mardi 17 janvier 2012

Quelques réflexions sur l'abandon du sujet dans les arts plastiques

André Gide, Quelques réflexions sur l'abandon du sujet dans les arts plastiques
Editions Fata Morgana, Fontfroide, 2012
(Achevé d'imprimer le 22 novembre 2011 mais parution le 18 janvier 2012)
suivies de Sujet apparent, sujet réel. Gide et la grammaire de l'art par Pierre Masson.
40 pages, ISBN : 9782851948281, 9€


Ainsi qu'elles en ont désormais le secret, les éditions Fata Morgana remettent en selle un court texte que Gide écrivit en 1937 pour le premier numéro de la revue Verve. L'article intitulé « Quelques réflexions sur l'abandon du sujet dans les arts plastiques » ouvrait même la revue, entre une lithographie de Fernand Léger – Les Quatre élément, l'eau – et une lithographie de Juan Miró - Les Quatre éléments, l'Air.

Après avoir dirigé la revue Minotaure, le critique d'art Tériade imagine d'ouvrir sa nouvelle publication à la création du moment. Verve préfigure les livres qu'il réalisera plus tard avec Chagall, Matisse, Mirό, Léger, Gris, Le Corbusier, Picasso ou Giacometti. Luxueuse, elle utilise la quadrichromie, l'héliogravure et même la lithographie, et place la photographie sur le même plan artistique. Le premier numéro accueille ainsi Brassaï, Man Ray...

Verve, n°1, 1937
(couverture par Matisse)


« Verve se propose de présenter l'art intimement mêlé à la vie de chaque époque et de fournir le témoignage de la participation des artistes aux événements essentiels de leur temps. Verve s’intéresse dans tous les domaines et sous toutes ses formes à la création artistique » déclare alors Tériade en portant sa revue sur les fonts baptismaux. Parcourir le sommaire du premier numéro donne un aperçu – vertigineux – de ce programme :

Aux côtés des reproductions évoquées, des reportages photographiques (« Henri Matisse et ses oiseaux dans son atelier » par Brassaï, « Guernica par Picasso » photographie de Dora Maar alors que Guernica vient d'être présenté à l'Exposition de Paris 1937...) et des études historiques, on trouve des articles signés de critiques d'art (Huygue, Faure...), d'artistes (Léger, Vollard...), d'écrivains français (Malraux, Caillois, Michaux, Bataille...) et étrangers (Garcia-Lorca, Dos Passos...).


Les Quatre éléments - L'eau
lithographie de Fernand Léger


On s'étonne donc un peu de trouver un article de Gide en ouverture d'une revue qui, si elle s'inscrit dans une histoire longue des arts, se veut avant tout celle des avant-gardes : Gide s'en est finalement toujours tenu en marge sinon en retrait, et depuis la publication du Retour de l'URSS toute la frange communiste du mouvement lui voue une haine affichée. Et la lecture des Quelques réflexions gidiennes ne peut qu'intriguer davantage...

Car si le projet – et le regret de voir les artistes abandonner le sujet – comme le note Pierre Masson dans le fascicule qui accompagne le texte – est ancien, les réflexions de Gide n'en sont pas pour autant affermies et sa démarche est « zigzagante ». Maria Van Rysselberghe lit le texte et avoue dans ses Cahiers : « Je le trouve intéressant, touchant à beaucoup de points importants, mais laissant le lecteur sur sa soif et dans une totale indécision sur ce que Gide pense en réalité. »


Les Quatre éléments - L'air
lithographie de Juan Miró

On sait l'impossibilité pour Gide de figer sa pensée, sa crainte d'avoir raison. C'est tout l'attrait de ce texte de montrer une pensée in progress, et qui secrète ses propres contradictions, s'en nourrit pour continuer à avancer. Gide ouvre quantité de portes, même s'il ne prend pas le temps d'explorer les pièces qu'elles scellaient. Le lecteur est porté par le mouvement et l'on est bien d'accord avec Pierre Masson lorsqu'il se demande : « Mais ces hésitations et ces incertitudes ne sont-elles pas aussi, pour la réflexion du lecteur, le plus stimulant des discours ? »

