Exposition au Centre national de littérature à la Maison Servais à Mersch (Luxembourg)
Ouvert en 1995, le Centre national de littérature a inauguré en novembre 1997 sa première exposition importante sous le titre : Hôtes de Colpach - Colpacher Gäste. A l'occasion du 70e anniversaire du décès accidentel de l'industriel sidérurgique Émile MAYRISCH et du 50e anniversaire de la mort de son épouse Aline, née DE SAINT-HUBERT, hommage est rendu à ce couple de mécènes grand-ducaux pour ses mérites dans les domaines socio-économique et culturel.
A Dudelange puis, à partir de 1920, dans leur château de Colpach sur la frontière belge, ils ont accueilli de nombreuses personnalités du monde des lettres et des arts, des philosophes, des économistes, des hommes politiques, des intellectuels, afin de discuter avec eux, dans un contexte convivial, de la réorganisation pacifique et fédéraliste de l'Europe après les horreurs de la Grande Guerre. Bien qu'elle fût une habituée de Pontigny, Aline Mayrisch n'a cependant jamais voulu donner à ces rencontres amicales l'allure de réunions de travail méthodiques avec exposés, discussions et publications.
A Colpach, on se voyait dans un cadre champêtre, on présentait ses textes, on échangeait des impressions et des manuscrits, on prenait date, on écrivait, on concevait ensemble des projets d'écriture, de traduction et d'édition. Le livre d'hôtes de cet état de grâce culturel unique dans l'histoire du Grand-Duché de Luxembourg a heureusement été conservé, tout comme une part importante de la bibliothèque, de la documentation et des collections artistiques des Mayrisch, provenant des fonds propres du CNL et de prêts. C'est à partir du livre d'hôtes, qui comporte des signatures, des inscriptions, des dates, des dédicaces et des pensées éparses, que les commissaires de l'exposition, les professeurs Germaine Goetzinger, chargée de direction, Gast Mannes et Frank Wilhelm, collaborateurs scientifiques externes, ont voulu montrer le fonctionnement de ce qu'on a pu appeler « petit noyau de la future Europe ».
Sont d'abord présentés, dans leur vie publique et dans leur intimité, les maîtres de maison, suivis d'un choix de dix invités de marque dont cinq appartiennent, sans être tous Français, au domaine de la francophonie, et cinq, sans être tous Allemands, à celui de la germanophonie. Aussi, le catalogue est-il bilingue, particularité qui s'imposait presque d'elle-même à Colpach. L'exposition rassemble de nombreux documents et objets inédits et insoupçonnés, notamment des lettres manuscrites, des ouvrages dédicacés, des éditions rares, des oeuvres d'art. Du côté des hôtes francophones, on découvrira : Marie DELCOURT, l'helléniste liégeoise qui avait des parents à Arlon ; André GIDE, l'habitué de Colpach, qui avait commencé ses Faux-Monnayeurs à Dudelange ; Bernard GROETHUYSEN, le philosophe marxiste qui fréquentait le plus grand capitaliste grand-ducal et qui est mort d'ailleurs et enterré à Luxembourg ; Jules PRUSSEN, seulement aspirant-professeur de philosophie et déjà apprécié pour son envergure, un des rares Grand-Ducaux dans le cercle des Mayrisch ; Maria VAN RYSSELBERGHE, la très bonne amie d'Aline, pour laquelle elle a rédigé ses Cahiers de la Petite Dame sur la vie quotidienne de Gide.
Du côté des hôtes germanophones on fera connaissance avec : l'architecte allemand Otto BARTNING, qui a conçu les plans de la Maternité de la Croix-Rouge luxembourgeoise présidée par Aline Mayrisch et de la villa La Messuguière (dans le Var), où celle-ci a accueilli, pendant la dernière guerre, certains ténors de la NRF ; le pionnier de l'unification pacifique de l'Europe, Richard N. COUDENHOVE-KALERGI, un cosmopolite abhorré par Hitler ; l'actrice allemande Gertrud EYSOLDT, que Gide et Aline Mayrisch ont pu admirer sur scène à Berlin, en 1903 ; le philosophe allemand Carl GEBHARDT, spécialiste de Spinoza et de Schopenhauer ; enfin l'écrivaine allemande Annette KOLB, dont la mère était française et qui, parfaitement bilingue et réduite à l'exil par le nazisme, fut décorée par le chancelier Adenauer et le président de Gaulle comme incarnation de l'Europe libérale. C'est cette Europe que les Mayrisch entendaient créer et que la présente exposition voulait promouvoir à l'occasion de la présidence luxembourgeoise dans la 2e moitié de 1997.
L'exposition Hôtes de Colpach - Colpacher Gäste était ouverte jusqu'au 20 février 1998. Catalogue illustré de 128 pages, disponible (500 FRL) auprès du CNL, 2, rue Émmanuel Servais, L-7565 MERSCH, et dans les bonnes librairies. Le catalogue a reçu le TROPHEE 1998 organisé par la Fédération des Professionnels de la Communication, catégorie : Meilleur travail d'édition.
