La Correspondance Jammes-Gide
éditée en 1948 par Robert Mallet
De 280 lettres
(plus deux en appendice qui avaient parues dans la revue belge Le Spectateur catholique en septembre et octobre 1897) la
Correspondance Jammes Gide passe à 554 lettres dans la nouvelle
édition publiée l'an prochain par Pierre Masson et Pierre Lachasse.
Samedi 16 novembre lors de l'assemblée générale des Amis d'André
Gide, Pierre Lachasse a levé un coin du voile sur cette édition
très attendue.
« La
Correspondance qui paraîtra en 2014 compte désormais 554 lettres : 260 lettres de Gide, 283 de Jammes, 4 de Madeleine, 4 de Ginette Jammes
(l'épouse) et 3 d'Anna Jammes (la mère). Pour être encore plus précis :
257 de Gide à Jammes et 268 de Jammes à Gide (plus 3 adressées à Madeleine
et à André ensemble). A celles qui se trouvent à la
bibliothèque Doucet s'ajoutent notamment celles détenues par le
fonds des assureurs et déposées à la Bibliothèque Nationale, qui
contient 138 lettres de Gide » explique Pierre Lachasse.
Beaucoup de ces
lettres de Gide avaient été vendues par la famille Jammes depuis la
parution de la Correspondance par Robert Mallet et le retour aux
manuscrits permet de corriger de nombreuses erreurs. « La version de
Mallet est souvent erronée, lacunaire. Des paragraphes manquent, des
noms propres sont confondus comme Fontaine et Fontainas. C'est le
premier apport de cette nouvelle édition : un texte le plus exempt
de bévues possible. »
Quant aux coupes :
« Mallet l'explique dans son introduction : le choix est celui de
Gide. Ce dernier s'en ouvre à Mallet dans une lettre du 18 octobre
45 : Gide est souvent consterné par la niaiserie, l'insignifiance et
la médiocrité de certaines lettres et demande dès le début du
projet de faire un choix très restreint des meilleures lettres,
celles du début de leur amitié. Mallet dira sa répugnance dans
l'introduction tout en appréciant les scrupules de Gide. »
« Il faut noter
qu'il s'agit en 1948 de la première correspondance bilatérale de
Gide qui est publiée et qu'à cette époque on n'envisageait pas la
publication de correspondances de la même manière. Aujourd'hui nous
publions en intégralité, nous ne sommes plus à la recherche de
portraits de contemporains, nous n'avons plus de réserves à avoir
vis-à-vis de personnes encore vivantes. Il y a une poétique de la
correspondance à laquelle Mallet n'était pas sensible. L'éthique,
la morale, la religion dominaient. »
Autre apport : la
correction et l'ajout de dates. Gide raconte dans Si le grain ne
meurt comment Yvonne Davet avait séparé les enveloppes des lettres,
ce qui avait brouillé les repères chronologiques de la première
édition. « En mettant la main sur les enveloppes nous avons pu
dater toutes celles qui ne l'étaient pas. D'autres dates ont été
corrigées à partir des références citées dans les lettres, même
si ce n'est pas une édition parfaite, des secteurs restant très
difficile à dater », ajoute encore Pierre Lachasse.
Est-ce que ces
ajouts et corrections changent fondamentalement l'idée que l'on peut
se faire des liens entre Gide et Jammes ? « Les rapports ne changent
pas mais on lit un autre livre », assure Pierre Lachasse. Une
correspondance d'autant plus importante dans cette pureté retrouvée
qu'elle est « la norme entre les deux écrivains, tandis que la
rencontre demeure l'exception ». Qu'on en juge :
Pendant 17 ans, de
leur rencontre en 1893 à leur brouille en 1910, Jammes et Gide vont
se voir 12 fois dont seulement 3 fois longuement : à Biskra en avril
1896, à La Roque en 1898 et à Paris en 1900. Leur dernière
rencontre aura lieu en 1909 chez Gide à la Villa Montmorency.
Une rupture que
cette correspondance éclaire également : « La brouille n'est pas
religieuse*. D'ailleurs Jammes garde des amitiés avec des
agnostiques comme Fontaine ou Régnier. Elle repose plutôt sur un
malentendu qui existe dès le début entre eux : Jammes pense que
Gide est un poète biblique. Il sera détrompé par les Nourritures
qui brisent les liens, puis par L'Immoraliste qui est un livre
nietzschéen selon Jammes, qui n'a jamais lu une ligne de
Nietzsche**. »
« Ils
s'emprisonnent l'un et l'autre dans des personnages qui sont de
véritables créations littéraires, le « pâtre des berges » et le
« faune au doux chalumeau ». C'est ce qui fait de leur
correspondance une construction littéraire, une œuvre écrite à
deux. C'est aussi une grille de lecture pour relire les autres
correspondances de Gide », conclut Pierre Lachasse.
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* A la lecture de
ce texte, Pierre Lachasse me fait la remarque suivante, que je me
permets de partager ici tant elle est intéressante pour mieux
comprendre ce nouvel éclairage apporté par cette correspondance : «
J'ai souhaité minimiser le désaccord religieux bien connu, bien que
celui-ci soit réel, parce qu'il tend à masquer le heurt des
personnalités. Leur amitié est une construction de l'imaginaire
autant qu'un besoin de leurs personnalités. D'où les figures du
pâtre et du faune où leur amitié se déploie tant que la réalité
ne la brise pas en imposant sa loi. Il est frappant de voir que
Jammes reste très lié à Régnier et surtout à Fontaine malgré la
différence de leur philosophie de la vie. »
** Autre précision
utile de Pierre Lachasse : « Leur rupture est lente à se
constituer. J'ai observé trois fissures successives : avec les
Nourritures terrestres dont l'apologie du dénuement (qu'il comprend
mal) choque Jammes, avec L'Immoraliste dont le nietzchéisme (qu'il
connaît un peu, mais fort mal) lui fait peur et enfin, après sa
conversion, quand il veut écrire un article sur Gide et qu'il se
rend compte qu'il s'était construit un Gide de toute pièce,
largement fictif, poète biblique et chantre du Christianisme. La
Porte étroite fait un temps illusion, puis la vérité apparaît
définitivement avec les Caves. Concrètement, la rupture se produit
début janvier 1910 avec le refus par Gide de l'article de Jammes sur
Philippe pour le numéro d'hommage de la NRF. »
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