lundi 26 avril 2010

Un exemplaire des Cahiers


La Librairie LCL propose en vente sur le site eBay un des 125 exemplaires sur velin teinté des Cahiers d'André Walter à l'Art Indépendant (1891).

Il contient un envoi autographe de Gide à un F. Abauzit (et non Alauzit) daté de mars 1893. Abauzit est un nom répandu dans le Gard, peut-être un parent du "savant et modeste Abauzit" cité par Rousseau, Firmin Abauzit, né à Uzès en 1679. La famille Abauzit a aussi donné des magistrats au tribunal de Montpellier.

"Un chaînon dans le chaos littéraire"

Yourcenar, encore. Avec quelques réflexions et extrait de lettre inédite à Jean Schlumberger qui me semblent faire un contrepoint à la position plus tardive de Yourcenar que j'ai déjà évoquée ici ou ("Jamais beaucoup aimé Gide"...). Tout ceci extrait de la bonne biographie de Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar, L'invention d'une vie (Gallimard, 1990) qui explique très bien l'évolution de cette position vis-à-vis de Gide (et des autres) lorsque les questionneurs interrogent une Marguerite devenue lapidaire...

« C'est au cours d'une journée de travail à la bibliothèque de Bangor, « pour y relire les Pères de l'Église qui se sont un peu occupés de la politique d'Hadrien et beaucoup de ses amours », que Marguerite Yourcenar apprend la mort d'André Gide, survenue à Paris le 19 février. Elle gardait une grande admiration, et une forme de révérence, pour Gide, l'un des premiers grands écrivains à l'avoir tenue en estime, et qui avait, sur la jeune femme qu'elle était et qui venait de se décider à consacrer son existence à l'écriture, exercé une réelle influence : «J'ai pensé à son œuvre et à sa vie pendant la nuit, en une espèce de veillée funèbre», devait-elle confier à Joseph Breitbach; «plus j'y réfléchissais, plus cette œuvre et cette vie m'apparaissaient comme une immense réussite, et dans l'ordre de l'ajustement, de l'équilibre, de l'utilisation de toutes les facultés, une réussite exemplaire (3).»

A plusieurs reprises, Marguerite s'exprimera, avec davantage de précisions encore, sur l'œuvre de cet écrivain, dont l'apport a été très marquant, parfois considérable, pour sa génération. En novembre 1969, elle fera une conférence dans le Massachusetts, à Smith Collège, dans le cadre des manifestations célébrant le centenaire de l'auteur (4). Longtemps plus tôt, en août 1956, elle avait commenté de façon élogieuse l'ouvrage que son ami Jean Schlumberger avait fait paraître sous le titre Madeleine et André Gide (5) et, dans une lettre de 1962, écrite à Schlumberger à l'occasion d'une relecture de son livre, elle développe longuement la réflexion ébauchée lors de ce premier échange :

« Vos notes m'ont ainsi amenée, un peu malgré moi, à tenter de ré-évaluer ce qu'a représenté pour nous André Gide. Je crois qu'il a d'abord, peut-être surtout (ce qui je pense l'eût déconcerté), été pour nous un très précieux chaînon entre le chaos littéraire de notre temps et la tradition classique telle que nous la trouvions dans les grands ouvrages du passé. Dans le désordre des années 20, qui a été pour les hommes et les femmes de ma génération celui de la jeunesse, nous découvrions avec joie un écrivain abordant les problèmes qui nous occupaient tous dans une langue aussi pure et aussi précise que celle de Racine. Ensuite, à l'époque où nous atteignaient Les Nourritures terrestres et L'Immoraliste, il aura été le plus bel exemple d'une sorte de ferveur mystique à l'égard des êtres, des sensations et des choses, le premier et déjà vertigineux palier d'une série de marches qui peuvent du reste mener dans des directions que Gide lui-même n'a pas prises. Enfin, et là le don est déjà plus contestable, le Gide des Caves et de Paludes (c'est par là qu'à vingt-deux ans je l'ai abordé pour la première fois) nous a montré que l'édifice que nous imaginions si solide, parfois si accablant, pouvait s'effondrer (ou paraître le faire) sous une impertinente chiquenaude. Ce qui, je crois, d'abord, a détaché partiellement de lui certains lecteurs, c'est de s'apercevoir combien il était resté

