mercredi 30 janvier 2008

Gide et les femmes : Loup

Après une fin difficile "qui ne lui ressemble pas", Aline Mayrisch, alias Loup pour le cercle des amis gidiens, meurt le 20 janvier 1947 (le 19 dans les CDP) dans sa maison de Cabris, La Messuguière. Elisabeth van Rysselberghe est auprès d'elle aux côtés de la fille d'Aline, Andrée. La Petite Dame raconte la suite dans ses Cahiers :

"Loup a désiré être incinérée, cela se fit à Paris incognito et les cendres furent transportées à Luxembourg dans le local de la Croix-Rouge, dont elle était présidente, et où tout ce qui compte dans le pays a défilé en un dernier hommage. Puis elles furent transportées à Colpach où s'étaient réunis les amis intimes, et le matin du 1er février nous escortions ses cendres à travers le parc glacé et on les déposait dans la grande tombe solitaire du patron. Cela ne manquait pas de grandeur."


Aline de Saint-Hubert est née le 22 août 1874 à Luxembourg, d'une famille de commerçants en bois. A vingt ans, elle épouse Emile Mayrisch, ingénieur sidérurgiste et futur grand patron de la sidérurgie (Arbed), "le patron" qu'évoque le Petite Dame. Après des études classiques pour une jeune femme de cette époque, en pensionnat, c'est en autodidacte et avec la liberté qu'apporte bientôt une grande fortune qu'elle se passionne pour le monde des lettres, des voyages et de la politique.


Aline et Emile Mayrisch


Elle protège l'hebdomadaire belge Pan, collabore à la revue d'avant-garde L'Art Moderne, éditée à Bruxelles par Octave Maus aux côtés d'Edmond Picard et d'Emile Verhaeren avec une vingtaine d'autres artistes, qui luttent pour la défense d'un art intransigeant. C'est dans ce creuset qu'elle se lie d'une amitié très forte, amoureuse selon certains, avec Maria van Rysselberghe. Un article d'Aline Mayrisch sur L'Immoraliste, en 1903, rapprochera tout à fait Gide et Loup.

A Dudelange puis à Colpach, les Mayrisch convient des hommes politiques et des intellectuels français et allemands. Pont entre les deux pays qui se renforce après la première guerre mondiale, le "Comité Franco-Allemand" jette les fondements d'une future Europe. "Le cercle de Colpach" est un rendez-vous informel, voulu tel par Aline Mayrisch, où Gide rencontre par exemple Ernst Robert Curtius et Walter Rathenau. Bilingue, Aline Mayrisch renforce aussi l'amour de Gide pour la littérature allemande, l'aide dans ses traductions de Goethe, traduit en allemand ses Caves du Vatican.





Le chateau de Colpach

Quand Aline Mayrisch n'héberge pas André Gide, ils s'écrivent. Quarante-trois ans de correspondance donnée à lire dans les Cahiers de la NRF, dix-huitième de la série André Gide*. Mais c'est aussi pour Loup-Aline que Maria van Rysselberghe entame ses "Notes pour l'histoire authentique d'André Gide" en 1918...

Le sud de la France réunit de nouveau Loup, Gide et la Petite Dame lors de la seconde guerre mondiale. A la Messuguière, à Cabris, se recrée un cercle intellectuel où l'on voit défiler Sartre, Michaux, Martin du Gard, Malaquais... Un lieu de résistance aussi : Andrée Mayrisch, fille d'Aline et Emile, a épousé Pierre Vienot.

Il faut enfin signaler les "oeuvres" d'Aline Mayrisch pour compléter tout à fait son portrait. Création de l'Association pour les Intérêts de la Femme dès 1906, maison de Dudelange transformée en Maison pour Enfants en 1920, création de la Ligue contre la Tuberculose, la Ligue Anticancéreuse, de dispensaires pour nourrissons ainsi que la première crèche à Esch-sur-Alzette en 1932... La présidente de la Croix-Rouge du Luxembourg cède à sa mort le château de Colpach et des parts dans la société Belgo-Mineira à l'association.


Aline Mayrisch




* André Gide – Aline Mayrisch, Correspondance 1903-1945, Cahiers de la NRF, Gallimard, 2003

Quatrième de couverture :
"Les quelques deux cents lettres ici rassemblées retracent plus de quarante ans d'une amitié à la fois complexe et indéfectible, la nature inquiète et ardente de chacun des deux amis trouvant auprès de l'autre une écoute critique et affectueuse. Ce qui les avait rapprochés tenait autant de la compréhension intellectuelle que de la complicité affective: s'il avait fallu un compte rendu pénétrant de L'Immoraliste pour attirer l'attention de Gide sur Aline Mayrisch, c'est l'entreprise de celle qui était pour l'un et l'autre leur meilleure amie, Maria Van Rysselberghe, qui devait sceller leur alliance.
Ces deux fils rouges courent ainsi tout au long de cette correspondance, entremêlant le public et l'intime, la parution des Caves duVatican ou de Corydon comme la naissance de Catherine, l'enfant dont Gide est le père et Aline Mayrisch la marraine. La position de celle-ci, luxembourgeoise et bilingue, contribua particulièrement à rendre cette amitié féconde. Elle joua ainsi, avant la Grande Guerre, un rôle de passeur entre Gide et la littérature allemande, l'aidant à traduire Rilke, contrôlant à son tour la traduction des Caves. Mais c'est surtout au lendemain de la guerre que son rôle va s'affirmer: à Colpach, où se croisent intellectuels et politiques français et allemands, où les dirigeants de La NRF viennent réfléchir à l'avenir de l'Europe, Gide multiplie les séjours, s'installe même à demeure, le temps de participer à des jeux d'adolescents, tout en travaillant aux Faux-Monnayeurs. C'est précisément dans les six années de cette intense fréquentation que se place la moitié de leur échange épistolaire.
Cette correspondance, qui rappelle aujourd'hui l'importance du rôle tenu par Aline Mayrisch, constitue aussi, pour la connaissance de Gide, un précieux complément aux Cahiers de la Petite Dame.
Le présent volume est le dix-huitième de la "Série André Gide"."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

pourquoi pas:)