samedi 30 janvier 2010

Les Faux-monnayeurs à l'écran

Télérama, par la voix de ses envoyés spéciaux au FIPA où était projeté Les Faux-Monnayeurs de Benoît Jacquot en avant-première jeudi dernier, est le premier à saluer "un film vibrant, qui respecte l'auteur dans l'esprit et souvent à la lettre". A lire ici.

Schiffrin et la Pléiade

Le Figaro Magazine revient sur l'histoire de la Bibliothèque de la Pléiade, un peu avant les quatre-vingts ans de cette entreprise éditoriale qui ne connaît pas la crise.

Le Charles Baudelaire paru en 1931 chez l'éditeur Jacques Schiffrin avait emballé Gide. Aussi lorsque les Éditions de la Pléiade/J. Schiffrin & Cie, créées en 1923*, connaîtront des difficultés financières, Gide et Schlumberger insisteront auprès de Gaston Gallimard pour reprendre la collection au sein des Editions Gallimard. Deux ans de lutte et de discussions avant d'arriver à un accord.

Sur les liens puis l'amitié entre Gide et Schiffrin la Lettre de la Pléiade n°2 d'octobre-novembre-décembre 1999, dans son Histoire de la Pléiade, a consacré un petit article intitulé "Mon ami Schiffrin" André Gide et la Pléiade qu'on peut consulter en ligne. Et 18 numéros plus tard, la même Lettre de la Pléiade saluait la publication de leur correspondance**...

La correspondance entre Gide et Schiffrin - 250 lettres - avec un avant-propos d'André Schiffrin, fils de Jacques, montre bien la commune exigence éditoriale tant sur le texte que sur la forme des deux hommes. On y suit aussi l'élaboration de la première édition du Journal de Gide, première œuvre d'un auteur vivant à entrer dans la Bibliothèque de la Pléiade.



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* Gide était déjà de l'aventure du premier livre paru aux Editions de la Pléiade/J. Schiffrin & Cie en 1923 : La Dame de pique, traduction de Pouchkine signée Gide et Schiffrin.
**André Gide — Jacques Schiffrin, Correspondance (1922-1950), Avant-propos d'André Schiffrin. Édition établie par Alban Cerisier, Collection « Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 2005.

jeudi 28 janvier 2010

...vu par Claude-Michel Cluny

«Une fois tombés ses « prétextes », comment l'œuvre de Gide va-t-elle subir l'usure du temps ? Nous ne lisons plus Voltaire par rapport à son époque, mais pour ce qu'il peut nous dire, comme s'il écrivait aujourd'hui, et pour la manière de le dire.
Il est possible, et même probable, que les témoignages courageux de Gide, ses critiques du colonialisme et du communisme, ne soient plus lus que pour leur valeur documentaire, comme demeurent exemplaires les batailles de Voltaire pour la liberté de la pensée et de l'individu. Mais c'est l'œuvre de l'écrivain dont l'avenir reste indéchiffrable. Sa diversité a donné dans tous les genres avec un inégal bonheur. Je ne crois pas aux maigres romans gnangnan, pas davantage aux Faux-Monnayeurs, mais aux petits traités du début, si originaux, peut-être aux Caves, aux souvenirs et, certainement, au Journal. Les générations qui viennent n'imagineront pas de quel empois moral il a contribué à nous débarrasser. Pour moi, il m'a conforté dans un souci d'exigence. La liberté sexuelle, elle m'était acquise, naturellement, sans questions inutiles : je voulais aimer qui j'aimais, et n'avais besoin ni d'un guide ni d'un blanc-seing. Mais il a eu, certainement, une influence libératrice sur beaucoup, et surtout sur la société. Ce n'était pas rien !

Gide n'aurait jamais souffert par amour – mais qu'en sait-on ? Ce genre d'assertion me laisse sceptique. Et puis, il n'y a pas qu'une manière d'aimer et de souffrir, brevetée, étiquetée, jetée dans la rue à la criée...
»

Claude-Michel Cluny, Le silence de Delphes (Journal littéraire, tome 1, L'invention du temps, 1948-1962), La Différence, 2002.