presque étroitement homme de lettres. (...) En dépit des assertions si constantes de Gide, et que d'ailleurs vous ne contestez pas, j'ai peine à croire qu'il ait écrit en fonction de sa femme la majeure partie de son œuvre. (Pourquoi du reste ? Et quel mérite y aurait-il eu ?) Bien plus, je soupçonne je ne sais quoi d'un peu fabriqué dans ce grand amour. Et pourtant, il est curieux en effet qu'au moment où s'ouvre entre eux cette fissure avouée, quelque chose de toute évidence disparaît de son œuvre. Je veux bien que Corydon et Les Faux-Monnayeurs, écrits en dehors d'elle et contre elle, soient, comme vous dites, plus francs du collier (mais le sont-ils vraiment?). N'empêche, il semble qu'une sorte de flux ou de chaleur soit désormais absente, et que de plus en plus l'artiste, et l'homme, solutionne ses problèmes en escamotant certaines de leurs données. On ne voudrait pas, et pour beaucoup de raisons, que ces deux volumes n'aient pas été écrits, et ils dessinent certes la figure que Gide a voulu laisser de soi. Mais déjà le dessèchement commence... Et ceci même rouvre le débat : a-t-il eu appauvrissement du jour où décidément Gide en esprit s'est séparé de Madeleine, ou au contraire l'appauvrissement que je crois discerner ne vient-il pas de ce qu'il ne s'est résolu que

tard à reprendre toute liberté d'expression à l'égard d'elle ?

Ceci n'est pas une dissertation ; je voulais seulement vous montrer combien attentivement je vous ai lu. Ajouterais-je qu'à mesure que diminue, non certes la gloire si méritée de Gide, mais le bruit public fait autour de son œuvre, on entend mieux, me semble-t-il, la voix de certains écrivains de sa génération (je pense spécifiquement à vous) qui se sont presque, dirait-on, volontairement effacés. Je ne risque qu'avec hésitation cette remarque trop personnelle (6). »


De l'influence du « couple » sur la création... Est-il abusif d entendre - on est en 1962 - d'autres échos que ceux d'une judicieuse - mais relativement abstraite - analyse littéraire, singulièrement dans cet « appauvrissement » de Gide séparé de Madeleine, dont Marguerite Yourcenar se demande s'il ne vient pas surtout d'une trop tardive séparation ? »


Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar. L'invention d'une vie.

NRF biographies, Gallimard, 1990, Paris.

_____________________________

(je conserve ici la numérotation originale des notes)

3. Lettre à Joseph Breitbach, du 7 avril 1951, fonds Harvard

4. « André Gide revisited », in Cahiers André Gide, n°3 : « Le Centenaire », Paris, Gallimard; 1972, pp. 21-44.

5. Lettre à Jean Schlumberger, du 15 août 1956, correspondance inédite.

6. Lettre à Jean Schlumberger, du 20 février 1962, correspondance inédite.

lundi 19 avril 2010

"Avec mes regrets cordiaux"

J'évoquais tout récemment les tribulations éditoriales de L'Art bitraire, ce court texte de Gide, plein comme un œuf (de perruche) des thèmes gidiens dans ce château périgourdin où « mûrissait et grossissait le drame ». Dans les mémoires de Jean-Jacques Pauvert, La Traversée du livre (Editions Viviane Hamy, 2004), on retrouve un Gide plus hésitant que ne le laisse entendre la notice des Romans et récits de la Pléiade quant au titre à donner pour l'édition de 1947 dans la collection Les tirés à part du Palimugre :

« J'édite encore un peu, pourtant. Par exemple, en 47, année du Nobel de Gide, je publie un petit texte de lui, L'Arbitraire. Très court texte paru dans Combat sous le titre « L'Art bitraire ». Ma visite chez lui s'était très bien passée, il était curieux de voir paraître la plaquette. Cauteleux, méfiant, avec le souci de paraître confiant, précautionneux. Enveloppé de son écharpe, caché der­rière ses lunettes.
A mesure que la fabrication avançait, il avait commencé à changer d'avis chaque matin : ne vaudrait-il pas mieux mettre en titre simplement L'Arbitraire ? N'est-ce pas, on va penser que je m'attarde sur un pauvre jeu de mots, ne croyez-vous pas ? Le lendemain : Ah ! tout compte fait, j'aime assez cet Art bitraire, qui intrigue, ne croyez-vous pas ?
Finalement, je l'avais envoyé promener, et j'avais sorti le texte avec le titre L'Arbitraire (alors que je préférais l'autre) parce que au dernier coup de téléphone il m'avait semblé que c'était son dernier choix. Peut-être pas, après tout. Je devenais irritable, et d'ailleurs j'avais oublié de faire imprimer la dédicace à Pierre Herbart. Je m'étais un peu énervé...
Gide se contenta de m'envoyer une lettre et de me dédicacer un exemplaire, « Avec mes regrets cordiaux. » » Jean-Jacques Pauvert, La Traversée du Livre, éditions Viviane Hamy, 2004

Dans cette passionnante Traversée du livre, on trouve reproduites nombre des belles couvertures sous lesquelles Jean-Jacques Pauvert publia Montherlant, Sade, Bataille, Breton, Ernst ou bien sûr Pauline Réage. On trouve également des fac-similés des lettres reçues par l'éditeur dilettante des débuts, dont celle de Gide :


vendredi 16 avril 2010

BAAG n°166



Le Bulletin des Amis d'André Gide, 166e du nom, en date d'avril 2010, vient de tomber. Il s'ouvre par un éditorial de Pierre Masson intitulé «Actualités d'André Gide» : « le centenaire de la NRF s'est transformé bien souvent en une gidienne célébration, et nous attendons avec curiosité celui de la maison Gallimard. » C'est pour l'an prochain. Chopin lui a deux cents ans et le BAAG revient sur les Notes inaudibles de Gide.

