En 1950 paraît A la façon de, recueil de pastiches littéraires signés Georges-Armand Masson, journaliste (notamment au Canard enchaîné), peintre (créateur du Salon du dessin et de la peinture à l'eau), directeur des Beaux-Arts et auteur plus ou moins oublié.
Déjà en 1924 il publiait Georges-Armand ou le parfait plagiaire où il pastichait Maurice Maeterlinck, Anna de Noailles, Jean Giraudoux, Paul Claudel, André Gide, Jean Cocteau... Il récidivera en 1956 dans C'est pas beau de copier. Nouveaux pastiches de Corneille à Minou Drouet dans lequel il ajoute Boileau, le Livre de Job, Françoise Sagan, Paul-Jean Toulet, Paul Valéry, Charles Vildrac, Paul Géraldy, Pierre Corneille, Minou Drouet, Jonathan Swift, le général de Gaulle, Alfred de Vigny, Jean Rostand, Albert Simonin, Jean de La Bruyère, Daniel-Rops, Simone de Beauvoir, Marcel Jouhandeau, Paul Mousset et Roger Peyrefitte à son tableau de chasse.
En 1950 aux éditions Pierre Ducray, ses cibles sont : Jean Anouilh, Aragon (Les pieds dElsa), Marcel Aymé, Germaine Beaumont, Francis Carco, Peter Cheyney, Céline, Claudel, Eluard, Fargue, Gide, Giono (Le Ferblantier, scène rustiquissime), Green (journal écrit « à l'encre gris-perle sur du papier couleur de perles grises » dixit Reboux), Guitry, Kafka, Lacretelle, Mauriac, Montherlant, Miller, Pagnol (adaptation marseillaise de Shakespeare !), Prévert, Queneau, Sartre et Simenon.
Si je vous recommande cet opus, c'est non seulement parce que certaines charges sont très drôles, mais aussi parce que la préface est signée Paul Reboux, autre maître du genre. Une préface dans laquelle il explique longuement comment, avec son compère Charles Müller, ils mettaient au point leurs A la manière de... Et quelle réception ils eurent au début auprès des éditeurs, puis auprès de leurs cibles :
« Quelles ont été les réactions des auteurs pastichés ?
Certains n'ont pas été enchantés de ce qui leur arrivait.
Nous étions en très bons termes avec Henri de Régnier. Eh bien ! Henri de Régnier ne nous a plus adressé la parole. Les poètes sont d'une espèce irritable.
La comtesse de Noailles, avec une souplesse orientale, nous a fait bonne mine. Mais cette éminente poétesse n'aimait pas notre livre. Elle le picora, en dame du monde, à petits coups de bec, pour le diminuer.
Henry Bordeaux nous ignora. Il est vrai que c'était une œuvre littéraire.
Paul Géraldy ne m'en a pas voulu un moment. Paul Morand non plus.
Mirbeau s'est amusé, comme on s'amuse devant un miroir déformant. La caricature, c'était son affaire.
D'Annunzio, qui était notre ami, nous a embrassés : « Ah ! qué c'est parfait ! Qué c'est magnifique ! » II exagérait. C'était un poète. Et un poète italien.
Pierre Loti nous a écrit qu'il trouvait son Papaoutemari « tordant », c'est son mot. Et ce petit mot nous a fait un grand plaisir.
Enfin, Maurice Donnay, à propos de notre pastiche d'après un auteur très touffu, très ennuyeux, le romancier Paul Adam (aujourd'hui si oublié), nous a écrit : « C'est tellement réussi, c'est tellement ça... que je n'ai pas pu aller jusqu'au bout ! » »
Le pastiche du Journal de Gide est très amusant et révélateur puisqu'il condense, selon la loi du genre, les tics littéraires et défauts si souvent reprochés à Gide et les passions des dernières pages du Journal authentique paru dans la Bibliothèque de la Pléiade deux ans plus tôt : « égoïsme naïf d'homme de lettres nombrilocentriste » comme le dit encore Reboux dans sa préface, pingrerie, passion pour Simenon ici changé en Agatha Christie, langue...