[Paru dans Francophonie vivante, Bruxelles, n°1, mars 1998, pp. 26-27.]
mercredi 30 janvier 2008
Gide et les femmes : Loup
Après une fin difficile "qui ne lui ressemble pas", Aline Mayrisch, alias Loup pour le cercle des amis gidiens, meurt le 20 janvier 1947 (le 19 dans les CDP) dans sa maison de Cabris, La Messuguière. Elisabeth van Rysselberghe est auprès d'elle aux côtés de la fille d'Aline, Andrée. La Petite Dame raconte la suite dans ses Cahiers :
"Loup a désiré être incinérée, cela se fit à Paris incognito et les cendres furent transportées à Luxembourg dans le local de la Croix-Rouge, dont elle était présidente, et où tout ce qui compte dans le pays a défilé en un dernier hommage. Puis elles furent transportées à Colpach où s'étaient réunis les amis intimes, et le matin du 1er février nous escortions ses cendres à travers le parc glacé et on les déposait dans la grande tombe solitaire du patron. Cela ne manquait pas de grandeur."
Aline de Saint-Hubert est née le 22 août 1874 à Luxembourg, d'une famille de commerçants en bois. A vingt ans, elle épouse Emile Mayrisch, ingénieur sidérurgiste et futur grand patron de la sidérurgie (Arbed), "le patron" qu'évoque le Petite Dame. Après des études classiques pour une jeune femme de cette époque, en pensionnat, c'est en autodidacte et avec la liberté qu'apporte bientôt une grande fortune qu'elle se passionne pour le monde des lettres, des voyages et de la politique.
Aline et Emile Mayrisch
Elle protège l'hebdomadaire belge Pan, collabore à la revue d'avant-garde L'Art Moderne, éditée à Bruxelles par Octave Maus aux côtés d'Edmond Picard et d'Emile Verhaeren avec une vingtaine d'autres artistes, qui luttent pour la défense d'un art intransigeant. C'est dans ce creuset qu'elle se lie d'une amitié très forte, amoureuse selon certains, avec Maria van Rysselberghe. Un article d'Aline Mayrisch sur L'Immoraliste, en 1903, rapprochera tout à fait Gide et Loup.
A Dudelange puis à Colpach, les Mayrisch convient des hommes politiques et des intellectuels français et allemands. Pont entre les deux pays qui se renforce après la première guerre mondiale, le "Comité Franco-Allemand" jette les fondements d'une future Europe. "Le cercle de Colpach" est un rendez-vous informel, voulu tel par Aline Mayrisch, où Gide rencontre par exemple Ernst Robert Curtius et Walter Rathenau. Bilingue, Aline Mayrisch renforce aussi l'amour de Gide pour la littérature allemande, l'aide dans ses traductions de Goethe, traduit en allemand ses Caves du Vatican.
Le chateau de Colpach
Le sud de la France réunit de nouveau Loup, Gide et la Petite Dame lors de la seconde guerre mondiale. A la Messuguière, à Cabris, se recrée un cercle intellectuel où l'on voit défiler Sartre, Michaux, Martin du Gard, Malaquais... Un lieu de résistance aussi : Andrée Mayrisch, fille d'Aline et Emile, a épousé Pierre Vienot.
Il faut enfin signaler les "oeuvres" d'Aline Mayrisch pour compléter tout à fait son portrait. Création de l'Association pour les Intérêts de la Femme dès 1906, maison de Dudelange transformée en Maison pour Enfants en 1920, création de la Ligue contre la Tuberculose, la Ligue Anticancéreuse, de dispensaires pour nourrissons ainsi que la première crèche à Esch-sur-Alzette en 1932... La présidente de la Croix-Rouge du Luxembourg cède à sa mort le château de Colpach et des parts dans la société Belgo-Mineira à l'association.
Aline Mayrisch
* André Gide – Aline Mayrisch, Correspondance 1903-1945, Cahiers de la NRF, Gallimard, 2003
Quatrième de couverture :
"Les quelques deux cents lettres ici rassemblées retracent plus de quarante ans d'une amitié à la fois complexe et indéfectible, la nature inquiète et ardente de chacun des deux amis trouvant auprès de l'autre une écoute critique et affectueuse. Ce qui les avait rapprochés tenait autant de la compréhension intellectuelle que de la complicité affective: s'il avait fallu un compte rendu pénétrant de L'Immoraliste pour attirer l'attention de Gide sur Aline Mayrisch, c'est l'entreprise de celle qui était pour l'un et l'autre leur meilleure amie, Maria Van Rysselberghe, qui devait sceller leur alliance.
