accorderez qu'il est bien difficile, où si longtemps la dissimulation fut de rigueur, d'être franc sans paraître cynique, et naturel avec simplicité.
Tout amicalement votre
ANDRÉ GIDE



1. L'amour qui n'ose pas dire son nom.
2. Par contre, parlant de Balzac, vous semblez ignorer son extraordinaire Vautrin, le drame dont la censure (?) interrompit brusquement les représentations en 1840. Balzac y présente un Jacques Collin plus démasqué, plus révélateur que dans le Père Goriot ou les Illusions perdues.
3. Je cite d'après la traduction de Lamennais.
4. Aussi bien ces âmes se sont-elles repenties avant leur mort, ainsi que toutes celles que Dante fait figurer au Purgatoire.
5. II est question, dans ce chant, de deux troupes, que Dante mêle et puis sépare : ceux qui vont criant : « Sodome et Gomorrhe ! » et ceux qui crient : « Dans la vache de bois entre Pasiphaé, pour que le taureau coure à sa luxure », et qui, lorsque Dante les interroge, lui disent assez mystérieusement et improprement : « Nostro peccato fu ermafrodito » ; à quoi Lamennais ajoute en note :« Ce mot indique ici l'union bestiale de l'homme avec les animaux. »

Ici s'achève la publication des lettres données par Gide dans la NRF entre juin 1928 et janvier 1929. On peut les retrouver toutes, sous forme de sommaire avec liens, à partir de la première parution.

lundi 15 février 2016

Lettres à Marcel Proust

Entre juin 1928 et janvier 1929, la NRF publie chaque mois des Lettres de et à André Gide. Cette sélection de lettres, plus quelques autres à Du Bos, fait également l'objet d'une plaquette publiée par la NRF, qualifiée dans la Bibliographie des écrits de André Gide, d'Arnold Naville, « d'édition privée » tirée à 7 exemplaires.

Le sommaire du numéro de novembre 1928 de la Nouvelle revue française s'ouvre sur des Lettres de Marcel Proust et André Gide. C'est la première fois qu'est publiée la célèbre lettre d'excuses de Gide à Proust, dans laquelle il se donne habilement beaucoup de responsabilités dans le refus du manuscrit de Du côté de chez Swann. On sait aujourd'hui que Gide n'avait pris qu'une maigre part dans cette décision collective.



Tout à la fin de ce même numéro, une brève annonce signale la prochaine parution d'un volume des Cahiers Marcel Proust reprenant cet échange entre Gide et Proust. Ce projet ne semble pas avoir été mené à bien, puisque ces lettres ne figureront même pas dans les Lettres à la NRF des Cahiers Marcel Proust en 1932. Elles ne seront reprises que dans Marcel Proust. Lettres à André Gide (Ides et Calendes, 1949) et dans la Correspondance de Marcel Proust établie par Philip Kolb (t. XIII, p. 50-56).

Toutefois, fidèle à sa façon de procéder, et à sa méfiance des posthumes, Gide fera tirer en 1928 par la NRF une plaquette là encore en « édition privée », intitulée Marcel Proust et André Gide. La lettre autographe de Gide à Proust se trouve à la Urbana University of Illinois. Mais le brouillon de ce formidable coup d'éditeur dans lequel Gide s'accuse plus que de raison pour faire revenir Proust à la NRF, portant de nombreuses ratures, a fait l'objet en 2013 d'une vente aux enchères qui fit couler pas mal d'encre, et prouva que Gide a bien réussi son coup...


LETTRES
A MARCEL PROUST

Mon cher Proust,

Depuis quelques jours je ne quitte plus votre livre ; je m'en sursature, avec délices ; je m'y vautre. Hélas, pour­quoi faut-il qu'il me soit si douloureux de tant l'aimer ?...

Le refus de ce livre restera la plus grave erreur de la N. R. F. — et (car j'ai cette honte d'en être beaucoup responsable) l'un des regrets, des remords les plus cuisants de ma vie. Sans doute je crois qu'il faut voir là un fatum implacable, car c'est bien insuffisamment expliquer mon erreur que de dire que je m'étais fait de vous une image d'après quelques rencontres dans « le monde » qui remon­tent à près de vingt ans. Pour moi vous étiez resté celui qui fréquente chez Mme X et Z — celui qui écrit dans le Figaro. Je vous croyais, vous l'avouerai-je ? « du côté de chez Verdurin » ; un snob, un mondain amateur — quel­que chose d'on ne peut plus fâcheux pour notre revue. Et le geste que je m'explique si bien aujourd'hui, de nous aider pour la publication de ce livre, et que j'aurais trouvé charmant si je me l'étais bien expliqué, n'a fait hélas, que m'enfoncer dans cette erreur. Je n'avais pour m'en tirer qu'un seul des cahiers de votre livre ; que j'ouvris d'une main distraite et la malechance voulut que mon attention plongeât aussitôt dans la tasse de camomille de la p. 62 — puis trébuchât p. 64 sur la phrase (la seule du livre que je ne m'explique pas bien — jusqu'à présent, car je n'attends pas pour vous écrire d'en avoir achevé la lecture) — où il est parlé d'un fronton où des vertèbres transparaissent.

