Il est possible, et même probable, que les témoignages courageux de Gide, ses critiques du colonialisme et du communisme, ne soient plus lus que pour leur valeur documentaire, comme demeurent exemplaires les batailles de Voltaire pour la liberté de la pensée et de l'individu. Mais c'est l'œuvre de l'écrivain dont l'avenir reste indéchiffrable. Sa diversité a donné dans tous les genres avec un inégal bonheur. Je ne crois pas aux maigres romans gnangnan, pas davantage aux Faux-Monnayeurs, mais aux petits traités du début, si originaux, peut-être aux Caves, aux souvenirs et, certainement, au Journal. Les générations qui viennent n'imagineront pas de quel empois moral il a contribué à nous débarrasser. Pour moi, il m'a conforté dans un souci d'exigence. La liberté sexuelle, elle m'était acquise, naturellement, sans questions inutiles : je voulais aimer qui j'aimais, et n'avais besoin ni d'un guide ni d'un blanc-seing. Mais il a eu, certainement, une influence libératrice sur beaucoup, et surtout sur la société. Ce n'était pas rien !
Gide n'aurait jamais souffert par amour – mais qu'en sait-on ? Ce genre d'assertion me laisse sceptique. Et puis, il n'y a pas qu'une manière d'aimer et de souffrir, brevetée, étiquetée, jetée dans la rue à la criée...»
Claude-Michel Cluny, Le silence de Delphes (Journal littéraire, tome 1, L'invention du temps, 1948-1962), La Différence, 2002.
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