«Quand je serai mort, Pierre, compromettez-moi, me disait André Gide.
Ainsi Gide a cent ans. Sans doute faudrait-il, à cette occasion, offrir quelques graves réflexions concernant l'homme et son œuvre. Je me bornerai à évoquer dans ces pages le climat familier d'une amitié de vingt ans avec «le plus irremplaçable des êtres».
Gide et moi, on ne s'ennuyait pas ensemble. Nous avions constitué un petit arsenal de formules, nées de quelque circonstance, et qui s'appliquaient à bien d'autres. Par exemple: Fuyons, fuyons ces lieux intolérables soit que l'ennui nous chassât, d'un salon ou d'une ville, soit que, grillés ici, nous sentions qu'il fallait détaler au plus vite.
Cette force d'anarchie qu'il portait en lui et qui transparait fugitivement dans son œuvre, mais dont elle est imprégnée pour qui sait lire, il n'a su la libérer pour de bon que dans sa vie, au prix d'un ténébreux combat que ses «mœurs» l'aidaient à livrer.
On ne dira jamais assez l'importance des passions interdites dans la fécondation d'un artiste.
C'était dans le Caucase, entre Tiflis et Batoum. Nous faisions halte, nous petite caravane de voitures (des Lincoln), pour déjeuner, sur de grandes hauteurs, dans un site vraiment prométhéen - une sorte d'auberge très vaste. Nous en étions à peine au «chachlik» que Gide, toujours en mal de chandails, me demanda d'aller en chercher un dans l'auto. Le petit orchestre d'accordéons qui nous régalait m'accompagna de son souffle jusqu'au garage. Il y faisait obscur. Je vis, en face, un grand et gros homme qui se dandinait contre le mur. Je m'approchai. Un ours enchaîné dansait, en mesure, au son du lointain accordéon. Dans une solitude affreuse, quand même il «participait». Chandail sur le bras, j'allai rejoindre Gide.
- Venez, dis-je. Il y a quelque chose...
- Mais vous n'avez pas fini votre chachlik.
- Faites-moi confiance. Venez.
Nous arrivâmes à l'ours. Gide le contempla longuement, qui dansait, dansait, sa figure d'ours contre le mur.
- C'est atroce, dit enfin Gide. Mais vous savez, ce sera peut-être notre souvenir le moins bête d'Union Soviétique.
Mais dites-moi, à qui donc se rapporte ce pronom ? disait Gide dans des cas ambigus. Cela datait de loin, d'une lecture de Malraux (le Temps du Mépris, je crois). Gide admirait d'abord de confiance. Puis le lendemain geignait: «J'ai mal dormi : la gratte. Alors j'ai repris son Temps du Mépris là. C'est très bien. Mais dites-moi: à qui donc se rapporte ce pronom? (Et il soulignait de l'ongle une phrase). Dans ses précédents livres, je m'y retrouvais mieux. Un personnage bégaye, l'autre fume l'opium, le troisième est rôti dans une chaudière de locomotive ; on les distingue les uns des autres. Mais là !...»
En revenant d'une visite à un académicien, Gide avait l'air songeur.
- Je me demande si ce qu'on m'affirme est vrai, dit-il enfin.
- Et que vous affirme-t-on ?
- Qu'il est amoureux de son fils... Mais je me méfie : pour me faire plaisir, les gens racontent n'importe quoi.
Parmi nos formules, il y avait : Le plus bête des deux n'est pas celui qu'on pense, qui a, disait Gide, l'avantage de laisser la porte ouverte à toutes les conjectures. Et celle-ci, empruntée à Dostoïevsky: Il est si bête qu'on n'ose pas y penser. C'est en évoquant Jammes que Gide me livra cette perle...
- Je propose pour notre usage, dit Gide, un nouveau proverbe de l'enfer.
- Ah!
- Oui : A chaque jour suffit sa malice.
- Je croyais qu'on disait... «suffit sa peine.»
- Bien sûr qu'on le dit. C'est la version catholique de la chose. La juste traduction est malice. La part du mal, la nécessaire part du diable, quoi.