Et maintenant, il ne me suffit pas d'aimer ce livre, je sens que je m'éprends pour lui et pour vous d'une sorte d'affection, d'admiration, de prédilection singulières.

Je ne puis continuer... J'ai trop de regret, trop de peine — et surtout à penser que peut-être il vous est revenu quelque chose de mon absurde déni — qu'il vous aura peiné — et que je mérite à présent d'être jugé par vous, injustement, comme je vous avais jugé. Je ne me le par­donnerai pas — et c'est seulement pour alléger un peu ma peine que je me confesse à vous ce matin — vous sup­pliant d'être plus indulgent pour moi que je ne suis moi-même.

ANDRÉ GIDE

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A ANDRÉ GIDE

12 ou 13 janvier 1914.

Mon cher Gide,

J'ai souvent éprouvé que certaines grandes joies ont pour condition que nous ayons d'abord été privés d'une joie de moindre qualité, que nous méritions, et sans le désir de laquelle nous n'aurions jamais pu connaître l'autre joie, la plus belle. Sans le refus, sans les refus répétés, de la N. R. F., je n'aurais pas reçu votre lettre. Et si les mots d'un livre ne sont pas entièrement muets, si (comme je le crois) ils sont pareils à l'analyse spectrale et nous renseignent sur la composition interne de ces mondes lointains que sont les autres êtres, il n'est pas possible qu'ayant lu mon livre vous ne me connaissiez pas assez pour être certain que la joie de recevoir votre lettre passe infiniment celle que j'aurais eue à être publié par la N. R. F. Je peux d'autant plus le dire que quand j'ai éprouvé les mauvaises dispositions de la N. R. F., je n'ai nullement feint d'y être indifférent. Votre ami, (je crois presque pou­voir dire notre ami) Monsieur Copeau peut vous le dire : longtemps après les derniers refus de sa revue, comme je lui souhaitais bonne chance pour son théâtre, je lui écri­vais (je ne me rappelle pas les termes exacts, mais c'était la pensée) : « Mais les résistances que vous rencontrerez de la part des gens qui ne peuvent comprendre votre effort vous seront moins cruelles que celles que j'éprouve de la part de gens qui devraient comprendre le mien. Rappelez-vous que |pour pouvoir sentir mon livre placé dans l'atmosphère qui me semblait lui convenir, j'ai fait bon marché de mon amour-propre et que sans me laisser décourager, ayant un éditeur et un journal, que les ai quittés pour solliciter chez vous un éditeur et une revue, qui, sous aucune forme, n'ont voulu de moi, le mot de l'Evan­gile étant toujours vrai : « Il voulut entrer dans son héri­tage et ne fut pas reçu ». Je me rappelle que je lui citais cette parole et lui disais qu'il était facile de condamner le boulevard, mais qu'aussi il ne faut pas rejeter au boule­vard ceux qui ne sont pas faits pour lui et qui n'écrivent dans les journaux que parce que les revues où ils seraient mieux à leur place ne veulent point d'eux.

