Tout cet été, les Amis de Pontigny faisaient revivre l'esprit des Décades au travers d'une exposition consacrée à Paul Desjardins et de nombreuses conférences et présentations. Le 27 août dernier, Pierre Masson, président des Amis d'André Gide, éditeur des œuvres dans la Pléiade et de nombre de ses correspondances dont celle avec Paul Desjardins, évoquait justement les liens entre les deux hommes.
L'occasion pour moi d'une visite à l'abbaye avec pour guides Marie-Odile Bougaud, des Amis de Pontigny, et Claire Paulhan, qui prépare notamment l'édition des agendas de Paul Desjardins. Encore merci à elles pour leur accueil chaleureux et sur lequel je reviendrai dans une seconde partie de ce petit compte-rendu de la visite. Mais avant d'en venir aux Décades et à Gide, plantons le décor...
Pont-au-nid... Pontigny
Le blason de Pontigny repose sur un
à-peu-près. On y voit une poule en train de couver au sommet d'un
arbre, le tout au milieu d'un pont : pont-au-nid... Pontigny... C'est
non seulement prendre des libertés avec la toponymie mais surtout se
placer sous de bien curieux auspices. La vénérable abbaye fondée
en 1114 par Hugues de Mâcon, compagnon de saint Bernard, semble
avoir toujours quelque surprise à révéler sous sa gravité
cistercienne.
Hugues devient évêque d'Auxerre.
L'abbaye donne aussi un archevêque de
Bourges qui est canonisé : saint Guillaume. A ce rayonnement spirituel s'ajoute la puissance économique.
Sur les bords du Serein, les frères convers s'activent. Voilà qui
explique les 120 mètres de longueur de l'église bâtie entre le
milieu et la fin du XIIe siècle et capable d'accueillir plusieurs
centaines de moines.
L'église vue depuis l'emplacement du cloître
En 1206, Alix de Champagne, reine de France, épouse de Louis VII et
mère de Philippe Auguste, est inhumée dans le chœur de
l'abbatiale. Un retour puisque l'abbé de Pontigny, enfreignant la
Règle qui interdisait l'entrée d'une femme à l'intérieur d'un
monastère cistercien, avait autrefois accueilli Alix lors d'un
séjour de deux jours dans la clôture. Accueillante Pontigny qui va
abriter aussi trois archevêques de Cantorbéry en exil : Thomas
Becket (saint Thomas de Cantorbéry), Thomas Langton et Edmond
d'Abingdon (saint Edme) dont le corps repose toujours dans une châsse du chœur de l'église.
Comme la plupart des abbayes françaises
au XVIe siècle, l'abbaye est mise en commende : les
abbés partent dans les villes pour une vie plus prospère et souvent
dissolue, et des seigneurs lointains en deviennent les « abbés
commendataires », sorte de pdg avant l'heure qui touchent les
bénéfices mais n'investissent plus dans l'entretien des bâtiments
(nombre d'abbayes vont disparaître à cette époque). Jean du Bellay
sera l'un d'eux. Puis les guerres de religion vont accentuer les
dégâts. Pontigny est saccagée, les tombeaux profanés, mais le
corps de saint Edme est mis en lieu sûr par les moines.
Châsse où repose le corps de saint Edme
Au siècle suivant, les abbés sont de
nouveau choisis parmi les moines. Ils remettent en état et
« embellissent » au goût du jour. La musique fait son
entrée dans l'église avec un orgue de facture allemande acheté
d'occasion. Une clôture du chœur et des grilles en fer forgé sont
aussi installées. Puis la Révolution chasse les moines. Le palais
abbatial est mis à terre, comme de nombreux bâtiments qui servent
de « carrière » pour les maisons du village. Mais encore
une fois, saint Edme est protégé et son culte très populaire sauve
même l'église qui devient paroissiale avec le Concordat de 1801.
Il faut dire que saint Edme a la
réputation de ressusciter les enfants morts-nés. Dans la région,
le prénom Edme ou Edmond fait florès et l'on créé même le
féminin Edmée pour placer aussi les fillettes sous la protection du
bon saint anglais. En 1873, le pèlerinage à saint Edme accueillait
dix milles personnes à Pontigny. Sa dépouille miraculeusement
conservée devrait faire l'objet d'études approfondies, mais on
attend encore les subventions pour financer la dépose de la châsse
précieuse et le convoi en ambulance du saint préposé au limbus
puerorum jusqu'à l'hôpital de Lille habilité à l'étudier.
Bâtiment des frères convers et façade de l'église
Deux curés de Pontigny allaient encore
marquer l'histoire religieuse du lieu : l'abbé Muard, qui fondera
justement en 1852 la communauté des Pères de Saint Edme, et l'abbé
Tauleigne, curé de Pontigny de 1903 jusqu'à sa mort en 1926.
Bricoleur et inventeur de génie, on doit à Tauleigne l'invention ou
le perfectionnement de nombreux appareils d'optique, d'acoustique, de
télégraphie sans fil et surtout de radiographie. Mais en mettant au
point son « stéréomètre », radiographie stéréoscopique
qui révolutionna la chirurgie, il s'exposa aux rayons X et en mourut.
En 1906, Paul Desjardins achète donc
les bâtiments de l'abbaye, for l'église, et de 1910 à 1939 s'y
tiendront les entretiens ou décades de Pontigny. En 1947, les Pères
de Saint Edme reviennent à Pontigny pour y créer un collège
franco-américain jusqu'en 1954. Puis le pape Pie XII donne le
territoire paroissial de Pontigny à la Mission de France. En 1968
les bâtiments sont achetés par un centre de formation
professionnelle pour handicapés. Dès 1985 l'association des Amis de
Pontigny est créée et en 2003 la région Bourgogne rachète enfin
le domaine.
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