Lacan via Delay

« Je ne qualifie pas le style, il est épatant. Ex : « Et nous arrivons ici à une à une remarque digne d'attention. » Voilà comment il fallait écrire Paludes. » (Paul Valéry à André Gide, lettre 168, Correspondance avec Paul Valéry, Gallimard, 2009)


A lire en ligne : le texte de Jacques Lacan sur La jeunesse d'André Gide, paru dans la revue Critique, n° 131 en 1958.

mercredi 27 janvier 2010

BAAG n°165

Le Bulletin des Amis d'André Gide n°165 (janvier 2010) vient de paraître. Au sommaire :

- Gide et Jean-Marc Bernard. L'abeille et les guêpes (suite et fin). Par Pierre Masson. [La première partie est parue dans le BAAG n°164 (octobre 2009) avec le sous-titre « Quand André Gide flirtait avec les royalistes ».]

- Gide et la « sagesse » de Prométhée. La difficile restructuration d'un mythe. De Claude Foucart.

- L'adaptation théâtrale des Caves du Vatican de 1933. De Sonia Anton. [Relevé des variantes entre la version de 1933 pour les Belletriens de Lausanne et celle du volume V du Théâtre complet publié par Heyd en 1948 - variantes qui n'ont pas pu entrer dans l'édition récente de la Pléiade mais qui montrent une fois de plus l'intérêt de Gide pour le théâtre...]

- Journal de Robert Levesque, (octobre 1948-janvier 1949). [Suite de ce journal inédit]

- Dossier de presse des Nourritures terrestres (Marc Lafarge dans L'Effort, juillet-octobre 1897 et Gabriel Trarieux dans L'Art et la Vie, juillet 1897) et de Robert (René Lalou dans L'Europe nouvelle, 15 mars 1930).

- Tableaux d'une exaspération. Sur une édition illustrée des Poésies d'André Walter. Par Pierre Masson. [Voir ici cette nouvelle édition des Poésies dont P. Masson fait sentir tout ce qu'elles portent en germe...] Suivi d'une note d'Alain Goulet refusée par Europe sur cette même édition.

- Chronique bibliographique et Varia


Le BAAG est disponible par abonnement et envoyé aux membres de l'Association des Amis d'André Gide.

Abonnement au Bulletin seul (4 numéros/an) : 28€ (abonné étranger : 36€ )

Cotisation annuelle (4 bulletins + cahier annuel) : 39€ (adhérent étranger : 46€)

Plus d'informations sur cette page de Gidiana.

lundi 25 janvier 2010

Biographies d'André Gide

Poursuivons le recensement des livres utiles pour aborder Gide par les biographies. Ou plutôt "la" biographie... Alors qu'on dispose de nombreux témoignages, souvenirs, essais ou études critiques, les biographies complètes de Gide ne sont pas légion. Il en existe de partielles :

- La jeunesse d'André Gide, de Jean Delay, Paris, Gallimard, deux volumes parus en 1956 (André Gide avant André Walter 1869-1890) et 1957 (D'André Walter à André Gide 1890-1895). Ami et médecin de Gide, ce neuropsychiatre qualifiait son étude de "psychobiographie".

- Vie d'André Gide (1869-1909). Essai de biographie critique. I. André Gide avant la fondation de la NRF, de Pierre de Boisdeffre, Paris, Hachette, sorti en 1970 ce volume est resté sans suite.

- La maturité d'André Gide, de Claude Martin, Paris, Klincksieck, paru en 1977 et couvrant les années 1895 à 1902, version abrégée de la thèse soutenue par l'auteur en novembre 1973 à la Sorbonne.

- André Gide et le premier groupe de la NRF (1908-1914), d'Auguste Anglès, Paris, Gallimard, trois volumes parus entre 1978 et 1986 qui, comme leur titre l'indique, restent cantonnés à un aspect très précis de la vie de Gide.

- André Gide ou la vocation du bonheur, tome 1, 1869-1911, de Claude Martin, Paris, Fayard, paru en 1998. Le second volume n'a toujours pas été publié à ce jour.

Au découragement des biographes face à cet auteur qui semble avoir tout dit s'ajouterait-il une sorte de malédiction ? Claude Martin, qui avec son Gide par lui-même récemment évoqué ici avait déjà tracé les grandes lignes de le vie et de l'œuvre, réussira-t-il à publier le second volume de cette biographie qui se voulait "totale" ?