Si je vous dis tout cela, mon cher Gide, c'est pour vous montrer que je suis extrêmement sincère si je vous dis que les sentiments que je garde pour vous (en dehors de mon admiration profonde) sont seulement ceux de la reconnaissance la plus émue. Si vous regrettez de m'avoir peiné (et vous l'avez fait encore d'une autre manière mais que je vous dirais plutôt de vive voix si jamais ma santé me permettait de le faire), je vous supplie de ne garder aucun regret, car vous m'avez fait mille fois plus de plai­sir que vous ne m'avez fait de peine. Si vous êtes assez bon pour vous réjouir ou vous affliger, selon le bien que vous avez fait (et je le sais par vos admirables notes d'un juré) soyez heureux. Que je voudrais être capable de faire à quelqu'un que j'aimerais le plaisir que vous m'avez fait. Et tenez, je me rappelle ceci : tout à l'heure je vous disais que j'avais désiré être édité à la N. R. F. pour sentir mon livre dans l'atmosphère noble qu'il me semblait méri­ter. Ce n'était pas seulement cela. Vous savez quand après bien des indécisions on se décide à partir en voyage, le plaisir qui nous a décidé, dont l'image fixe a fini par triompher de l'ennui de quitter sa maison, etc., c'est sou­vent un tout petit plaisir, arbitrairement choisi par la mémoire dans les souvenirs du passé, c'est manger une grappe de raisin à telle heure par tel temps. Et le plaisir pour lequel on part, quand on est revenu on s'aperçoit qu'on ne l'a pas goûté. Or, si je veux être tout à fait sin­cère, ce petit plaisir-là qui me décida tout d'un coup à faire, malade comme j'étais, les absurdes démarches auprès de M. Gallimard, à y persévérer etc., ce fut, je m'en sou­viens très bien, le plaisir d'être lu par vous. Je me disais : « Si je suis édité à la N. R. F. il y a grand'chance pour qu'il me lise ». Je me rappelle que ce fut cela la grappe de raisin rafraîchissante dont l'espoir me fit surmonter l'ennui des coups de téléphone auxquels on ne répondait pas, etc., quand « du Côté du boulevard » on m'adressait au contraire de si gentils appels. Or, ce plaisir-là, plus heureux que le voyageur, je l'ai enfin eu, pas comme je croyais, pas quand je croyais, mais plus tard, mais autre­ment, et bien plus grand, sous la forme de cette lettre de vous. Sous cette forme-là aussi j'ai « retrouvé » le Temps Perdu. Je vous remercie et je vous quitte, mais pour rester avec vous, pour vous suivre toute cette soirée dans « les Caves du Vatican ».
Votre bien dévoué et reconnaissant
MARCEL PROUST

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A MARCEL PROUST

Mon cher Proust,

Je vous écris encore, ayant entendu dire hier qu'aucun traité ne vous lie précisément avec Grasset et ne vous force à lui donner les deux autres volumes, de « A la recher­che du Temps Perdu ». — Serait-il possible, vraiment ?

La N. R. F. est prête à prendre à sa charge tous les frais de publication, et à faire l'impossible pour que le premier volume vienne rejoindre dans sa collection les suivants, aussitôt que l'édition actuelle sera épuisée. C'est ce que le conseil de la N. R. F. a décidé dans sa réunion d'hier (je rentrais de Florence pour y assister) à l'unani­mité et d'enthousiasme : je suis chargé de vous en faire part — et c'est au nom de huit admirateurs fervents de votre livre que je parle. Trop tard ?... ah, dans ce cas, qu'un mol de vous arrête en hâte mon espoir.