« LE JOURNAL D'ANDRE GIDE (Extraits)
1er janvier.
L'AN nouveau m'apporte une surprise agréable : en recherchant un manuscrit, dans une vieille valise oubliée au fond d'un placard, j'ai retrouvé mon gilet de laine. On devrait toujours vider complètement ses valises au retour d'un voyage. Si je l'avais fait, je n'aurais pas été privé de mon gilet de laine pendant six longues années.
Je tenais énormément à ce gilet. Bien qu'acheté d'occasion, il m'avait loyalement aidé à lutter contre le lumbago et les douleurs intercostales. Je ne lui reprochais que d'être un peu trop court par derrière et de ne me protéger point les reins. Mais rien n'est parfait en ce monde, comme dit ce personnage d'Agatha Christie, dans L'Homme au pull-over beige.
Je poursuis avec ravissement la lecture, dans le texte anglais, de ce livre étonnant, dont certaines pages rappellent les Conversations avec Gœthe, d'Eckermann.
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On annonce que le métro et les autobus vont encore raugmenter. Légère hésitation de ma plume au moment d'écrire ce mot. Certains y voient une faute de français. Pourtant, ne dit-on pas «rabaisser», «rajuster», «remonter» ? Pourquoi, seul, raugmenter serait-il condamnable ?
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J'ai accroché mon gilet de laine au dos d'une chaise, devant la salamandre, pour le faire sécher, car il sent un peu le moisi, à la suite de son long séjour dans un placard humide.
De temps en temps, j'interromps ma lecture pour le regarder avec ravissement.
2 janvier.
Fort mal dormi malgré le codoforme et le gardénal. Mes démangeaisons, qui s'était calmées la semaine dernière, m'ont repris. Impossible de fermer l'œil. J'ai passé une bonne partie de la nuit à méditer sur ce retour du gilet prodigue, qui est bien la plus étrange histoire qu'on puisse imaginer.
Si je m'en rapporte au témoignage de mon Journal, c'est à Nice, en faisant la queue au seuil d'un cinéma, que j'avais constaté la disparition de mon gilet. Mes notes sur l'incident (il se passait le 7 décembre 1941, à dix heures quarante-cinq) ont la précision d'un procès-verbal de police : Sitôt passé le guichet, je m'aperçois que j'ai laissé tomber mon chandail grenat. Curieux ce que l'on peut s'attacher aux objets. (Dommage que cela n'entraîne pas la réciproque.) La perte de ce gilet de laine me cause une douleur très vive. Je le sens s'arracher de mon bras. J'ai averti le sergent de ville, la préposée au vestiaire, mais nul espoir de revoir mon linge. Un gilet de laine, aujourd'hui, c'est de trop bonne prise...
Il faudrait donc que, le 7 décembre 1941, à dix heures quarante-cinq, j'eusse été victime d'une hallucination ? Ou bien, ce qui serait plus vraisemblable, mon gilet m'a-t-il réellement faussé compagnie ce jour-là et, plus tard, est-il revenu, poussé par la nostalgie ou par le remords ?
Pouf échapper à l'obsession de ce mystère, je m'efforce de travailler à mon second article, pour le Figaro, sur la « Défense de la Langue française ». Mais ce ne va pas. Ma plume crache. L'encre est mauvaise. Et je n'ai sous la main que du papier quadrillé, qui a toujours un effet désastreux sur mon imagination. Je ne peux écrire quand je suis guidé par des lignes. Besoin de liberté, de liberté totale. Horreur du conformisme et de voir ma pensée captive derrière ce grillage.
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La radio annonce que la température restera stationnaire dans la région parisienne. Puisse-t-elle dire vrai !3 janvier.
La lecture de livres anglais dans le texte original a ceci d'agréable qu'on n'y trouve point, ou peu, de fautes de français. Cette pensée est à développer.
