L.A.S. de Jean Schlumberger à Henry de Montherlant
(coll. personnelle de Philippe Brin)
Philippe Brin, notre ami du blog RMG, nous fait encore une fois
la gentillesse de partager un document de sa collection personnelle :
un billet écrit par Jean Schlumberger à Henri de Montherlant,
probablement en 1935-1936, avant le voyage de Gide en U.R.S.S..
Schlumberger conjure en effet Montherlant de ne pas répandre de
« fausses nouvelles » : Gide ne part pas pour « la Russie »
comme il l'a cru à la suite d'un « malentendu téléphonique ».
Mon cher ami,
Ne répandez pas de fausses nouvelles. C'est par suite d'un malentendu téléphonique que j'ai cru au départ de Gide pour la Russie. Tout au contraire, il a tenu bon et sauvé son indépendance. Je me hâte donc de rétablir la vérité.
Votre,
Schlumberger
Dès ses premiers soutiens affichés à
la révolution communiste, Gide est invité à se rendre en U.R.S.S..
Des invitations comme celle de Nizan en mai 1934, ou en 1935 celle
encore plus officielle d'Alexandre Arosev, responsable en Union
Soviétique des relations culturelles avec l'étranger. Il envisage
d'ailleurs d'y répondre, non pas en touriste mais en acteur de la
révolution, par exemple pour porter à l'écran Les Caves du
Vatican, projet formé d'abord en 1933 avec Aragon et Buñuel,
puis à nouveau d'actualité en 1935, mais qui ne se réalisera
jamais.
Schlumberger aura-t-il confondu avec
une des autres destinations de Gide en ces temps-là : l'Espagne puis
le Maroc en mars-avril 1935 avec Jef Last, la Suisse pour voir
Catherine en juillet, puis faire une cure, l'Afrique en février
1936...? Ou cru que ce voyage serait la suite logique des engagements
de Gide cette même année qui est celle du Congrès international
des écrivains pour la défense de la culture, et au cours duquel
Gide soulèvera les foules à la Mutualité ? Schlumberger ne se
trompait toutefois que d'une année tout au plus.
Le 29 juin 1935, Gide inaugure aussi le
boulevard Maxime-Gorki à Villejuif. Une photographie le montre le
poing levé, chantant l'Internationale aux côtés de Paul
Vaillant-Couturier, alors maire de Villejuif. Cette photographie
avait amusé Montherlant qui le note dans ses cahiers*. D'un sourire
complice puisqu'à cette époque Montherlant se rapproche de la
gauche. Le Parti Communiste essaie d'ailleurs de le récupérer et
c'est vraiment à la suite d'un malentendu qu'il ne participera pas
au Congrès international des écrivains pour la défense de la
culture comme il l'avait souhaité**.
Malgré l'article élogieux de 1928
qu'il signe dans l'hommage à Gide du Capitole, Montherlant a
toujours nourri une forme de mépris pour l'écrivain Gide.
D'ailleurs il reniera cet article en refusant de le verser dans ses
Essais qui paraitront dans la Pléiade en 1963. On y trouve en
revanche de nombreuses critiques, dès 1934***. De son côté, tout
en conservant jusqu'au bout une admiration réelle pour certaines
pages de Montherlant, Gide marquera aussi une certaine défiance
envers le personnage. La période de l'Occupation ne fera que
confirmer Gide dans ses préjugés sur Montherlant.
Jean-François Domenget dans son essai
Montherlant critique (Librairie Droz, 2003) fait assez bien le
tour de leurs relations conflictuelles et complexes.
______________________________
* Henry de Montherlant, Garder tout
en composant tout (1924-1972). Cahiers inédits, Derniers Carnets,
Gallimard, 2001, p.309
** Lettre de Henry de Montherlant au
secrétaire du Congrès international des écrivains, cote Ms 7949
(71), Fonds Rose Adler, Dossier sur le Congrès des écrivains pour
la défense de la culture, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.
*** Henry de Montherlant, Essais,
préface de Pierre Sipriot, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
1963, pp.1131-1132
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