Votre dévoué

ANDRÉ GIDE
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A ANDRÉ GIDE

Cher ami,

Vous me permettrez bien, n'est-ce pas, d'user avec vous de ce terme qui m'est vraiment nécessaire, de ce terme poreux qui languit d'habitude, vidé par nous de tout sens, mais qui s'enfle merveilleusement quand je vous l'adresse, empli de tout ce que mon cœur ressent)[sic], je reçois à quel­ques heures de distance votre première lettre, votre livre, et à l'instant votre deuxième lettre, comme des signaux multi­pliés, et qui vont se rapprochant, d'une planète où tout n'est, non pas qu'ordre, calme et volupté, mais que noblesse, grandeur morale, beauté émouvante et suprême. Je vous répondrai dès que je serai un peu moins malade, il faudrait que je me lève pour pouvoir chercher mon traité car je ne me rappelle plus du tout ce qu'il y a dedans. Mais me donnât-il toute liberté, je ne crois pas que j'en userais, par peur d'être peu gentil vis-à-vis de Grasset. Dernièrement Fasquelle (chez lequel je devais primitivement paraître) m'a fait demander (il est vrai que c'est indirectement et je ne peux pas affirmer qu'il ait été aussi formel qu'on me l'a dit) de publier le deuxième et le troisième volume. Je n'y ai même pas songé un instant, ne voulant pas quitter Grasset. Pour la N. R. F. c'est autre chose. C'est l'honneur que j'ai le plus ambitionné, vous le savez, et vous remercierez bien pour moi vos amis de me l'accorder. Mais il ne faut pas que le désir que j'ai de vous dire oui me fasse mal agir à l'égard de Grasset. Je vais y penser, je vous écrirai dans quelques jours. (En tous cas, si je m'y décidais, ce que je ne crois pas, ma condition absolue c'est que les frais de l'édition seraient entièrement à ma charge). Que je suis touché de la bonté de vos amis, dites-le leur, je vous en prie. Il y en a déjà deux à qui je devais beaucoup de reconnaissance, Monsieur Ghéon, et Monsieur Rivière (je pense qu'ils sont des 8 que vous dites), pour des lettres qu'ils m'ont écrites. Celle de Mon­sieur Ghéon était d'autant plus noble (et elle m'a fait bien plus de plaisir que n'aurait pu un « bon article » !) que je m'étais permis de lui écrire que je n'étais pas très content de ce qu'il avait dit de moi dans la N. R. F. J'ai eu bien regret de ce mouvement d'humeur. Mais les faits m'ont fourni ensuite une sorte de justification. Je lui avais parlé des malentendus que créerait son article et du tort qu'il ferait à mon livre. Or depuis, (et cela prouve d'ailleurs combien il fait autorité) j'ai reçu je ne sais combien de coupures de journaux où des critiques ayant une égale faculté d'assimilation et d'oubli citent comme d'eux, des phrases de lui : « M. Proust ne sait rien refuser, il a fait le contraire d'une œuvre d'art ». J'ai été bien heureux de recevoir ces coupures, car elles m'ont rétrospectivement excusé dans une certaine mesure d'avoir écrit cette lettre que m'avait fait tant regretter l'admirable réponse que m'adressa aussitôt Monsieur Ghéon. Cher ami, c'est si bon de causer avec vous que je me fatigue trop et il faut que je vous quitte avant de vous avoir dit rien de ce que j'avais à vous dire. Je vous écrirai dans quelques jours. Et puis, un jour, si je vais mieux, je tâcherai de vous voir. Maintenant que vous avez bien senti, n'est-ce pas, que mes sentiments pour vous ne sont que de reconnaissance, d'af­fection, d'admiration, j'oserai dans la douceur du tête-à-tête où les paroles peuvent faire subir les retouches néces­saires aux paroles précédentes et n'ont pas le caractère impitoyablement définitif et ne varietur d'une lettre, vous confesser un grief que j'avais contre vous et qu'a tellement effacé votre adorable bonté. Ma fatigue me force à vous quitter ici mais je vous assure que c'est avec une véritable tendresse que je vous serre la main.

MARCEL PROUST

Peut-être auriez vous l'idée de demander à Grasset de ne pas m'en vouloir si je lui retirais le livre. Je vous demande de ne pas le faire, parce que ce serait lui révéler que j'en ai eu le désir, la pensée. Or déjà cela n'est pas très gentil. J'y songerai longuement. Si je crois pouvoir le faire, il vaudra mieux que je fasse la démarche nettement. Et si je n'ose pas, il vaut mieux qu'il ne sache jamais que j'y ai un peu pensé.
P. Sc. — Et je vois que je ne vous ai pas parlé de ce qui m'a le plus ému dans votre lettre (au sujet du Journal sans dates).
Vous pensez bien que ce serait pour moi une joie bien plus grande encore que d'être édité à la N. R. F., une joie infinie. Mais votre délicieuse intention me suffit. Ne vous fatiguez pas à cela. Si vous n'y renoncez pas immédiate­ment, vous en garderez l'arrière-pensée et vous finiriez par me prendre en grippe parce que je serai associé par vous à une chose difficile à réaliser. Je suis pleinement heureux ainsi et n'ai pas besoin de plus.

dimanche 14 février 2016

Lettres à Rouveyre 6/6


Dans la NRF. d'octobre 1928, Gide donne à nouveau des Lettres. Un genre inépuisable puisqu’il s'auto-alimente, comme dans cette polémique avec Rouveyre entamée depuis plusieurs numéros. Ce dernier échange porte toujours sur la sincérité : celle des citations...


LETTRES

A ANDRÉ GIDE

Barbizon, 6 août 1928.
Mon cher Gide,

Cette lettre vous dira ma réaction à votre violence de ma réponse. Je désire que vous la donniez « sans y rien changer », puisque vous m'avez obligé à vous dire cela cette fois.
Votre ami,
ANDRÉ ROUVEYRE

Barbizon, 6 août 1928.
Cher Gide,

Ça n'a pas été sans surprise que j'ai vu — dans la N. R. F. d'Août — ma réponse ouverte disloquée par vos soins. Certes, vous avez enveloppé cette violence dans un maximum de savoir faire et en sorte que, apparemment, je n'aurais qu'à me louer de votre procédé. Pourtant, dans un cas tel que celui où j'ai été amené à vous répondre, peut-être voudrez-vous admettre que l'on tienne davantage à ce que l'on signe soi-même qu'à des modifications qui y sont imposées, en manière de fait du Prince, par celui-là même que nous nous proposons de réduire.

