lundi 26 décembre 2016

Le nom de Guillaume Gaulène

« Que vaut Le Mémorial secret de Guillaume Gaulène, très prisé de Robert Poulet ? », demande Morand à Chardonne dans une lettre du 12 février 1960. Deux ans plus tard, alors que Gaulène vient de publier Le vent d'autan, et L'assaut, Morand insiste : « Avez vous-lu ce Gaulène, dont je lis le nom partout ? »

Guillaume Gaulène est de ces romanciers dont le nom surnage, et une œuvre surtout, Le Mémorial secret, qui annonce Voyage au bout de la nuit. Un livre connu aujourd'hui surtout des milieux anarchistes, et dont on se passe le titre au dessus des boites des bouquinistes. C'est l'expérience que vient de vivre Pascal Zamor, qui l'a partagée avec nous sur Facebook et à présent sur son blog.

Lors de ses recherches, notre ami est tombé sur une page des Nouvelles littéraires du 14 juin 1924 dans laquelle on peut lire ce qui est probablement la seule interviou du discret Gaulène. Et dans laquelle ce dernier mentionne Gide, au grand dam de son interviouveur, thuriféraire de Massis... Un grand merci à Pascal Zamor.

Un écrivain languedocien
Guillaume Gaulène

(extrait*)

« Je dois beaucoup à Duhamel. Parmi les écrivains d'aujourd'hui, Duhamel est un de ceux que je préfère.
– Et quels sont les autres ?
– André Gide, dont j'aime l'inquiétude.
– Une inquiétude où il se complaît et qui ne laisse pas d'être malsaine. Rappelez-vous ce qu'en dit Massis.
– Pour moi, c'est justement par ce qu'il y a d'inquiet, voire de malsain en lui qu'il rejoint les écrivains catholiques.
– A qui pensez-vous ?
– A Mauriac. Il est malsain, j'aime ce qu'il y a en lui de voluptueux et de tourmenté. Dans Génitrix, d'ailleurs, il atteint pleinement à la maîtrise.
« J'aime la foi pour son âpreté dans les passions, la belle sensualité, le bouleversement que le catholicisme met dans l'âme des hommes.
– Voilà une conception de la religion qui risque de devenir démoniaque. Et certes, je n'ignore pas que le catholicisme donne à la vie un sens tragique et qu'il crée des luttes poignantes. Mais il ne s'en contente pas : il lui faut la victoire et la paix ; il est faiseur d'ordre, non de désordre. Saint Augustin a dit que notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en Dieu. Encore une fois, rappelez-vous tout ce que dit Massis en la deuxième série de ses jugements.
– Et moi aussi, j'aime beaucoup Massis ! Mais c'est que je le trouve également inquiet. J'aime la violence de son objurgation pathétique à Rivière. Suis-je loin de Pascal, qui n'approuvait, que ceux qui cherchent en gémissant ?
– Il faudrait, pour causer de tout cela, une conversation que vous ne m'accordez pas. Dites-moi vite quels sont encore vos auteurs préférés.
– Cherchez toujours dans le même sens. Il y a Baumann**, dont L'Immolé est le chef-d'œuvre. Force, tragique, souffle épique. Il y a Estaunié, pudeur, sourire sur de la tristesse, force apaisante, mélancolie, œuvres qui font en nous de la solitude et du silence. Il y a Bachelin***, si grave, en pleine possession de son métier, le Péché de la Vierge est un roman solidement construit et qui ne peut nous laisser indifférents. Il y a Ramuz, poète dans le roman, et Montherlant qui nous donnera une œuvre si le succès ne l'a pas gâté, et Escholier**** qui est un maître dont j'aime le sourire trempé de larmes. Il y a... »

Mais le train emportait Gaulène et je n'entendis plus d'autres noms. Du reste, je ne suis pas bien sûr qu'il ne se soit pas encore trompé de direction, et qu'au lieu de filer à Toulouse, il n'ait obliqué à Narbonne vers l'Espagne ! »

Jean SOULAIROL.


Complétons ce billet sur Gaulène en citant la critique du Mémorial secret par Marcel Arland, critique qui referme la NRF numéro 155 du 1er août 1926, ouverte avec... la première partie du Journal des Faux-monnayeurs de Gide !

