jeudi 22 juillet 2010

"Album" de Ravello

Jeudi 15 juillet, ouverture de la session Gide du festival de Ravello 2010 avec à gauche le professeur Giovanni Dotoli de l'Université de Bari, à droite Giovanella Fusco-Girard de l'Université de Naples, et au centre le réalisateur Jean-Pierre Prévost, auteur du film "André Gide, un petit air de famille" (2007) et de l'exposition "Gide : un album de famille", présentée jusqu'au 22 août à la Villa Rufolo dans le cadre du festival.




Sous les voûtes de la Villa Rufolo, l'exposition réalisée par Jean-Pierre Prévost avec l'aide de la Fondation Catherine Gide présente une centaine de photographies regroupées sur des colonnes-totems.




Les photographies de l'exposition feront l'objet d'un livre intitulé "Gide : Album de famille", à paraître en septembre chez Gallimard et présenté en avant-première à Ravello.




Vendredi 16 juillet : dialogue entre Pierre Masson et Emilia Surmonte sur le thème "Gide à Ravello. Renaître à Ravello : le baptême d'un immoraliste".

" Près de Salerne, quittant la côte, nous avions gagné Ravello. Là, l’air plus vif, l’attrait des rocs pleins de retraits et de surprises, la profondeur inconnue des vallons, aidant à ma force, à ma joie, favorisèrent mon élan." (André Gide, L'Immoraliste, Folio n°229, p.64)

Le "baptême de Ravello" évoqué par Pierre Masson et Emilia Surmonte n'est pas que symbolique :

"Nous demeurâmes à Ravello quinze jours ; chaque matin je retournais vers ces rochers, faisais ma cure. Bientôt l’excès de vêtement dont je me recouvrais encore devint gênant et superflu; mon épiderme tonifié cessa de transpirer sans cesse et sut se protéger par sa propre chaleur.

Le matin d’un des derniers jours (nous étions au milieu d’avril), j’osai plus. Dans une anfractuosité des rochers dont je parle, une source claire coulait. Elle retombait ici même en cascade, assez peu abondante, il est vrai, mais elle avait creusé sous la cascade un bassin plus profond où l’eau très pure s’attardait. Par trois fois j’y étais venu, m’étais penché, m’étais étendu sur la berge, plein de soif et plein de désirs ; j’avais contemplé longuement le fond de roc poli, où l’on ne découvrait pas une salissure, pas une herbe, où le soleil, en vibrant et en se diaprant, pénétrait. Ce quatrième jour, j’avançai, résolu d’avance, jusqu’à l’eau plus claire que jamais, et, sans plus réfléchir, m’y plongeai d’un coup tout entier. Vite transi, je quittai l’eau, m’étendis sur l’herbe, au soleil. Là des menthes croissaient, odorantes ; j’en cueillis, j’en froissai les feuilles, j’en frottai tout mon corps humide, mais brûlant. Je me regardai longuement, sans plus de honte aucune, avec joie. Je me trouvais, non pas robuste encore, mais pouvant l’être, harmonieux, sensuel, presque beau." (André Gide, L'Immoraliste, Folio n°229, pp.67-68)





"Plus rapproché du ciel qu’écarté du rivage, Ravello, sur une abrupte hauteur, fait face à la lointaine et plate rive de Paestum. C’était, sous la domination normande, une cité presque importante; ce n’est plus qu’un étroit village où nous étions, je crois, seuls étrangers. Une ancienne maison religieuse, à présent transformée en hôtel, nous hébergea ; sise à l’extrémité du roc, ses terrasses et son jardin semblaient surplomber dans l’azur. Après le mur chargé de pampres, on ne voyait d’abord rien que la mer ; il fallait s’approcher du mur pour pouvoir suivre le dévalement cultivé qui, par des escaliers plus que par des sentiers, joignait Ravello au rivage. Au-dessus de Ravello, la montagne continuait. Des oliviers, des caroubiers énormes ; à leur ombre des cyclamens ; plus haut, des châtaigniers en grand nombre, un air frais, des plantes du nord ; plus bas, des citronniers près de la mer. Ils sont rangés par petites cultures, jardins en escalier, presque pareils, que motive la pente du sol ; une étroite allée, au milieu, d’un bout à l’autre les traverse ; on y entre sans bruit, en voleur. On rêve, sous cette ombre verte ; le feuillage est épais, pesant ; pas un rayon franc ne pénètre ; comme des gouttes de cire épaisse, les citrons pendent, parfumés ; dans l’ombre ils sont blancs et verdâtres ; ils sont à portée de la main, de la soif ; ils sont doux, âcres ; ils rafraîchissent.

L’ombre était si dense, sous eux, que je n’osais m’y arrêter après la marche qui me faisait encore transpirer. Pourtant les escaliers ne m’exténuaient plus ; je m’exerçais à les gravir la bouche close; j’espaçais toujours plus mes haltes, me disais : j’irai jusque-là sans faiblir ; puis, arrivé au but, trouvant dans mon orgueil content ma récompense, je respirais longuement, puissamment, et de façon qu’il me semblât sentir l’air pénétrer plus efficacement ma poitrine. Je reportais à tous ces soins du corps mon assiduité de naguère. Je progressais.

Je m’étonnais parfois que ma santé revînt si vite. J’en arrivais à croire que je m’étais d’abord exagéré la gravité de mon état ; à douter que j’eusse été très malade, à rire de mon sang craché, à regretter que ma guérison ne fût pas demeurée plus ardue." (André Gide, L'Immoraliste, pp.64-66)





Sur le mur de "l'ancienne maison religieuse, à présent transformée en hôtel", une plaque posée en 1999 par la société S3 Studium rappelle la présence d'André Gide. C'est à partir du 15 avril 1897 qu'avec Madeleine il passe trois semaines à Ravello, entrecoupées d'excursions à Naples, Amalfi, Minori et La Cava. Il versera ses souvenirs dans l'Immoraliste qui paraîtra en 1902 au Mercure de France. Cette plaque le relie à E.M. Forster, récemment évoqué ici, qui séjourna lui aussi à l'Hôtel-Pension Palumbo de Ravello en mai 1902.

Il voyage alors à travers l'Italie en compagnie de sa mère, Lily, qui note que son fils retrouve la santé à Ravello et y est "étonnamment et étrangement plus calme". Il y retrouve aussi l'inspiration devant les paysages et se souvient comment The story of a panic est venue à lui : "Je pense que c'est en mai 1902 que j'ai fait une promenade autour de Ravello, je me suis assis dans une vallée à quelques miles du village, et le premier chapitre de l'histoire a foncé dans mon esprit comme s'il m'attendait là. Je l'ai reçu comme une entité et l'ai écrit d'un trait aussitôt de retour à l'hôtel." (E.M. Forster : a life, de Nicola Beauman, Knopf, 1994)

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