Ces deux fils rouges courent ainsi tout au long de cette correspondance, entremêlant le public et l'intime, la parution des Caves duVatican ou de Corydon comme la naissance de Catherine, l'enfant dont Gide est le père et Aline Mayrisch la marraine. La position de celle-ci, luxembourgeoise et bilingue, contribua particulièrement à rendre cette amitié féconde. Elle joua ainsi, avant la Grande Guerre, un rôle de passeur entre Gide et la littérature allemande, l'aidant à traduire Rilke, contrôlant à son tour la traduction des Caves. Mais c'est surtout au lendemain de la guerre que son rôle va s'affirmer: à Colpach, où se croisent intellectuels et politiques français et allemands, où les dirigeants de La NRF viennent réfléchir à l'avenir de l'Europe, Gide multiplie les séjours, s'installe même à demeure, le temps de participer à des jeux d'adolescents, tout en travaillant aux Faux-Monnayeurs. C'est précisément dans les six années de cette intense fréquentation que se place la moitié de leur échange épistolaire.
Cette correspondance, qui rappelle aujourd'hui l'importance du rôle tenu par Aline Mayrisch, constitue aussi, pour la connaissance de Gide, un précieux complément aux Cahiers de la Petite Dame.
Le présent volume est le dix-huitième de la "Série André Gide"."
lundi 28 janvier 2008
Sur les Cahiers de la Petite Dame
"Un témoignage de Louis Martin-Chauffier : André Gide et la Petite Dame, rue Vaneau" , article paru dans le Figaro en 1975 (avec une photo bien rare) à l'occasion de la parution du second tome des Cahiers de la Petite Dame et généreusement mis en ligne par une blogueuse.
Sur le style
"Tout l'art d'écrire, dit encore Gide, consiste justement à forcer le lecteur à pénétrer dans des façons particulières, sans lui faire de concessions." (cité par Maria van Rysselberghe dans Les Cahiers de la Petite Dame, tome 2, p. 33)
vendredi 18 janvier 2008
Gide et Yourcenar
Les points communs entre André Gide et Marguerite Yourcenar sont nombreux, au point qu'on a parlé souvent de l'influence du premier sur la seconde. Les premiers livres de Yourcenar, Alexis ou le Traité du Vain Combat et La Nouvelle Eurydice ont souvent été qualifiés de "gidiens", pour le meilleur et pour le pire :
"Elle a choisi un maître, et au lieu d'écrire les livres de Mme Yourcenar, elle recopie les livres d'André Gide. [...]
Son premier livre se nommait Alexis ou le traité du vain combat. Comme ce titre rappelait son maître ! Voici maintenant une Porte étroite ou une Symphonie pastorale. Nous attendons des Faux monnayeurs. A moins que Mme Yourcenar ne se décide à être elle-même. Nous espérons d'elle beaucoup de choses. En attendant, elle nous aura donné le spectacle paradoxal et bien curieux d'une femme qui est une gidienne." (Robert Brasillach, Action Française du 22 octobre 1931).
Le 3 octobre 1959, dans un entretien qu'elle accorde à Paul Guth pour Le Figaro Littéraire, Yourcenar s'explique sur ce sous-titre à Alexis : "J'avais donné à Alexis ce sous-titre XVIIe siècle : Le Traité du Vain Combat, faisant volontairement écho au titre d'un petit livre de Gide, Le Traité du Vain Désir, petite histoire ornée et mélancolique."
En 1980, à Mathieu Galey, qui lui consacre un long livre d'entretiens (Les Yeux Ouverts, Gallimard), elle précise sur la forme classique de "récit à la française" : "Je crois que la grande contribution de Gide a été de montrer aux jeunes écrivains d'alors qu'on pouvait employer cette forme qui paraissait démodée." Mais déjà avec Mathieu Galey, Yourcenar s'emploie à renier cette influence.
En 86, une journaliste de la RAI, Francesca Sanvitale, vient l'interroger :
" - La culture française a été significative pour vous. Et par exemple Gide.
- Jamais beaucoup aimé Gide. On l'a cru parce que, par la timidité des écrivains très jeunes, j'avais donné un sous-titre à Alexis qui était influencé par les sous-titre de Gide : Le Traité du vain combat. A mon avis, ce sous-titre est inutile, et on pourrait aussi bien le supprimer. Je n'ai jamais beaucoup aimé Gide."
En 1987, à une autre journaliste, de The Paris Review cette fois, Susha Guppy, qui lui demande d'évoquer cette "influence gidienne" elle répond : "Je n'aime pas beaucoup Gide. Je le trouve sec et parfois superficiel." Suit un défense de la forme du Traité, "vieille forme littéraire classique" plus que référence à Gide...
Il existe une étude de Carole Allamand intitulée "Gide et Yourcenar : paternité ou parricide ?" parue dans le Bulletin de la Société Internationale d'Etudes Yourcenariennes numéro 18 (Décembre 1997, pages 19 à 37) que je serais très curieux de lire. Mais le titre est déjà assez "parlant"... Une certaine paternité – en particulier sur les débuts de Yourcenar – fait peu de doutes. Quant au parricide de la fin de la vie, il est peut-être à mettre sur le compte de la volonté de Yourcenar, à la fin de sa vie, de contrôler son image, quitte à jouer d'une certaine froideur.
