dimanche 27 septembre 2015

Vente de la bibliothèque de Stéphane Mallarmé

Le 15 octobre à Paris aura lieu la vente De la bibliothèque de Stéphane Mallarmé, par Sotheby's. Parvenus jusqu'à nous par Geneviève Mallarmé, puis son gendre Edmond Bonniot, et enfin l'exécuteur testamentaire de celui-ci, ce sont de nombreux manuscrits, lettres, belles éditions des œuvres de Mallarmé et ouvrages à lui envoyés qui seront dispersés. Il faut noter qu'à la bibliothèque de Stéphane Mallarmé lui-même, les descendants et spécialistes, dont Bertrand Marchal, auteur de la préface du catalogue, ont ajouté des pièces au fil des ans pour constituer la collection telle qu'elle se présente.

On notera ainsi trois livres envoyés par Gide au « maître » Mallarmé : les Poésies d'André Walter, les Cahiers d'André Walter, et le Voyage d'Urien. Mais aussi plusieurs lettres de Valéry, à Louÿs notamment.


Lot 47 
[Gide, André]
LES POÉSIES D’ANDRÉ WALTER. PARIS, LIBRAIRIE DE L’ART INDÉPENDANT, 1892.
In-8 carré (190 x 150 mm). Broché. Couverture blanche (bleutée sur les vélins).
Premier plat conservé, détaché et restauré, petite mouillure à l'envoi. Le "beau premier exemplaire" de Mallarmé ( 1) sur Japon.
Edition originale du premier recueil de poésies de Gide.
Exemplaire n° 1, premier des 10 sur Japon, avant 180 sur vélin teinté (Naville mentionne aussi un ou 2 exemplaires sur Chine, hors commerce). Numéroté par Gide, avec son monogramme A.W. pour "André Walter".
Envoi autographe signé sur la page de faux-titre à l’encre violette :
"À Monsieur Stéphane Mallarmé, notre maître. En hommage, André Gide".
Le lendemain de sa présentation à Mallarmé, par l'intermédiaire de Maurice Barrès, le lundi 2 février 1891 au banquet Moréas, Gide déposa rue de Rome les Cahiers d’André Walter qui venaient de paraître chez Perrin. Ce fut le début d’une amitié exemplaire. Un an plus tard, quand il reçoit cet exemplaire des Poésies d’André Walter, Mallarmé lui écrit le 17 mai 1892 : "Très rare, mon ami Gide ; ce recueil poétique d’André Walter. L’impression que je perçois, beaucoup d’un clavecin, grêle mais toujours accordé ; et cette double main, la même parfois ou de rêveur jumeaux, qui vient s’y ressouvenir, me charme particulièrement, par son duo perpétué : si aigü, si familier". Évoquant ensuite l’envoi de son disciple, il continue : "Il faut vous remercier aussi de l’attention qui me sourit en l’envoi de ce beau premier exemplaire ; donc je vous presse la main, où vous êtes…"
Références : Naville, Bibliographie des écrits d’André Gide, 1949, n° IV. -- Correspondance, V, p. 80 (voir aussi IV/1, p. 191 et n. 1).
[On joint, du même :]
Les Cahiers d'André Walter. Œuvre posthume. Paris, Librairie Académique Didier -- Perrin et Cie, 1891.
In-12. Broché. Modeste exemplaire, usagé, premier plat détaché, rousseurs.Edition originale. Le tirage très restreint de ce premier livre de Gide fut presque totalement détruit par lui. La notice signée "P.C." [Pierre Chrysis] est de Pierre Louÿs (Naville, n° I).
Probablement l'exemplaire de Mallarmé. On sait que Gide déposa un exemplaire des Cahiers d'André Walter chez Mallarmé le 4 février 1891, sans envoi, accompagné de cette lettre : "J'hésitais, Monsieur, à vous laisser ce livre, triste enfant d'une nuit d'Idumée. J'aurais voulu le protéger, près de vous par quelques paroles." Mallarmé remercia Gide (ainsi qu'en témoigne le "R" pour "Répondu" au crayon bleu sur la couverture) en l'incitant à venir à ses Mardis pour apposer une dédicace manuscrite sur l'exemplaire.
Estimation : 10.000-15.000€ 


