dimanche 15 décembre 2013

Jammes - Gide : une correspondance enrichie et corrigée


La Correspondance Jammes-Gide
éditée en 1948 par Robert Mallet

De 280 lettres (plus deux en appendice qui avaient parues dans la revue belge Le Spectateur catholique en septembre et octobre 1897) la Correspondance Jammes Gide passe à 554 lettres dans la nouvelle édition publiée l'an prochain par Pierre Masson et Pierre Lachasse. Samedi 16 novembre lors de l'assemblée générale des Amis d'André Gide, Pierre Lachasse a levé un coin du voile sur cette édition très attendue.

« La Correspondance qui paraîtra en 2014 compte désormais 554 lettres : 260 lettres de Gide, 283 de Jammes, 4 de Madeleine, 4 de Ginette Jammes (l'épouse) et 3 d'Anna Jammes (la mère). Pour être encore plus précis : 257 de Gide à Jammes et 268 de Jammes à Gide (plus 3 adressées à Madeleine et à André ensemble). A celles qui se trouvent à la bibliothèque Doucet s'ajoutent notamment celles détenues par le fonds des assureurs et déposées à la Bibliothèque Nationale, qui contient 138 lettres de Gide » explique Pierre Lachasse.

Beaucoup de ces lettres de Gide avaient été vendues par la famille Jammes depuis la parution de la Correspondance par Robert Mallet et le retour aux manuscrits permet de corriger de nombreuses erreurs. « La version de Mallet est souvent erronée, lacunaire. Des paragraphes manquent, des noms propres sont confondus comme Fontaine et Fontainas. C'est le premier apport de cette nouvelle édition : un texte le plus exempt de bévues possible. »

Quant aux coupes : « Mallet l'explique dans son introduction : le choix est celui de Gide. Ce dernier s'en ouvre à Mallet dans une lettre du 18 octobre 45 : Gide est souvent consterné par la niaiserie, l'insignifiance et la médiocrité de certaines lettres et demande dès le début du projet de faire un choix très restreint des meilleures lettres, celles du début de leur amitié. Mallet dira sa répugnance dans l'introduction tout en appréciant les scrupules de Gide. »

« Il faut noter qu'il s'agit en 1948 de la première correspondance bilatérale de Gide qui est publiée et qu'à cette époque on n'envisageait pas la publication de correspondances de la même manière. Aujourd'hui nous publions en intégralité, nous ne sommes plus à la recherche de portraits de contemporains, nous n'avons plus de réserves à avoir vis-à-vis de personnes encore vivantes. Il y a une poétique de la correspondance à laquelle Mallet n'était pas sensible. L'éthique, la morale, la religion dominaient. »

Autre apport : la correction et l'ajout de dates. Gide raconte dans Si le grain ne meurt comment Yvonne Davet avait séparé les enveloppes des lettres, ce qui avait brouillé les repères chronologiques de la première édition. « En mettant la main sur les enveloppes nous avons pu dater toutes celles qui ne l'étaient pas. D'autres dates ont été corrigées à partir des références citées dans les lettres, même si ce n'est pas une édition parfaite, des secteurs restant très difficile à dater », ajoute encore Pierre Lachasse.

Est-ce que ces ajouts et corrections changent fondamentalement l'idée que l'on peut se faire des liens entre Gide et Jammes ? « Les rapports ne changent pas mais on lit un autre livre », assure Pierre Lachasse. Une correspondance d'autant plus importante dans cette pureté retrouvée qu'elle est « la norme entre les deux écrivains, tandis que la rencontre demeure l'exception ». Qu'on en juge :

Pendant 17 ans, de leur rencontre en 1893 à leur brouille en 1910, Jammes et Gide vont se voir 12 fois dont seulement 3 fois longuement : à Biskra en avril 1896, à La Roque en 1898 et à Paris en 1900. Leur dernière rencontre aura lieu en 1909 chez Gide à la Villa Montmorency.

Une rupture que cette correspondance éclaire également : « La brouille n'est pas religieuse*. D'ailleurs Jammes garde des amitiés avec des agnostiques comme Fontaine ou Régnier. Elle repose plutôt sur un malentendu qui existe dès le début entre eux : Jammes pense que Gide est un poète biblique. Il sera détrompé par les Nourritures qui brisent les liens, puis par L'Immoraliste qui est un livre nietzschéen selon Jammes, qui n'a jamais lu une ligne de Nietzsche**. »

« Ils s'emprisonnent l'un et l'autre dans des personnages qui sont de véritables créations littéraires, le « pâtre des berges » et le « faune au doux chalumeau ». C'est ce qui fait de leur correspondance une construction littéraire, une œuvre écrite à deux. C'est aussi une grille de lecture pour relire les autres correspondances de Gide », conclut Pierre Lachasse.

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* A la lecture de ce texte, Pierre Lachasse me fait la remarque suivante, que je me permets de partager ici tant elle est intéressante pour mieux comprendre ce nouvel éclairage apporté par cette correspondance : « J'ai souhaité minimiser le désaccord religieux bien connu, bien que celui-ci soit réel, parce qu'il tend à masquer le heurt des personnalités. Leur amitié est une construction de l'imaginaire autant qu'un besoin de leurs personnalités. D'où les figures du pâtre et du faune où leur amitié se déploie tant que la réalité ne la brise pas en imposant sa loi. Il est frappant de voir que Jammes reste très lié à Régnier et surtout à Fontaine malgré la différence de leur philosophie de la vie. »

** Autre précision utile de Pierre Lachasse : « Leur rupture est lente à se constituer. J'ai observé trois fissures successives : avec les Nourritures terrestres dont l'apologie du dénuement (qu'il comprend mal) choque Jammes, avec L'Immoraliste dont le nietzchéisme (qu'il connaît un peu, mais fort mal) lui fait peur et enfin, après sa conversion, quand il veut écrire un article sur Gide et qu'il se rend compte qu'il s'était construit un Gide de toute pièce, largement fictif, poète biblique et chantre du Christianisme. La Porte étroite fait un temps illusion, puis la vérité apparaît définitivement avec les Caves. Concrètement, la rupture se produit début janvier 1910 avec le refus par Gide de l'article de Jammes sur Philippe pour le numéro d'hommage de la NRF. »

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