« Ce que je voudrais, disait Lucien c'est raconter l'histoire, non point d'un personnage, mais d'un endroit — tiens, par exemple, d'une allée de jardin, comme celle-ci, raconter ce qui s'y passe — depuis le matin jusqu'au soir. Il y viendrait d'abord des bonnes d'enfants, des nourrices, avec des rubans... Non, non., d'abord des gens tout gris, sans sexe ni âge, pour balayer l'allée, arroser l'herbe, changer les fleurs, enfin la scène et le décor avant l'ouverture des grilles, tu comprends ? Alors l'entrée des nourrices. Des mioches font des pâtés de sable, se chamaillent ; les bonnes les giflent. Ensuite il y a la sortie des petites classes — et puis les ouvrières. Il y a des pauvres qui viennent manger sur un banc. Plus tard des jeunes gens qui se cherchent ; d'autres qui se fuient ; d'autres qui s'isolent, des rêveurs. Et puis la foule, au moment de la musique et de la sortie des magasins. Des étudiants, comme à présent. Le soir, des amants qui s'embrassent ; d'autres qui se quittent en pleurant. Enfin, à la tombée du jour, un vieux couple... Et, tout à coup, un roulement de tambour ; on ferme. Tout le monde sort. La pièce est finie. Tu comprends :quelque chose qui donnerait l'impression de la fin de tout, de la mort... mais sans parler de la mort, naturellement.
— Oui, je vois ça très bien, dit Olivier qui songeait à Bernard et n'avait pas écouté un mot.
— Et ça n'est pas tout ; ça n'est pas tout ! reprit Lucien avec ardeur. Je voudrais, dans une espèce d'épilogue, montrer cette même allée, la nuit, après que tout le monde est parti, déserte, beaucoup plus belle que pendant le jour ; dans le grand silence, l'exaltation de tous les bruits naturels : le bruit de la fontaine, du vent dans les feuilles, et le chant d'un oiseau de nuit. J'avais pensé d'abord à y faire circuler des ombres, peut-être des statues... mais je crois que ça serait plus banal ; qu'est-ce que tu en penses ?— Non, pas de statues, pas de statues, protesta distraitement Olivier; puis, sous le regard triste de l'autre : Eh bien, mon vieux, si tu réussis cela, ce sera épatant », s'écria-t-il chaleureusement.
(A. Gide, Les Faux-monnayeurs,
Romans et Récits, t.2, Pléiade, Gallimard, p.179)
JEAN LURÇAT (1892-1966)
Couple de baigneurs,1931.
Gouache sur papier, signée et datée au milieu à gauche « Lurçat 31 »,
dédicacée de la main de l’artiste « pour le loueur de chaises d’un jardin public, quelque part dans le Middle West, son ami, 1935... ».
34 x 25,5 cm
Provenance : Atelier de l’artiste1931-1935
Bibliographie : « Catalogue raisonné de l’œuvre peint de Jean Lurçat »,
Gérard Denizeau et Simone Lurçat, Lausanne, Acatos Editions, 1998, reproduit sous le n° 1931.44
p. 387 et pleine page couleur p. 98.
Exposition : « Jean Lurçat », Galerie Resche, Paris, 14 mai-1’ juin 1992 (illustration du carton d’invitation).
« Jean Lurçat les années lumière 1915-1935 », Galerie Zlotowski 17 sept – 30 oct 2004, n° 58.
Un projet pour un décor de ballet Le jardin public, (d’après « Les faux monnayeurs »
d’André Gide, musique de Dukelsky, créé à Monte-Carlo le 13 avril 1935.
Estimation : 10 000 / 12 000 €
A la vente aux enchères du dimanche 30 mars 2014, parmi les « Livres d'artistes et Photographies » proposés par Cornette de Saint Cyr Bruxelles, signalons aussi cette photographie signée Gisèle Freund. Datée de 1938, elle proviendrait donc de la série incluant le célèbre portrait sous le masque de Léopardi. On y voit cependant un Gide songeur un peu plus mélancolique et sombre que sur d'autres images plus connues de cette série...
GISÈLE FREUND (1908-2000)
Portrait d’André Gide, 1938 (tirage postérieur)
Tirage argentique (tirage postérieur). Signé dans la marge sous la photo. Timbre sec du photographe.
28 x 18,5 cm
Estimation : 600 / 800 €
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