Bonne idée aussi que celle qui consiste à donner à entendre Gide à propos de problèmes actuels dans cet éditorial. A propos du Prix Goncourt et du débat sur l'identité nationale. Je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici l'extrait choisi par Pierre Masson des Réflexions sur l'Allemagne de juin 1919 contenues dans Incidences :

« Si nous entrons dans une ère nouvelle, qui donc saura prétendre que ce chapitre premier du nouveau livre n'est pas un chapitre français et d'un nouveau livre français ?

Tout ce qui représente la tradition est appelé à être bousculé et ce n'est que longtemps après que l'on pourra reconnaître, à travers les bouleversements, la continuité malgré tout de notre tempérament, de notre histoire. C'est à ce qui n'a pas eu de voix jusqu'alors de parler. […] Rimbaud, Debussy, Cézanne même peuvent ne ressembler en rien au passé de notre tradition sans pour cela cesser d'être Français; ils peuvent différer de tout ce qui a représenté la France jusqu'aujourd'hui et exprimer encore la France. Si la France n'est plus capable de nouveauté, pour quoi serait-ce qu'elle lutte ?

L'artiste qui, lorsqu'il crée, se préoccupe d'être Français et de faire œuvre « bien française », se condamne à la non-valeur. Il ne s'agit plus de ce que nous étions, il s'agit de ce que nous sommes. »

Au sommaire du BAAG n°166 :

Pierre Masson : Les Notes sur Chopin, ou le livre impossible d'André Gide

Chopin, Gide, et Arthur Rubinstein (article d'Arthur Rubinstein, présenté par Gérard Bauer, publié en octobre 1952 dans le Figaro littéraire)

Carol L. Kaplan : Peindre le portrait d'Alissa : Gide en train de « lire » Amour de Maurice Denis.

Akio Yoshii : Gide et Tolstoï. Autour de la lecture du Retour de l'Enfant Prodigue à Iasnaïa Poliana.

Gian-Luigi Di Bernardini : Le système épigraphique des Faux-monnayeurs.

Alain Moreews : Quand cinéma et politique se rejoignaient autour de Gide : les frères Allégret et le groupe Octobre.

Robert Levesque : Suite du Journal inédit (janvier-avril 1949)

Dossier de presse des Notes sur Chopin (II), de L'Ecole des femmes (VII), de Robert (VII).

Lectures, chronique bibliographique, varia.


Le BAAG est disponible par abonnement et envoyé aux membres de l'Association des Amis d'André Gide.

Abonnement au Bulletin seul (4 numéros/an) : 28€ (abonné étranger : 36€ )

Cotisation annuelle (4 bulletins + cahier annuel) : 39€ (adhérent étranger : 46€)

Plus d'informations sur cette page de Gidiana.

jeudi 15 avril 2010

Editions Fata Morgana

On doit aux éditions Fata Morgana la publication de petits textes de Gide comme L'Art bitraire et Le Grincheux longtemps disponibles grâce à la seule curiosité de cette maison d'édition. Les Romans et récits de la Pléiade ont permis de réintégrer ces petits textes dans le courant général de l'œuvre de Gide, avec des notices de David H. Walker.



L'Art bitraire, André Gide,
Fata Morgana, Fontfroide, 1997


Début avril 1947, Gide écrit de Suisse à Dorothy Bussy : « Sur un cahier d'écolier, je me suis amusé à écrire « au courant de la plume », au hasard, une sorte de récit absurde et saugrenu qui, peut-être, paraîtra un chef-d'œuvre de « nons-sense ». Je n'ai pas encore osé le relire. » Il s'agit de L'Art bitraire qui, comme pour mieux souligner son côté saugrenu, sera dans une édition rare de 1950 (« tiré[e] à petit nombre pour la fleur de nos amis vers la fin du monde ») daté du premier avril 1947...
Gide en donne lecture au Vaneau le 2 mai et la Petite Dame se montre pour une fois clémente avec un texte de cette époque. Les 4 et 5 mai, L'Art bitraire paraît dans le journal Combat avec une dédicace à Pierre Herbart. En octobre le texte figure dans une plaquette éditée par Jean-Jacques Pauvert pour Le Palimugre. Mais la dédicace à Herbart a sauté et le jeu de mot avec. Colère de Gide.
C'est que, pour farce qu'il soit, ce petit texte n'est pas en marge des thèmes gidiens comme le souligne bien David Walker. A la fin de sa vie, Gide renoue avec le saugrenu et l'impossible action de Paludes, la satire des Caves ou du Treizième arbre, l'acte gratuit, la découverte du plaisir associé à la destruction, l'inconscient... Pas vraiment un feu d'artifice des thèmes gidiens mais une manière de bouquet final et de pétards mouillés.



