Dix ans après la mort de Gide, la
Gazette de Lausanne consacrait plusieurs pages à se demander : « André Gide est-il actuel
? ». Ce dossier nous valait une belle et rare interview de MarcAllégret et les réponses de quatre écrivains français et suisses
à ces deux questions :
1. André Gide a-t-il eu une
influence sur votre œuvre d'écrivain ?
2. Que pensez-vous de son influence
actuelle sur la jeunesse en général et la littérature en
particulier ?
Je vous propose de découvrir
aujourd'hui celles de :
"FRANÇOIS NOURISSIER« Ah ! ce côté cœur de palmier! »
CHAQUE époque élit un ou deux écrivains privilégiés et leur confie un rôle extra-littéraire. Ils sont, pour une jeunesse, des maîtres à vivre, autant qu'à écrire ou à penser. Proches de nous, Malraux, Sartre et Camus ont connu cette responsabilité multiforme et difficile à assumer : ces mariages d'amour finissent souvent mal ; l'écrivain élu vieillit, vit lui-même, se fait à lui-même la leçon et finit par décevoir. La vérité, c'est que ces influences devraient être météoriques, durer ce que dure une jeunesse. On devrait pouvoir, plus tard, éviter les comparaisons et les bilans.Telle fut l'aventure de Gide. Il parvint à conserver plus longtemps qu'il n'est normal un emploi en général éphémère. Il prêcha la révolte et la liberté à beaucoup de jeunes hommes, entre 1900 et 1940 environ. Depuis, la désaffection envers lui est à la mesure de ce que fut son pouvoir.Le lit-on encore ? Non, presque plus. J'ai 33 ans, et je crois avoir tout lu de lui, absolument tout. A 16 ans je connaissais par cœur Les Nourritures, Paludes ou les Cinq traités. Cela fit partie de ma jeunesse, profondément. Plus que Barrès, plus intimement que Claudel, bien plus passionnément que Valéry. J'ai le sentiment que Gide a joué pour moi, exactement son rôle possible ; si j'ose dire : le maximum de son rôle possible. Si ses ouvrages glacés (L'Immoraliste, Robert, La Symphonie pastorale, etc) me paraissaient un peu paralysés, en revanche ses textes de révolte (déjà cités), ou d'émerveillement, et ses pointes d'ironie (Les Caves, Les Faux Monnayeurs, Prométhée mal enchaîné), allèrent vite et loin en moi. Si je sais aujourd'hui pratiquer un certain irrespect salubre, c'est pour une grande part à lui que je le dois (Et si l'on réfléchit: tout ce qu'un Sartre, une Simone de Beauvoir, eux aussi, lui doivent ! Leur grande entreprise de morale, leurs « chemins de la liberté », les auraient-ils tentés sans Gide ?).La façon d'écrire ? Non, bien sur, elle n'a pas eu sur moi beaucoup d'influence. Si je cherche, je découvre que ce sont Aragon, Giraudoux-, un certain Montherlant qui m'ont appris à « écrire », — et plus loin Barrès (qui mériterait une enquête, lui aussi...}, et plus loin Stendhal. Mais Gide, non. Sa sécheresse était compassée ; sa passion fleurie ; sa sensualité prêcheuse ou poisseuse. Ah ! ce côté « cœur de palmier », ces cartes postales en couleurs, « les oasis comme si vous y étiez »... Cela restera pris dans la glu Fin de Siècle, le style « artiste ». Il n'y a pas si loin de Des Esseintes à Lafcadio, de Montesquieu au premier Gide. Aujourd'hui, tout allant très vite, on essaie de sauter par-dessus la phase maudite d'un style pour en retrouver tout de suite le charme, le pittoresque, l'influence, les secrètes beautés (« Les Sources du XXème siècle ») et Gide pourrait bénéficier de cette objectivité. Peut-être... Pour l'instant, il est dans la pénombre. Je crois que les adolescents l'ignorent. Je me sens dans la petite cohorte des derniers fidèles, émus et pieux..."
François Nourissier, Gazette de Lausanne, 18 février 1961
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