A la suite de la publication de certaines pages de son journal, Gide fut soupçonné d'antisémitisme. Cela me déplut. Je l'attaquai en direct.
- Je n'ai guère envie d'aborder cette question, me dit-il.
- Si, vous l'aborderez .
- Soit! Puisque vous l'exigez... Eh bien, sachez (je vis pétiller son regard) sachez que j'ai été un peu traumatisé par... eh bien oui, par... Léon Blum dont vous savez qu'il fut mon condisciple. Voilà ce qui est arrivé. Un jour ma femme fut blessée dans un accident de taxi. Le bras cassé : plâtre - clinique - etc. Un ami me dit : C'est ridicule; les taxis sont assurés; vous devez obtenir le remboursement de tous ces frais. Allez voir un avocat. Je ne connaissais d'avocat que Blum. J'y vais. Je lui raconte mon histoire. Blum me dit: «Bien sûr, ton ami a raison. Les taxis sont assurés.
Tu dois être remboursé. Moi je ne m'occupe plus de ce genre de choses. Je vais t'adresser à un ami sûr, maître Blumenfeld. Il prendra ton affaire en main». Je vais chez Blumenfeld. Un homme charmant. Il me demande une «provision» que je lui donne. Le temps passe, et j'oublie. Puis je me souviens et je retourne chez Blumenfeld. «J'allais justement vous écrire que la provision était insuffisante, dit-il, et vous demander de la doubler». Je fais un chèque. Le temps passe, et j'oublie. Puis je me souviens et je retourne chez Blumenfeld. Mais je ne me rappelais pas l'étage
et j'interroge la concierge.
- Maître Blumenfeld ? ricane-t-elle. Il a levé le pied avec l'argent de ses clients.
Je saute dans un taxi et je vole quai Bourbon. «Tu sais, Léon, dis-je à Blum, je te retiens avec ton Blumenfeld.» Et je lui raconte. «Ah! le malheureux! s'écrie Blum. Il a recommencé!»
Une pause tandis que je me pâme de rire. - «Alors, vous comprenez, cela m'a rendu circonspect». Encore une pause, puis : ... « Mais peut-être pas dans le sens que vous imaginez. Blum qui faisait confiance à cet avocat véreux, en abusant de la mienne bien sûr... Mais enfin, c'était de la générosité - de la générosité juive. Vous voyez, Pierre : Problème!»
Les grands hommes suscitent de folles amours et aussi des amours de folles. J'ai connu à Gide plusieurs folles. L'une d'elles m'est restée en mémoire.
C'était aux petites heures. Mal ressuyé d'une nuit éprouvante passée hors les murs, je somnolais.
Gide paraît devant mon lit, en «pudjama» comme il disait, un peu hagard, quelques cheveux
dressés sur le bord du crâne.
- Cher, de grâce aidez-moi, dit-il
- Mais, Gide, l'aube point à peine.
- C'est que, vous n'imaginez pas, il y a là une personne... (il s'approche de moi, et à voix basse) Une folle!
- Comment donc?
- Oui, elle est là, avec deux grosses valises. Elle s'installe.
- Mais pourquoi ?
- Allez savoir! Elle m'a dit: «Je me rends à votre appel, maître. Me voici.» J'avoue que j'ai un peu perdu la tête. J'ai dit que j'allais vous chercher. J'ai dit : mon secrétaire. Pierre, aidez-moi, par pitié. Vous sentez bien que je ne puis, à moi tout seul, surmonter cette épreuve.
Je mis une robe de chambre et me laissai entraîner dans l'appartement mitoyen.
- Elle est là, souffla Gide en me montrant du pouce une porte fermée. Je vous en conjure, tâchez
de tirer les choses au clair. Je m'esquive. Et dire que je n'ai pas pris mon breakfast !
J'entrai. Je vis une dame, assise au bord d'un fauteuil, l'air calme, digne.
- Vous êtes le secrétaire du maître ? dit-elle.
Je m'inclinai.
- Vous le voyez, je me suis rendue à son appel.
- Puis-je vous demander, Madame, par quelles voies vous est parvenu cet... appel !
Elle sourit finement :
- Oh! Monsieur. Je sais lire entre les lignes. C'est grâce à son dernier livre...