Lot 48
Gide, André -- Maurice Denis
LE VOYAGE D’URIEN. PARIS, LIBRAIRIE DE L’ART INDÉPENDANT, 1893.
Exceptionnel exemplaire de Mallarmé. In-8 carré (201 x 190 mm). Broché, couverture rempliée. Sous chemise en demi-box à bande beige et étui bordé d'Alix.
Edition originale.
Exemplaire n° 1. Premier des 300 exemplaires sur Hollande.
Envoi autographe signé, contresigné par Maurice Denis :
"À Monsieur Stéphane Mallarmé
en hommage
André Gide
Maurice Denis
".
Premier livre illustré par Maurice Denis : un bois sur la couverture et 30 lithographies originales en camaïeu, dont 2 à pleine page.
Un des plus beaux livres illustrés symbolistes. Gide avait rencontré Maurice Denis par l’intermédiaire de Jacques-Émile Blanche et de son éditeur Edmond Bailly. Comme bien des Nabis, le jeune Maurice Denis rêvait d'approcher Mallarmé. Peut-être l’envoi de son ami Gide a-t-il aidé sa carrière, puisque un an après Le Voyage d’Urien -- peut-on y voir une conséquence de cet envoi ? -- il illustrera Mallarmé : d’abord son "Petit Air" dans la revue L’Épreuve (décembre 1994 ; voir lot 231), puis le poème Apparition mis en musique par André Rossignol, illustré en 1894 d’une lithographie aux trois couleurs de l’artiste.
Le Voyage d'Urien est un des grands livres illustrés dans la tradition du livre de peintre, inaugurée par Charles Cros et Stéphane Mallarmé en 1874. La collaboration entre le peintre et l'auteur, âgés respectivement de 22 et 23 ans, fut des plus étroites. "Ce livre est la trace la plus accentuée du Symbolisme, la ratification par les Nabis du principe du livre de dialogue" (Y. Peyré, Peinture et Poésie. Le Dialogue par le livre, 2001, p. 106).
Après la lecture de l’ouvrage, Mallarmé adresse cette lettre élogieuse à son jeune disciple : "Vous avez fait, avec Le Voyage d’Urien, quelque chose de solitaire ; qui restera, entre Poe et de rares, une de mes lectures. Je ne sache qu’on soit parti jamais, avec autant, disons, de naturel, selon un fil de fiction ténu et pur ; comme le vôtre qui mène à la totalité du Songe ! […] Or, satisfaction suprême, on est conscient du sortilège. Tel groupe de mots apparu sans faste, hante parmi les très beaux qui jamais se soient écrits. Vous deviez faire cela, Gide pensif et musical ; rien ne me surprend, excepté peut-être une prestesse et une exactitude dans les analogies, que je ne devinais à personne". Se référant au numéro de l’exemplaire, il ajoute : "comme je suis touché d’un certain numéro 1, authentique s’il cote l’admiration." A l’intention de Maurice Denis, il poursuit : "remerciez M. Denis ; sa décoration d’une étrange suavité, magistrale et ingénue !"
Parce que Le Voyage d'Urien relate notamment une chasse aux eiders le long des falaises du Spitzberg, Mallarmé demanda à Gide s'il avait fait un voyage dans les régions polaires ; à une réponse négative, Mallarmé répondit : "Vous m’aviez fait grand’peur ! Je craignais que vous n’y fussiez allé !" (Martin, I, p. 193).
Exposition : Mallarmé, Musée d'Orsay, 1998, n° 259.
Références : Naville, Bibliographie des écrits d’André Gide, 1949, VI. -- Martin, André Gide, Fayard, 1998. -- Mallarmé, Correspondance, VI, p. 102.
Estimation : 20.000-30.000€


Vente :
Jeudi 15 octobre 2015
Première session : 10h30
Deuxième session : 14h30

Exposition : 
Samedi 10 octobre 10h-18h
Lundi 12 octobre10h-18h
Mardi 13 octobre10h - 18h
Mercredi 14 octobre10h-18h


Visite au musée d'Uzès

 
Visite au musée d'Uzès


Depuis le 27 juin et jusqu'au 11 octobre, le musée d'Uzès présente une exposition intitulée « André Gide et Uzès. Aux origines de la famille Gide ». Un choix d'objets, de documents et de photographies en noir et blanc signées Jean-Pierre Loubat remplace donc l'exposition permanente dans les vitrines de la salle Gide du musée.

Mais avant d'arriver à cette salle, la dernière du musée qui fait donc un peu figure de cerise sur le gâteau de la visite, un mot des autres parties du musée. Ce n'est pas la chaleur – 29 degrés le jour de notre visite, à en croire un thermomètre posé dans un coin – qui étouffe la scénographie, mais bien le flagrant manque de moyens qui sont donnés au musée.


 Des panneaux anciens flanqués contre les murs : le musée d'Uzès 
est moins bien signalé que le musée du bonbon Haribo...

 
Sans doute est-ce là encore un signe du peu de cas qui est fait de la culture dans cette ville, toute tournée vers le tourisme de masse, avec la saleté et les arnaques qui en découlent. Au milieu des hordes de touristes qui promènent leur ennui dans les boutiques vendant de l'huile d'olive espagnole, des vêtements fabriqués au Bengladesh ou des céramiques provençalo-chinoises, les parcelles d'humanisme encore émergées comme celle-ci se font rares. Ainsi le so-called « musée » de l'industriel Haribo (en réalité une boutique d'usine avec trois attractions dignes d'un Disneyland pakistanais) est mieux signalé que le musée municipal !

On voit bien que les collections ont grandi, ont pris au fil des ans de nouvelles directions, signe d'un musée vivant et dynamique, mais qui serait comme un Bernard l'hermite à qui l'on refuserait une coquille à sa taille. Le mobilier de présentation a certes un charme vieillot, mais on a presque envie de pleurer devant la nappe en papier utilisée pour le fond de certaine vitrine. Quel admirable courage il faut pour porter tous ces trésors à bout de bras, à bout de cœur et d'intelligence !


