mercredi 25 décembre 2013

Une fameuse boulette



— Je tiens de Claudel une anecdote que vous lui aviez rapportée vous-même, il y a une quarantaine d'années. Le héros en aurait été l'un de vos amis protestants qui, si torturé de ne pouvoir se libérer de ses fautes, les avait rédigées sur un bout de papier, avait fait une boulette de ce papier et l'avait avalée. Claudel m'a affirmé que vous aviez reconnu que ce protestant avait voulu singer à la fois la confession et la communion catholiques. Il a ajouté : « Gide m'a dit que c'était un de ses amis, mais je crois bien que c'était lui. Il n'a pas osé me l'avouer... »
Gide haussa les épaules, sans pourtant protester contre ce qu'il avait envie d'appeler l'invention de Claudel.
— C'est tout ce qu'il vous a dit à propos de la confession ?
— Non, mais...
— Je vous en prie, ne soyez pas si timoré vis-à-vis de moi !
— Eh bien, Claudel a ri et il a dit : « Il a fait une fameuse boulette avec son Journal... mais c'est nous qui devons l'avaler ! »
Gide aurait pu rire, lui aussi, mais il se contracta et, haussant de nouveau les épaules : « Quel esprit de commis-voyageur ! »

(Robert Mallet, Une mort ambiguë,
NRF, Gallimard, 1955, pp. 18-19)

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