Mathieu Galey en témoigne dans son Journal. Josyane Savigneau, dans la très bonne biographie qu'elle consacre à Yourcenar et qu'elle sous-titre très justement "L'invention d'une vie", montre aussi combien Yourcenar a été soucieuse de l'image qu'elle laisserait après elle (autre point commun avec Gide !).
Un déni a mettre aussi peut-être sur le compte d'une certaine rancoeur : Yourcenar voulait évidemment attirer l'attention de Gide avec son premier ouvrage. Mais Gide n'attirera jamais à lui la jeune écrivain qui pourtant approchera de très près le cercle gidien (Jaloux, Schlumberger, Du Bos, Kassner...). Tout au plus fait-il savoir, de loin, qu'il s'intéresse à elle et à ses écrits comme en témoigne une lettre datée de novembre 1940 et signée de Constantin Dimaras annonçant à Yourcenar : "J'ai eu récemment des nouvelles d'André Gide qui a beaucoup aimé votre essai sur Cavafy. J'en suis fier pour vous."
"Elle a choisi un maître, et au lieu d'écrire les livres de Mme Yourcenar, elle recopie les livres d'André Gide. [...]
Son premier livre se nommait Alexis ou le traité du vain combat. Comme ce titre rappelait son maître ! Voici maintenant une Porte étroite ou une Symphonie pastorale. Nous attendons des Faux monnayeurs. A moins que Mme Yourcenar ne se décide à être elle-même. Nous espérons d'elle beaucoup de choses. En attendant, elle nous aura donné le spectacle paradoxal et bien curieux d'une femme qui est une gidienne." (Robert Brasillach, Action Française du 22 octobre 1931).
Le 3 octobre 1959, dans un entretien qu'elle accorde à Paul Guth pour Le Figaro Littéraire, Yourcenar s'explique sur ce sous-titre à Alexis : "J'avais donné à Alexis ce sous-titre XVIIe siècle : Le Traité du Vain Combat, faisant volontairement écho au titre d'un petit livre de Gide, Le Traité du Vain Désir, petite histoire ornée et mélancolique."
En 1980, à Mathieu Galey, qui lui consacre un long livre d'entretiens (Les Yeux Ouverts, Gallimard), elle précise sur la forme classique de "récit à la française" : "Je crois que la grande contribution de Gide a été de montrer aux jeunes écrivains d'alors qu'on pouvait employer cette forme qui paraissait démodée." Mais déjà avec Mathieu Galey, Yourcenar s'emploie à renier cette influence.
En 86, une journaliste de la RAI, Francesca Sanvitale, vient l'interroger :
" - La culture française a été significative pour vous. Et par exemple Gide.
- Jamais beaucoup aimé Gide. On l'a cru parce que, par la timidité des écrivains très jeunes, j'avais donné un sous-titre à Alexis qui était influencé par les sous-titre de Gide : Le Traité du vain combat. A mon avis, ce sous-titre est inutile, et on pourrait aussi bien le supprimer. Je n'ai jamais beaucoup aimé Gide."
En 1987, à une autre journaliste, de The Paris Review cette fois, Susha Guppy, qui lui demande d'évoquer cette "influence gidienne" elle répond : "Je n'aime pas beaucoup Gide. Je le trouve sec et parfois superficiel." Suit un défense de la forme du Traité, "vieille forme littéraire classique" plus que référence à Gide...
Il existe une étude de Carole Allamand intitulée "Gide et Yourcenar : paternité ou parricide ?" parue dans le Bulletin de la Société Internationale d'Etudes Yourcenariennes numéro 18 (Décembre 1997, pages 19 à 37) que je serais très curieux de lire. Mais le titre est déjà assez "parlant"... Une certaine paternité – en particulier sur les débuts de Yourcenar – fait peu de doutes. Quant au parricide de la fin de la vie, il est peut-être à mettre sur le compte de la volonté de Yourcenar, à la fin de sa vie, de contrôler son image, quitte à jouer d'une certaine froideur.
Mathieu Galey en témoigne dans son Journal. Josyane Savigneau, dans la très bonne biographie qu'elle consacre à Yourcenar et qu'elle sous-titre très justement "L'invention d'une vie", montre aussi combien Yourcenar a été soucieuse de l'image qu'elle laisserait après elle (autre point commun avec Gide !).
Un déni a mettre aussi peut-être sur le compte d'une certaine rancoeur : Yourcenar voulait évidemment attirer l'attention de Gide avec son premier ouvrage. Mais Gide n'attirera jamais à lui la jeune écrivain qui pourtant approchera de très près le cercle gidien (Jaloux, Schlumberger, Du Bos, Kassner...). Tout au plus fait-il savoir, de loin, qu'il s'intéresse à elle et à ses écrits comme en témoigne une lettre datée de novembre 1940 et signée de Constantin Dimaras annonçant à Yourcenar : "J'ai eu récemment des nouvelles d'André Gide qui a beaucoup aimé votre essai sur Cavafy. J'en suis fier pour vous."
