Parmi les lieux gidiens, il faut ajouter aux nombreuses résidences personnelles de l'écrivain, à celles où ses amis l'hébergent et à celles de ces séjours à l'étranger, les parcs, jardins ou plus simplement la nature sauvage des environs qui l'attirent pour de simples promenades méditatives ou de véritables expéditions botaniques.
C'est l'amie de sa mère Anna Schackelton qui l'initie dès son plus jeune âge à la botanique. André peut passer des heures à observer un insecte, revenir cent fois guetter la parfaite floraison d'une plante sauvage. Entre la Normandie maternelle et le Sud paternel, il ne peut trancher, tout l'intéresse. En 1902, dans un article, il avoue :
"Entre la Normandie et le Midi je ne voudrais ni ne pourrais choisir, et me sens d'autant plus Français que je ne le suis pas d'un seul morceau de France, que je ne peux penser et sentir spécialement en Normand ou en Méridional, en catholique ou en protestant, mais en Français, et que, né à Paris, je comprends à la fois l'Oc et l'Oïl, l'épais jargon normand, le parler chantant du Midi, que je garde à la fois le goût du vin, le goût du cidre, l'amour des bois profonds, celui de la garrigue, du pommier blanc et du blanc amandier."
A ses conceptions religieuses de la Nature dans son enfance succèdent des appréciations bien plus charnelles et une étude plus systématique, scientifique. Il observe le végétal comme il s'observe lui-même. Et il avoue que son esprit est moins réfractaire à l'histoire naturelle qu'à l'histoire humaine. De fait, toute sa vie il retiendra mieux les noms des plantes que les dates historiques et même celles de sa propre histoire...
Avec Mallarmé, il pense que le monde a été créé pour devenir un livre. Le paysage doit y tenir le rôle d'un personnage aussi important que ceux de chair. Avec Valéry, il passe de longs moments au Jardin des Plantes de Montpellier, l'un et l'autre songeant à leur Narcisse près du mystérieux tombeau de Narcissa.
Très vite, le naturaliste se veut jardinier. Parce qu'il ne voit pas dans la nature "une école de vertu" mais une "école d'intelligence, d'adaptation", il s'intéresse à la taille, au rempotage, à la greffe. Quand Barrès prône les racines, le terreau français, Gide observe que c'est par le dépotage et la taille des racines qu'on obtient des plantes plus robustes. Pendant plusieurs années à Cuverville il mène des expériences.
"Dimanche (1916)
La taille de nos arbres fruitiers est terriblement en retard ; la sève presse. Je m'y suis mis activement et chaque jour j'y ai passé près de quatre heures. Il me prend contre Mius de grandes rages à découvrir l'absurde disposition de ses espaliers. Comme il sacrifie tout à l'aspect et que le moindre vide le désoblige, il s'arrange de manière à ramener de n'importe où un rameau, pour suppléer à celui qui manque, et qu'il aurait dû savoir obtenir. Rien ne dira à quelles contorsions acrobatiques, à quelles saugrenues dispositions mes arbres se voyaient obligés par ce pauvre cerveau. Son rêve aurait été d'écrire son nom partout avec des branches ; je retrouve sur les espaliers les formes de toutes les lettres de l'alphabet. Et, pour réobtenir aujourd'hui des dispositions un peu rationnelles, il faut oser de vrais saccages, dont les arbres ne se remettront pas de longtemps." (Journal)
A Paris, après avoir fréquenté assidûment le jardin du Luxembourg dans son enfance, il reste un fidèle du Jardin des Plantes – comme son héros de Paludes – ne manque aucune exposition horticole. Elisabeth van Rysselberghe, devenue horticultrice, l'accompagne dans ces visites et dans ses promenades botaniques. Ses voyages en Afrique du Nord puis au Tchad, au Congo, au Niger, sont également l'occasion d'observations humaines, politiques que naturalistes. Pour Gide, tout bon romancier, ou qui voudrait le devenir, doit impérativement s'intéresser à la flore et à la faune. Une expérience pour lui aussi capitale que sa participation à un jury d'assises.
Tentative de liste des lieux gidiens "naturels" (et bibliographie liée) :
- Jardin du Luxembourg près de la maison natale de Gide à Paris, 19, rue de Médicis, actuellement 2, place Edmond Rostand, de 1869 à 1875 (Si le grain ne meurt)
- Jardins des hôtels particuliers de la maison familiale parisienne du 4, rue de Commaille, de 1883 à 1897 (Si le grain ne meurt)
- Parc du château de la Roque-Baignard en Normandie, propriété familiale du côté maternel. Plus de 400 hectares de terres, de forêts, d'étangs... (Si le grain ne meurt, Journal)
- Campagne cévenole des environs d'Uzès, berceau de la famille paternelle où Gide retrouvait ses grands-parents (Si le grain ne meurt)
- Parc de la Villa des Sources, propriété de son oncle Charles Gide à Bellegarde-du-Gard, près de Nîmes (Correspondance avec sa mère, Journal)
- Jardin des Plantes de Montpellier, ville où résidait aussi Charles Gide, et jardin de la maison de l'oncle (Si le grain ne meurt). A signaler aussi les promenades avec Paul Valéry au Jardin des Plantes (Journal, entretiens avec Jean Amrouche)
- Jardin de Cuverville, propriété familiale de l'épouse de Gide, Madeleine, où Gide (La porte étroite, Journal, Si le grain ne meurt, voir aussi les Cahiers de la Petite Dame)
- Afrique du Nord/Italie: Premier séjour en 1893-1894 à Tunis, Biskra puis Malte et l'Italie où il admire notamment les jardins de Florence (Journal, correspondances, Si le grain ne meurt). Voyage de noces en 1895-1896 avec Madeleine, nouveaux séjours en Italie et en Afrique du Nord (Journal). De nombreux autres voyages suivront.
- Congo, Tchad en 1925-1926 (Voyage au Congo, Retour du Tchad, Journal), Sénégal en 1936
- Midi de la France : villa "le Pin" à Saint-Clair (maison de Théo et Maria van Rysselberghe), la Bastide Franco (domaine géré par Elisabeth van Rysselbergh), Roquebrune (chez Dorothy et Simon Bussy), Porquerolles, Cabris, Hyères, Marseille... (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
- Le Tertre, château des Roger Martin-du-Gard à Bellême dans l'Orne. (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
- Colpach, château des Mayrisch au Luxembourg. (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
A lire à ce sujet :
- Roger Bastide, Anatomie d'André Gide, "Gide jardinier", L'Harmattan
- Les Jardins d'André Gide. Texte de Mic Chamblas-Ploton, photographies de Jean-Baptiste Leroux, préface de Claude Martin; Éd. du Chêne.
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