mardi 10 avril 2012

Souvenirs de Béatrix Beck



Les éditions du Chemin de fer viennent de publier sous le titre Gide, Sartre & quelques autres un court récit de souvenirs retrouvé dans les archives de Béatrix Beck. « Ce texte, qui date de 1979, est la retranscription d'un tapuscrit retrouvé dans une pochette intitulée « Conférences » des archives de Béatrix Beck », précise l'éditeur qui a ajouté un portrait et quelques fac-similés à ce très joli petit fascicule d'une trentaine de pages.

Le 24 janvier 1979 paraît La Décharge, le nouveau roman de Béatrix Beck, aux éditions du Sagittaire. Gallimard a refusé le manuscrit : ce n'est que le prolongement d'une traversée du désert depuis le prix Goncourt pour Léon Morin, prêtre en 1952. Mais la traversée du désert prend fin cette année* : le 2 février Jacques Chancel invite celle qu'il nomme « une revenante » dans sa célèbre émission Radioscopie, le critique Jacques Brenner lui prédit La Pléiade et en mai La décharge reçoit le prix du Livre Inter.


Est-ce suite à la suggestion de Jacques Chancel d'écrire ses souvenirs sur Gide que celle qui fut sa dernière secrétaire reprend son texte ? Déjà, dans l'hommage de la NRF de novembre 1951**, Béatrix Beck avait donné quelques bons mots et instantanés. « Beaucoup de gens plus compétents que moi ont écrit et parlé sur l'œuvre de Gide. Aussi me limiterai-je aux souvenirs personnels, en m'excusant de devoir souvent employer la première personne du singulier », prévient-elle.



Mais c'est sur l'évocation de son père que s'ouvre Gide, Sartre & quelques autres : ce père, Christian Beck, mort alors qu'elle n'a que deux ans, avait été l'un des nègres de Willy. Ses lettres permettront à Béatrix de rencontrer Colette en 1930. Après la guerre qui l'a faite veuve, la vente de celles échangées entre Christian Beck et Gide*** lui permettra de survivre avec sa fille et d'écrire son premier livre, Barny. Que Gide ne manquera pas de saluer dans une lettre « douche écossaise » dont il a le secret.

« Il y avait des photos de Gide dans mon album de famille », explique Béatrix Beck à Jacques Chancel et Gide se dira heureux d'avoir pu, grâce à la vente des lettres « rendre service à la fille de l'ami très regretté. » En 1950 Béatrix est accueillie au Vaneau dont elle découvre les habitants : la Petite Dame (« Gide [...] était son gendre de la main gauche »), Herbart (dont Gide disait : « Il fait des sauts périlleux, mais avec filet. Je suis le filet. »), Elisabeth (avec qui elle attaque le photographe qui a pris Gide sur son lit de mort, « […] tordant une main du photographe et moi mordant l'autre main pour essayer de récupérer et de détruire le cliché. »)...


Elle succède alors à Yvonne Davet dans le rôle de secrétaire. Craignant une nouvelle idolâtre-dactylographe, Gide l'exhorte à n'introduire aucun « élément de pathétique dans le travail. » « L'idée ne me serait certes pas venue de taper pathétiquement à la machine, d'autant plus que, moi aussi, j'abomine le pathétique. Celui qui jadis, jouant aux portraits, s'était prétendu l'ami du diable, s'attendait à ce que son ancienne secrétaire vienne révolvériser sa nouvelle secrétaire et cette perspective semblait le réjouir grandement. Il n'y avait aucun sadisme inconscient chez cet être si particulier. Il se plaignait que cette femme dont il était aimé, le bombardât de lettres et de pneumatiques - « Elle cherche à s'introduire chez moi avec de fausses clés » disait-il, mais quand elle restait quelques temps sans donner signe de vie, c'est lui qui la relançait au téléphone. »

Tout aussi drôlement Béatrix Beck raconte les « visites d'affaires », les bons mots, l'humour, l'avarice, la comédie – tout cela joué, assumé, ou parfois échappant au personnage que Gide était devenu. « Il n'aimait pas qu'on l'aime à l'excès, mais il souhaitait qu'on pense souvent à lui. » Et pour cela il maintenait le Vaneau dans une atmosphère d'inquiétude où l'on n'avançait dans le désordre qu'au pas de la valse-hésitation...

Peu avant sa mort, Gide reçoit Sartre pour le film que tourne Marc Allégret. Une rencontre qui l'effraie un peu : « Je ne comprends pas ce qu'il écrit mais il est très intelligent. » Plus tard, Béatrix Beck deviendra la voisine de Sartre lorsqu'elle pourra s'acheter un appartement grâce au prix Goncourt. C'est là qu'elle recevra une lettre de Mauriac, devenu, lui, pire qu'un personnage : une marionnette, et reprochant à Gide une sincérité truquée. « La charité de Mauriac vis-à-vis de Gide – et de certains prêtres – ressemble plus à du beau vitriol qu'à de l'eau bénite », s'amuse Béatrix Beck. 

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* Signalons tout de même deux livres parus dans l'intervalle en 1967 et en 1977 et justement réédités par les éditions du Chemin de fer : Cou coupé court toujours (2011, avec des dessins de Mélanie Delattre-Vogt) et L'Epouvante l'émerveillement (2010, avec des dessins de Gaël Davrinche).
** Le bout du tunnel, de Béatrix Beck, in Hommage à André Gide, La Nouvelle Revue Française, novembre 1951.
*** La Correspondance Christian Beck - André Gide, établie, présentée et annotée par Pierre Masson, est parue en 1994 chez Droz à Genève, avec une préface de Béatrix Beck. 







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