Le Grincheux, André Gide,
Fata Morgana, Fontfroide, 1993


Le Grincheux, dont le manuscrit est apparu dans une vente publique, a été publié en 1993 par Claude Martin aux éditions Fata Morgana. Autre court texte entouré de mystères, pour lequel Gide n'avait pas veillé à sa publication posthume et dont on ne trouve aucune trace ni dans la correspondance ni dans le Journal. Claude Martin estime qu'il date du début des années 30. Le Grincheux, si l'on pouvait pousser le jeu de mot jusqu'à l'à-peu-près, c'est L'Art trabilaire.
Etranger chez lui (« Mais où donc a disparu papa ?... Vous voulez le savoir ? Eh bien, papa n'en pouvait plus. Il s'est retiré doucement. Il a été pleurer dans sa chambre. »), étranger dans ses amitiés molles (« Il me plaît que Molle ne vienne pas à ce rendez-vous. Je savais qu'il n'y viendrai pas; et ce n'est pas pour lui que je m'y suis rendu, c'est pour moi-même; c'est à moi que je suis fidèle, non point à lui; et si cette fidélité m'enrhume j'en suis fort aise : ça lui apprendra, à Molle - qui lui n'a plus rien à m'apprendre. »), étranger dans son temps (« Quant à la T.S.F., il ne manquait plus que ça ! Pour entendre mentir chacun, chacun renonce à se comprendre. »), le Grincheux est « un avatar ironique de son créateur » selon Pierre Masson.
























Fata Morgana a aussi publié « A Naples. Reconnaissance à l'Italie » (1993, illustrations de Valerio Adami, postface de Claude Martin), conférence napolitaine de Gide en juin 1950 où il dit tout ce qui l'attache depuis sa jeunesse à l'Italie et au monde méditerranéen ou « Hugo, hélas ! » (2002, introduction de Claude Martin) retraçant l'évolution de Gide sur Hugo à travers son journal et des textes inachevés et inédits.


Aujourd'hui Fata Morgana propose une autre « rareté », cette fois réservée aux gidiens gidolâtres... et fortunés :

« COMÉDIEN ? PEUT-ÊTRE,
MAIS C’EST MOI-MÊME QUE JE JOUE…
QUATRE PORTRAITS PHOTOGRAPHIQUES
D’ANDRÉ GIDE PAR ALBERT DÉMAREST
AINSI QU’UNE LETTRE A CELUI-CI DE SON COUSIN »

Présentation de l'éditeur :

Depuis que j’avais posé pour Albert (il venait d’achever mon portrait) je m’occupais beaucoup de mon personnage : le soucide paraître précisément ce que je sentais que j’étais, ce que je voulais être : un artiste, allait jusqu’à m’empêcher d’être…
Ainsi Gide évoque-t-il dans Si le grain ne meurt cet hiver 1888-1889 pendant lequel, tout en préparant son deuxième baccalauréat, il fréquente régulièrement, rue de la Grande Chaumière, l’atelier de son cousin le peintre Albert Démarest.
Celui-ci fera de lui non seulement un grand portrait à l’huile mais plusieurs photographies dont des épreuves anciennes ont souvent été reproduites.
Les négatifs sur verre, longtemps disparus, ont été retrouvés dans les archives de la photographe Yvonne Chevalier, et tirés au palladium sur Johannot par Patrice Schmidt en 1994.
L’édition originale, tirée en 2010, se limite à trente exemplaires contenus dans un portefeuille de Delphine Marseille.
Format : 17,5 x 23,5 cm
12 pages – 4 photographies originales
Prix de souscription jusqu’au 30 juin 2010 réservé aux membres de l’AAAG : 150 euros
Envoi franco de port recommandé dès réception du règlement. Les règlements depuis l’étranger sont à faire soit en euros sur une banque française, soit par mandat postal, soit augmentés de vingt euros de frais.
Éditions Fata Morgana - Fontfroide le Haut - 34980 Saint Clément de Rivière - www.fatamorgana.fr

lundi 12 avril 2010

The Portugal Journal, de Mircea Eliade

The Portugal Journal, Mircea Eliade
traduction, préface et notes de Mac Linscott Ricketts,
SUNY Press, 2010


The Portugal Journal de Mircea Eliade vient de paraître aux éditions State University of New-York Press dans la collection Issues in the Study of Religion*. Entre 1941 et 1945 Eliade est attaché culturel roumain à l'ambassade de Lisbonne, c'est-à-dire chargé par le régime du maréchal Antonescu de la presse et de la propagande.