- Et quel livre ?
- Mais, Patchouli. Oh, je sais bien qu'il ne l'a pas signé de son nom, qu'il a pris un pseudonyme, comme pour la plupart de ses œuvres.
- Je vais en référer au maître.
Gide me guettait dans le couloir:
- Eh bien ?
- Eh bien, ça va mal. Elle a lu Patchouli.
- Quoi ?
- Patchouli, votre dernier livre, et...
- Il faut réagir, s'écria Gide. Allons!
La dame resta assise.
- Mon secrétaire m'a dit, commença Gide.
- Je vois, maître, que vous m'avez comprise à demi mot. J'ai senti quel labeur gigantesque vous aviez entrepris, en lisant votre dernier livre.
- Patchouli ?
- Oui, Patchouli. A vous seul, penser, composer, écrire tout se qui se publie en France. (Elle se leva.) Je suis venue vous aider dans cette tâche.
- Hélas, Madame... balbutia Gide.
- Oh! Maître, permettez-moi une remarque : De tous les livres que vous avez écrits, les meilleurs ne sont pas ceux que vous avez signés de votre vrai nom. (Gide eut un haut-le-corps.) Quelle modestie ! quelle leçon !
- Hélas, Madame! accablé par ces travaux d'Hercule, j'ai déjà engagé une personne qui me prête son concours. Vous l'entendez du reste. (En effet, la secrétaire de Gide venait d'arriver et, troublée par cette présence féminine près de son dieu, tapait furieusement à la machine dans la pièce contiguë.)
Gide s'inclina:
- Madame !
- Eh, maître, que deviendrai-je ? J'ai tout abandonné, ma maison, ma vieille mère. Que faire, dites-moi, que faire ?
- Apprenez l'anglais! dit Gide d'un ton alerte.
Contre toute attente, la dame frappa allègrement dans ses mains :
- Merci, maître. Oh ! merci!
Elle s'élança dans le vestibule, saisit ses lourdes valises et s'en fut.
- Ouf, dit Gide.
- Quand même, l'anglais, c'était un coup de génie, constatai-je.
Gide prit un air modeste :
- Voyez-vous, Pierre, dans ces cas là, il importe de ne pas désespérer l'âme en peine. Il faut montrer une voie.
Une amie avait donné à Gide un caniche, une bête grincheuse et, de toute évidence, hystérique. Gide s'essayait à la dresser. Par exemple, ayant par inadvertance marché sur la patte de l'animal qui se mettait à hurler, il lui donnait une bonne tape «pour lui inculquer, disait-il, le sentiment de la faute».
Un matin, Gide me dit :
- Qu'en pensez-vous, Pierre : si nous allions à Tahiti ?
Et devinant ma perplexité :
- Vous voyez ça, là sur la table... C'est le manuscrit de X... Un riche collectionneur suisse m'en propose X... francs. Je crois que cela paierait le voyage.
Je me retirai, rêvant à Tahiti.
Pendant le déjeuner, que nous prenions chez la Petite Dame, Eugénie la femme de ménage de Gide, fit irruption dans la salle à manger:
- Monsieur, Monsieur ! Venez ! le chien mange tout.
.- Mais quoi ?
- Vos papiers.
Dans la bibliothèque, un spectacle désolant nous attendait. Le manuscrit, en tout petits morceaux, jonchait le tapis.
Gide haussa les épaules:
- Pas de Tahiti, dit-il.
A quelques jours de là, je trouvai Gide «au travail».
- J'étais d'autant plus ennuyé avec ce manuscrit, dit-il, que j'avais glissé dedans l'adresse du riche collectionneur. Cet imbécile de chien a tout déchiré. Heureusement ce Suisse m'a téléphoné. J'ai laissé l'affaire pendante.
- A quoi bon, puisque le chien a tout boulotté.
- On ne me prend pas sans vert. (Et d'un air gourmand) : Regardez. Je fais un faux manuscrit. C'est long. Mais ne croyez pas que ça m'ennuie. J'invente des corrections !
Nous n'allâmes pas à Tahiti, bien par ma faute.
