Juillet 1939. Bordeaux*.
- Et, tout à coup, Gide me dit : "Ainsi vous voilà parti pour l'Académie." Je m'attendais si peu à pareille assertion que je crus à une plaisanterie et regardai Gide en riant. Il était sérieux, et cordial, disant "Voyons, c'est l'évidence ! Rappelez-vous Barrès lançant Mauriac (...). La préface que Mauriac a donnée à votre Flaubert et qu'il publia dans le Figaro, c'est à l'imitation de Barrès, en votre faveur. Vous voilà sur les rails". Je n'en revenais pas (...).
Je ne prenais pas la bonne route, traitant systématiquement de sujets interdits, écrivant ce qu'on n'écrit pas quand on veut réussir.
(Henri Guillemin, Parcours, Seuil, 1989, pp. 51-52)
(ajout du 7 juillet, grâce au commentaire de Quanmême ci-dessous :)
Quand j'ai été seul avec François Mauriac je l'ai interrogé :
- Gide est chez vous depuis plusieurs jours ; comment le jugez-vous ?
J'ai été stupéfait de voir la chaleur avec laquelle Mauriac m'a dit :
- C'est un homme admirable, d'une loyauté, d'une franchise parfaites, qui parle de tout avec une ouverture de cœur qui m'a beaucoup touché.
(Henri Guillemin, Une certaine espérance,
conversation avec Jean Lacouture, Arléa, 1992)
(ajout du 11 septembre grâce aux échanges dans le groupe FB autour de l'article A vrai lire - Rendre justice à André Gide, de A. Claude Courouve :)
Longtemps après les premières accusations de truquage (Journal de Genève, 9 janvier 1954, p.3, repris dans À vrai dire, Gallimard, 1956), et leur démontage, Henri Guillemin continuera à propager ses insinuations comme dans sa préface aux Rêveries d'un promeneur solitaire (Rencontre, 1963, p.25) :
Ou dans un article intitulé Benjamin l'imposteur (Nouvel'Obs, 18 octobre 1967) :
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Longtemps après les premières accusations de truquage (Journal de Genève, 9 janvier 1954, p.3, repris dans À vrai dire, Gallimard, 1956), et leur démontage, Henri Guillemin continuera à propager ses insinuations comme dans sa préface aux Rêveries d'un promeneur solitaire (Rencontre, 1963, p.25) :
Quant à Gide, son célèbre Journal était si bien à notre intention que ce champion de la sincérité falsifiait à plaisir et son texte et ses dates pour embellir le mémorial qu'il nous vendait de son vivant.
Ou dans un article intitulé Benjamin l'imposteur (Nouvel'Obs, 18 octobre 1967) :
La sincérité de Constant, qui jetait dans des transports d'admiration le bon Du Bos, la sincérité de Constant est du même type que celle de Gide. Lorsqu'il feignait d'écrire pour lui seul, il se doutait bien qu'on le lirait et il prenait ses précautions.Grâce à Claude Courouve toujours, nous retrouvons dans Guillemin/Hugo, communication de Patrick Berthier au Groupe Hugo du 22 septembre 2007, la clé de la psychologie de Guillemin, donnée par Mauriac lui-même :
Mauriac publie dans Le Figaro littéraire du 24 mars 1956 un article contre Guillemin intitulé « Le bonheur d’être oublié ». [Bonheur d’être oublié, parce qu’au moins aucun Guillemin ne vient dire du mal de vous sur votre tombe : on devine Mauriac terrifié de ce qu’on pourra dire de lui quand il sera mort.] L’attaque contre H. G. est violente : chez lui
« l’antipathie préexiste […] et guide le chasseur vers le document dont sa haine a besoin. Il est moins soucieux de nous faire connaître l’œuvre dont il s’occupe que de nous donner les raisons de l’amour ou de la haine qu’un auteur lui inspire ».
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* Cette rencontre de Gide avec Guillemin à Bordeaux en 1939 se situe dans le cadre du séjour que Gide fit à Malagar, en compagnie des Mauriac père et fils. Voir à ce sujet Gide chez Mauriac (Confluences, 2012) et surtout Conversations avec André Gide de Claude Mauriac (Albin Michel, 1990).
6 commentaires:
Vous m'avez donné l'occasion, cher Fabrice, d'aller revoir ces pages de Guillemin (que je goûte beaucoup, vous le savez) ou la haine qu'il porte envers Gide le retient de dire une chose qu'il avouera plus tard dans des entretiens radiophoniques accordés à Lacouture (Arlea,1992).
Ceci :
"Quand j'ai été seul avec François Mauriac je l'ai interrogé : - Gide est chez vous depuis plusieurs jours ; comment le jugez-vous ?
J'ai été stupéfait de voir la chaleur avec laquelle Mauriac m'a dit : - C'est un homme admirable, d'une loyauté, d'une franchise parfaites, qui parle de tout avec une ouverture de coeur qui m'a beaucoup touché".
On devine, en effet, la stupéfaction d'HG dont la répugnance pour l'auteur de Corydon était telle qu'il lui déplaisait de lui serrer la main !
N'empêche que Parcours est un témoignage de haut prix, tout comme, vous avez bien raison de le rappeler, les Conversations de Claude Mauriac.
Merci pour ce prolongement que je me permets d'ajouter.
J'essaie d'inaugurer une nouvelle sorte de billet, des "notes en courant", prises au fil de lectures ou de découvertes ici et là, qui ne méritent pas forcément un développement mais qui trouveront peut-être un jour une résonance pour quelqu'un dans ses recherches.
