« Rencontré Paul Valéry chez
Adrienne Monnier. » (Journal, 30 décembre 1922). Gide,
comme à peu près tous les écrivains de son temps, était un
habitué de la Maison des amis des livres, librairie et bibliothèque
de prêt ouverte le 15 novembre 1915 par Adrienne Monnier. Paul Fort,
Pascal Pia, Jules Romains, Léon-Paul Fargue, Louis Aragon et André
Breton comptent parmi les premiers abonnés, bientôt rejoints par
André Gide, Paul Valéry, Valéry Larbaud, André Salmon, Max Jacob,
Pierre Reverdy, Blaise Cendrars, Jean Paulhan, Tristan Tzara, Jean
Cassou... Fin 1920, la librairie a 580 abonnés et en 1926 elle
compte 18 400 volumes.
Comme on le lira plus bas dans une
transcription d'extraits des entretiens données par Adrienne Monnier
à la Chaîne Parisienne en 1947, c'est en 1917 que Gide franchit
pour la première fois le seuil de « la Maison ». Mais
dès 1916, Adrienne Monnier avait écrit à Gide pour lui demander un
exemplaire des Nourritures terrestres pour sa bibliothèque de
prêt. Gide participera assez rapidement aux « séances »,
des soirées de conférences, lectures, mais aussi parfois concerts,
donnés dans la librairie.
Des soirées pas toujours à son goût,
car si Adrienne Monnier loue son talent de lecteur, Gide semble avoir
plus de mal avec certaines lectures, comme le révèle les passages
des Cahiers de la Petite Dame :
« Nous allons chez Mlle Monnier,
à une conférence que Valéry [sic] Larbaud donne sur Samuel Butler.
[…] La conférence de Larbaud est charmante et ingénieuse
(comparaison avec Épicure), mais elle est suivie d'une interminable
et languissante lecture. Gide, impatienté, me fait des signes
désespérés et nous sortons avant la fin. »
Une soirée consacrée à Jean
Schlumberger, en mai 1931, sera plus réussie... Mais la Petite Dame
ne semble pas porter la libraire dans on cœur : « Les discours
d'Adrienne Monnier sur la sincérité, qu'un instant après sa
conduite dément devant nous, sont d'une belle impudeur. »,
note-t-elle sans concession le 8 novembre 1932. On sait enfin que
Gide faisait partie des soutiens de la première heure lors de la souscription à l'édition de la traduction de l'Ulysse de Joyce, lancée par Sylvia Beach et Adrienne Monnier.
Adrienne Monnier devant sa librairie de la rue de l'Odéon
L'incroyable foyer littéraire de la rue de l'Odéon revivait il y a quelques jours grâce à la rediffusion des entretiens d'Adrienne Monnier sur France Culture. Consignons ici les passages concernant Gide :
— Vous nous avez raconté, Mademoiselle, comment vous aviez connu Léon-Paul Fargues, Breton, Apollinaire... Nous en étions restés je crois en 1916. Est-ce à cette époque que vous avez connu Gide ?— J'ai dû le connaître un peu plus tard, au début de 1917. Je lui avais écrit en 16 déjà. Je lui avais écrit en 16 parce que la bibliothèque de prêt que j'avais fondée, qui fonctionnait déjà assez bien, ne possédait pas les Nourritures terrestres. Ce qui me semblait une lacune terrible. Alors je lui avais écrit pour lui demander s'il voulait bien en donner un exemplaire à ma bibliothèque, que ce n'était pas pour moi mais pour les jeunes qui venaient à la Maison. Il m'avait répondu qu'il était fort surpris d'apprendre que c'était épuisé, il n'en revenait pas, d'ailleurs il n'était pas à Paris à ce moment-là, il était à Cuverville. Et j'ai dû le voir au début de 17, un peu avant Valéry qui est venu au printemps 17, fin avril je crois, un peu avant la parution de la Jeune Parque. Et nous avons tout de suite... Enfin Gide également a joué un très, très grand rôle à la Maison, mais un rôle peu familier au début, naturellement. C'était un maître, un maître très respecté, qui a d'ailleurs toujours été pour nous d'une gentillesse étonnante et qui nous a aidé à faire des séances, qui a fait des lectures. Il lit d'une façon merveilleuse comme vous le savez. Il a lu des poèmes de Valéry à la Maison, de Fargues, enfin nous parlerons de ces séances tout à l'heure un peu plus longuement.[…]— Parlez-moi un peu de ces fameuses séances, Mademoiselle.Eh bien je vous ai déjà touché deux mots de la grande séance Claudel organisée au Gymnase, mais les séances que j'aimais beaucoup et que les gens aimaient beaucoup, c'était celles qui avaient lieu à la librairie. Naturellement on étouffait car on était empilé dans cette petite librairie que vous connaissez bien, on était facilement 150. Enfin il y a eu des choses historiques, on peut le dire. Par exemple Romains nous a lu en 17, ça a été la première séance, son poème Europe.Il y a eu en 18 une séance Fargues avec Ricardo Viñes le grand pianiste qui jouait des morceaux de musique choisis par lui qui étaient ravissants, du Debussy, du Ravel et puis Jean Lionel qui lisait des poèmes, et Fargues et moi aussi d'ailleurs.Maintenant, qu'est-ce que nous avons eu d'important ? Il y a eu le Socrate de Satie [ndr : le 21 mars 1919] avec Suzanne Balguerie et l'auteur, et Cocteau qui avait fait une présentation. A cette séance, comme chacun sait, étaient présents Claudel, Gide et Jammes.La première séance Paul Valéry a eu lieu en avril 19. Et là Gide lisait, c'est là qu'il a lu La Pythie de cette façon absolument épatante, il l'avait d'ailleurs dactylographiée, elle n'avait pas paru. Fargues lisait aussi, André Breton, moi-même. Et Fargues avait fait au début un petite causerie très intéressante où il rappelait l'élite à ses devoirs.Il y a eu une deuxième séance Fargues en mai, qui était également tout à fait mémorable puisque Réjane, la grande Réjane est venue lire les vers de Fargues. C'est là qu'elle a lu Aeternae Memoriae Patris , ce magnifique poème, qu'elle a lu d'une façon tellement simple, tellement émouvante et certainement moins actrice que nous amateurs. La encore Gide a lu, Francis de Miomandre, d'une façon charmante, Jacques Porel.(Extraits des Entretiens avec Adrienne Monnier, premières diffusions les 28, 30 mai, 4 et 6 juin 1947 sur la Chaîne Parisienne, rediffusés le 17 décembre 2016 sur France Culture)
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