Alors que les écrits sur l'art assènent plus que jamais, faute de critiques au sens ancien du rôle et d'esprits en mouvement, le texte de Gide apparaît aussi comme un début de « reprise à zéro » de nos réflexions contemporaines sur les arts plastiques. A condition d'user de la démarche souple et zigzagante propre à l'esprit gidien, sa conclusion nous semble un point de départ fructueux :

« Que de contradictions, que d'incertitudes, dans tout ce que je viens d'énoncer ! C'est aussi qu'il est vain de parler d'art en faisant abstraction des artistes ; chacun de ceux-ci travaille selon son tempérament particulier et selon une esthétique plus ou moins précise (dictée moins par son intelligence que par son instinct, je l'espère) qui n'appartient qu'à lui. Mais chacun d'eux appartient, en dépit de ce qu'il peut penser, à son époque et répond, souvent sans trop s'en douter, à l'exigence d'un public, pour ne pas dire : à des commandes. Aussi je ne crois pas sans intérêt de remarquer que, dans un temps si soucieux du peuple, de ses besoins, de ses réclamations, de sa culture, la peinture ne satisfasse qu'un très petit nombre de privilégiés et que tout effort pour vulgariser l'art n'ait obtenu jusqu'à présent que des résultats désastreux. »


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L'article de Gide fait référence à une trentaine d'œuvres, peintures et sculptures. Si la plupart nous est familière, certaines nécessitent d'être rappelées à notre bon souvenir dans leur composition, leur lumière, leur sujet... ou leur absence de sujet... J'ai donc imaginé de regrouper les images de ces œuvres (et parfois quelques annotations marginales), par ordre d'apparition dans les réflexions gidiennes. Vous trouverez ce companion piece illustré sur cette page d'imaGide.

4 commentaires:

Quanmeme a dit…

Ecrit gidien peut-être mineur mais compte rendu substantiel, stimulant et instructif, qui ne saurait être qualifié de "petit billet" (expression de Fabrice pour désigner ses articles). L'iconographie est un régal ( les lecteurs auraient tort de ne pas se rendre sur le lien Imagide, ainsi qu'ils y sont discrètement invités à la fin : des oeuvres connues et familères , certes, mais admirablement rendues )
Occasion pour moi de dénoncer le parti-pris absurde de l'édition des Essais Critiques de La Pleiade : n 'y avoir retenu que les textes sur la littérature (en omettant certains) : les autres écrits critiques ne sont pas tant nombreux et auraient pu y trouver place, moyennant quelques centaines de pages de plus, ce qui était techniquement possible. Ainsi aurions-nous le fameux Poussin, le Chopin même, et quelques autres dont celui-ci.
Merci Fabrice.

Fabrice a dit…

Merci, cher Marc pour votre fidèle et généreuse attention.

Pour ce qui est de la Pléiade, c'est un sujet sans fin, sans fond... « Choisir c'est renoncer », n'est-ce pas ? En écho à ce qui est dit plus haut, je trouve que ces lourds volumes figent un peu les textes, outils plutôt que livres.

Je rêve pour ma part d'éditions plus audacieuses et transverses si j'ose dire, un peu comme les Ecrits sur l'Art de Valéry réunis en 62 par Jean-Clarence Lambert. On peut aussi imaginer des versions électroniques offrant des illustrations, des visites de musées dans les pas des écrivains, des concerts commentés...

sebso a dit…

Si je comprends bien vos deux commentaires, ce texte n'a pas été repris dans La Pléïade.
Mais Gide l'avait-il inclus dans une des compilations parues de son vivant, Prétextes ou autres ?

Fabrice a dit…

Non, cet article n'avait jamais été repris depuis Verve.