Sur Gide naturaliste
"Les images végétales dans l'œuvre d'André Gide", de Daniel Moutote aux Presses Universitaires de France, 1970
jeudi 3 janvier 2008
Le naturaliste et le jardinier
Parmi les lieux gidiens, il faut ajouter aux nombreuses résidences personnelles de l'écrivain, à celles où ses amis l'hébergent et à celles de ces séjours à l'étranger, les parcs, jardins ou plus simplement la nature sauvage des environs qui l'attirent pour de simples promenades méditatives ou de véritables expéditions botaniques.
C'est l'amie de sa mère Anna Schackelton qui l'initie dès son plus jeune âge à la botanique. André peut passer des heures à observer un insecte, revenir cent fois guetter la parfaite floraison d'une plante sauvage. Entre la Normandie maternelle et le Sud paternel, il ne peut trancher, tout l'intéresse. En 1902, dans un article, il avoue :
"Entre la Normandie et le Midi je ne voudrais ni ne pourrais choisir, et me sens d'autant plus Français que je ne le suis pas d'un seul morceau de France, que je ne peux penser et sentir spécialement en Normand ou en Méridional, en catholique ou en protestant, mais en Français, et que, né à Paris, je comprends à la fois l'Oc et l'Oïl, l'épais jargon normand, le parler chantant du Midi, que je garde à la fois le goût du vin, le goût du cidre, l'amour des bois profonds, celui de la garrigue, du pommier blanc et du blanc amandier."
A ses conceptions religieuses de la Nature dans son enfance succèdent des appréciations bien plus charnelles et une étude plus systématique, scientifique. Il observe le végétal comme il s'observe lui-même. Et il avoue que son esprit est moins réfractaire à l'histoire naturelle qu'à l'histoire humaine. De fait, toute sa vie il retiendra mieux les noms des plantes que les dates historiques et même celles de sa propre histoire...
Avec Mallarmé, il pense que le monde a été créé pour devenir un livre. Le paysage doit y tenir le rôle d'un personnage aussi important que ceux de chair. Avec Valéry, il passe de longs moments au Jardin des Plantes de Montpellier, l'un et l'autre songeant à leur Narcisse près du mystérieux tombeau de Narcissa.
Très vite, le naturaliste se veut jardinier. Parce qu'il ne voit pas dans la nature "une école de vertu" mais une "école d'intelligence, d'adaptation", il s'intéresse à la taille, au rempotage, à la greffe. Quand Barrès prône les racines, le terreau français, Gide observe que c'est par le dépotage et la taille des racines qu'on obtient des plantes plus robustes. Pendant plusieurs années à Cuverville il mène des expériences.
"Dimanche (1916)
La taille de nos arbres fruitiers est terriblement en retard ; la sève presse. Je m'y suis mis activement et chaque jour j'y ai passé près de quatre heures. Il me prend contre Mius de grandes rages à découvrir l'absurde disposition de ses espaliers. Comme il sacrifie tout à l'aspect et que le moindre vide le désoblige, il s'arrange de manière à ramener de n'importe où un rameau, pour suppléer à celui qui manque, et qu'il aurait dû savoir obtenir. Rien ne dira à quelles contorsions acrobatiques, à quelles saugrenues dispositions mes arbres se voyaient obligés par ce pauvre cerveau. Son rêve aurait été d'écrire son nom partout avec des branches ; je retrouve sur les espaliers les formes de toutes les lettres de l'alphabet. Et, pour réobtenir aujourd'hui des dispositions un peu rationnelles, il faut oser de vrais saccages, dont les arbres ne se remettront pas de longtemps." (Journal)
A Paris, après avoir fréquenté assidûment le jardin du Luxembourg dans son enfance, il reste un fidèle du Jardin des Plantes – comme son héros de Paludes – ne manque aucune exposition horticole. Elisabeth van Rysselberghe, devenue horticultrice, l'accompagne dans ces visites et dans ses promenades botaniques. Ses voyages en Afrique du Nord puis au Tchad, au Congo, au Niger, sont également l'occasion d'observations humaines, politiques que naturalistes. Pour Gide, tout bon romancier, ou qui voudrait le devenir, doit impérativement s'intéresser à la flore et à la faune. Une expérience pour lui aussi capitale que sa participation à un jury d'assises.