En 1941, Gide, à Nice, se plaisait à répéter cette phrase: L'art vit de contrainte et meurt de liberté - dans un moment où, dans ce domaine, la censure sévissait. Quand je m'indignais en disant: «Vous savez bien que cette contrainte, vous entendez vous l'imposer à vous-même. En disciplinant votre création ; vous n'admettriez pas qu'elle vous soit imposée par un quelconque Vichy. Vous jouez sur une équivoque».
- Bien sûr. Et mieux, je joue sur les deux tableaux, car je prétends gagner sur les deux : la contrainte dont je me châtie m'amènera, si j'ai du talent, à une certaine perfection ; celle qu'on m'impose me contraindra à inventer les moyens de la déjouer. Ils existent. Ces gens-là sont, pour finir, des imbéciles. On ne brigue pas un poste de gouvernement sans posséder, à son insu certes, une foncière vulgarité d'âme et d'esprit, en dépit de leur astuce à tous. Quel plaisir de s'en jouer ! Et remarquez nos verbes, Pierre : jouer, déjouer, se jouer.
Toujours l'idée de jeu. «L'œuvre sera joyeuse ou ne sera pas », aurait pu dire Breton.
- Et s'ils vous contraignaient simplement à vous taire ? Cela s'est vu.
- La belle affaire ! Qu'importent vingt ans de silence ? Et puis, on écrit trop, pensait Lafcadio ; je
crois même qu'il l'a dit...
- Ainsi, vous croyez que vos deux contraintes...
- Se combineront, oui. En une combine, pour faire la nique à cette chose bête et basse : le pouvoir.
Que n'ai-je, requis que j'étais par ce que je croyais être des «réalités» plus pressantes, talonné Gide sur cette voie où se révélait une dimension qui, peut-être, manque à sa pensée, par excès de balance.
Là, dans cette chambre de l'hôtel Adriatic où Gide grelottait sur son lit (j'avais beau allumer dans la cheminée des journaux !), moi marchant au hasard autour de lui, ah ! que ne l'ai-je poussé plus loin ?
Du moins, ai-je eu le bon esprit d'écrire cette «conversation», en rentrant chez moi. Nous ne l'avons jamais reprise. L'amitié, décidément, n'est que l'histoire des occasions perdues.
- J'en ai assez d'errer dans cet appartement. Je me sens claustrophobé.
- Moi aussi.
- Eh bien, allons à Taormine.
Le jour même nous prenions l'avion pour Syracuse.
- Avant de louer une auto, dit Gide, je veux vous montrer la fontaine Aréthuse.
Il m'y conduit:
- Là, en-dessous, regardez... Ça ne vous émeut pas ?
- Non.
- C'est que vous êtes si ignorant.
Je lui récitai aussitôt le mythe de la nymphe de Diane.
- Et alors, rien... Pas d'émotion
- Non.
- Moi non plus... «Fuyons, fuyons ces lieux intolérables.»
A Taormine, la vie devint bientôt difficile. Par malheur, l'hôtelier nous avait donné des chambres indépendantes du reste de l'auberge, avec un escalier privé donnant sur la rue - ce qui permettait une incessante circulation.
Nous rencontrâmes Truman Capote et Donald Windham pour qui je me pris d'une vive sympathie. Quand nous partîmes, Windham me donna un livre de lui: Dogstar.
- Qu'est-ce que c'est ce livre? me demanda Gide, dans l'auto.
- Un livre de Donald.
Il le feuilleta un moment puis, soudain, le jeta par la portière.
Furieux, je fis arrêter l'auto, envoyai le chauffeur rechercher le volume sur la route.
Dogstar me plut tant qu'avec Elisabeth Van Rysselberghe je le traduisis. Gide ne voulut jamais le lire. Il avait ainsi des obstinations, des répugnances, incompréhensibles chez un esprit si curieux.