Je vous demande : est-il bien autorisé cet adversaire furieux qui, chez lui, dans sa propre maison, alors qu'il nous a proposé le fer, et qu'il nous a porté sa botte à pointe vive, s'avise tout à coup, alors que nous portons à notre tour sur lui, de fausser notre lame par une adminis­tration irrégulière de sa main gauche.

De ces façons-là notre temps a connu quelques exemples tristes et fameux. On les a parfois excusées sur l'égarement qu'avait produit sur le malheureux qui les employait, la menace d'un coup droit. Alors, dit-on, il a perdu l'esprit. Son libre arbitre, son sang-froid, sa dignité, sa responsabi­lité enfin, se sont momentanément obscurcis.

Il y a quelque temps, lorsque j'annonçais dans le Mer­cure que j'allais publier une lettre de vous critiquant mes avis sur le Théâtre, et sur M. P. Valéry : « Soit, m'avez-vous dit, à condition qu'il n'y soit rien changé ». Précau­tion bien superflue et assez surprenante, mon cher Gide, et qui ne laissa pas d'étonner celui à qui elle était adressée sur la singulière mentalité de celui qui la prenait. Je m'ex­plique mieux aujourd'hui le réflexe intime de votre pensée, alors que je vous prends vous-même portant la main sur l'économie de ma réponse, en brisant l'ordonnance, l'équi­libre, en supprimant délibérément le principal document et, à la suite de cette violence, donnant sur ce que vous avez retiré, des informations trompeuses.

Dans le court commentaire où vous semblez compenser par un résumé votre bouleversement de ma lettre, il n'y a pas un seul mot qui ne soit contre la vérité. C'est là un fait patent matériel, dont la preuve est facile :

Vous écrivez : « suivent de nombreuses citations... » Quatre, exactement ; au total une vingtaine de lignes «... de mes lettres de 1923 et 1924... » Pardon. La principale, celle que vous avez enlevée, est du 26 juin 1927. Cela est important puisqu'elle a été écrite par vous justement au sujet de mon livre où sont les observations sur vos amis ; observations que je n'ai fait que reprendre et développer en 1928, et alors pour votre courroux soudain. De cette lettre il res­sort que ce que vous condamnez avec virulence, en 1928, vous l'approuviez avec louange et gratitude en 1927, comme déjà vous l'applaudissiez en 1924, mais voyons ce que vous en dites (de mes citations écartées, y compris cette lettre de 1927) : « qui témoignent en effet ma confiance imprudente et l'affection que j'avais pour Rouveyre avant ses attaques contre ceux qu'il savait mes amis. » Mais, mon cher Gide, vous rapportez vous-même que, lorsque mon étude sur vous a commencé de paraître par tranches, en 1924, aussitôt je vous ai prié de ne pas m'écrire au cours de cette publication afin que je ne sois pas gêné, pendant mon travail, par votre opinion ni vos avis. Ce n'est pas ma faute si vous n'avez pas tenu compte de ma demande de vous réserver. Et, au fait, étant donné que vous me pro­posiez, avec une vive insistance, des changements à mon texte (changements dont je n'ai pas cru pouvoir tenir compte), ce que vous appelez votre « confiance impru­dente », on pourrait peut-être le nommer plus justement : votre immixtion indiscrète et intéressée.

J'avais « attaqué » ceux que je « savais vos amis », et vous croyez que cela justifierait vos offenses ? Ah ! par exemple, c'est délicieux ! Déjà, cela, si c'était franc, la belle raison, ma foi, pour un écrivain, que faire reposer les assurances de sa pensée et les démarches de sa plume sur les circonstances fortuites, sur les convenances de la défense automatique de son clan ! Mais, en vérité ce déplo­rable relâchement qui vous ferait — à vous entendre — vous sacrifier, vous subordonner à autrui, cela n'existe pas. Mon étude vous avait pourtant, de votre aveu, débarrassé de cette imaginaire vessie.

Vous assurez que vous avez publié in extenso les lettres que vous m'avez adressées en 1923 et 1924. Or, in extenso n'est pas exact. Le renard n'a pas abandonné sa façon : comme par hasard, quatre lignes ont par vous été escamo­tées. Souffrez, en faveur de l'in extenso, que je les ramène d'exil :

« J'apprécie particulièrement le paragraphe : « Sur ce point (le pied de nez que j'adresse aux suiveurs) nous aurons la sagesse de nous passer de son avis, car... (car c'est le propre des génies de mettre dans leur train immédiat et dans leurs œuvres, pour le profit de la postérité, maintes choses dont eux-mêmes, et leurs disciples, ne se rendent pas compte »).

