Dans un court entretien avec Josyane Savigneau pour Le Monde, Jean Daniel revient sur ses rapports avec Camus. C'est de saison ! Il y évoque aussi Gide. Ses déclarations sont à verser au dossier "influence d'André Gide" :
«Josyane Savigneau : Vous avez eu ce compagnonnage avec Camus, mais n'est-ce pas plutôt Gide qui vous a formé ?
Jean Daniel : Au départ, bien sûr. Ma sœur aînée, qui avait vingt-cinq ans de plus que moi - nous étions onze enfants -, était l'intellectuelle de la famille. Le seul numéro de La NRF qui arrivait à Blida était pour elle. Elle avait beaucoup de livres. Un jour, je devais avoir 14 ans, j'ai pris le journal de Gide et j'ai lu cette phrase : "Et s'il me fallait donner ma vie pour assurer la réussite de cette merveilleuse entreprise, celle de l'Union soviétique, je la donnerais à l'instant." Je n'étais pas politisé, je savais à peine où était l'Union soviétique, mais je me suis pris d'intérêt pour le pays qui méritait que l'on dise cela. Je m'en suis vite détourné car j'ai également suivi Gide dans son rejet. Gide était devenu ma référence. Et la découverte des Nourritures terrestres, dont une partie se passe dans ma ville, à Blida, a été très formatrice.
C'est, de plus, dans son Voyage au Congo que j'ai puisé mes premiers élans anticolonialistes. Cela dit, je fais partie d'une génération où l'on refusait de choisir entre la littérature et la philosophie, l'engagement politique et le journalisme. Nous avions des héros qui avaient accompli ce triple destin, Hemingway, Dos Passos, Malraux. Toute ma vie, j'ai essayé d'être présent dans ces trois domaines. Lorsque j'ai reçu le prix du Prince des Asturies, il m'a semblé que cette fidélité était reconnue.
J.S. : Mais pourquoi, formé par Gide, avez-vous tellement admiré Camus ?
J.D. : D'abord, ce n'est pas du tout incompatible, au contraire, même si le Corydon, de Gide, est loin du donjuanisme de Camus. Ensuite, les rapports ne sont pas de même nature. Je n'ai jamais eu l'occasion de fréquenter Gide. Tandis qu'avec Camus nous avions des passions plus frivoles, par exemple, nous adorions danser. Et n'oubliez surtout pas l'Algérie, qui a été notre passion et notre maladie commune.
Quand je suis venu étudier à Paris, il y avait, aux yeux des jeunes, plusieurs grandes figures, dont Malraux, Sartre et Camus. Camus m'apparut comme quelqu'un de chez moi. Ce séducteur m'a aussitôt ensorcelé. Je retrouvais en lui le sens du sacré et l'incapacité de croire, le sens du tragique et le goût éperdu du bonheur. Il a parrainé une revue que je dirigeais, Caliban, et y a publié trois articles qui ont compté, dont un sur Louis Guilloux et la difficulté d'écrire sur la misère autrement "qu'en connaissance de cause". C'est lui qui m'a poussé à écrire mon premier livre, L'Erreur, qu'il a publié dans la collection que lui-même dirigeait chez Gallimard.»
Si, comme Jean Daniel s'en souvient, il a ouvert le Journal à l'âge de 14 ans, cela se passait autour de 1934. Jean Daniel affirme aussi que c'est Gide avec Les Nourritures terrestres qui lui a ouvert les yeux sur la beauté de Blida, sa ville natale, ville qu'il trouvait plutôt laide. En 1947, cette influence d'André Gide est toujours manifeste si l'on en croit le Journal d'un journaliste de Robert de Saint-Jean :
«Un normalien devenu journaliste littéraire, Paul Guth (qui est aussi professeur à Janson-de-Sailly) m'a fait hier sur les lectures des jeunes gens des déclarations qui m'ont surpris.
Je croyais que l'influence de Sartre ajoutée à celle du roman américain avait à peu près coupé la jeunesse des écrivains qui comptaient avant la guerre, comme Gide et Valéry.
Il jure qu'il n'en est rien.
Gide existe encore pour beaucoup. Et lorsque Thésée parut aux «Cahiers de la Pléiade», (édition chère pour un étudiant) on vit, à Lille, des jeunes gens copier le texte et se le passer.» (25 octobre 1947)
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