La traduction du roumain vers l'anglais est du spécialiste des religions et de Mircea Eliade Mac Linscott Ricketts, traducteur déjà du Journal I, 1945-1955, du Journal IV, 1979-1985, et des deux tomes de Autobiography. Les traductions françaises du Journal d'après 45 sont plus explicites : “Fragments d'un journal”**. Eliade en a retranché beaucoup d'éléments gênants de son passé nationaliste et antisémite aujourd'hui bien connu grâce aux travaux de Léon Volovici, d'Alexandra Lagniel-Lavastine***, ou au réquisitoire définitif de Daniel Dubuisson.

The Portugal Journal est le premier journal d'Eliade non expurgé à être publié. Non expurgé de ses relations avec la Garde de Fer, de son travail de propagande, de son “amour furieux pour le pays”, de son “nationalisme incandescent”, de ses problèmes de couple, de ses angoisses, de ses doutes sur son travail de recherches et d'écriture. Ce journal est différent de ses notes précédentes :

I begin this notebook today for an entirely different reason. Nina left for Bucharest a few days ago. For four or five weeks, I'm sure. The suspension of any responsible work for so many months, the pressure of politics under which I live, the mental sloth, the abandonment of my manuscripts and notes in Oxford, the intellectual poverty of Lisbon - all these threaten me with slow deterioration. I need to find myself again, to collect myself.” (Première entrée du journal, datée du 21 avril 1941)

Il y a dans cette déclaration de principe et dans le ton des pages qui suivent une petite musique familière... Et de fait, Gide ne tarde pas à apparaître dans ce journal. Eliade avoue “[my] unquenched interest in Gide, my unhealthy curiosity for the lives of others, for certain heroes of the spirit or great humbugs.” Pour son Journal ainsi que celui de Green :

Other than the Bible, I can read only authors like Chestov or Kierkegaard, or, occasionaly, private diaries. For example, I always return with great pleasure to the the journals of Gide and Julien Green; I enjoy rereading little notations having no universal value.” (entrée non datée, 1945)

I would not be satiated with Tolstoy, with Stendhal, or Gide”, confie-t-il encore. Le 30 mai 1943, il développe le rôle et l'influence des études scientifiques chez Gide et espère que ses propres travaux sauront l'influencer :

Gide bases the ethics and philosophy of his epic novels (especially L'Immoraliste et Les Faux-monnayeurs) on the lesson of the natural sciences. Recall his pages about suboceanic fauna, the "ethics" of fish that withstand desalinated water etc. They are the ultimate consequences of Darwin and Nietszche, purified of incongruities, made accessible to the “elite members of the general public”. Actually, despite the fact that he has avoided to fall into the clichés of “contemporary truth”, Gide is a man of his era. His work reflects perfectly the effort of the average sciences of his time. This does not diminish his importance but, on the contrary, heightens it, because, while succeeding in creating points of contact with later eras, Gide's oeuvre remains at the same time a document representative of the era 1880-1930, and yet a document of brilliant authenticity.

I think, however, that the ethics and philosophy of a great modern novelist, one who wishes to reflect in his work a striving for knowledge of contemporaneity, can no longer be content with the lessons of the natural science in vogue at the time of Gide's youth. He will have to take account of all that has been revealed by a Heisenberg, a Ueskull, a Heidegger, a Froebenius, and especially all that I could reveal.

Et au moment de s'interroger sur la valeur de ses notes et sur leur éventuelle publication, c'est encore à Gide qu'il pense :

I have in mind constantly these lines from Gide in Amyntas : “Je relis aujourd'hui mes notes de voyage. Pour qui les publier ? Elles seront comme ces sécrétions résineuses, qui ne consentent à livrer leur parfum qu'échauffées par la main qui les tient.”” (28 octobre 1944)


Mircea Eliade

________________________

* On peut lire le premier chapitre de The Portugal Journal en ligne ici (document pdf).

** En français, on dispose de :

- Fragments d'un journal I (1945-1969), traduction du roumain par Luc Badesco, Paris, Gallimard, “Du monde entier”, 1973

- Fragments d'un journal II (1970-1978), traduction du manuscrit roumain par C. Grigoresco, Paris, Gallimard, “Du monde entier”, 1981

- Les Promesses de l'équinoxe (1907-1937). Mémoire I, traduction du manuscrit roumain par Constantin N. Grigoresco, Paris, Gallimard, "Du monde entier", 1980

- Les Moissons du solstice (1937-1960). Mémoire II, traduction du manuscrit roumain par Alain Paruit, Paris, Gallimard, "Du monde entier", 1988

*** Voir son passionnant : Cioran, Eliade, Ionesco. L'oubli du fascisme : trois intellectuels roumains dans la tourmente du siècle, Paris, PUF, "Perspectives critiques", 2002

dimanche 11 avril 2010

Gide et Ostrovski

Nos amis des Septembriseurs donnent une coupure de presse parue dans l'Humanité du 19 décembre 1936, traduite d'un article de la Pravda du 3 décembre 36 intitulé Ris et larmes d'André Gide. Le Retour de l'URSS venait d'être publié le mois précédent.
La première partie de cette traduction était parue dans l'Humanité du 18 décembre 1936 et figure aux Gidian Archives dans le volumineux dossier de presse consacré au Retour de l'URSS. Mais cette « suite et fin » en est absente. Voici donc l'occasion d'abouter ces deux parties. Pour une meilleure lecture, je donne ici une transcription de l'image en format texte de la première partie :