Il faut signaler encore :

- André Gide, de Jean-Jacques Thierry, Paris, Hachette, 1986, biographie un peu succincte, de Jean-Jacques Thierry on retiendra plutôt le Gide paru en 1962 dans la collection Pour une bibliothèque idéale de Gallimard qui est un "collage" intéressant et sur lequel je reviendrai...

- Gide, le "contemporain capital", de Eric Deschodt, Paris, Perrin, 1991, est assez médiocre, sans doute une œuvre commandée à ce journaliste qui n'était pas particulièrement investi par son sujet...

- André Gide. A Life in the Present, de Alan Sheridan, Londres, Hamish Hamilton, 1998, en anglais of course, et que je n'ai pas lu.

André Gide, le Messager, de Pierre Lepape,

Paris, Seuil, 1997


La seule biographie complète à ce jour est donc celle de Pierre Lepape intitulée André Gide, le Messager parue en 1997 au Seuil. Par chance, elle est très bonne et a été rééditée en 2001 en format de poche par les éditions Points. On doit aussi à Pierre Lepape des essais biographiques sur Diderot et Voltaire et une étonnante traversée de onze siècles d'histoire littéraire et d'histoire tout court : Le pays de la littérature, Paris, Seuil, 2003.

Dans sa préface, Pierre Lepape ne manque pas de souligner le "curieux labeur" qu'il entreprend : "dresser le portrait d'un écrivain dont l'œuvre entière est un autoportrait, sans cesse remanié, retouché, replacé sous de nouvelles lumières." Il ne faut pas se fier au titre un peu niais d'un "Gide messager" qui laisserait penser que Gide ne fut qu'un "passeur". Par ce titre il faut plutôt entendre qu'il y a chez Gide le message encore vivant d'un "intellectuel pour notre temps".

Chaque chapitre, un par année, s'ouvre par une citation emblématique. Pierre Lepape n'est d'ailleurs pas avare de citations, laissant la parole à Gide tout en gardant la bonne distance, critique, biographique justement, précisant là les intentions de Gide ou soulignant ici ses contradictions et ses erreurs de jugements. Appelant encore à la barre les témoins de l'époque.

Bref un biographe "qui évite de briller aux dépens de son sujet, cite avec à-propos, maintient des liens égaux avec l'Histoire et l'intimité du seigneur de Cuverville (Seine-Maritime) et, surtout, en pareil cas, dissipe le plus redoutable des écrans de fumée, l'écran des confidences à répétition. Les écrivains qui font profession de se raconter par le menu sont quelquefois les plus opaques", estimait Angelo Rinaldi lors de la sortie de cette biographie.


En format de poche aux éditions

Points Littérature, Paris, 2001

lundi 18 janvier 2010

Influence d'André Gide

En passant, une petite scène comme il en arrive souvent, trouvée sur ce blog intitulé Au jour le jour...

samedi 16 janvier 2010

André Gide par lui-même

Pour débuter l'année et répondre à une demande qui m'a été envoyée, j'entame une revue de quelques-uns des meilleurs livres permettant d'aborder l'homme et l'œuvre - biographies, ouvrages de critique générale ou abordant un thème particulier mais embrassant la vie entière de Gide. Je commence avec l'un des meilleurs à mon avis : André Gide par lui-même, de Claude Martin.


«Nous vint l'idée de petits livres où des écrivains de toujours seraient à la fois relus par des écrivains d'aujourd'hui et présentés en une brève anthologie, par eux-mêmes. On convenait aussi qu'il y faudrait des illustrations. Et l'on commanda un Victor Hugo à Henri Guillemin, un Stendhal à Claude Roy. Aux problèmes techniques soulevés par cette nouvelle formule en collection de poche, Marie-Jeanne Noirot, responsable de notre fabrication, sut trouver des solutions heureuses, aujourd'hui encore en application.»*

Fin 49, les éditions du Seuil décident de confier à Albert Béguin et Francis Jeanson le lancement de la collection Ecrivains de toujours. Les premiers titres paraissent à l'été 1951 : Colette par elle-même, Victor Hugo par lui même de Henri Guillemin, Stendhal par lui-même de Claude Roy, Montaigne par lui-même de Francis Jeanson, Flaubert par lui-même de Jean de la Varende**.