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Parcouru quelques pages du Journal de M... C'est vraiment agaçant. Il ne parle que de lui-même. Et que de détails insignifiants !...*
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Moins de démangeaisons pendant la nuit. J'ai lu ce matin, d'un bout à l'autre, dans une sorte d'enchantement, un second roman d'Agatha Christie, La Mystérieuse affaire de Styles. Quel beau titre pour un article dans le Figaro. Ces petites controverses sur la langue française m'amusent beaucoup. Dans mon courrier, une lettre d'un évêque, fulminant contre les journalistes qui font de «sortir» un verbe transitif : L'Amérique sort un nouveau modèle d'avion... L'individu sortit son browning... Je sortis vingt sous de la poche de mon gilet... Déjà, il y a trente ans, Emile Faguet dénonçait la faute : Je sors Azor. Pourtant, ne trouve-t-on pas dans de bons auteurs l'expression : Sortez-le ! Et j'ai plus d'une fois entendu Mélanie me dire : Je vous ai sorti de l'ormoire des caneçons propres.
Tout à l'heure encore, elle m'a dit : « Je vois que Monsieur a ressorti son gilet de laine ! »
Qui croire ?... A propos du gilet de laine, je retrouve dans mon Journal, à la page 167 : Il avait fait, auparavant, déjà quelques tentatives de départ. Aussi le surveillais-je de très près. On sent si bien quand un objet se détache de vous, veut vous quitter comme un enfant qu'on ne tient plus en main, qui s'émancipe. Un instant d'inattention, et le tour est joué.
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II a plu pendant une bonne partie de la journée.
4 janvier.
Il est rare qu'un écrivain éprouve quelque agrément à être raillé.
Je lisais hier un article d'un humoriste. Je ne l'ai pas trouvé drôle. Ce qu'on nomme « esprit » est une chose horripilante.
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Mes progrès en anglais, depuis quelques jours, sont remarquables. Peut-être dois-je en attribuer le mérite à mon gilet de laine. Je l'ai mis sur mes épaules. Il me gratte un peu aux aisselles, mais il me tient chaud, et je travaille toujours mieux quand j'ai chaud, surtout en hiver.J'avance aussi lentement dans l'étude du français. Etonnant ce qu'on peut commettre de fautes quand on ne fait pas attention. En recherchant dans mon Journal une note sur la position de Nietzsche à l'égard du christianisme, je tombe, page 151, à la date du 13 novembre 1939, sur cette ligne : II y a aura lieu de ressortir ce texte plus tard. Je me suis empressé de téléphoner à Gallimard pour qu'il fasse sauter cette phrase dans les futures éditions.
Quelle démangeaison m'a pris d'écrire ces articles sur la langue française ? Tous les matins, maintenant, je reçois un courrier fou.
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Dans mon dernier article, j'ai écrit : « Comment se fait-il que notre langue, nonobstant, se corrompe? » Un receveur des postes prend un malin plaisir à me mettre en boîte, au sujet de ce «nonobstant» que l'on ne doit pas employer tout seul. « C'est, dit-il, du style gendarmique. » II eût fallu que j'écrivisse : « Ce nonobstant » ou bien : « Nonobstant cette circonstance. »Je ne m'en rappelais pas. A partir de dorénavant et de désormais, je n'emploierai plus ce mot, malgré qu'il soit joli, dans le but d'éviter des critiques et de façon à ce qu'on ne puisse pas dire que je ne cause pas français correctement.
Il faudra que je revoie cette phrase mot par mot avec l'aide du Littré, car j'ai l'impression qu'il y a une faute ou deux, peut-être davantage. Mais où se procurer un Littré ? Cet ouvrage est aujourd'hui hors de prix.
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Je me félicite de n'avoir à aucun moment succombé à la tentation d'acheter un autre chandail. C'eût été de l'argent inutilement dépensé : je me trouverais aujourd'hui à la tête de deux gilets de laine... »
Georges-Armand Masson, A la façon de..., préface de Paul Reboux,
Pierre Ducray Editeur, Paris, 1950, pp. 34-38
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