samedi 9 août 2008

Ereintements III : Oeuf Dur et caviar

"C'est la revue des braves gens.
Le numéro un franc.
Abonnez-vous à dix francs les douze.
L'Oeuf Dur gagne à être connu."

Ainsi se vend la revue l'Oeuf Dur, fondée en 1921 par George Duveau, Francis Gérard (pseudonyme littéraire de Gérard Rosenthal), Jean-Pierre Lafargue et Maurice David (pseudonyme de Jean Albert-Weil). Revue dans laquelle on peut lire Carco, Cocteau, Cendrars, Morand, Mac Orlan, Radiguet, Drieu La Rochelle ou encore Max Jacob.

Autant d'auteurs réunis un temps dans le mouvement surréaliste et qui éclateront sur tout le spectre politique, de la droite extrême au communisme militant. Henri Béraud, encore lui, est encore anarchiste lorsqu'il y collabore. L'Oeuf Dur devait servir de tremplin à son attaque contre André Gide.

Gide se souvient, dans les entretiens radiophoniques donnés à Jean Amrouche, avoir reçu cet article de Béraud en épreuves, envoyé par des "amis" qui étaient selon lui tout prêts à tuer la critique dans l'oeuf... Dans ses cahiers, la Petite Dame est plus précise : c'est en fait le directeur de l'Oeuf Dur qui lui envoie l'article intitulé "La nature a horreur du Gide", espérant une réponse à publier dans ses colonnes.

Gide, pour toute réponse, renvoie l'article précédé de la mention "bon à tirer". Mais en janvier 1923, le douzième numéro de l'Oeuf Dur sort avec un sommaire caviardé de la charge de Béraud et amputé d'autant de pages... Nul ne sait ce qui s'est passé. La réaction de Gide semble avoir désarçonné la rédaction de "la plus touchante, la plus exacte des jeunes revues" comme elle se qualifie en dernière page.






Le sommaire caviardé de l'Oeuf Dur



En 1924, l'Oeuf Dur, sous la plume de Pierre Naville, fera toutefois paraître une critique de Gide à l'occasion de la parution des Incidences : "Tout de même, l'influence d'André Gide me paraît sérieusement compromise, et grâce précisément aux disciples avortés et aux jeunes larves qui grouillent sur son cadavre. Et à ceux qui voudront me le faire prendre pour une statue, je répondrai seulement que l'homme le moins humble et le plus dénué de sensualité n'aura de prise sur les générations futures que comme le faux prophète qu'il a voulu être et dans la mesure seulement où les malades se laisseront tuer."

Pierre Naville n'est pas un inconnu pour Gide. Arnold Naville, le père de Pierre* est son ami. Et le jeune homme, trotskyste engagé, se rapprochera de Gide dix ans plus tard. Malgré une "influence compromise", Naville demandera l'appui de Gide pour aider Trotsky et sera assez proche de l'écrivain "le moins humble". Gide de son côté apprécie Naville mais gardera toujours une certaine méfiance, comme envers tous les "partisans".


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* Le père aussi de Claude Naville, de quatre ans l'aîné de Pierre, mort en 35. En 36 paraîtra une œuvre posthume de Claude Naville regroupant des essais sur Gide, le communisme et l'URSS.

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