Temple de Lussan
« Oui, j’ai pu voir encore les
derniers représentants de cette génération de tutoyeurs de Dieu
assister au culte avec leur grand chapeau de feutre sur la tête »,
se souvient André Gide dans Si le grain ne meurt. Des
« mégathériums » en voie de disparition qu'il croisait
encore, du temps de son enfance, à Uzès où il découvrait « ces
formes incommodes et quasi paléontologiques de l’humanité ».
Il y avait le souvenir du grand-père
Tancrède, décrit par sa mère : « Elle m’en parlait comme d’un huguenot austère, entier,
très grand, très fort, anguleux, scrupuleux à l’excès,
inflexible, et poussant la confiance en Dieu jusqu’au sublime. »
Portrait quelque peu contrarié par les appréciations des supérieurs
du président du tribunal d'Uzès que nous avons données
précédemment... Mais il est probable que Tancrède compensait son
inefficacité professionnelle par la tyrannie domestique !
Temple de Lussan, façade sud
« Ceux de la génération de mon
grand-père gardaient vivant encore le souvenir des persécutions qui
avaient martelé leurs aïeux, ou du moins certaine tradition de
résistance ; un grand raidissement intérieur leur restait de ce
qu’on avait voulu les plier », remarque Gide. Le portrait de
Théophile rappelait l'exil tout autant que le rang à tenir.
Temple de Lussan, l'intérieur
C'est tout ce pan de l'histoire de ce
petit coin du Gard, et de la famille Gide, qu'on touche un peu en
pénétrant dans le temple de Lussan. On ne sait malheureusement pas
quelles maisons occupaient les premiers Etienne et Théophile, ni où
poussait la canebière du brave Jehan Gido (encore que le chanvre
soit toujours cultivé au pied du village !). On sait toutefois que
le temple actuel a été édifié sur une parcelle avec maison
appartenant à Jean-Pierre Gide, le père de Tancrède et
arrière-grand-père d'André.
Puits devant un jardin potager, au second plan un champ de chanvre
Du premier temple de Lussan, il ne
reste que deux vestiges, nous apprend un document mis à disposition
du visiteur : « Un portail en pierre de
taille, à plein cintre, se trouve encastré aujourd'hui dans un mur
d'enceinte chez un habitant de Lussan. Il date probablement du début
du XVIIe siècle »
et « une pierre portant l'inscription d'une partie du verset
11, Psaume 84, avec la date 1656, [...] révélée lors des travaux
chez ce même propriétaire de Lussan. »
J'aimeroye mieux
Me tenir à la porte
En la maison de
Mon Dieu qve
Demeurer ES (I)
Tabernacles des
Meschants. PSALM
LXXXIV 1656.
A côté de cette
pierre gravée, un autre document livre le témoignage non daté d'un
certain Louis Chazel:
« Cette petite
découverte semblerait apporter une confirmation à une tradition de
famille, d'après laquelle dans le même immeuble, un portail en
pierre de taille, à plein cintre, encastré aujourd'hui dans le mur
d'enceinte à moellons grossiers de dimensions modestes, mais le
travail soigné et représentant les bossages si en faveur au début
du XVIIe siècle, ne serait autre que le portail même de l'ancien
temple, peut-être acquis et aussi préservé dans un sentiment de
piété.
En effet chacun des
claveaux, ainsi que la clé de voûte, présente une fracture nette
et unique qui paraît difficilement explicable, si elle n'a pas été
faite par le marteau du démolisseur.
Il serait
singulièrement émouvant de trouver dans cette pauvre ruelle de
village la trace, si visible encore, de l'œuvre de destruction, que
le fanatisme du clergé et du souverain a impitoyablement exécuté
sur les sanctuaires où nos frères ont prié. »
Temple de Lussan, l'orgue
La destruction de ce
temple pendant la guerre des Cévennes (1685-1787) a conduit la
population protestante de Lussan et des environs à célébrer le
culte « soit en plein air, soit dans une remise prêtée, qui
était un lieu de passage pour des voyageurs, des charrettes, voire
même des troupeaux de moutons. C'était un lieu peu propice à la
sérénité !
La période du « Désert
» avait appris aux protestants à célébrer le culte dans des
conditions précaires. Ainsi ce n'est qu'en 1811 que l'on découvre
trace des premières réclamations pour l'attribution d'un lieu de
culte. On demande un bâtiment d'une construction simple, sans
ornements extérieurs ni intérieurs, mais assez grand, pouvant
contenir 600 à 700 personnes (on restait debout).
Il faut préciser, qu'à
cette époque, la population protestante représentait :
80 % des habitants de
Lussan,
50 % des habitants de
Fons/Lussan
La quasi-totalité des
habitants de Vallérargues.
En 1821, par ordonnance
royale, l'adjudication de la construction du temple fut déclarée. »
Temple de Lussan
Même en les rangeant
débout, on a du mal à faire entrer par la pensée 600 personnes
dans ce modeste édifice (et l'on songe aux galeries intermédiaires
de la cathédrale Saint-Théodorit d'Uzès construites après la
révocation de l'Edit de Nantes pour accueillir les nouveaux
convertis de « la religion prétendue réformée » !)
« L'inauguration
officielle eût lieu en 1822, bien que le bâtiment était loin
d'être achevé. » Nous avions d'ailleurs retrouvé il y a
quelques années un compte-rendu assez détaillé de l'inauguration.
Mais on apprend encore que « cette construction ne fut pas
simple, et pendant des années des différends ont empêché
l'avancement de la réparation et la transformation d'un vieux
bâtiment rural en un lieu de culte. Il a néanmoins été utilisé
au cours des travaux, alors que les colonnes, dites « Corinthiennes
» et la voûte ne seront définitivement terminées qu'en 1847. »
Temple de Lussan, texte commémoratif
à la base d'une colonne
En quittant le
temple, on passe à nouveau par l'accueillant petit « jardin
biblique » aménagé dans la cour. Gide le botaniste serait ravi d'y
trouver ces plantes qui poussent dans la Bible : amandier, buis,
hysope, olivier, vigne... Et il s'amuserait peut-être du Robinier
faux-acacia, introduit en Europe par Jean Robin, qui joue ici le rôle
de l'Acacia seyal véritable, rejouant la descente du train de son enfance : « c'était la Palestine, la Judée... »
Temple de Lussan, le jardin biblique
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