samedi 17 janvier 2015

Gide et Barthes


La parution d'une biographie sur Roland Barthes signée Tiphaine Samoyault, au Seuil, est l'occasion de verser ici un extrait d'une interviou que celui-ci a donnée en 1977 à Bernard-Henri Lévy pour le Nouvel Observateur. Comme dans le Roland Barthes par Roland Barthes*, il y rappelle l'influence de Gide sur ses années de formation.

« BHL : "Vous avez connu Gide ?
RB : Non, je ne l'ai pas connu. Je l'ai aperçu une fois de très loin, à la brasserie "Lutétia" : il mangeait une poire et il lisait un livre. Je ne l'ai donc pas connu; mais comme beaucoup d'adolescents de l'époque, il y avait mille données qui faisaient que je m'intéressais à lui.
BHL : Par exemple ?
RB : Il était protestant. Il faisait du piano. Il parlait du désir. Il écrivait.
BHL : Qu'est-ce que cela signifie, pour vous, être protestant ?
RB : Difficile de répondre. Parce que, quand c'est vide de foi, il ne reste plus que l'empreinte, l'image. Et l'image, ce sont les autres qui l'ont. A eux de dire si j'ai "l'air" protestant.
BHL : Je veux dire : qu'en avez-vous tiré , là encore, dans votre apprentissage ?
RB : Je pourrais dire à la rigueur avec la plus grande prudence, qu'une adolescence protestante peut donner un certain goût ou une certaine perversion de l'intériorité, du langage intérieur, celui que le sujet se tient constamment à lui-même. Et puis, être protestant, c'est, ne l'oubliez pas, ne pas avoir la moindre idée de ce qu'est un prêtre ou une formule... Mais il faut laisser cela aux sociologues des mentalités, si le protestantisme français les intéresse encore."
A propos de l’œuvre confidente de Gide qui l'a beaucoup influencé, Roland Barthes considère qu'elle est une voie d'intercession, fleurdelisée d'imaginaire, - ce qu'il nomme de manière quelque peu elliptique "perversion" -, soit le récit d'une âme qui se cherche, se répond, s'entretient, se confronte avec elle-même. C'est une perpétuelle remise au point de soi-même. "Les hommes d'éducation protestante se complaisent dans le Journal et dans l'autobiographie, avait-il déjà expliqué dans ses fameuses " Notes sur André Gide et son Journal" ; outre que la nature morale les obsède et à leurs yeux les excuse de se mettre en avant, ils trouvent dans la confession publique une sorte d'équivalence de la confession sacramentelle. Ils font cela aussi par la nécessité d'abaisser en grand un orgueil qu'ils ont bien reconnu comme le péché capital ; c'est enfin qu'ils croient toujours pouvoir se corriger. »

(A quoi sert un intellectuel, Nouvel Observateur, 19 janvier 1977)

Notons que le centenaire de Roland Barthes donnera lieu à plusieurs événements cette année dont une exposition à la Bibliothèque nationale de France, la parution d'un album conçu par Éric Marty, des rencontres, colloques et rééditions (télécharger le programme complet des manifestations en pdf).




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* Il explique n'avoir jamais rencontré Gide mais l'avoir aperçu « un jour de 1939, au fond de la brasserie Lutétia, mangeant une poire et lisant un livre » (Roland Barthes par Roland Barthes, coll. Ecrivains de toujours, Seuil, 1975, p. 81)

1 commentaire:

Laconique a dit…

Barthes ne dissimule pas ce qu’il doit à Gide. Dans le même « Roland Barthes par Roland Barthes » on trouve la phrase suivante : « Gide est ma langue originelle, mon ursuppe, ma soupe littéraire. »