Je me reporte, dans mon livre (p. 130), à « ce point » ; et voici mon texte qui vous enchantait tant :

« André Gide a fait lever une foule de littérateurs, comme Barrés a fait lever une foule de patriotes, comme Maurras des régiments de légitimistes, Gourmont d'infatigables jouisseurs... Les esprits qu'il a formés, ou plutôt qui se sont appliqués à se calquer sur lui, ne valent, comme M. Jacques Rivière, que dans la morne qualité de l'ennuyeux, tandis que leur maître a un tel vigoureux et ravissant ressort. Ses disciples mêmes, il a réussi à les retourner contre lui, par sa qualité individuelle, si force­née qu'elle renverse de volonté calculée, mais masquée, jus­qu'à l'attirance et l'affection les plus vives. Gide pour ses sui­veurs, confits et moroses, est une manière de sarcastique Laocoon. »

Voilà, je pense, qui est proprement révélateur de cette double face que vous menez dans le monde. Votre dupli­cité est d'autant plus nécessaire à votre vie que vous êtes heureusement plus anarchique et plus égoïste. Je l'ai décou­vert, et vous en avez été d'accord.

Une seconde fois, mon cher Gide, je remettrai sous vos yeux votre billet retiré de ma réponse à votre outrageante allégation : que vous m'auriez toujours considéré avec pitié et presque comme un irresponsable :

«... J'ai trouvé à vous relire encore plus d'intérêt, de profit et de joie, il me semble, que ne m'avait apporté la première lecture. L'écartement de la distance accentue les reliefs et les ombres ; et combien je vous sais gré aujourd'hui de cette bruta­lité, de cette absence de « ménagements » habituels, qui d'abord pouvait paraître presque blessante, mais qui fait la vraie valeur de votre étude et la mettra, ce me semble, à l'abri de la décom­position où sombreront les complaisances, les fadeurs déjà à demi pourries. Jean de Gourmont se rend-il compte de cela ? Je serais curieux de savoir comment il réagit devant votre portrait de son frère. Certains chapitres (Aspect mortel de Gourmont, en particulier) que je ne connaissais pas encore, me paraissent remarquables et vraiment importants. Je crois que vous avez bien fait de citer mes lettres ; je suis content de vous les avoir écrites, parce que celles que je vous récrirais aujourd'hui, si j'étais d'humeur à écrire, seraient un peu différentes.
Certainement vous m'avez aidé à prendre plus nettement conscience de moi — ce qui, passé 55 ans, n'est plus dangereux, mais profitable. »

A copier cela j'ai du chagrin à considérer l'impasse où votre déraison nous a menés.

Votre ami,
ANDRÉ ROUVEYRE.

*
A ANDRÉ ROUVEYRE

Paris, le 10 août, 1928.
Rouveyre,

J'ai donné, de votre lettre ouverte, sans en rien suppri­mer ni changer, insinuations, insultes et invectives, tout ce qui était de vous. Les citations de moi qui suivaient ne tiennent pas moins de 60 lignes de votre écriture (votre texte à vous en a 106) ; c'est-à-dire que ce florilège tient plus d'un tiers de votre lettre. Le lecteur m'excusera d'in­sister sur ces chiffres, peu conformes, je le regrette, à ceux que vous donnez, dans vos fulgurantes accusations. Il jugera également si vous usiez de ces citations d'une manière honnête :

texte de la dernière lettre citée-par Rouveyre :
Je voudrais, malade, pouvoir me soigner près de vous. Mais vous guérirez — vous guérissez déjà — comme j'ai guéri moi-même, atteint aussi gravement que vous.
parti que tire Rouveyre de ce texte :
« Je voudrais, malade, pou­voir me soigner près de vous». Allons, ce dernier souhait est maintenant exaucé. Portez-vous mieux.

et s'il était possible, à travers vous, de reconnaître ma pen­sée. Je comprends de reste que le rétablissement de mon texte intégral ait pu vous gêner. Vous vous indignez que je ne me sois pas laissé refaire.

Dans votre lettre d'aujourd'hui, vous vous servez d'un autre texte de moi d'une manière aussi perfide ; voici les lignes de ma lettre du 31 octobre 1924 que vous me repro­chez d'avoir escamotées :

« J'apprécie particulièrement le paragraphe : Sur ce point (le pied de nez que j'adresse aux suiveurs) nous aurons la sagesse de nous passer de son avis, car... »

— C'était tout.

