samedi 22 août 2015

Le temple de Lussan


Temple de Lussan

« Oui, j’ai pu voir encore les derniers représentants de cette génération de tutoyeurs de Dieu assister au culte avec leur grand chapeau de feutre sur la tête », se souvient André Gide dans Si le grain ne meurt. Des « mégathériums » en voie de disparition qu'il croisait encore, du temps de son enfance, à Uzès où il découvrait « ces formes incommodes et quasi paléontologiques de l’humanité ». 

Il y avait le souvenir du grand-père Tancrède, décrit par sa mère : « Elle m’en parlait comme d’un huguenot austère, entier, très grand, très fort, anguleux, scrupuleux à l’excès, inflexible, et poussant la confiance en Dieu jusqu’au sublime. » Portrait quelque peu contrarié par les appréciations des supérieurs du président du tribunal d'Uzès que nous avons données précédemment... Mais il est probable que Tancrède compensait son inefficacité professionnelle par la tyrannie domestique !


 Temple de Lussan, façade sud


« Ceux de la génération de mon grand-père gardaient vivant encore le souvenir des persécutions qui avaient martelé leurs aïeux, ou du moins certaine tradition de résistance ; un grand raidissement intérieur leur restait de ce qu’on avait voulu les plier », remarque Gide. Le portrait de Théophile rappelait l'exil tout autant que le rang à tenir.


 Temple de Lussan, l'intérieur


C'est tout ce pan de l'histoire de ce petit coin du Gard, et de la famille Gide, qu'on touche un peu en pénétrant dans le temple de Lussan. On ne sait malheureusement pas quelles maisons occupaient les premiers Etienne et Théophile, ni où poussait la canebière du brave Jehan Gido (encore que le chanvre soit toujours cultivé au pied du village !). On sait toutefois que le temple actuel a été édifié sur une parcelle avec maison appartenant à Jean-Pierre Gide, le père de Tancrède et arrière-grand-père d'André.

 
  Puits devant un jardin potager, au second plan un champ de chanvre


 

Du premier temple de Lussan, il ne reste que deux vestiges, nous apprend un document mis à disposition du visiteur : « Un portail en pierre de taille, à plein cintre, se trouve encastré aujourd'hui dans un mur d'enceinte chez un habitant de Lussan. Il date probablement du début du XVIIe siècle » et « une pierre portant l'inscription d'une partie du verset 11, Psaume 84, avec la date 1656, [...] révélée lors des travaux chez ce même propriétaire de Lussan. »




J'aimeroye mieux
Me tenir à la porte
En la maison de
Mon Dieu qve
Demeurer ES (I)
Tabernacles des
Meschants. PSALM
LXXXIV 1656.




A côté de cette pierre gravée, un autre document livre le témoignage non daté d'un certain Louis Chazel:

« Cette petite découverte semblerait apporter une confirmation à une tradition de famille, d'après laquelle dans le même immeuble, un portail en pierre de taille, à plein cintre, encastré aujourd'hui dans le mur d'enceinte à moellons grossiers de dimensions modestes, mais le travail soigné et représentant les bossages si en faveur au début du XVIIe siècle, ne serait autre que le portail même de l'ancien temple, peut-être acquis et aussi préservé dans un sentiment de piété.

En effet chacun des claveaux, ainsi que la clé de voûte, présente une fracture nette et unique qui paraît difficilement explicable, si elle n'a pas été faite par le marteau du démolisseur.

Il serait singulièrement émouvant de trouver dans cette pauvre ruelle de village la trace, si visible encore, de l'œuvre de destruction, que le fanatisme du clergé et du souverain a impitoyablement exécuté sur les sanctuaires où nos frères ont prié. »


Temple de Lussan, l'orgue


La destruction de ce temple pendant la guerre des Cévennes (1685-1787) a conduit la population protestante de Lussan et des environs à célébrer le culte « soit en plein air, soit dans une remise prêtée, qui était un lieu de passage pour des voyageurs, des charrettes, voire même des troupeaux de moutons. C'était un lieu peu propice à la sérénité !

La période du « Désert » avait appris aux protestants à célébrer le culte dans des conditions précaires. Ainsi ce n'est qu'en 1811 que l'on découvre trace des premières réclamations pour l'attribution d'un lieu de culte. On demande un bâtiment d'une construction simple, sans ornements extérieurs ni intérieurs, mais assez grand, pouvant contenir 600 à 700 personnes (on restait debout).

Il faut préciser, qu'à cette époque, la population protestante représentait :

80 % des habitants de Lussan,
50 % des habitants de Fons/Lussan
La quasi-totalité des habitants de Vallérargues.

En 1821, par ordonnance royale, l'adjudication de la construction du temple fut déclarée. »

Temple de Lussan


Même en les rangeant débout, on a du mal à faire entrer par la pensée 600 personnes dans ce modeste édifice (et l'on songe aux galeries intermédiaires de la cathédrale Saint-Théodorit d'Uzès construites après la révocation de l'Edit de Nantes pour accueillir les nouveaux convertis de « la religion prétendue réformée » !)

« L'inauguration officielle eût lieu en 1822, bien que le bâtiment était loin d'être achevé. » Nous avions d'ailleurs retrouvé il y a quelques années un compte-rendu assez détaillé de l'inauguration. Mais on apprend encore que « cette construction ne fut pas simple, et pendant des années des différends ont empêché l'avancement de la réparation et la transformation d'un vieux bâtiment rural en un lieu de culte. Il a néanmoins été utilisé au cours des travaux, alors que les colonnes, dites « Corinthiennes » et la voûte ne seront définitivement terminées qu'en 1847. »



 Temple de Lussan, texte commémoratif
à la base d'une colonne


En quittant le temple, on passe à nouveau par l'accueillant petit « jardin biblique » aménagé dans la cour. Gide le botaniste serait ravi d'y trouver ces plantes qui poussent dans la Bible : amandier, buis, hysope, olivier, vigne... Et il s'amuserait peut-être du Robinier faux-acacia, introduit en Europe par Jean Robin, qui joue ici le rôle de l'Acacia seyal véritable, rejouant la descente du train de son enfance : « c'était la Palestine, la Judée... »


Temple de Lussan, le jardin biblique


  

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