Tentative de liste des lieux gidiens "naturels" (et bibliographie liée) :
- Jardin du Luxembourg près de la maison natale de Gide à Paris, 19, rue de Médicis, actuellement 2, place Edmond Rostand, de 1869 à 1875 (Si le grain ne meurt)
- Jardins des hôtels particuliers de la maison familiale parisienne du 4, rue de Commaille, de 1883 à 1897 (Si le grain ne meurt)
- Parc du château de la Roque-Baignard en Normandie, propriété familiale du côté maternel. Plus de 400 hectares de terres, de forêts, d'étangs... (Si le grain ne meurt, Journal)
- Campagne cévenole des environs d'Uzès, berceau de la famille paternelle où Gide retrouvait ses grands-parents (Si le grain ne meurt)
- Parc de la Villa des Sources, propriété de son oncle Charles Gide à Bellegarde-du-Gard, près de Nîmes (Correspondance avec sa mère, Journal)
- Jardin des Plantes de Montpellier, ville où résidait aussi Charles Gide, et jardin de la maison de l'oncle (Si le grain ne meurt). A signaler aussi les promenades avec Paul Valéry au Jardin des Plantes (Journal, entretiens avec Jean Amrouche)
- Jardin de Cuverville, propriété familiale de l'épouse de Gide, Madeleine, où Gide (La porte étroite, Journal, Si le grain ne meurt, voir aussi les Cahiers de la Petite Dame)
- Afrique du Nord/Italie: Premier séjour en 1893-1894 à Tunis, Biskra puis Malte et l'Italie où il admire notamment les jardins de Florence (Journal, correspondances, Si le grain ne meurt). Voyage de noces en 1895-1896 avec Madeleine, nouveaux séjours en Italie et en Afrique du Nord (Journal). De nombreux autres voyages suivront.
- Congo, Tchad en 1925-1926 (Voyage au Congo, Retour du Tchad, Journal), Sénégal en 1936
- Midi de la France : villa "le Pin" à Saint-Clair (maison de Théo et Maria van Rysselberghe), la Bastide Franco (domaine géré par Elisabeth van Rysselbergh), Roquebrune (chez Dorothy et Simon Bussy), Porquerolles, Cabris, Hyères, Marseille... (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
- Le Tertre, château des Roger Martin-du-Gard à Bellême dans l'Orne. (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
- Colpach, château des Mayrisch au Luxembourg. (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
A lire à ce sujet :
- Roger Bastide, Anatomie d'André Gide, "Gide jardinier", L'Harmattan
- Les Jardins d'André Gide. Texte de Mic Chamblas-Ploton, photographies de Jean-Baptiste Leroux, préface de Claude Martin; Éd. du Chêne.
C'est l'amie de sa mère Anna Schackelton qui l'initie dès son plus jeune âge à la botanique. André peut passer des heures à observer un insecte, revenir cent fois guetter la parfaite floraison d'une plante sauvage. Entre la Normandie maternelle et le Sud paternel, il ne peut trancher, tout l'intéresse. En 1902, dans un article, il avoue :
"Entre la Normandie et le Midi je ne voudrais ni ne pourrais choisir, et me sens d'autant plus Français que je ne le suis pas d'un seul morceau de France, que je ne peux penser et sentir spécialement en Normand ou en Méridional, en catholique ou en protestant, mais en Français, et que, né à Paris, je comprends à la fois l'Oc et l'Oïl, l'épais jargon normand, le parler chantant du Midi, que je garde à la fois le goût du vin, le goût du cidre, l'amour des bois profonds, celui de la garrigue, du pommier blanc et du blanc amandier."
A ses conceptions religieuses de la Nature dans son enfance succèdent des appréciations bien plus charnelles et une étude plus systématique, scientifique. Il observe le végétal comme il s'observe lui-même. Et il avoue que son esprit est moins réfractaire à l'histoire naturelle qu'à l'histoire humaine. De fait, toute sa vie il retiendra mieux les noms des plantes que les dates historiques et même celles de sa propre histoire...
Avec Mallarmé, il pense que le monde a été créé pour devenir un livre. Le paysage doit y tenir le rôle d'un personnage aussi important que ceux de chair. Avec Valéry, il passe de longs moments au Jardin des Plantes de Montpellier, l'un et l'autre songeant à leur Narcisse près du mystérieux tombeau de Narcissa.
Très vite, le naturaliste se veut jardinier. Parce qu'il ne voit pas dans la nature "une école de vertu" mais une "école d'intelligence, d'adaptation", il s'intéresse à la taille, au rempotage, à la greffe. Quand Barrès prône les racines, le terreau français, Gide observe que c'est par le dépotage et la taille des racines qu'on obtient des plantes plus robustes. Pendant plusieurs années à Cuverville il mène des expériences.
"Dimanche (1916)
La taille de nos arbres fruitiers est terriblement en retard ; la sève presse. Je m'y suis mis activement et chaque jour j'y ai passé près de quatre heures. Il me prend contre Mius de grandes rages à découvrir l'absurde disposition de ses espaliers. Comme il sacrifie tout à l'aspect et que le moindre vide le désoblige, il s'arrange de manière à ramener de n'importe où un rameau, pour suppléer à celui qui manque, et qu'il aurait dû savoir obtenir. Rien ne dira à quelles contorsions acrobatiques, à quelles saugrenues dispositions mes arbres se voyaient obligés par ce pauvre cerveau. Son rêve aurait été d'écrire son nom partout avec des branches ; je retrouve sur les espaliers les formes de toutes les lettres de l'alphabet. Et, pour réobtenir aujourd'hui des dispositions un peu rationnelles, il faut oser de vrais saccages, dont les arbres ne se remettront pas de longtemps." (Journal)
A Paris, après avoir fréquenté assidûment le jardin du Luxembourg dans son enfance, il reste un fidèle du Jardin des Plantes – comme son héros de Paludes – ne manque aucune exposition horticole. Elisabeth van Rysselberghe, devenue horticultrice, l'accompagne dans ces visites et dans ses promenades botaniques. Ses voyages en Afrique du Nord puis au Tchad, au Congo, au Niger, sont également l'occasion d'observations humaines, politiques que naturalistes. Pour Gide, tout bon romancier, ou qui voudrait le devenir, doit impérativement s'intéresser à la flore et à la faune. Une expérience pour lui aussi capitale que sa participation à un jury d'assises.