Le succès est immédiat, dû à l'originalité et à la qualité de la forme. Les Ecrivains de toujours sont des livres de poche d'avant la lettre, avec néanmoins de très bonnes illustrations. Mais on s'étonne encore aujourd'hui de la qualité et de l'originalité du contenu : ce n'est pas encore le verbiage universitaire, la part belle est donnée aux textes de l'auteur traité et le commentaire est toujours celui d'un amoureux plus que d'un spécialiste.


André Gide par lui-même, de Claude Martin

Collection Ecrivains de toujours, n°62
Le Seuil, 1963


C'est ainsi que pour André Gide par lui-même, qui paraît en 1963 sous la direction de Monique Nathan et avec une maquette de Mathilde Rieussec, on fait appel à Claude Martin. «Infatigable instigateur des études gidiennes et de leur double transformation en des collections d'ouvrages et en un réseau d'amitié», dit de lui Pierre Masson qui ajoute ceci : «L'érudition, sous sa conduite, n'a pas stérilisé les études gidiennes.»***

Ce Gide par lui-même est en effet le moins stérile des ouvrages d'érudition consacrés à Gide. Ouvrage d'érudition car il n'est pas une simple biographie mais, comme le veut le principe de la collection, aussi une étude des grands thèmes gidiens, textes à l'appui, un précis de psychologie gidienne et un trousseau de clés pour ouvrir toutes les portes d'une œuvre et d'une pensée protéiformes.

Comme chaque fois chez Claude Martin, qui étudiera «le courage de s'engager», «la maturité» ou «la vocation du bonheur»**** chez Gide, c'est toute l'humanité de l'auteur qui sert de fil conducteur au travers de chapitres intitulés «Le fils», «Madeleine», «L'Afrique», «Le Ciel et l'Enfer», «Thésée» et «De Cuverville». Ce dernier et court chapitre sert de conclusion :

«Avatar de l'humanisme, l'œuvre d'André Gide, jusque dans ses failles, reste pantelante d'une irrécusable vie. Profondément traditionnelle et radicalement révolutionnaire, elle témoigne d'une conscience probe et courageuse de la grandeur immanente de l'homme. Si doivent jamais advenir quelques amoindrissements de la liberté, on ne pourra pas ne pas se souvenir - ingratement ou non, mais Gide s'en fût-il vraiment soucié ?- de cet exemple, dût-on quitter ensuite la ligne de crête où sa gloire fut de se maintenir, pour choisir et s'engager, c'est-à-dire, pour un temps, le renier...»

Un dernier mot pour signaler tout de même les nombreux documents iconographiques parsemés dans ce livre de 192 pages (quel exploit, tout de même...) et prêtés par Catherine Gide, Dominique Drouin, Marc Allégret ou le Fonds Gide de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet : lettrines ouvrant les chapitres qui sont celles dessinées par Marchand pour Les Nourritures terrestres, pages des manuscrits et nombreuses photographies rares.

Des voix chez les gidiens souhaitent la réédition de cet André Gide par lui-même, on ne peut que s'y associer. Il en existe une édition augmentée (224 pages) publiée en 1995, elle aussi épuisée***** [Faux ! Au temps pour moi ! Voir rectificatif ci-dessous]. Et des traductions en allemand (Rowohlt, 1963), en chinois (San Lian Shu Dian, 1992) et même en japonais par Akio Yoshii (Presses universitaires du Kyushu, 2003), signes là encore que cet ouvrage a su traverser l'espace... et le temps.


Rectificatif : Un lecteur anonyme mais attentif me signale qu'on trouve encore ce livre sous le simple titre "Gide", toujours au Seuil. En effet, avec le portrait de Théo van Rysselberghe (1907) en couverture, l'édition revue et augmentée de 1995 est toujours rééditée et disponible.


