Naissance est l'un des
évènements de la rentrée littéraire, qu'on s'intéresse à son
nombre de pages (1152, assurément, Moix s'est inspiré des
biographies de Frank Lestringant avec qui il a enregistré des entretiens au sujet de Gide pendant qu'il écrivait
son livre), ou à son
contenu plus baroque que romanesque. Une tentative littéraire avec
beaucoup de réussites, qu'on partage ou non ses obsessions quand
Yann Moix affirme qu'il est né circoncis et gidien. Hélas la partie
gidienne sonne faux.
Dans
les chapitres de la rencontre très imaginaire entre sa
grand-mère et Gide, on sent bien qu'on est en face d'un
Gide, dérivé du
Gide de Lestringant. Les mêmes causes produisant les mêmes effets,
l'un et l'autre fabriquent à partir d'éléments réels un
Gide tout artificiel, ou pour mieux dire rêvé
tant les parts d'inconscient et d'incompréhension sont grandes.
Le meilleur exemple consiste à laisser Moix faire parler son
Gide :
« — Je n'ai point laissé ma femme mourir ici, reprit Gide. Ce n'est pas vrai. Je l'ai tuée. Dire qu'elle est morte de chagrin n'est pas suffisant. Elle est morte de moi. J'ai vécu une vie et à elle je n'ai donné d'autre choix que de vivre seule l'existence qu'on s'était promis, adolescents, de vivre ensemble. J'ai fait avec tous les autres - et tous ces autres étaient des hommes - ce qu'elle avait rêvé sa vie durant de faire avec moi. Je me suis amusé loin d'elle, mais c'est près d'elle que je venais pleurer. Elle consolait des chagrins dont je ne pouvais lui avouer les causes. Elle pansait des plaies qui n'étaient que des malheurs de ne pouvoir m'é-chap-per plus encore de sa déjà dérisoire emprise. Je savais qu'elle était là, seule, à traverser les hivers sans dire un mot, quand la pluie battait le carreau. Le personnel lui servait de compagnie, la cuisinière, quelques servants, les fermiers alentour. Elle caressait des chats, mais était trop allergique à leur poil pour supporter long-temps leur présence. Elle se méfiait des chiens, mais donnait volontiers à manger aux canards. Les animaux furent un peu son réconfort, de même que ses sœurs qui lui rendaient visite. Je n'ai point su la libérer de la prison que peu à peu elle accepta ta-ci-te-ment d'occuper. À partir d'une certaine période, je n'ai plus même osé continuer à lui faire des promesses. Celles-ci me paraissaient contenir une dose trop importante de – comment dirais-je – oui, de por-no-gra-phie. J'ai décidé, par un égoïsme que j'ai intitulé « liberté », et où j'ai fait mine de puiser le suc de mon œuvre, de sacrifier une vie humaine pour devenir « André Gide ». Non seulement, j'eusse sans doute pu le devenir sans cet assassinat – je ne puis nommer autrement ce que j'ai commis – mais en gardant au chaud une âme que j'ai exposée au froid le plus ter-ri-fiant, je ne me suis pas même damné comme mes plus fervents lecteurs l'eussent souhaité. Je ne suis rien, parce que je n'ai rien donné que de l'absence, de la mort-aux-rats, quelques courants d'air satisfaits d'eux-mêmes, avec l'arrogance du génie dont je sais que je suis dé-pour-vu. Ne protestez pas, ma jeune amie. Ne protestez pas. J'ai lu Proust, vous savez, et je connais bien Goethe. » (Yann Moix, Naissance, Grasset, 2013)
En octobre aux Editions Nouvelles
paraîtra Le tombeau d'une amitié. André Gide et Pierre Louÿs,
un essai de Luc Dellisse. Dans le blog qui a accompagné l'écriture de cet ouvrage, l'auteur ne cachait pas sa préférence pour Louÿs,
et son mépris pour Gide (Delisse avoue : « À le fréquenter, je suis
passé de l’indifférence à l’aversion »). Mais diminuer l'un suffira-t-il à
donner l'illusion d'une grandeur chez l'autre ?