« L'écrivain français bien connu André Gide a beaucoup ri, a beaucoup pleuré, durant le séjour qu'il fit dans notre pays cet été. Il rit de joie, il pleura d'attendrissement.
C'est le visage marqué de ce sourire embué de larmes qu'André Gide parcourut le pays entier, et partout on fut frappé, et touché, par l'extrême vivacité de sentiments du vieil auteur. On lui pardonnait bien volontiers cette sentimentalité et lin certain bavardage enthousiaste. Il se rachetait par la noblesse son verbe - verbe à notre avis trop fleuri, mais qui paraissait sincère.
La dernière fois qu'André Gide fut ému jusqu'aux larmes, c'était à la fin d'août à la frontière alors qu'il quittait l'Union soviétique. Il adressa le télégramme suivant à la réduction de la Pravda :
« Au terme de notre inoubliable voyage à travers la grande patrie du socialisme victorieux, j'envoie de la frontière un dernier et cordial salut aux magnifiques amis que je quitte avec tristesse en leur disant, ainsi qu'à l'Union soviétique tout entière « Au revoir » ». André GIDE
Mais sitôt après, les yeux encore embués de larmes, de joie et d'amour, André Gide écrivit, avec une hâte incompréhensible un petit livré intitulé « Retour de l'U.R.S.S. » où rires et pleurs se mêlent à de basses calomnies contre le pays des Soviets, contre ses peuples, contre sa jeunesse. André Gide déclare qu'il s'est « trompé ». Mais on ne comprend vraiment pas quand il a pu reconnaître son erreur. Au début de septembre, il était encore empli d'un enthousiasme sans réserve pour l'Union soviétique et en octobre déjà, le voici qui calomnie.
Hâte-toi lentement. Qui tant se hâte se met sans le vouloir en ridicule posture, Certains prestidigitateurs, certains « parodistes à transformations instantanées » sont passés maîtres dans l'art de se métamorphoser sous les yeux du public. Ils étaient blonds, les voici noirs. Mais André Gide ne possède pas cette dextérité. Sa métamorphose de Paul en Saül, il l'a opérée maladroitement. Cette transformation est toute chargée de criantes et scandaleuses contradictions, et ce sont ces contradictions qui imposent leur marque à son livre.
Ainsi par exemple, dans les premières pages, André Gide parle avec enthousiasme, avec ravissement, de la magnifique jeunesse soviétique, de son apparence florissante, de sa joie de vivre, de son énergie, de sa belle humeur. En chemin de fer, il a passé une soirée avec les Komsomols et il déclare qu'il se souviendra de cette rencontre jusqu'au dernier jour de sa vie.
C'est avec le même enthousiasme, avec des larmes d'attendrissement, qu'il parle des enfants soviétiques, de ces enfants à qui, dit-il, l'avenir appartient.
Mais quelques pages plus loin, Gide, d'une tout autre plume, dans un tout autre style, avec une mesquinerie haineuse et provocante, représente la jeunesse et les enfants soviétiques comme des troupeaux de jeunes êtres qui ne savent que répéter comme des perroquets des phrases apprises par cœur :
A première vue, l'individu se fond ici dans la masse, est si peu particularisé qu'il semble qu'on devrait, pour parler aux gens, user d'un partitif et dire non point: des hommes, mais: de l'homme.
Tous les hommes soviétiques sont semblables entre eux. Ils sont grossiers, chez eux aucune joie de vivre. Ils marchent la tête basse, sans oser la redresser. Ainsi donc André Gide ne se trompe pas, il dit sciemment ce qu'il sait être faux. Est-il donc possible de passer une soirée magnifique, inoubliable, en conversation avec des jeunes gens qui tous se répètent tristement l'un l'autre et qui manquent de toute originalité ?
André Gide raconte avec enthousiasme la manière dont il a vu le public soviétique écouter « Eugène Oneguine » et comme quoi il a rencontré partout des gens à qui ses livres sont familiers, tandis qu'en France il n'est connu que dans un milieu restreint de la bourgeoisie. Il parle de l'essor de l'art du peuple au pays des Soviets. Mais aussitôt, quelques pages à peine plus loin, il affirme calomnieusement qu'en Union soviétique l'art et la littérature restent étrangers aux masses et que « la beauté est considérée comme une valeur bourgeoise ».
Et ainsi de tout le livre: aucune unité d'opinion n'y apparaît. André Gide échoue dans l'art de la métamorphose. Il n'est ni blond, ni noir, il est un déroutant mélange composé d'un vieil écrivain français et d'un sémillant garde-blanc russe.
Mais où André Gide s'empêtre plus encore peut-être, dans les contradictions, où il ment plus consciemment encore, c'est lorsqu'il tente de prouver qu'il n'y a pas de liberté de parole, pas d'autocritique en Union soviétique.
Il écrit que « l'autocritique l'enchantait de loin ». Mais lorsqu'il fut au pays des Soviets il découvrit que :
Cette critique ne consiste qu'à se demander si ceci ou cela est « dans la ligne » ou ne l'est pas. Ce n'est pas elle, la ligne, que l'on discute. Ce que l'on discute, c'est de savoir si telle œuvre, tel geste ou telle théorie est conforme à cette ligne sacrée... Critique en deçà, tant qu'on voudra. La critique au-delà n'est pas permise.
