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Paris, le 17 Avril 1928.Monsieur,
Je lis votre lettre avec la sympathie la plus attentive, mais suis fort embarrassé pour vous répondre.
Persuadez-vous qu'en psychologie il n'y a que des cas particuliers et que, dans un cas comme le vôtre, des généralisations trop hâtives peuvent entraîner les plus funestes erreurs.
Ceci dit, permettez-moi de considérer comme bien imprudente une expérience matrimoniale qui, si elle échoue, compromet sûrement le bonheur d'une femme, et très, probablement le vôtre, pour peu que vous ayez le cœur bien placé. Mais encore une fois, il n'y a que des cas particuliers, et pour vous parler congrument, il ne me suffirait pas de vous mieux connaître, il faudrait encore connaître celle à qui vous vous raccrocheriez.
La question des aveux est on ne peut plus scabreuse. Je serais tenté de vous dire : si vous ne les faites pas tout de suite, (je veux dire avant le mariage), ne les faites jamais. Mais dans ce cas arrangez-vous de manière à n'avoir pas besoin de les faire — et vous aurez sûrement besoin de les faire un jour ou l'autre, si vous n'êtes pas capable de vous comporter en mari.
En règle générale, mieux vaut se sacrifier soi-même, que de sacrifier à soi un autre être. Mais tout cela, c'est de la théorie ; en pratique il advient que l'on ne s'aperçoive du sacrifice que longtemps après qu'il est consommé.
Adieu Monsieur, je joins à ces semblants de conseils tous mes vœux, et vous prie de les croire très sincèrement cordiaux.
ANDRÉ GIDE
Cette lettre prend place dans un ensemble publié entre juin 1928 et janvier 1929 dans la NRF. La première des lettres en explique le projet. La liste des lettres donnée dans ce premier billet permet aussi de les retrouver sous forme de sommaire avec liens.
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