J'avais laissé tomber ces lignes parce que, sans la citation complète (que je n'avais pas eu la patience de rechercher dans votre livre) elles ne me paraissaient point présenter d'intérêt. Ce paragraphe, le voici : « Sur ce point nous aurons la sagesse de nous passer de son avis, car c'est le propre des génies de mettre dans leur train immédiat et dans leurs œuvres, pour le profil de la postérité, maintes choses dont eux-mêmes, et leurs disciples ne se rendent pas compte ». Ces lignes me plaisaient particulièrement, répondant exacte­ment à ce que, dès 1895, j'exprimais dans l'Avant-propos de Paludes1. Mais vous ne vous contentez point de réta­blir le texte de vous que j'approuve : vous en profitez pour glisser sous sa protection le long paragraphe qui le pré­cède, et que l'on a pu lire plus haut cité par vous-même ; un des plus cacographiques précisément qui soient jamais sortis de votre plume, terminé par une comparaison avec Laocoon que je cherche en vain à comprendre. C'est ce texte-là qu'il vous importait de me faire approuver, et par­ticulièrement certaine flèche contre Jacques Rivière ; car c'est là que vous voulez en venir : me convaincre de trahi­son envers mes amis.

Je laisse le lecteur juge de l'honnêteté de ce procédé. Tous ceux qui ont connu Rivière savent qu'il se serait indigné, plus encore que moi, de vos allégations inju­rieuses et que jamais je ne lui donnai lieu de mettre en doute la profonde affection que je n'ai cessé de lui porter.

Sur un seul point je n'ai que des excuses à vous faire : en effet, j'ai écrit par mégarde : « lettres de 1923 et 1924 », sans m'aviser que la plus longue de ces citations était d'une lettre de 1927 qui ne figure pas dans votre volume. La voici. Les lecteurs (et je m'excuse de lasser ainsi leur patience) auront déjà pu la lire quelques pages plus haut, puisque vous prenez soin de la citer vous-même. Ils juge­ront si j'avais quelque raison que ce soit d' « escamoter » ce texte. J'y cherche en vain les armes que vous prétendez retourner aujourd'hui contre moi :

« ... J'ai trouvé à vous relire encore plus d'intérêt, de profit et de joie, il me semble, que ne m'avait apporté la première lecture. L'écartement de la distance accentue les reliefs et les ombres ; et combien je vous sais gré aujourd'hui de cette bru­talité, de cette absence de « ménagements » habituels, qui d'abord pouvait paraître presque blessante, mais qui fait la vraie valeur de votre étude et la mettra, ce me semble, à l'abri de la décomposition où sombreront les complaisances, les fadeurs déjà à demi-pourries. Jean de Gourmont se rend-il compte de cela ? Je serais curieux de savoir comment il réagit devant votre portrait de son frère. Certains chapitres (Aspect mortel de Gourmont, en particulier) que je ne connaissais pas encore, me paraissent remarquables et vraiment importants. Je crois que vous avez bien fait de citer mes lettres ; je suis con­tent de vous les avoir écrites, parce que celles que je vous récri­rais aujourd'hui, si j'étais d'humeur à écrire, seraient un peu différentes2. Certainement vous m'avez aidé à prendre plus nettement conscience de moi — ce qui, passé 55 ans, n'est plus dange­reux, mais profitable. »

Et c'est exprès que j'aurais laissé tomber cela !

Mais les mots « par mégarde » vous font sourire (ou ricaner), bien résolu que vous êtes à ne voir qu'astuce et rouerie dans ma façon d'agir. Libre à vous.

ANDRÉ GIDE


1. « Avant d'expliquer aux autres mon livre, j'attends que d'autres me l'expliquent. Vouloir l'expliquer d'abord, c'est en restreindre aussitôt le sens; car si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela. — On dit toujours plus que cela. — Et ce qui surtout m'y intéresse, c'est ce que j'y ai mis sans le savoir, — cette part d'inconscient, que je voudrais appeler la part de Dieu. — Un livre est toujours une collaboration, et tant plus le livre vaut-il, que plus la part du scribe y est petite, que plus l'accueil de Dieu sera grand. »
2. Les mots que je me permets de souligner prennent aujourd'hui une signification particulièrement savoureuse.

samedi 6 février 2016

Walter Benjamin, un opéra à Lyon


Le festival de mi-saison de l’Opéra de Lyon se déroulera du 15 mars au 3 avril. Quatre œuvres seront présentées, dont Benjamin, dernière nuit, une création de Michel Tabachnik, sur un livret de Régis Debray. En quatorze scènes, ce drame lyrique met en scène les derniers instants de Walter Benjamin avant son suicide à Portbou, le 26 septembre 1940, en faisant défiler les grandes rencontres qui ont jalonné sa vie : Hanna Arendt, Arthur Koestler, Bertolt Brecht ou André Gide. Plus d'infos.