André Gide était en Union soviétique précisément à une époque où le peuple tout entier discutait le nouveau projet de la Constitution ainsi que le projet de loi sur la protection de la famille (sur l'avortement). Etait-ce là de la critique, de l'autocritique ? André Gide n'ose pas le contester sans autre. Il se rendrait trop ridicule, à vouloir contester des faits connus du monde entier. Il trouve une indigne échappatoire dans le mensonge. Il écrit que de nombreuses personnes se sont déclarées contre l'interdiction de l'avortement, mais que « les journaux, il va sans dire, n'ont guère publié que des approbations ».
« II va sans dire » qu'André Gide n'a pas dit la vérité. Chacun sait que les journaux ont publié également les critiques, les critiques négatives aussi, adressées au projet de loi.
André Gide met imprudemment à nu les racines de son manque de véracité. Il ne considère comme autorisée qu'une critique dirigée contre la ligne générale du parti et du gouvernement, c'est le triomphe de la révolution prolétarienne, la victoire du socialisme, la liquidation définitive des classes capitalistes.
En effet, cette ligne générale n'éveille aucune critique au sein des masses populaires les plus larges de l'Union soviétique. C'est cette ligne générale que tous les suppôts du capitalisme, tous les agents de la Gestapo et de Trotski ont critiquée et continuent à critiquer. C'est là une critique contre-révolutionnaire. De quoi André Gide s'afflige-t-il ? Peut-être de ce qu'il n'a pas entendu en Union soviétique la voix des contre-révolutionnaires, des fascistes, des trotskistes ? Alors, ce n'était pas la peine de faire le voyage d'U.R.S.S. pour apprendre qu'en même temps qu'ils liquident la bourgeoisie, les peuples de l'Union soviétique liquident aussi les agents de cette bourgeoisie.
André Gide reproduit servilement dans son livre les calomnies éhontées répandues contre l'Union soviétique par les ennemis de la classe ouvrière. Ici, au pays des Soviets, le dévouement de tous les citoyens soviétiques envers le parti communiste et ses chefs l'enthousiasmait. Il en parlait sans cesse — et toujours avec la plus vive admiration. Mais il déclare maintenant qu'il s'est trompé; il explique l'union des peuples de l'U.R.S.S. par leur asservissement, leur crainte, leur stupidité.
Il accuse en bloc tous les écrivains soviétiques de lâcheté, leur conteste toute pensée personnelle, tout talent. André Gide affirme aujourd'hui qu'un écrivain réellement doué doit toujours être en opposition avec le gouvernement, avec les chefs de l'Etat, que toujours il doit appeler à la lutte contre eux.
André Gide serait revenu fort satisfait des écrivains et de tous les peuples de l'Union soviétique s'il les avait vus lutter pour le capitalisme, contre le parti communiste. Ainsi, il ne se serait pas « trompé ».
Mais à l'heure solennelle où furent emmurées les cendres de Gorki, sur la Place Rouge, devant tant de milliers d'honnêtes citoyens soviétiques, devant les écrivains soviétiques émus et bouleversés par cette mort, voici ce que dit André Gide :
Aujourd'hui, en U.R.S.S. pour la première fois, la question se pose d'une façon très différente: en étant révolutionnaire, l'écrivain n'est plus un opposant. Tout au contraire, il répond au vœu du grand nombre, au peuple entier, et, ce qui est le plus admirable, de ses dirigeants.
Ces paroles, André Gide les répéta plus tard au chevet de l'écrivain Ostrovski. Il les répéta avec l'accent de la conviction, les larmes aux yeux. Puis il baisa paternellement Ostrovski.
André Gide, de sa propre initiative, de sa propre volonté — ainsi qu'il le reconnaît maintenant dans son petit livre — a envoyé au camarade Staline, après son voyage en Géorgie, un télégramme de salutations où il disait son ravissement et son enthousiasme.
N'était-ce donc là de la part de Gide qu'un effet de sa crainte, de sa stupidité, de son manque de talent ? Par son essai de calomnier les écrivains soviétiques, c'est lui-même qu'André Gide démasque. C'est ridicule, et en tant que Français, André Gide sait bien que le ridicule est mortel.
Mais peut-être tout cela n'était-il de la part d'André Gide qu'une grossière comédie, une indigne moquerie à l'adresse de l'écrivain soviétique Ostrovski, porté vers lui dans un élan de confiance, à l'adresse du public soviétique qui recevait André Gide comme un ami.
C'est une trop lourde accusation que porte André Gide contre lui-même lorsqu'il se donne pour un homme qui a pénétré dans notre pays sous le masque d'un ami, pour y mentir ensuite consciemment, pour y dissimuler son vrai visage, comme les faux-monnayeurs de l'un de ses romans.
Pour l'instant, nous nous abstiendrons de nous arrêter à cette conclusion. Nous sommes prêts à mettre cette métamorphose aussi subite qu'incompréhensible sur le compte de l'inconstance de sentiments d'André Gide. En vérité la constance n'a jamais été au nombre des vertus de cet auteur. Il est et reste un digne fils de la petite bourgeoisie française.
(A suivre) »

