dimanche 27 avril 2014

L'esprit de Pontigny




Entre 1910 et 1939, chaque été, des écrivains, économistes, hommes politiques et philosophes se retrouvaient dans l'ancienne abbaye de Pontigny, petit village de l'Yonne, pour débattre du sentiment de justice, d'esthétique, du droit des peuples, de poésie, de relations internationales ou même de psychologie... Ils répondaient à l'invitation de Paul Desjardins qui avait fait de Pontigny un lieu pour l'esprit.

L'esprit de Pontigny, c'est le titre du nouveau livre que Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost publient aux éditions Orizons. Un très bel et volumineux ouvrage qui doit son épaisseur à la grande quantité de documents inédits réunis et commentés. Car cet esprit des lieux doit, semble-t-il, beaucoup à l'ambiance générale, sur laquelle les témoignages nous renseignent davantage que sur les échanges à proprement parler




Il en va de même pour les « centaines de photos prises par de nombreux participants, photographes occasionnels connue Roger Martin du Gard, systématiques comme Paule Crespin, qui devinrent ainsi la mémoire des décades », expliquent les auteurs. « Elles permettent non seulement de donner un visage à bon nombre d'intellectuels et d'artistes souvent bien oubliés aujourd'hui, mais de tenter de restituer le climat de ces rencontres et son évolution. »

« Ces photos, dont quelques-unes semblent spontanées et prises sur le vif, sont pour la plupart «mises en scène» par le photographe. Tantôt «photos de famille» à la manière des classes d'écoles ou des mariages d'autrefois, destinées à «prendre date», tantôt plus sophistiquées dans les cadrages et les situations, elles nous fournissent quantité d'informations sur les personnalités des uns et des autres, les attitudes devant l'objectif, le goût de se faire photographier ou pas, le talent du photographe. »



Jean-Pierre Prévost et Pierre Masson déroulent en parallèle la chronologie des débuts, l'interruption de la première guerre mondiale, la reprise en 1922, et à nouveau la route vers la guerre ponctuée d'interrogations et d'espoirs qui transparaissent dans les thèmes abordés. Les échanges de lettres pour préparer les entretiens, les invitations, les programmes annotés de la main de Desjardins ou les changements de dernière minute pour mieux coller à l'actualité donnent une meilleure idée de cette entreprise, qui se devait aussi d'être rentable.

La brochure rédigée dès la première année par Paul Desjardins, en manière de règlement intérieur, éclaire sur l'atmosphère qu'il souhaitait instaurer à Pontigny : « Les femmes sont invitées, à Pontigny, au même titre que les hommes. La vie familiale s'y peut continuer. », « A Pontigny on ne prétend pas à l'ascétisme.», « Toutefois, la vie à Pontigny n'est pas la « vie de château ». Il faut s'attacher à la juste mesure. Le luxe serait une faute. On est prié de n'apporter rien qui marque l'inégalité des fortunes. »

Une journée type à Pontigny réserve ainsi beaucoup de temps libre, pour poursuivre le travail, musarder dans le parc ou prendre un bain dans le Serein. Le tout au rythme des coups de cloche :
« De huit heures à neuf heures. (Un coup de cloche), le thé, le chocolat, le café au lait, etc. sont servis au Réfectoire. La correspondance est distribuée. .
Avant midi: la matinée est indépendante; chacun en sa chacunière. La bibliothèque est ouverte.
Midi (deux coups de cloche). Le repas au milieu du jour réunit tous les hôtes de l'Abbaye. Deuxième distribution de la correspondance.
Une heure. Le café et le thé sont servis sous la charmille. Conversation, tour de jardin.
Deux heures à trois heures et demie. Entretien, dans Salon des entretiens. Rien d'oratoire. Chacun,à son tour, communiquant son expérience et posant des questions. Le sujet aura été proposé la veille, de manière qu'on y ait pu réfléchir.
Trois heures et demie à quatre heures et demie (un coup de cloche). Le goûter est servi au jardin.
Troisième distribution de la correspondance. La levée de la correspondance est faite à six heures. Cinq heures à sept heures. Promenade, par groupe, dans les environs, ou, si le temps est contraire, dans la grande halle.
Sept heures et demie (deux coups de cloche). Le repas du soir réunit tous les hôtes de l'Abbaye.
Huit heures et demie à dix heures. Soirée dans les jardins ou dans le Salon des entretiens. Lecture. Musique. Causerie.
Dix heures. Le thé et les boissons fraîches sont servis. On se retire.»

Ce bel album se referme sur les lettres reçues à la mort de Paul Desjardins par sa femme. « Je sens des choses bien contradictoires », lui écrit la Petite Dame, l'un des piliers discrets de Pontigny, « Serait-il possible que cette lumière dont brille le seul nom de Pontigny rentre dans l'ombre ? Que tant de forces, groupées là, ne puissent en assurer la continuité ? D'autre part qui est de taille à assurer la succession de votre mari ? » Comme souvent, elle avait vu juste : l'esprit de Pontigny ne survivra pas à la mort de Desjardins, à la guerre, à la transplantation à Royaumont et encore moins à Cerisy.



























Pour aller plus loin :

Liste des décades de Pontigny
Pontigny aujourd'hui
Visite gidienne à Pontigny

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