Les éditions du Chemin de fer viennent
de publier sous le titre Gide, Sartre & quelques autres
un court récit de souvenirs retrouvé dans les archives de Béatrix
Beck. « Ce texte, qui date de 1979, est la retranscription
d'un tapuscrit retrouvé dans une pochette intitulée « Conférences »
des archives de Béatrix Beck », précise l'éditeur qui a
ajouté un portrait et quelques fac-similés à ce très joli petit
fascicule d'une trentaine de pages.
Le 24 janvier 1979 paraît La
Décharge, le nouveau roman de Béatrix Beck, aux éditions du
Sagittaire. Gallimard a refusé le manuscrit : ce n'est que le
prolongement d'une traversée du désert depuis le prix Goncourt pour
Léon Morin, prêtre en 1952. Mais la traversée du désert
prend fin cette année* : le 2 février Jacques Chancel invite celle
qu'il nomme « une revenante » dans sa célèbre
émission Radioscopie, le critique Jacques Brenner lui prédit
La Pléiade et en mai La décharge reçoit le prix du Livre
Inter.
Est-ce suite à la suggestion de
Jacques Chancel d'écrire ses souvenirs sur Gide que celle qui fut sa
dernière secrétaire reprend son texte ? Déjà, dans
l'hommage de la NRF de novembre 1951**, Béatrix Beck avait donné
quelques bons mots et instantanés. « Beaucoup de gens plus
compétents que moi ont écrit et parlé sur l'œuvre de Gide. Aussi
me limiterai-je aux souvenirs personnels, en m'excusant de devoir
souvent employer la première personne du singulier »,
prévient-elle.
Mais
c'est sur l'évocation de son père que s'ouvre Gide,
Sartre & quelques autres :
ce père, Christian Beck, mort alors qu'elle n'a que deux ans, avait
été l'un des nègres de Willy. Ses lettres permettront à Béatrix
de rencontrer Colette en 1930. Après la guerre qui l'a faite veuve,
la vente de celles échangées entre Christian Beck et Gide*** lui
permettra de survivre avec sa fille et d'écrire son premier livre,
Barny. Que Gide ne
manquera pas de saluer dans une lettre « douche écossaise »
dont il a le secret.
« Il y avait des photos de
Gide dans mon album de famille », explique Béatrix Beck à
Jacques Chancel et Gide se dira heureux d'avoir pu, grâce à la
vente des lettres « rendre service à la fille de l'ami très
regretté. » En 1950 Béatrix est accueillie au Vaneau dont
elle découvre les habitants : la Petite Dame (« Gide
[...] était son gendre de la main gauche »), Herbart
(dont Gide disait : « Il fait des sauts périlleux, mais
avec filet. Je suis le filet. »), Elisabeth (avec qui elle
attaque le photographe qui a pris Gide sur son lit de mort, « […]
tordant une main du photographe et moi mordant l'autre main pour
essayer de récupérer et de détruire le cliché. »)...
Elle succède alors à Yvonne Davet
dans le rôle de secrétaire. Craignant une nouvelle
idolâtre-dactylographe, Gide l'exhorte à n'introduire aucun
« élément de pathétique dans le travail. »
« L'idée ne me serait certes pas venue de taper
pathétiquement à la machine, d'autant plus que, moi aussi,
j'abomine le pathétique. Celui qui jadis, jouant aux portraits,
s'était prétendu l'ami du diable, s'attendait à ce que son
ancienne secrétaire vienne révolvériser sa nouvelle secrétaire et
cette perspective semblait le réjouir grandement. Il n'y avait aucun
sadisme inconscient chez cet être si particulier. Il se plaignait
que cette femme dont il était aimé, le bombardât de lettres et de
pneumatiques - « Elle cherche à s'introduire chez moi avec de
fausses clés » disait-il, mais quand elle restait quelques
temps sans donner signe de vie, c'est lui qui la relançait au
téléphone. »
Tout aussi drôlement Béatrix Beck
raconte les « visites d'affaires », les bons mots,
l'humour, l'avarice, la comédie – tout cela joué, assumé, ou
parfois échappant au personnage que Gide était devenu. « Il
n'aimait pas qu'on l'aime à l'excès, mais il souhaitait qu'on pense
souvent à lui. » Et pour cela il maintenait le Vaneau dans
une atmosphère d'inquiétude où l'on n'avançait dans le désordre
qu'au pas de la valse-hésitation...
Peu avant sa mort, Gide reçoit Sartre
pour le film que tourne Marc Allégret. Une rencontre qui l'effraie
un peu : « Je ne comprends pas ce qu'il écrit mais il est
très intelligent. » Plus tard, Béatrix Beck deviendra la
voisine de Sartre lorsqu'elle pourra s'acheter un appartement grâce
au prix Goncourt. C'est là qu'elle recevra une lettre de Mauriac,
devenu, lui, pire qu'un personnage : une marionnette, et reprochant à
Gide une sincérité truquée. « La charité de Mauriac
vis-à-vis de Gide – et de certains prêtres – ressemble plus à
du beau vitriol qu'à de l'eau bénite », s'amuse Béatrix
Beck.
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* Signalons tout de même deux livres
parus dans l'intervalle en 1967 et en 1977 et justement réédités par les éditions du Chemin de fer : Cou coupé court toujours
(2011, avec des dessins
de Mélanie Delattre-Vogt) et L'Epouvante l'émerveillement (2010,
avec des dessins de Gaël Davrinche).
** Le bout du tunnel, de Béatrix
Beck, in Hommage à André Gide, La Nouvelle Revue Française,
novembre 1951.
*** La Correspondance Christian Beck
- André Gide, établie, présentée et annotée par Pierre
Masson, est parue en 1994 chez Droz à Genève, avec une préface de
Béatrix Beck.
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