Pas des pierres blanches mais des petits cailloux pour trouver des chemins de traverse. Le vôtre, ajouté au mien, voilà un début de balisage !
J'approuve, cher Fabrice, ce balisage, heureux aménagement de cet itinéraire gidien sans égal où les les pierres blanches ne manquent pas (tel ce Stravinsky, véritable relais-château) et dont la remarquable signalétique est toujours utile, et agréable, aux touristes.
Espérons que leurs conducteurs -je pense aux biographes- sauront en faire l'usage que vous lui destinez.
Amitiés, Marc.
Plus tard, François Mauriac se brouillera avec Guillemin.
"En 1956, une violente polémique oppose Guillemin, qui vient de publier Monsieur de Vigny homme d’ordre et poète, et son aîné et grand ami Mauriac, outré par le mal qu’il ose dire de l’auteur de « La maison du berger ». Mauriac publie dans Le Figaro littéraire du 24 mars 1956 un article contre Guillemin intitulé « Le bonheur d’être oublié ». [Bonheur d’être oublié, parce qu’au moins aucun Guillemin ne vient dire du mal de vous sur votre tombe : on devine Mauriac terrifié de ce qu’on pourra dire de lui quand il sera mort.] L’attaque contre H. G. est violente : chez lui
« l’antipathie préexiste […] et guide le chasseur vers le document dont sa haine a besoin. Il est moins soucieux de nous faire connaître l’œuvre dont il s’occupe que de nous donner les raisons de l’amour ou de la haine qu’un auteur lui inspire »."
http://groupugo.div.jussieu.fr/groupugo/07-09-22Berthier.htm
Merci Claude. J'ai complété ces "notes en courant" avec les extraits retrouvés et les liens vers les documents, en attendant de pouvoir rédiger un billet sur tout ça. Qui remonterait aux critiques de Gide sur le Flaubert de Guillemin, dès 1939.
J'espère que Quanmeme repassera par ici...
Cher Fabrice,
Naviguant sur la toile, je me vois cordialement prié de "repasser par ici". Je cède volontiers à l'invite car il y'avait en effet longtemps que...bref !
Pour le sujet qui nous interesse ici -Mauriac/Guillemin- il faut relativiser la nature de leur brouille, d'ailleurs notre ami n'emploie pas ce terme mais celui de "violente polémique".
C'est bien de cela qu'il s'agit : à l'instar de beaucoup d'écrivains et critiques des années 50, Mauriac n'a guère apprécié la veine pamphlétaire dans laquelle HG s'est engoufré, contre Vigny et peut-être plus encore, contre B. Constant.
Il en reste pas mal d'articles savoureux, souvent violents mais toujours stimulants.
Mais les invectives par voie de presse sont une chose, les rapports personnels en sont une autre.
A aucun moment ceux-ci en ont été altérés. En témoignent leurs écrits "intimes" respectifs, ainsi que ceux des tiers, au premier rang desquels Claude Mauriac, bien sûr.
Mais c'est de cette chère Petite Dame que j'ai plutôt envie de parler aujourd'hui.
Vos derners "billets" m'ont incité à me reporter à ce tome I dont la parution fut saluée par le Nouvel Obs avec un luxe inimaginable aujour'hui. Il se trouve qu'à l'époque j'avais inséré les 3 pages ( 3 pages !) que vous avez raison de reproduire dans mon exemplaire [pratique qui n'est pas à recommander : "truffer" les livres les endommage]. Ces articles ont une hauteur indéniable, y compris M. Cournot avec lequel vous êtes un peu dur.
Votre coup de griffe à Malraux m'a en revanche plutôt réjoui : il est rare, cher Fabrice, que vous lâchiez de la sorte ! Le trait n'en a que plus de prix.
Dans son introduction Claude Martin mentionnait ce Cahier III bis que l'on avait définitivement décidé d'écarter ; celui-là même que l'on vient de publier.
J'en viens, enfin, à l'interrogation que j'ai au sujet des écrits de Mme Van Rysselbergue.
Quand on parcourt les Cahiers, on est frappé par le nombre de [...], signes évidents de coupes, dont il n'est d'ailleurs pas fait mystère dans la présentation et qui pouvaient se justifier il y'a quarante ans.
Mais les Cahiers ont depuis fait l'objet d'une réédition dans la collection (encombrante et disgracieuse) des Cahiers de La NRF. Une réedition à l'identique !
Il y'a de quoi "râler" un tantinet.
On ne rend peut être pas compte que cet inestimable témoignage sur la vie quotidienne ( et les dits ! ) de Gide ne rapporte finalement qu'une minorité des jours de la période concernée (1918-1951) : les éloignements et séparations - du fait des voyages surtout - du Goethe de la rue Vanneau et de son Eckerman, étant plus fréquents que leur cohabitation.
Où veux-je en venir ? C'est que je subodore qu'il a dû exister entre les deux amis une abondante correspondance, dont il est rarement question, et dont la richesse et l'intérêt ne doivent en rien être inférieurs à ceux des Cahiers.
La publication intégrale desdits Cahiers, complétée de la correspondance et de documents divers : n'y'aurait-il pas là, cher Fabrice, la perspective d'un monument qui serait des mieux venus dans le paysage littéraire ?
A propos de monument : définitivement enterrée la correspondance avec Gaston ?
Pardon, j'ai été un peu long,
bien amicalement, Marc.
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