Les points communs entre André Gide et Marguerite Yourcenar sont nombreux, au point qu'on a parlé souvent de l'influence du premier sur la seconde. Les premiers livres de Yourcenar, Alexis ou le Traité du Vain Combat et La Nouvelle Eurydice ont souvent été qualifiés de "gidiens", pour le meilleur et pour le pire :
"Elle a choisi un maître, et au lieu d'écrire les livres de Mme Yourcenar, elle recopie les livres d'André Gide. [...]
Son premier livre se nommait Alexis ou le traité du vain combat. Comme ce titre rappelait son maître ! Voici maintenant une Porte étroite ou une Symphonie pastorale. Nous attendons des Faux monnayeurs. A moins que Mme Yourcenar ne se décide à être elle-même. Nous espérons d'elle beaucoup de choses. En attendant, elle nous aura donné le spectacle paradoxal et bien curieux d'une femme qui est une gidienne." (Robert Brasillach, Action Française du 22 octobre 1931).
Le 3 octobre 1959, dans un entretien qu'elle accorde à Paul Guth pour Le Figaro Littéraire, Yourcenar s'explique sur ce sous-titre à Alexis : "J'avais donné à Alexis ce sous-titre XVIIe siècle : Le Traité du Vain Combat, faisant volontairement écho au titre d'un petit livre de Gide, Le Traité du Vain Désir, petite histoire ornée et mélancolique."
En 1980, à Mathieu Galey, qui lui consacre un long livre d'entretiens (Les Yeux Ouverts, Gallimard), elle précise sur la forme classique de "récit à la française" : "Je crois que la grande contribution de Gide a été de montrer aux jeunes écrivains d'alors qu'on pouvait employer cette forme qui paraissait démodée." Mais déjà avec Mathieu Galey, Yourcenar s'emploie à renier cette influence.
En 86, une journaliste de la RAI, Francesca Sanvitale, vient l'interroger :
" - La culture française a été significative pour vous. Et par exemple Gide.
- Jamais beaucoup aimé Gide. On l'a cru parce que, par la timidité des écrivains très jeunes, j'avais donné un sous-titre à Alexis qui était influencé par les sous-titre de Gide : Le Traité du vain combat. A mon avis, ce sous-titre est inutile, et on pourrait aussi bien le supprimer. Je n'ai jamais beaucoup aimé Gide."
En 1987, à une autre journaliste, de The Paris Review cette fois, Susha Guppy, qui lui demande d'évoquer cette "influence gidienne" elle répond : "Je n'aime pas beaucoup Gide. Je le trouve sec et parfois superficiel." Suit un défense de la forme du Traité, "vieille forme littéraire classique" plus que référence à Gide...
Il existe une étude de Carole Allamand intitulée "Gide et Yourcenar : paternité ou parricide ?" parue dans le Bulletin de la Société Internationale d'Etudes Yourcenariennes numéro 18 (Décembre 1997, pages 19 à 37) que je serais très curieux de lire. Mais le titre est déjà assez "parlant"... Une certaine paternité – en particulier sur les débuts de Yourcenar – fait peu de doutes. Quant au parricide de la fin de la vie, il est peut-être à mettre sur le compte de la volonté de Yourcenar, à la fin de sa vie, de contrôler son image, quitte à jouer d'une certaine froideur.
Mathieu Galey en témoigne dans son Journal. Josyane Savigneau, dans la très bonne biographie qu'elle consacre à Yourcenar et qu'elle sous-titre très justement "L'invention d'une vie", montre aussi combien Yourcenar a été soucieuse de l'image qu'elle laisserait après elle (autre point commun avec Gide !).
Un déni a mettre aussi peut-être sur le compte d'une certaine rancoeur : Yourcenar voulait évidemment attirer l'attention de Gide avec son premier ouvrage. Mais Gide n'attirera jamais à lui la jeune écrivain qui pourtant approchera de très près le cercle gidien (Jaloux, Schlumberger, Du Bos, Kassner...). Tout au plus fait-il savoir, de loin, qu'il s'intéresse à elle et à ses écrits comme en témoigne une lettre datée de novembre 1940 et signée de Constantin Dimaras annonçant à Yourcenar : "J'ai eu récemment des nouvelles d'André Gide qui a beaucoup aimé votre essai sur Cavafy. J'en suis fier pour vous."
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