mardi 3 novembre 2009

Gide à l'IMEC

De l'autre côté du périphérique caennais, à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, l'Institut Mémoires de l'Edition Contemporaine présente l'exposition En toutes lettres... Cent ans de littérature à la NRF. Dans la grange aux dîmes de l'abbaye d'Ardenne, les panneaux et vitrines rassemblés à la Fondation Bodmer en début d'année se déploient de nouveau. Si là aussi l'obscurité propice aux papyrus et codex règne, l'ensemble a néanmoins été enrichi de lettres et manuscrits tirés du fonds de l'IMEC, dont de nombreuses "Archives Paulhan".




Ne ratez pas à l'entrée, dans la pénombre, le premier numéro de la NRF monté sur un piédestal et protégé par un cube de verre, objet d'un culte farouche qui eut ses disciples, ses bulles et ses papes. La chronologie de cette religion s'étale quant à elle aux murs, sur fond rouge. L'ombre de Gide s'y profile dès le début, une première station intitulée "Avant l'histoire 1890-1908" montrant les revues de l'époque : Antée, L'Ermitage ou Les Marges.

Sous le titre "La revue d'André Gide 1908-1918" on retrouve les deux "premiers numéros" de la NRF : celle de novembre 1908, premier premier numéro ou faux-départ, et celle de février 1909, débarrassée des mallarméoclastes. Mais c'est Jean Schlumberger et non Gide, qui se fait le porte-parole du groupe, dans ses "Considérations" qui ouvrent le numéro et définissent la ligne éditoriale de la revue.





Dans une lettre à l'en-tête de Chelsea et datée de 1911, Valery Larbaud fait savoir à Gide : "Vous (je veux dire l'administration de la NRF) êtes un peu chiches de numéros spécimens et de service gratuit...". L'écriture d'André Gide a entouré l'adresse et ajoute : "prendre note de cette adresse pour l'envoi des numéros suivants de la revue". Larbaud apportera sa grande connaissance de la littérature anglo-saxonne à la NRF. Pour la publicité et les numéros gratuits bien distribués, il faudra faire confiance à Gaston Gallimard.

1911, c'est aussi le début du comptoir d'édition de la NRF. Isabelle, d'André Gide, et L'Otage, de Claudel sont les premiers ouvrages publiés par la NRF. Si Isabelle a une couverture bleue cartonnée, L'Otage prend déjà l'aspect bien connu rouge et noir sur fond beige choisi parmi quatre maquettes. Diffusée à proximité par un haut-parleur, la voix de Gaston Gallimard (interrogé en décembre 1972 par Madeleine Chapsal) nous apprend que Gide avait aussi découvert que l'édition première d'Isabelle portait tantôt 26 tantôt 27 lignes par page. "Il a tout déchiré mais, bien malin, en a conservé 5 ou 6 exemplaires...".




Autres curiosités : L'édition de Du côté de chez Swann chez Grasset (1913) portant en recouvrure l'estampille NRF (1917). Le compte-rendu d'une réunion de septembre 1920 de Paulhan à Rivière : "Radiguet veut une promesse ferme d'acceptation" précise Paulhan. "Il nous fait suer" note en marge Rivière qui ajoute : "(excusez-moi) ". La carte de presse de François Mauriac (1924), "critique du journal la NRF". La carte de visite de Jules Supervielle avec au dos ces mots de la main de Gide : "Le type dont voici la carte [est] à surveiller pour la NRF"...

Un détour par Pontigny, un hommage à Rivière. La visite se poursuit, toujours aussi fascinante. "Je ne sens rien venir pour Angèle" écrit Gide à Rivière, de Colpach en avril 1921. Alors que Larbaud envoyait ses lettres de Chelsea, c'est de la Brasserie Cyrano (!) que le 4 mars 1926 André Breton écrit à Paulhan : "Monsieur, j'ai l'honneur de vous informer que je vous tiens pour un con et un lâche". La première partie de l'exposition s'achève sur les années "A la mesure de Jean Paulhan 1925-1940).




Une pause est bienvenue. On s'installe dans un confortable fauteuil club devant une table basse. La première table est consacrée à Gide. A la disposition du public, de nombreux ouvrages dont l'Hommage à André Gide de la NRF, les correspondances avec Schlumberger, Rivière, Paulhan, les trois volumes de André Gide et le premier groupe de la NRF, Le diable à la NRF de Cabanis, les deux premières revues... Et en prime la diffusion du film de Marc Allégret "Avec André Gide" ! La seconde table, tout aussi opulente, est consacrée à Paulhan.

Ce petit salon blotti tout au fond de la majestueuse grange aux dîmes est posé au pied d'une immense image : sur quelques dizaines de mètres-carrés se déploie la silhouette de Gide, saisi en pleine course lors des fameux exercices à la villa Noailles (en 1936, je crois). C'est, je l'ai déjà écrit, mon image préférée de Gide l'insaisissable...





La scrupuleuse visite de la première partie de l'exposition, la station devant les 95 minutes du film de Marc Allégret et le temps de feuilleter tout de même tous ces beaux ouvrages mis à notre disposition ont passablement entamé l'après-midi. L'exposition n'ouvre que de deux à six heures de l'après-midi ! C'est bien le seul reproche qu'on pourrait lui faire. Si, peut-être déplorer aussi l'éclairage zénithal des vitrines : penchez-vous pour étudier un manuscrit de près et votre ombre l'occulte aussitôt.

C'est donc avec une approche en biais pour éviter les ombres projetées et sans prendre le temps de noter tout ce qu'il y a d'intéressant que nous parcourons la seconde partie des vitrines : des "années sombres 1940-1953" à nos jours pour conclure par des "Extérieurs" NRF (Vieux-Colombiers, Pontigny, Mesures...). Nous nous heurtons alors à une bibliothèque qui contient l'intégrale des numéros de la NRF, pendant au premier numéro de l'entrée...





L'exposition se poursuit jusqu'au 23 décembre, tous les jours sauf le lundi, de 14h à 18h à l'IMEC, près de Caen (entrée gratuite). Plusieurs débats et colloques seront organisés en marge de l'exposition : voir ce précédent billet ou rendez-vous sur le site de l'IMEC.

Une visite virtuelle de l'exposition est disponible sur le site du centenaire de la NRF.

1 commentaire:

Philippe Brin a dit…

Je ne pense pouvoir aller à Caen d'ici le 23 décembre, malheureusement !...
Aussi, cher Fabrice, merci infiniment pour cet agréable aperçu de l'exposition.