Suite de l'article dans l'Humanité du 19 décembre 1936

Et pour faire suite aux commentaires sur les photographies d'Ostrovski, celle-ci, vraiment fascinante par la blancheur des draps, des tenues, et les visages d'Ostrovski sur son lit de mort et de Gide à son chevet...



Photographie parue dans André Gide par lui-même,
de Claude Martin, (archives Catherine Gide)

lundi 5 avril 2010

Gide dans Paris Match

Le 5 février 1950, la Petite Dame consigne :

"Encore ceci : deux photographes, dont l'un amené par Amrouche, sont venus avec leurs aides le même jour, l'un le matin, l'autre le soir, bien entendu avec l'autorisation de Gide, prendre force clichés de lui dans tout l'appartement et aussi chez nous. Tous les deux souhaitent évidemment l'exclusivité qu'il est prêt à donner à chacun; il entre chez moi avec Amrouche (j'ignorais totalement ce projet) disant : «Chère amie, nous venons vous envahir un instant», on prend de lui une photo dans le grand fauteuil qu'il occupe souvent, puis Amrouche me dit : « Asseyez-vous à côté, nous allons en prendre une de vous deux.» Puis, on prend un cliché de Gide au piano; Elisabeth entrant chez moi, par hasard, Amrouche lui dit : «Tournez donc les pages à Gide.» Que vont devenir ces photos ? Pour qui ? Pour quoi ? Je suis certaine que Gide le sait à peine lui-même; poser des questions qui mèneraient peut-être à s'opposer risquent de le mettre, lui, dans une fâcheuse position, et c'est ainsi qu'on se trouve obligé de se laisser faire à son corps défendant."




Sur son lit étroit, avant sa sieste,
il lit du Virgile dans une ancienne édition scolaire.

(Photo Daniel Philipacchi)


L'un de ces deux photographes était Daniel Filipacchi qui, pour un Paris Match à paraître en mars 1950 (n°51), faisait poser le Vaneau "à son corps défendant". Gide, lui, prenait la pose pour la postérité, l'une de ses activités favorites en sa vieillesse, au grand regret de la Petite Dame... Le site de Paris Match s'en souvient ici.

"Le 22 novembre dernier, il a fêté ses 80 ans, mais il conserve les mêmes activités que dans sa jeunesse.

Il a reçu en exclusivité notre reporter Daniel Filipacchi qui a photographié sa vie quotidienne. Au cinquième étage d’un ­immeuble de pierre de taille, 1 bis, rue Vaneau à Paris, habite le plus célèbre écrivain français vivant : André Gide.

Ses livres sont traduits en toutes les langues, y compris le russe bien qu’ils soient aujourd’hui interdits en URSS. Son œuvre est inscrite au programme de la plupart des universités et un grand nombre de thèses lui ont été consacrées. Leur auteur n’appartient pourtant à aucune académie. Il a toujours refusé les ­honneurs. Le prix Nobel de littérature est la seule ­récompense qu’il ait acceptée.

L’auteur de « La symphonie pastorale » et des « Caves du Vatican » mène une existence des plus simples, entouré de sa fille, Mme Catherine Lambert, qui demeure habituellement avec lui, de sa secrétaire Mme Yvonne Davet et de quelques intimes : l’écrivain Roger Martin du Gard, Prix Nobel lui aussi, et Gaston Gallimard, son éditeur, qui lui rendent visite presque chaque jour. Il est servi par un valet de chambre, Gilbert, qui est aussi son chauffeur.

A 80 ans, André Gide garde l’emploi du temps qu’il s’est imposé toute sa vie : réveil à 7 h 30. Son régime ? Une nourriture frugale sans café ni alcool. Il fume des cigarettes américaines (deux paquets par jour). Ses seules distractions sont les «patiences» aux cartes, quelquefois le cinéma, mais surtout les voyages. Il fait de fréquents séjours dans le midi de la France et en Suisse. En ce moment, il s’apprête à partir pour la Sicile."

Sabine Cayrol - Paris Match n°51, mars 1950