vendredi 7 janvier 2011

AG à la Villa Montmorency

En novembre dernier l'assemblée générale des Amis d'André Gide se tenait à l'Ecole Alsacienne. Henri Heinemann y faisait une apparition chaleureuse. Dans son très beau journal intitulé L'éternité pliée, je découvre que l'association ne s'est pas toujours réunie à l'Ecole Alsacienne mais aussi, comme en 1976 et 1977, à la Villa Montmorency : 


« 8 novembre 1976

Participation, samedi, à l'Assemblée générale des Amis d'André Gide, Cela se tenait dans une avenue « privée » du XVIe arrondissement. Eh oui ! Cela existe encore, et préserve, en cette avenue des Sycomores, un cadre provincial, comme il me revient d'en avoir visité dans l'île qui touche au port d'Oslo. Ce quartier est bien un îlot, aux villas tarabiscotées, aux jardinets enflammés et dorés d'automnee, aux arbres en fête. Devant le 38, des gens font le pied-de-grue, des fidèles assurément : un écriteau demande de ne point sonner avant quinze heures. La demeure est hybride : sur une bâtisse lourde, en pierre, dont la façade est trouée de deux rangées obliques de fenêtres romanes, on a plaqué un dernier étage de chalet aux colombages vert amande, et, en réplique sur le côté, une entrée similaire. J'ai vu de telles horreurs au bord du lac Léman ! Ai-je la berlue: j'aperçois quelques André Gide. Ce beau blond à col blanc porteur de cape, ce maigre jeune homme aux yeux de chinois, cet autre à barbe noire et moustache itou, très Nourritures terrestres. Public varié où les dames ne manquent pas, telles Mmes Jules Romains ou Anne Heurgon.

C'est donc là qu'il a vécu vingt ans, avant de hanter le Vaneau, où loge présentement Jean-Pierre Faye. Après l'entrée, le hall s'offre comme une vaste tour, que des boiseries habillent, et où monte alentour, sur trois étages, un escalier apparent qui explique les fenêtres romanes à vitraux qui percent en oblique la façade. Par quelques marches de pierre on accède à une autre espèce d'entrée donnant sur deux salons, et d'où part encore un escalier. C'est ici, face à un bureau jouxtant l'escalier, que se tiendra la réunion. Une lampe, sur le coin du bureau, dispense une lumière parcimonieuse. L'un des salons, au fond, comporte un piano à queue, ce qui n'a rien d'étonnant. Partout, aux murs, une foule de portraits, de peintures, de consoles supportant des bibelots curieux, des chinoiseries. Au-dessus du bureau court une galerie à laquelle mène l'escalier, et qui rappelle certains décors de théâtre. Les chaises, les fauteuils, les tabourets forment la collection la plus hétéroclite qui soit ; on a dû effectuer une razzia dans toute la maison. Cela sent le vieux, le précieux, mais également la gentille et [douillette chaleur des logis cossus d'antan. Leur visite valait l'après-midi au musée. Au risque de choquer, je reconnais que j'aime !
Cette maison est habitée. J'aperçois une délicieuse jeune fille, à la tunique de boyard, qui tâche de caser son monde.
La réunion paraît traduire la vitalité des Amis d'André Gide, quoique meurent les derniers témoins. Près de mille correspondants.
Je note un détail inattendu: une édition de La Maturité d'André Gide retardée de quatre mois par un obstacle imprévu, l'inexistence dans notre langue du ÿ, indispensable à la graphie deux cents fois rencontrée du mot Louÿs. »

Henri Heinemann, L'éternité pliée: La rivière entre les doigts, 
1976-1977, volume 2, 
L'Harmattan, 2008, pp.109-110



« 7 novembre 1977

Assemblée générale, dans cette maison de la villa Montmorency où j'étais déjà venu l'an passé, et qui, vue depuis le jardin derrière, paraît plus vaste. Jacques Drouin, neveu de Madeleine Rondeaux qui devint Madeleine Gide - il l'appelle Tante Madeleine - parle de ces jours d'enfance où il courait dans les escaliers, les couloirs, les recoins... Gide les adorait aussi. Combien il regrette certains «estropiages » de la bâtisse ! Il cultive comme une religion le souvenir de sa tante Madeleine, et croit encore humer son parfum de savon à la violette. Sa mère à lui, c'était Jeanne Rondeaux.
La fin d'après-midi se placera sous le signe de la musique. Drouin, par anticipation, et de manière un peu agaçante, impose ses souvenirs, lesquels, eux, sont plus plaisants que lui. Il était un des seuls que Gide admît en sa présence lorsqu'il se mettait au piano à Cuverville, et voue une admiration sans borne au Gide pianiste.
Toujours émouvant, ce « je me souviens que... », d'autant qu'il est dit, entre autres, devant le fils de Paul Valéry et l'épouse de Jules Romain. Une autre époque ! »

Henri Heinemann, L'éternité pliée: La rivière entre les doigts, 
1976-1977, volume 2, 
L'Harmattan, 2008, p.189

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La réunion de l'AAAG s'est même tenue à Lyon, dans la grande maison de Claude Martin, son secrétaire général à l'époque, en 1979.

Fabrice a dit…

Ne nous raconteriez-vous pas comment cela se déroulait alors, l'ambiance, les visages ?