A signaler : samedi 6 février à 18 heures, en préambule au festival, Régis Debray évoquera la vie de Walter Benjamin. Plus d'infos.

Une parenté avec les Faux-monnayeurs ?


Dans les Brèves critiques du Monde des livres, Violaine Morin attire notre attention sur un livre de Patrice Franceschi : Il est minuit, monsieur K. (Points, 2016).

« Ce roman à l’atmosphère de film d’espionnage doit beaucoup à un aîné, Les Faux-Monnayeurs, d’André Gide, à qui l’auteur emprunte une morale de la vérité et du mensonge, mais aussi un style qui manie avec dextérité et ironie l’art de la maxime », explique la critique.

Présentation de l'éditeur :

Dans un bar perdu de Madagascar, le bar de la Dernière Chance, deux agents secrets, Monsieur O et Monsieur K, s’affrontent pour la possession du dossier le plus incroyable de l’histoire de l’espionnage : le dossier Alpha. Son contenu empêchant tout emploi de la force, ils ne disposent, le temps d’une nuit, que de la puissance des mots pour vaincre ou mourir. À minuit, un combat hors normes s’engage.
À la fois roman philosophique sur le mensonge et comédie amère sur la pantomime du monde, Il est minuit, monsieur K est le face-à-face de deux hommes confrontés à la certitude tragique qu’il n’existe d’autre vérité que celle des jeux de masques.

Écrivain, aviateur et marin, Patrice Franceschi partage sa vie entre écriture et aventure. Ses romans, nouvelles, récits, poésie ou essais sont inséparables d’une existence engagée, libre et tumultueuse, où il tente « d’épuiser le champ du possible ». En 2015 il a reçu le prix Goncourt de la nouvelle pour Première personne du singulier.


Deux rendez-vous à Bordeaux


Si vous l'avez manquée à Aix-en-Provence, l'exposition réalisée par Jean-Pierre Prévost : Alain-Fournier - André Gide - Jacques Rivière : trois écrivains dans la guerre, est présentée par la librairie Mollat du 5 au 26 février 2016 au « 91 », rue Porte-Dijeaux à Bordeaux. 

L’exposition retrace les années de guerre et de captivité de Jacques Rivière, figure majeure de la littérature française du vingtième siècle et directeur de la Nouvelle Revue Française, celle de son beau-frère et ami Alain-Fournier, l’auteur du Grand Meaulnes, mort au front en 1914 et celle d’André Gide, qui l’a découvert et fidèlement soutenu. Gide a co-dirigé avec Edith Wharton pendant ces années le Foyer franco-belge, organisme officiel d’aide aux réfugiés. Saint-John Perse a été très lié avec Jacques Rivière et André Gide, il a seulement eu le temps de rencontrer Alain-Fournier.

L’exposition est composée de reproductions en grand format de photos d’époque, issues de collections privées, pour la plupart inédites. Elles sont accompagnées d’extraits des Carnets de guerre et de l’Allemand de Jacques Rivière, extraordinaire journal rédigé jour après jour pendant sa détention.


Présentation par Jean-Pierre Prévost :





La librairie Mollat de Bordeaux accueille également une table ronde organisée par le Centre Montaigne/TELEM (Université Bordeaux Montaigne), sur le thème : Le cabinet du biographe, Autour de Montaigne, Machiavel et Gide, mercredi 17 février 2016 à 18h.

Présentation : 


« Ecrire la vie reste un horizon inaccessible et pourtant il anime depuis toujours le désir de raconter et de comprendre », écrit François Dosse à l’ouverture de son ouvrage intitulé Le Pari biographique. Ecrire une vie (Editions de la découverte, 2005). Depuis les années 1980, la biographie connaît un véritable engouement sur le plan de la production aussi bien que de la réception en même temps qu’elle subit une radicale transformation en s’ouvrant à d’autres disciplines, comme l’histoire sociale et culturelle ou la psychanalyse. Genre hybride et complexe, en tension entre histoire et fiction, elle suscite divers questionnements. En amont, sur les motivations du biographe, ses intentions, la relation qu’il entretient avec son sujet, sur sa méthode, ses difficultés et ses choix. En aval, sur la réception de la biographie : que cherche en somme le lecteur ? Une meilleure connaissance de la vie, de l’œuvre et de la pensée du « biographé » ? Une expérience de l’altérité ou une « ré-assurance de soi » ?

Philippe Desan (Université de Chicago), Frank Lestringant (Université Paris-Sorbonne) et Sandro Landi (Université Bordeaux Montaigne) répondront à ces questions en nous faisant part de leur expérience de biographes.