mardi 8 novembre 2011

... vu par Georges Bourgeaud et Yves Vélan

1. André Gide a-t-il eu une influence sur votre œuvre d'écrivain ?
2. Que pensez-vous de son influence actuelle sur la jeunesse en général et la littérature en particulier ?
Ce sont les deux questions posées en février 1961 par la Gazette de Lausanne à Georges Borgeaud et Yves Velan.

GEORGES BOURGEAUD
« Qu'est-ce qu'un vêtement que plus personne ne veut endosser ? »

1. Nullement ! Pour cela il aurait fallu que l'œuvre de Gide fût désignée à mes enthousiasmes de jeune homme. Il en fut tout autrement ! Les rares professeurs qui osèrent en parler, le firent du bout des lèvres. Ils préféraient d'autres nourritures, plus terrestres et plus fortes : Claudel et Ramuz. Naturellement, plus tard, peut-être trop tard, j'allais y voir. Que trouvai-je dans cette œuvre que je croyais émancipatrice ? De l'eau de toilette pour humidifier l'âme, de la poudre de talc pour adoucir les inflammations de la conscience, une pince à cils pour donner au regard de l'esprit une noblesse d'apparat et, derrière les produits pour la coquetterie, quelques flacons, en effet, frappés d'étiquettes blanches, à demi remplis de liqueurs douces, mais certes pas de celles qui font suer, comme dit Rimbaud.
Heureusement, je le répète, on avait mis dans ma main des clefs qui ouvraient un cellier de nourritures moins périssables.
2. Autant que l'on puisse connaître les préférences de la jeunesse, surtout de celle qui ne s'exprime pas, il semble bien que Gide s'est éloigné d'elle ou vice-versa. Evidemment l'exemple qu'il constitue d'une « belle langue » devrait encore porter, mais qu'est-ce qu'un vêtement, si soigné soit-il, que plus personne ne veut endosser ? Quelles résonances peuvent avoir encore ces propositions qui frappèrent tant de générations : Nathanaël, je t'enseignerai la ferveur... ou familles, je vous hais...? Hélas, Nathanaël entraîné aujourd'hui dans la confusion générale parait mal armé pour la combattre ou s'en défendre. Ses moyens sont devenus archaïques. Il est à nouveau l'inadapté, le maladroit et le vacant. L'œuvre de Gide apparaît de plus en plus comme une oasis. Les palmes qui s'y balancent sont harmonieuses, mais les sources vives sont ailleurs. Il est vrai qu'un seul verre d'eau fraîche, parfois...
J'ajouterai que j'ai toujours été agacé de trouver chez Gide une morale esthétique qui, par ses paradoxes, ses décrochements, ses fuites, me paraît aussi faible que les doctrines les plus conventionnelles.



YVES VELAN
« En littérature, tout est possible »

1. Aucune.
2. Je suppose qu'il s'agit de la jeunesse suisse. De toute façon je serais incapable de parler d'une autre. Et à dire le vrai je ne peux même pas me prononcer sur la profondeur de cette influence. Que la jeunesse le lise encore (un peu), cela est sûr. On s'en étonnera moins si on remarque que depuis très longtemps rien n'a interrompu nos traditions de lectures. Ce qui signifie que rien depuis très longtemps n'a modifié nos structures sociales. Or celles-ci sont le terreau même du gidisme, soit la disponibilité pour rien et son corollaire, l'hédonisme. Il est naturel qu'un certain nombre de jeunes gens se reconnaissent en lui.
Quant à son influence sur les écrivains d'aujourd'hui, je serais surpris qu'elle existe. D'une part ils n'ont pas tous l'habitude de lire et, raison plus sérieuse, rien n'est plus éloigné de l' « humanisme » gidien (qui est un éclectisme) que notre monde éclaté. Mais en littérature, tout est possible.

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