Tentative de liste des lieux gidiens "naturels" (et bibliographie liée) :
- Jardin du Luxembourg près de la maison natale de Gide à Paris, 19, rue de Médicis, actuellement 2, place Edmond Rostand, de 1869 à 1875 (Si le grain ne meurt)
- Jardins des hôtels particuliers de la maison familiale parisienne du 4, rue de Commaille, de 1883 à 1897 (Si le grain ne meurt)
- Parc du château de la Roque-Baignard en Normandie, propriété familiale du côté maternel. Plus de 400 hectares de terres, de forêts, d'étangs... (Si le grain ne meurt, Journal)
- Campagne cévenole des environs d'Uzès, berceau de la famille paternelle où Gide retrouvait ses grands-parents (Si le grain ne meurt)
- Parc de la Villa des Sources, propriété de son oncle Charles Gide à Bellegarde-du-Gard, près de Nîmes (Correspondance avec sa mère, Journal)
- Jardin des Plantes de Montpellier, ville où résidait aussi Charles Gide, et jardin de la maison de l'oncle (Si le grain ne meurt). A signaler aussi les promenades avec Paul Valéry au Jardin des Plantes (Journal, entretiens avec Jean Amrouche)
- Jardin de Cuverville, propriété familiale de l'épouse de Gide, Madeleine, où Gide (La porte étroite, Journal, Si le grain ne meurt, voir aussi les Cahiers de la Petite Dame)
- Afrique du Nord/Italie: Premier séjour en 1893-1894 à Tunis, Biskra puis Malte et l'Italie où il admire notamment les jardins de Florence (Journal, correspondances, Si le grain ne meurt). Voyage de noces en 1895-1896 avec Madeleine, nouveaux séjours en Italie et en Afrique du Nord (Journal). De nombreux autres voyages suivront.
- Congo, Tchad en 1925-1926 (Voyage au Congo, Retour du Tchad, Journal), Sénégal en 1936
- Midi de la France : villa "le Pin" à Saint-Clair (maison de Théo et Maria van Rysselberghe), la Bastide Franco (domaine géré par Elisabeth van Rysselbergh), Roquebrune (chez Dorothy et Simon Bussy), Porquerolles, Cabris, Hyères, Marseille... (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
- Le Tertre, château des Roger Martin-du-Gard à Bellême dans l'Orne. (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
- Colpach, château des Mayrisch au Luxembourg. (Journal, correspondances et Cahiers de la Petite Dame)
A lire à ce sujet :
- Roger Bastide, Anatomie d'André Gide, "Gide jardinier", L'Harmattan
- Les Jardins d'André Gide. Texte de Mic Chamblas-Ploton, photographies de Jean-Baptiste Leroux, préface de Claude Martin; Éd. du Chêne.
mercredi 2 janvier 2008
Gide et les femmes : Elisabeth (première partie)
Elisabeth van Rysselberghe naît en 1890 de Maria et Théo van Rysselberghe. Elle a neuf ans lorsque ses parents deviennent des proches d'André Gide. C'est pourrait-on dire, un double coup-de-coeur réciproque : entre Maria, la future Petite Dame, et Gide d'une part, et entre la fille, Elisabeth, et le même Gide.
Gide relève dans une lettre à son ami Copeau que l'adolescente de quinze ans lui porte une "étrange tendresse".
Gide relève dans une lettre à son ami Copeau que l'adolescente de quinze ans lui porte une "étrange tendresse".
Portrait d'Elisabeth par son père Théo van Rysselberghe
(1895-1896)
"Elle était comme subjuguée par Gide", note également Maria, "attirée par une force à laquelle, sans doute, elle ne donnait aucun nom et qui devait s'épanouir plus tard." Quel nom lui donner ? Amour, amitié, admiration ? Aucun des trois et les trois à la fois ; comme souvent avec Gide, il est difficile de démêler les sentiments, d'en exclure un au profit de l'autre, chacun prenant le relais de l'autre, se surajoutant.
Théo van Rysselberghe peint, voyage pour trouver de nouveaux sujets et veut faire régner dans sa maison – sans succès – une discipline morale qui n'est du goût ni de son épouse, ni de sa fille. Elisabeth tient de sa mère et de sa grand-mère un caractère bien trempé où n'entrent pas les considérations bourgeoises. Plongée dans un bain de peinture et de littérature, elle s'affirme en choisissant une toute autre voie.
