jeudi 30 avril 2015

Ambre Fuentes, chasseuse de gidiens


Une intervention aura particulièrement marqué les 2èmes Journées Catherine Gide : celle d'Ambre Fuentes qui a évoqué pour les gidiens présents au Lavandou son projet provisoirement nommé « André Gide autour du monde ». Une enquête poétique et décalée, dans une dizaine de pays où Gide n'a jamais mis les pieds, mais où la jeune femme a cherché à savoir s'il était vrai que, ainsi qu'on l'entend souvent, « On ne lit plus André Gide ».

Next gidian : 180 miles

Partie « sur les traces des lecteurs de Gide », Ambre Fuentes filme son périple au plus près des gens et des choses. Au passage, elle mesure la place aujourd'hui dévolue à la littérature, à la culture française dans les pays qu'elle traverse. Projet qu'elle qualifie « d'expérience totale, à la fois intime et universelle », le récit de ce voyage montre une ouverture à la rencontre et à la surprise des plus gidiennes, tout comme la volonté avouée « d'amincir la frontière entre vivre et lire ».

Porte à porte, visite des principales librairies et bibliothèques de la ville, ou même affiches « Gide wanted » et « Do you know André Gide ? » posées dans New-York, tout est bon pour débusquer les lecteurs. Ou les traducteurs comme Richard Howard. Ou l'amateur de skateboard qui a ajouté une citation de Gide en sous-titre de ses prouesses diffusées sur Youtube... Ambre Fuentes s'attarde aussi dans les rues André Gide au Québec ou encore dans un café littéraire de Taïwan baptisé « La porte étroite ».


 Do you know André Gide ? (Photo Olivier Monoyer)
 
En Espagne, la connaissance de Gide diminue chez les étudiants en littérature malgré de récentes traductions. Tout comme au Portugal où l'âge d'or de la présence culturelle française semble loin. Aux Etats-Unis, Gide est présent dans les universités importantes mais reste scandaleux dès qu'on quitte les grandes villes – et interdit en prison. L'université de San José au Nicaragua consacre une vitrine à Gide mais ne l'enseigne pas : pas assez catholique.

La Nouvelle-Zélande, de l'avis des gidiens rencontrés sur place, est « trop heureuse pour s'intéresser aux inquiétudes de Gide ». Idem en Australie où sa pensée est incompatible avec le mouvement de la société. A Hong-Kong et Singapour, où là aussi la littérature française recule, Gide est l'archétype du type français. Au Japon il reste une figure importante, notamment grâce à la poésie appréciée dans ses écrits, et qui passe bien dans la traduction vers le japonais, tout comme l'anglais modernise son style.


 Ambre Fuentes (Photo Olivier Monoyer)


Je retrouve ces trop lapidaires commentaires dans mes notes, où j'ai aussi consigné les bémols apportés par Ambre Fuentes : bien sûr, tout ceci est un portrait subjectif et mouvant de l'ombre de Gide à travers le monde. Mais des lignes de force se dégagent : la baisse, partout, du niveau culturel des universitaires qui délaissent la littérature pour les études de genre ou la critique structuraliste. Tant mieux, ce sont souvent ceux qui dissèquent Gide qui vont répétant qu'on ne le lit plus. L'écoute du monde prouve chaque jour qu'une cohorte de lecteurs ordinaires et fervents découvre et partage Gide.

Les quelques minutes de film montées tout spécialement pour l'occasion promettent de faire entendre haut et fort cet écho gidien quotidien. Sa voix toute française mais immédiatement traduisible. Sa morale de l'effort, d'une libération qui sait se tenir. Son ironie envers les religions comme l'athéisme, qui rend son œuvre plus que jamais nécessaire. Sa poésie, son « drôle à lui », restitués par Ambre Fuentes dans ces quelques images. Des images qui donnent très envie d'en voir davantage, et laissent augurer d'une œuvre importante, pour Gide comme pour sa réalisatrice.


1 commentaire:

Laconique a dit…

Une démarche originale, et qui en dit long sur le statut toujours potentiellement subversif de Gide. Étant donné que les crispations conservatrices progressent partout dans le monde, Gide n’a pas fini de déranger ! Et je crois que c’est tant mieux, qu’il aurait apprécié cette position « inconfortable » qui a au fond toujours été la sienne. En plus, comme la prose de Gide est très claire, limpide, il doit très bien passer en traduction, contrairement à beaucoup d’autres auteurs.