 Le monument a la mémoire de Jacques d'Uzès, mort au Congo


Les armoires peintes, les céramiques... La chaleur de bête ne permet pas de s'attarder sur tout, hélas, comme sur cette mesure de drapier semblable à celles que les ancêtres de Gide ont pu manier. Devant le grand portrait de la duchesse d'Uzès, l'histoire de l'expédition au Congo de son fils, Jacques de Crussol, en 1892 : le jeune duc mourra là-bas à l'âge de 24 ans. Sa mère fera publier sa correspondance du Congo et érigera un monument à sa mémoire sur le parvis de la cathédrale.

Le groupe représente le duc à la proue d'une pirogue propulsée par quatre pagayeurs. Il est du sculpteur René de Saint-Marceaux (dont l'épouse Marguerite, dite « Meg » tenait le salon qui servit de modèle à celui des Verdurin). Il n'en reste que des photographies : le bronze a été fondu lors de la seconde guerre mondiale. Gide, qui a dû passer souvent près du monument, retrouvera le souvenir du jeune duc au Congo en embarquant à bord du Jacques d'Uzès pour rejoindre le lac Tchad.


 La salle Charles et André Gide


L'une des malles de Gide au Congo se trouve d'ailleurs dans la « Salle Charles et André Gide » du musée d'Uzès. Elle a été retrouvée par l'écrivain Jean-Pierre Faye, qui occupe désormais l'appartement de Gide au Vaneau, dans les caves de l'immeuble, avec tout son contenu bien plié et rangé depuis 1926 ! Dans une autre vitrine, une redingote de Gide a désormais son double de papier réalisé par l'artiste Mireille Laborie.


Les foulards offerts à Gide par la Petite Dame,
puis par Elisabeth Van Rysselberghe au musée

 
Juste au dessous, deux foulards offerts par Elisabeth Van Rysselberghe au musée en 1973. Celle-ci explique dans un petit mot que ces carrés d'étoffe lui furent offerts par Maria Van Rysselberghe, « dont l'un chinois, le bleu et blanc, date de l'exposition de 1900 ». La canne de Jammes n'est pas là : elle a fait place à l'exposition qui se concentre sur les passages de Gide à Uzès, et le travail du photographe Jean-Pierre Loubat qui est retourné sur les lieux gidiens de la cité mais aussi à la Villa des Sources, propriété de Charles Gide à Bellegarde, où le temps semble s'être arrêté...


 Le cahier de dessins du jeune André Gide


On y trouvera les portraits des Gide magistrats, l'évocation de l'appartement de la grand-mère Clémence, un acte juridique signé par Tancrède Gide, dont les états de service n'étaient pas fameux à en croire les témoignages recopiés par son fils Charles... Cela ne surprend pas : le discret Paul, le père d'André, est absent. Mais on aperçoit le visage de Marguerite de Charnisay, née Verdier de Flaux : la cousine mordue à l'épaule par le tout jeune André. Le petit André qui aimait à attraper les papillons (son filet en témoigne) mais aussi à en inventer de flamboyants dans son cahier de dessins.

Plus que quelques jours, donc, pour voir cette exposition « André Gide et Uzès. Aux racines de la famille Gide ». Mais un ouvrage du même nom, publié avec l'aide la Fondation Catherine Gide, permettra de la prolonger. On y retrouvera par exemple le texte d'une conférence prononcée en 77 à Uzès par Daniel Moutote, d'utiles tableaux généalogiques, un article de la baronne de Charnisay écrit à la mort de Charles Gide... Ce livret accompagnera la nouvelle édition du catalogue de la collection Gide du musée, pour les acquisitions 1994-2014.


André Gide et Uzès. Aux racines de la famille Gide
Exposition jusqu'au 11 octobre au Musée Georges Borias


Les catalogues André Gide et Uzès. Aux racines de la famille Gide (2015) 
et Collection André Gide, acquisitions 1994-2014 (2015), 
sont disponibles au musée et par correspondance





lundi 7 septembre 2015

Le Roi Candaule à l'Opéra des Flandres en 2016

Si le théâtre de Gide connaît un purgatoire, il n'en est pas de même pour ses œuvres mises en musique. Cela grâce à des compositeurs qui ont su apporter leur originalité formelle aux histoires tressées par Gide sur des bases ultra-classiques. Ainsi Perséphone, psalmodiée façon Stravinsky, encore donnée à entendre et à voir récemment, ou le Roi Candaule de Zemlinsky à nouveau monté l'année prochaine par l'Opéra des Flandres, après une version impressionnante vue en 2012 au Teatro Massimo à Palerme.

Cette production promet d'être tout aussi étonnante puisque la mise en scène sera signée de l'Ukrainien Andriy Zholdak. La direction sera assurée par Dmitri Jurowsk, avec le ténor Dmitry Golovnine en Candaule, la soprano Elisabet Strid en Nyssia et le baryton-basse Gidon Saks en Gygès. La billetterie ouvrira en novembre pour des représentations du 25 mars au 3 avril à Anvers puis du 13 au 24 avril 2016 à Gand.