Gide, de Claude Martin
collection Ecrivains de toujours
Seuil, 2001, ISBN 2-02-023491-2

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*Sur le seuil, 1935-1979, éditions du Seuil, 1979. Sans mention d'auteur, cet opuscule est toutefois souvent attribué à Jean Bardet et Paul Flamand, les fondateurs des éditions du Seuil.

**Les premiers titres ne sont pas numérotés (ils le seront à partir de 1953) et sans mention du directeur de collection. Si Colette par elle-même a été le premier titre mis en vente, c'est lors de cette future numérotation que le Victor Hugo deviendra le premier numéro.

*** BAAG n°163, juillet 2009, « La main passe, le message demeure », hommage de forme paludéenne rendu par Pierre Masson à son prédécesseur à la présidence des Amis d'André Gide

****Voir ces autres ouvrages de Claude Martin :

La Maturité d'André Gide. De "Paludes" à "L'Immoraliste" (1895-1902). Klincksieck, 1977

Ramon Fernandez, Gide ou le courage de s'engager, Klincksieck, 1985, [réédition de : André Gide, Corrêa, 1931, augmentée de textes inédits, établie et commentée par Claude Martin, avec une préface de Pierre Masson]

André Gide ou la vocation du bonheur, Fayard, 1998

*****On le trouve encore cependant assez facilement chez les bouquinistes ou sur les sites de livres d'occasion à des prix allant de 10 à 30 euros.

samedi 9 janvier 2010

Influence d'André Gide

Dans un court entretien avec Josyane Savigneau pour Le Monde, Jean Daniel revient sur ses rapports avec Camus. C'est de saison ! Il y évoque aussi Gide. Ses déclarations sont à verser au dossier "influence d'André Gide" :
«Josyane Savigneau : Vous avez eu ce compagnonnage avec Camus, mais n'est-ce pas plutôt Gide qui vous a formé ?
Jean Daniel : Au départ, bien sûr. Ma sœur aînée, qui avait vingt-cinq ans de plus que moi - nous étions onze enfants -, était l'intellectuelle de la famille. Le seul numéro de La NRF qui arrivait à Blida était pour elle. Elle avait beaucoup de livres. Un jour, je devais avoir 14 ans, j'ai pris le journal de Gide et j'ai lu cette phrase : "Et s'il me fallait donner ma vie pour assurer la réussite de cette merveilleuse entreprise, celle de l'Union soviétique, je la donnerais à l'instant." Je n'étais pas politisé, je savais à peine où était l'Union soviétique, mais je me suis pris d'intérêt pour le pays qui méritait que l'on dise cela. Je m'en suis vite détourné car j'ai également suivi Gide dans son rejet. Gide était devenu ma référence. Et la découverte des Nourritures terrestres, dont une partie se passe dans ma ville, à Blida, a été très formatrice.
C'est, de plus, dans son Voyage au Congo que j'ai puisé mes premiers élans anticolonialistes. Cela dit, je fais partie d'une génération où l'on refusait de choisir entre la littérature et la philosophie, l'engagement politique et le journalisme. Nous avions des héros qui avaient accompli ce triple destin, Hemingway, Dos Passos, Malraux. Toute ma vie, j'ai essayé d'être présent dans ces trois domaines. Lorsque j'ai reçu le prix du Prince des Asturies, il m'a semblé que cette fidélité était reconnue.
J.S. : Mais pourquoi, formé par Gide, avez-vous tellement admiré Camus ?
J.D. : D'abord, ce n'est pas du tout incompatible, au contraire, même si le Corydon, de Gide, est loin du donjuanisme de Camus. Ensuite, les rapports ne sont pas de même nature. Je n'ai jamais eu l'occasion de fréquenter Gide. Tandis qu'avec Camus nous avions des passions plus frivoles, par exemple, nous adorions danser. Et n'oubliez surtout pas l'Algérie, qui a été notre passion et notre maladie commune.
Quand je suis venu étudier à Paris, il y avait, aux yeux des jeunes, plusieurs grandes figures, dont Malraux, Sartre et Camus. Camus m'apparut comme quelqu'un de chez moi. Ce séducteur m'a aussitôt ensorcelé. Je retrouvais en lui le sens du sacré et l'incapacité de croire, le sens du tragique et le goût éperdu du bonheur. Il a parrainé une revue que je dirigeais, Caliban, et y a publié trois articles qui ont compté, dont un sur Louis Guilloux et la difficulté d'écrire sur la misère autrement "qu'en connaissance de cause". C'est lui qui m'a poussé à écrire mon premier livre, L'Erreur, qu'il a publié dans la collection que lui-même dirigeait chez Gallimard.»
Si, comme Jean Daniel s'en souvient, il a ouvert le Journal à l'âge de 14 ans, cela se passait autour de 1934. Jean Daniel affirme aussi que c'est Gide avec Les Nourritures terrestres qui lui a ouvert les yeux sur la beauté de Blida, sa ville natale, ville qu'il trouvait plutôt laide. En 1947, cette influence d'André Gide est toujours manifeste si l'on en croit le Journal d'un journaliste de Robert de Saint-Jean :
«Un normalien devenu journaliste littéraire, Paul Guth (qui est aussi professeur à Janson-de-Sailly) m'a fait hier sur les lectures des jeunes gens des déclarations qui m'ont surpris.
Je croyais que l'influence de Sartre ajoutée à celle du roman américain avait à peu près coupé la jeunesse des écrivains qui comptaient avant la guerre, comme Gide et Valéry.
Il jure qu'il n'en est rien.
Gide existe encore pour beaucoup. Et lorsque Thésée parut aux «Cahiers de la Pléiade», (édition chère pour un étudiant) on vit, à Lille, des jeunes gens copier le texte et se le passer.» (25 octobre 1947)