LE MÉMORIAL SECRET, par Guillaume Gaulène (Rieder).

Parmi les œuvres de jeunes écrivains parues en ces derniers mois, voici une de celles qui m'ont le plus vivement touché. Pour l'aimer, j'ai dû négliger plus d'une protestation qui s'élevait en moi contre une forme souvent pénible, contre des procédés souvent faciles, contre telle attitude, que j'eusse peut-être souhaitée plus pure. Mais il y a dans cette œuvre une telle vigueur, un tel élan passionné et sincère, qu'à la fin, ce ne furent plus que ces qualités dont je voulus garder le souvenir.

L'histoire est simple; c'est celle d'un homme, en déroute lui-même, qui s'acharne presque inconsciemment contre une femme et n'a de cesse qu'il ne l'ait avilie et fait déchoir à jamais. La scène est une ville de l'Est, après la guerre ; l'air est pesant ; tout est sombre, parfois un peu mélodramatique, parfois tragique ; les personnages ont des gestes gauches, ils ne cherchent même plus une raison de vivre ; à peine trouvent-ils encore la force de s'étonner de leurs gestes ou de se plaindre.
Une sorte de démon triste semble, derrière la scène, tirer les ficelles de ce monde misérable, — à moins que ce ne soit une Providence aux voies fort détournées : si je me risque à ces images, c'est que M. Gaulène choisira sans doute entre elles quelque jour.

Le conflit posé, ce qui m'intéresse le plus en ce roman, c'est la manière dont il se précise et dont il croit en violence. Nous assistons à une progression incessante dans les sentiments des personnages et dans le drame qu'ils amènent. Le plus haut degré qu'atteint ce progrès, c'est à la dernière page qu'il l'atteint ; nous fermons le livre, et le conflit persiste encore : c'est que de semblables histoires ne peuvent pas avoir de dénouement ; si parfois elles en proposent un, il n'y faut voir qu'une concession au lecteur, ou que de la fatigue.

Le précédent roman de M. Gaulène : Du Sang sur la Croix manifestait des qualités fort rares d'évocation et de peinture. Or il me semble que ces qualités, très apparentes aussi dans le Mémorial Secret, s'exercent un peu au détriment de la vie intérieure des personnages. Je suis tenté de regretter que cette vie intérieure ne soit pas plus profonde, et que la psychologie des personnages ne soit pas parfois un peu moins rudimentaire. Je crains que l'auteur ne se soit ménagé une partie trop belle. Et sans doute la plupart de ces personnages, il les a choisis d'humble condition ; sans doute aussi les princesses de Racine prêtent-elles à de plus fines analyses que les ouvrières de Zola. Mais je crois qu'il est faux de diminuer d'autant plus la vie intérieure des personnages qu'on les choisit de plus modeste extraction. C'est aller à la fois contre la vérité particulière de ces personnages, et contre leur signification générale. Car je vois assez bien comment une ouvrière de Zola pourrait se reconnaître dans une princesse de Racine ; mais l'inverse, je ne le vois nullement, et je regrette de ne pas le voir. Je ne forcerais qu'à peine ma pensée, en disant que Zola peint ses ouvrières en grand seigneur, tandis que Racine peint ses princesses en homme. Ce doit être la qualité d'un romancier que d'être humble avec les humbles et grand avec les grands.

MARCEL ARLAND

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** Emile Baumann (1868-1941), professeur au lycée de La Roche-sur-Yon, auteur de livres imprégnés de liturgie catholique, remarqué par Bloy dont il sera proche.
*** Henri Bachelin (1879-1941), romancier et spécialiste de musique, religieuse surtout, auteur de romans de formation et de tableaux de la vie provinciale, inspirés de sa vie à Nevers. Lors de ses passages à Paris, il fréquentait Charles-Louis Philippe, Jules Romain et André Gide.
**** Raymond Escholier (1882-1971), journaliste, romancier, critique et grand passeur d'art (il fut conservateur de la Maison de Victor Hugo et directeur du Petit Palais). Il co-dirigea la revue Demain. On lui doit des poèmes mais aussi des romans régionalistes écrits avec sa première femme, Marie-Louise Ponse-Tande.

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