Relisant les portraits de la Galerie privée de M. Saint-Clair, c’est-à-dire Maria Van Rysselberghe, dans l'édition de 1968*, je découvre par la même occasion la préface de Béatrix Beck** à ce recueil des textes de la Petite Dame. Pour évoquer le caractère bien trempé de Maria Van Rysselberghe et l'admiration de Gide devant ce caractère, Béatrix Beck donne une anecdote qui m'amuse et m'arrête :
« Quand l'auteur du Traité du Narcisse décida de me prendre pour secrétaire, il compta comme argument de poids en ma faveur le fait que sa belle-mère de la main gauche n'élevait aucune objection contre cette idée. Pourtant, il ne semblait pas redouter le caractère ardent et combatif de Mme Théo, mais au contraire s'en réjouir, racontant d'un air de jubilation qu'à la dernière réunion des copropriétaires, son alliée avait dit, très haut, à l'un d'eux :La réunion des propriétaires du Vaneau me rappelle que Gide en fut non seulement le participant attentif mais aussi le président du syndic... A-t-il été élu à cette fonction comme à celle de maire de La Roque, quasiment par acclamation, ou l'a-t-il sollicitée comme pour son rôle de juré à la cour d'assises de Rouen ?
— Monsieur, vous êtes un voleur. »
Le « Courrier musical » de la Gazette de Lausanne du 7 janvier 1934 nous raconte ainsi un différend qui met en scène deux habitants du Vaneau en 1933, soit cinq ans après l'emménagement de Gide et de Maria Van Rysselberghe au 1 bis, rue Vaneau. L'immeuble semble ainsi avoir été le refuge de nombre de fortes personnalités comme ce marquis de Lur-Saluces et Mme Cluzel, cantatrice amateur :
Dix phonographes luttant contre un sopranoLa guerre des voisins devait se produire aux premiers étages de l'immeuble, et ne pas déranger le sacro-saint nap gidien, pour n'avoir pas filtré jusque dans le Journal de Gide ou les Cahiers de la Petite Dame. Mais peut-être Gide a-t-il laissé dans les comptes-rendus du syndic du Vaneau d'autres traces de son insatiable curiosité pour ces petits théâtres humains ?
Un bien singulier procès vient de mettre à l'épreuve la sagacité de M. le juge de paix du 7e arrondissement de Paris, après avoir mis en émoi l'immeuble qu'habitent, tous deux au même étage, Mme Cluzel et le marquis du [sic] Lur-Saluces, deux voisins qui, hélas, n'ont pas les mêmes goûts musicaux. Cantatrice amateur, Mme Cluzel faisait chez elle des exercices vocaux bien légitimes : or, aux mêmes heures, le marquis de Lur-Saluces, de l'autre côté de la cloison, déchaînait une armée de phonographes — dix exactement — dont les disques variés avaient été choisis parmi les plus bruyants : cors de chasse, bugles, saxophones, bruits de tempêtes, etc.
La querelle apaisée grâce à la diplomatie du président du Conseil des propriétaires de l'immeuble, président qui n'est autre que M. André Gide (!) ; le jugement a été rendu qui déboute la plaignante de sa prétention de se faire rembourser les frais du procès.
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* M. Saint-Clair, Il y a quarante ans, suivi de Strophes pour un rossignol et de Galerie Privée, préface de Béatrix Beck, NRF, Gallimard, Paris, 1968.
** Sur Béatrix Beck, voir aussi ce billet.
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