mardi 27 juillet 2010

Journal des Indes, Mircea Eliade


« Il est grand temps que je fasse le point. Comment puis-je changer avec une aussi étonnante facilité ? Aujourd'hui, en finissant Si le grain ne meurt, je me suis senti dilaté et macéré par la même ferveur que celle qui me poignait quand je lisais les Nourritures terrestres, il y a cinq ans. Mon « idéal » de la semaine dernière (la science, l'orientalisme) et celui d'hier (le « style » de l'existence, le style asiatique) me paraissent éloignés, étrangers, froids, empruntés. Serait-ce une influence de la lecture ? Je ne crois pas. Les germes sont toujours en moi. Chaque expérience ou ardeur nouvelle, aussi spontanée, aussi fortuite qu'elle paraisse, je la retrouve quelque part dans mes désirs, dans mes rêves, dans mes vices inassouvis. Je veux aujourd'hui recommencer à cultiver les extrêmes. Je veux des errances, des bains de lumière, des effusions, des rythmes végétaux, des contradictions, du fantastique, du vice. Rien de Gide - il est une épave du véritable démonisme que je sens en moi, beaucoup plus violent, plus sincère, plus éruptif et, pourtant, plus logiquement soutenu par les concepts, par les raisonnements.

Je souffrirais atrocement si je ne devais jamais devenir un homme de science. Je Pense n'avoir jamais rien aimé au monde avec plus de ferveur que cette science qui m'apparaît maintenant si indifférente. »

Mircea Eliade, Journal des Indes*,

Premier Cahier, janvier-juin 1929,

traduit du roumain par Alain Paruit, Editions de l'Herne, 1992


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* le titre original Santier (Chantier en roumain) était beaucoup plus évocateur que celui-ci de l'homme en construction qu'était Eliade lors de son premier séjour en Inde. Il débarque à Calcutta à l'automne 1928 - il a 21 ans - et y restera jusqu'en 1931

Voir aussi ces extraits du Portugal Journal de Eliade paru il y a quelques mois aux éditions State University of New-York Press.

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