Le tombeau d'une amitié. André Gide et Pierre Louÿs, de Luc Dellisse
Essai / coll. Réflexions faites, LesEditions Nouvelles
octobre 2013, 96 p., ISBN978-2-87449-179-5, 10 €
Essai / coll. Réflexions faites, LesEditions Nouvelles
octobre 2013, 96 p., ISBN978-2-87449-179-5, 10 €
Autant la sortie des oubliettes d'un
Louÿs qui n'a plus rien à dire à notre époque relève d'une
certaine forme de snobisme, autant celle de Francis de Miomandre
était espérée. Et sera d'autant plus utile qu'elle repose sur de
nouveaux documents retrouvés par Rémi Rousselot dans les archives déposées à la
salle Cervantès de la Bibliothèque nationale d'Espagne.
Francis de Miomandre, un Goncourt oublié, de Rémi Rousselot
Editions de la Différence, 12 septembre 2013
256 p., ISBN : 978-2-7291-2047-4, 20 €
Editions de la Différence, 12 septembre 2013
256 p., ISBN : 978-2-7291-2047-4, 20 €
Dans Probe et libre. Un écrivain
juré d'assises, Sophie Képès raconte son expérience de juré
de cour d'assises. En 1912, André Gide faisait lui aussi cette
expérience qu'il a relatée dans Souvenirs de la cour d'assises.
Par des références régulières au texte de Gide, l'auteur nous
donne à voir ce qui en cent ans a changé ou non dans la justice de
la République.
A noter que Sophie Képès sera présente à la soirée des Mardis hongrois de Paris le 24 septembre 2013 à partir de 19h30 à l'Institut hongrois 92, rue Bonaparte 75006 Paris.
Probe et libre. Un écrivain juré d'assises, de Sophie Képès
Préface de Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue
Buchet-Chastel, 3 octobre 2013
152 p., ISBN 978-2-283-02612-0, 13 €
Préface de Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue
Buchet-Chastel, 3 octobre 2013
152 p., ISBN 978-2-283-02612-0, 13 €
Après Louÿs contre Gide, voici Proust
contre Cocteau. On a tout dit sur Proust, et même redit en cette
année du centenaire de la parution du manuscrit-refusé-par-Gide,
syntagme figé que la presse reprend en boucle et qui va contaminant
jusqu'aux universitaires... On serait tenté de citer le
conseil de Jean-Yves Tadié : « Oubliez un peu Proust ! »
mais marketing pour marketing, plutôt cet essai
intelligent et élégant que les poses du señorito satisfait Raphaël Enthoven...
Hugo y allait contempler « le
bison trop bourru, le babouin trop bouffon », et le
narrateur de Paludes les petits potamogétons. Philippe
Taquet, membre de l'Institut, président de l'Académie des sciences
et professeur émérite au Muséum national d'Histoire naturelle a
sélectionné Les bonnes feuilles du Jardin des Plantes, une
anthologie d'une agréable verdeur où l'on retrouve le Gide des
soties.
A noter samedi 14 septembre 2013 à 16h à l'auditorium de la Grande Galerie de l'Évolution, les comédiens
Emmanuelle Weisz et Eric Auvray donneront une lecture d'extraits du
livre, choisis et présentés par Philippe Taquet.
Les bonnes feuilles du Jardin des Plantes, de Philippe Taquet
Artlys/Muséum national d'histoire naturelle, 4 septembre 2013
112 p., ISBN 978-2-85495-551-4, 15 €
Artlys/Muséum national d'histoire naturelle, 4 septembre 2013
112 p., ISBN 978-2-85495-551-4, 15 €
Signalons enfin la réédition de
l'Introduction à une métaphysique du rêve de Jacques
Rivière, avec une postface de Jérôme Duwa et un graphisme de
Sébastien Biniek, Gauthier Plaetevoet, David Poullard et Angelica
Ruffier. Un bien joli petit livre dont les Editions du chemin de fer
(découvertes l'an dernier avec la parution des inédits de Béatrix Beck) ont le secret.
Introduction à une métaphysique du rêve, de Jacques Rivière,
postface Jérôme Duwa, graphisme Sébastien Biniek, Gauthier Plaetevoet,
David Poullard et Angelica Ruffier, septembre 2013
40 p., ISBN : 978-2-916130-52-1, 9 €
postface Jérôme Duwa, graphisme Sébastien Biniek, Gauthier Plaetevoet,
David Poullard et Angelica Ruffier, septembre 2013
40 p., ISBN : 978-2-916130-52-1, 9 €
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