J'étais à Cabris avec Roger Martin du Gard, tandis que la mort rôdait déjà autour de Gide, à grands pas de loup. Alertés par un télégramme, nous regagnâmes l'un et l'autre Paris. Il se levait encore, mais de quelle démarche titubante ! - et ce fut, peu après mon arrivée pour gagner sa bibliothèque où il voulait consulter un livre :
- Aidez-moi, Pierre, à retrouver ce passage dans Proust, vous savez vers la fin, à cette «matinée» chez le prince de Guermantes où l'on retrouve l'ancienne Madame Verdurin et que tout le monde lui apparaît grimé - et tout le monde l'est par l'âge - il... ah! tâchez de me dégoter cela...
Je pris le Temps retrouvé et le lui tendis, ouvert à la bonne page.
- Non. Lisez. Je vois trouble. Je ne peux plus.
Gilberte de Saint-Loup me dit : «Voulez-vous que nous allions dîner tous les deux seuls au restaurant?» Comme je répondais: «Si vous ne trouvez pas compromettant de venir dîner seule avec un jeune homme», j'entendis que tout le monde riait, et je m'empressai d'ajouter: «ou plutôt avec un vieil homme». Je sentais que la phrase qui avait fait rire était de celles qu'aurait pu, en parlant de moi, dire ma mère pour qui j'étais toujours un enfant. Or je m'apercevais que je me plaçais pour me juger au même point de vue qu'elle. Si j'avais fini par enregistrer comme elle certains changements, qui s'étaient faits depuis ma première enfance, c'était tout de même des changements maintenant très anciens. J'en étais resté à celui qui faisait qu'on avait dit un temps, presque en prenant de l'avance sur le fait: «C'est maintenant presque un grand jeune homme ». Je le pensais encore, mais cette fois avec un immense retard. Je ne m'apercevais pas combien j'avais changé.»
- Oui, oui... Voilà ce qui m'arrive. Je suis vieux, n'est-ce pas, et je vais mourir... Eh bien, je n'ai pas encore compris que je n'étais plus un jeune homme.
Les heures passaient lentement, avec une étrange précipitation. Il somnolait sur son lit, dans cette chambre dépouillée de toute trace de confort. Le jour interminable sombrait tout de suite dans la nuit. C'est à une de ces aubes-là qu'il dut écrire, de quelle écriture tremblée! la phrase qui termine son Ainsi-soit-il...
Ce n'est pas ma propre position dans le ciel par rapport au soleil qui doit me faire trouver l'aurore moins belle.
Le médecin avait ordonné des piqûres de morphine, non qu'il souffrît, mais pour son cœur.
Comme je m'avançais avec la seringue, il me dit:
- Qu'est-ce que vous allez me faire là ?
- De la morphine.
- Non, Pierre, je vous en prie... N'allez pas me priver de la mort. Je veux voir comment ça se passe.
J'eus un moment de faiblesse. Il reposait inerte - et je le croyais inconscient. A son chevet, sa main dans la mienne, j'appuyai mon front sur ses doigts.
- Gide! Ne nous quittez pas, murmurai-je.
Il tressaillit - et sa voix, faible mais nette, me parvint, pour la dernière fois :
- Qu'est-ce que vous racontez là ?
Roger Martin du Gard couchait dans la bibliothèque sur un lit de fortune qu'on lui avait dressé.
Dix fois, je venais le trouver. Nous échangions, sans rien dire, un regard.
Les apprêts de cette mort paraissaient bâclés, prenaient le caractère provisoire qui avait marqué toute cette vie.
La présence de Roger était le seul recours.
La dernière nuit, éreintés par les veilles, je dis à l'infirmière d'aller chercher une bouteille de champagne dans le réfrigérateur.
Fût-ce le passage du froid à la chaleur de la chambre, ou maladresse de ma part, la bouteille quand je la débouchai, laissa fuser un flot de mousse dont Gide fut inondé.
Ses yeux s'entrouvrirent, et je crus y lire un éclair de malice.
Je compris qu'il avait reçu les saintes huiles et qu'il allait mourir.
Pierre Herbart»
4 commentaires:
Passionnant ! Merci !
Herbart a vraiment l'art de conter l'anecdote.
Oui merci c'est vraiment émouvant
Merci pour vos commentaires.
Une raison de plus pour (re)découvrir l'écrivain injustement oublié...
Heureux d’avoir remis la main sur cet hommage, où tout le cher PH est ramassé.
Merci
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