jeudi 7 janvier 2010

Lafcadio chez J.-J. Schuhl

«Je viens de me taper Les Caves du Vatican, c’est d’une bêtise !», déclare Jean-Jacques Schuhl à Nelly Kaprièlian pour Les Inrocks. L'auteur d'Ingrid Caven a pourtant introduit Lafcadio dans l'Entrée des fantômes, son nouveau roman paru chez Gallimard qui s'ouvre par l'ébauche d'un roman fantastique inachevé avant de mettre en scène des personnages à cheval entre réalité et (auto)fiction.

«C’est un personnage dans un livre de Gide, écrivain que pourtant je n’aime pas. Je viens de me taper Les Caves du Vatican, c’est d’une bêtise !», déclare donc Jean-Jacques Schuhl qui précise : «Mais au milieu, il y a Lafcadio, un bâtard apatride venu des Carpates. Rigaud et Breton* aimaient ce personnage, qui m’a intéressé pour son côté dada, il joue tout aux dés, a un côté provocateur glacé, très Tristan Tzara, Francis Picabia. Il m’a fait penser à un dandy punk, à un Yves Adrien d’aujourd’hui, froidement désespéré.»

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*Voir ce billet

mercredi 6 janvier 2010

Bloomsbury à Roubaix

Le groupe de Bloomsbury est au cœur d'une exposition qui se tient jusqu'au 28 février à la Piscine de Roubaix. Le musée présente l'histoire de cette aventure culturelle, politique et sociale où se croisent John Maynard Keynes, Roger Fry, Clive Bell, Lytton Stratchey, Virginia Woolf, Vanessa Bell, Duncan Grant, E.M. Forster... Les toiles de Vanessa Bell ou Duncan Grant côtoient leurs paravents, coffres ou vêtements issus des Omega Workshops et les créations de décors et costumes pour le théâtre. Duncan Grant prévoyait d'ailleurs d'habiller le Saül de Gide mais le projet ne vit pas le jour.

Comment définir Bloomsbury ? Ses membres étaient «juste sauvages, étranges, innocents, naturels, excentriques et industrieux, plus qu’on ne saurait le dire». Cette description de Virginia Woolf est sans doute la plus juste. Gide, lors de son voyage en Angleterre de 1918, flirtera avec le groupe par l'entremise des Bussy et Stratchey dont il avait déjà eu des échos par Jacques Raverat. «Grâce à elle [Dorothy Bussy] je pénètre dans le milieu le plus étrange, le plus intéressant, le plus inquiétant» écrit Gide à Jacques-Emile Blanche en juillet de cette année.

Le groupe de Bloomsbury, jusqu'au 28 février à La Piscine de Roubaix. Plus d'informations sur le site du musée.