Dommage, car il y avait matière à un portrait de profundis autrement plus dense, surtout pour un auteur qui débute en littérature avec une œuvre posthume – mot auquel Gide souhaitait d'ailleurs rendre son orthographe exacte : postume. L'article en question reste payant sur le site du journal, mais puisqu'il s'appuie en grande partie sur e-gide, sans citer sa source, pour évoquer les funérailles de Gide (« on en trouvera la transcription intégrale sur Internet »), il ne me semble pas anormal de le donner ici. L'escroquerie, pour le journal, serait de rémunérer l'auteur de ce galipot, comme eût dit Huysmans...
Pour Gide le sulfureux, un repos
en pays de Caux, mais sans croix
4|11 TOMBES D'ARTISTES L'écrivain est enterré dans un petit bourg normand, au nom aussi peu catholique que le fut sa vie
« C’est une tombe bien simple, dans un petit village du pays de Caux, situé entre Etretat et Gonneville-la-Mallet, un bourg dont les habitants des clochers voisins – ceux de Goderville notamment – se moquent en des termes que, par respect pour ses habitants ou « nés-natifs », comme l’ami Christophe Ono-dit-Biot, on n’écrira pas ici. Sinon pour dire qu’ils le font rimer, les canailles, avec « vaques (vaches) à lait ».
Une tombe duelle : à droite, celle d’une femme, qui fut sa cousine, et aussi son épouse. Sur la pierre est gravé : « Ici repose Madeleine André Gide, née Rondeaux… » L’épitaphe, qui se prolonge de quelques mots édifiants, est surmontée d’une croix, incisée elle aussi. A gauche, celle de son époux, Prix Nobel de littérature, André Gide. La sienne ne comporte que son nom, une date de naissance (1869) et une autre de décès (1951). De crucifix, point.
TÉLÉGRAMME MYSTÈRE
Parce qu’il était protestant ? Ce n’est pas certain. Sulfureux, plus certainement. En témoigne ce télégramme célèbre expédié à François Mauriac le jour de la mort de Gide, lequel était pourtant supposé l’avoir signé : « Enfer n’existe pas STOP Tu peux te dissiper STOP Préviens Claudel STOP ». L’auteur du canular germanopratin reste inconnu. On a soupçonné Sartre, mais s’il avait eu de l’humour, cela se saurait. Puis Roger Nimier, le plus probable. Juliette Gréco l’a revendiqué, comme aussi l’artiste et galeriste Jean-Claude Lahumière et d’autres encore.
Par-delà la plaisanterie, l’acte était militant : à une époque où l’homosexualité était peu facile à vivre pour le commun des mortels, il brandissait André Gide comme un étendard, et mettait le très catholique et très pédé Mauriac face à ses contradictions. De Paul Claudel, on ne dira rien : quel que soit le respect qu’on a pour Philippe Sollers, qui l’aime bien, ce cul-bénit qui pensa spirituel d’écrire, à la mort de son confrère, « la moralité publique y gagne beaucoup et la littérature n’y perd pas grand-chose », ne le mérite pas. André Gide, si. Certes, aujourd’hui, il serait passible des tribunaux, mais ses prises de position étaient courageuses.
De son temps, galipoter un jeune Arabe faisait toutefois partie des choses possibles. L’avouer, l’écrire dans son journal était bien moins facile, et il n’est pas certain qu’à l’auberge des Vieux-Plats, de Gonneville-la-Mallet, que fréquentaient Claude Monet ou Guy de Maupassant, un auteur qui sentait tant le fagot eût été bien reçu : la patronne – on l’a connue – n’était pas commode. Mais respectueuse des usages : après tout, André Gide était châtelain. Du village d’à côté, il est vrai. Il y est donc enterré. L’inhumation fut décrite, en termes lyriques, sinon élégiaques, par un confrère de Paris-Normandie (édition du Havre, n° 1995, 23 février 1951), qui écrivait sous le pseudonyme de Jehan Le Povremoyne.
FUNÉRAILLES PAYSANNES
On en trouvera la transcription intégrale sur Internet, et elle est savoureuse. En voici un extrait : « Nous étions là une vingtaine de vivants à regarder. Les yeux embués – la peine était vive –, on se sentait les témoins d’une minute d’Histoire. Obsèques nationales, Panthéon, tribune d’honneur, discours, André Gide est parti sans cet orgueil et ces fastes. Il a eu l’enterrement paysan que, peut-être, il avait rêvé, qui sait ? (…) Alors, un à un, les enfants de l’école se détachèrent de la foule et, sur le cercueil, entre les grandes couronnes tressées à Paris des plus belles corolles, ils déposèrent, se courbant comme on saluait jadis, d’humbles tout petits bouquets de primevères, de violettes des bois et de perce-neige serrées dans quatre brins de mousse, de feuilles de lierre et de branchettes vives… »
Nul doute que ce vieux bougre d’André Gide a dû l’apprécier, cet hommage des enfants de son bien-aimé et bien nommé village, où il rédigea La Porte étroite : le lieu a pour nom Cuverville. »
(Le Monde, vendredi 7 août 2015, p.20)
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