En 1908, à dix-huit ans, Elisabeth se destine à l'horticulture ! Elle part l'étudier en Angleterre au Swanley Horticultural College qui, créé mixte en 1889, s'adressait exclusivement aux étudiantes depuis 1891. Elle retrouve en Angleterre le poète Rupert Brook avec lequel elle avait une liaison depuis 1911.
A Cambridge, Brook a appartenu à la société secrète des Apôtres grâce auxquels il pénétra aussi dans le Groupe de Bloomsbury, un mouvement de jeunes et brillants intellectuels très libérés. La plupart de ses membres étaient bisexuels : Virginia Woolf, le futur célèbre économiste Keynes, Lytton et James Strachey, les frères de Dorothy Bussy, future traductrice et éternelle amoureuse de Gide...
Elisabeth découvre dans ces fréquentations le mode de vie et la liberté dont elle toujours rêvé : liberté morale et sexuelle dans les discours comme dans les actes, féminisme, esprit de créativité... Puis durant la première guerre mondiale, elle part en Ecosse remplacer les jardiniers réquisitionnés sur le front.
C'est Gide qui lui apprend la mort de Rupert Brook en 1915, et conclut une bien étrange lettre : "Je pense à toi souvent et mon coeur s'emplit de mélodie. Que le printemps est beau cette année ! Une mystérieuse attente frémit au fond de notre deuil. Ton ami."
"Notre" deuil ? Peut-être celui de l'enfant qu'Elisabeth, sa mère et même Gide souhaitaient voir naître de cette liaison avec Brook... En 1916, c'est un autre deuil qui soulève le voile de cette "attente". De retour de l'enterrement d'Emile Verhaeren – avec lequel Maria van Rysselberghe avait eu une aventure passionnée – Gide fait passer un billet à Elisabeth.
"Je n'aimerai jamais d'amour qu'une seule femme ; je ne puis avoir de vrais désirs que pour les jeunes garçons. Mais je me résigne mal à te voir sans enfant et à n'en pas avoir moi-même." Voilà qui n'a rien d'une déclaration mais tout d'une proposition. Honnête.
Pourtant c'est un autre front amoureux qui s'ouvre en 1919 entre Elisabeth et cette fois Marc, le jeune compagnon de Gide lui-même. A nouveau, Gide espère un enfant par procuration et cette configuration triangulaire l'enchante. Mais le ventre d'Elisabeth ne s'arrondit toujours pas malgré son désir sans équivoque :
"[...] au printemps 1920", écrit Maria, "en revenant de Florence, Elisabeth avait fait part à son père de son désir formel d'avoir un enfant en dehors du mariage et, prévoyant que cette forme de vie lui serait très contraire et ne rencontrerait chez lui qu'opposition, elle lui déclara aussi, pour éviter de fâcheux conflits, qu'elle entendait que cette partie de sa vie restât un mystère pour tout le monde. Ses prévisions ne furent que trop justifiées : elle ne trouva chez son père que blâme désapprobation, tristesse, tant au nom de la sollicitude qu'au nom de l'ordre établi. Ce fut une des raisons qui décidèrent Elisabeth à se créer d'abord une vie indépendante, que la générosité d'Emile Mayrisch et son esprit d'entreprise rendirent si aisément réalisable."
Emile Mayrisch – époux d'Aline Mayrisch, alias Loup, grande amie de sa mère – lui confie en effet en 1921 la gestion de la Bastide Franco à Brignoles, vaste domaine où l'on élevait des vers à soie et où l'on travaillait la terre. Elisabeth, femme active, est heureuse. "Je ne suis rien si je ne suis pas vraie, et je ne suis vraie que dans le Sud. Sans trop de livres, sans trop de vêtements, sans trop de civilisation", écrit-elle à Marc en 1920.
C'est dans ce Sud propice à son épanouissement qu'Elisabeth met en oeuvre avec Gide ce plan longuement mûri, ce que Roger Martin du Gard appellera un peu froidement "une expérience de laboratoire". Et Gide réussi là où Marc avait échoué ! "... et c'est ainsi qu'un dimanche de juillet, au bord de la mer dans la solitude matinale d'un beau jour, fut conçu l'enfant que nous attendons." dans ses Cahiers, la Petite Dame accueille l'évènement sans étonnement mais non sans poésie...
Gide espère un garçon, sûr de ne pas savoir s'y prendre avec les filles... Le prénom est choisi : Nicolas. Mais c'est une petite fille qui naît le 18 avril 1923 : Catherine van Rysselberghe, qui ne prendra que plus tard le nom de son père, lorsque Gide l'adoptera après la mort de sa femme Madeleine. Et c'est avec Marc qu'il décide d'aller voir l'enfant, son enfant, pour la première fois : un manifeste...
Elisabeth par Théo van Rysselberghe (1925)
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