jeudi 28 avril 2011

Gide 1907 ou Galatée s'apprivoise (2/2)

[Le blog e-gide prend un peu de vacances... pendant lesquelles je vous invite à redécouvrir chaque jour des pages de la Revue d'Histoire littéraire de la France de mars-avril 1970, consacrée à Gide. Aujourd'hui la seconde partie de l'étude de Claude Martin autour de la réception du théâtre de Gide en Allemagne. Dans une lettre datée cette fois de 1908, Gide reprend ses tentatives d'explication pour briser le silence qui l'entoure et se lance dans l'établissement d'une liste des auteurs qui, selon lui, comptent...] 

 



On sait ce qu'il advint de ce König Candaules berlinois : un public divisé (29), une presse unanimement déchaînée (30) qui contraignit Viktor Barnowsky, le directeur du Théâtre, «épouvanté», à retirer le drame de l'affiche dès le lendemain de la première. Cela, malgré tous les efforts de Haguenin — «qui se montre», note Gide dans son Journal (p. 258), « d'un dévouement qui me confond » (31). Après avoir un moment songé à faire publier en France la traduction d'un des articles de son supporter berlinois (32), l'auteur vilipendé dédaigna, finalement, de répondre aux attaques ; en remerciant Haguenin des longs comptes rendus que celui-ci lui adressait, il se reconnut coupable d'une faute tactique : avoir donné Candaule avant Saül — et garda sa confiance d'être mieux compris dix ans plus tard...



13 janv. 08
Mon cher ami

Je venais de confier ma lettre à la poste ; voici votre nouvelle lettre (33)... En apprenant l'attitude de la presse je vous sais encore plus de gré de votre article et de votre attitude ; puisse-t-elle ne pas vous nuire ; peu s'en faut que je ne m'excuse de vous avoir entraîné dans cette aventure.

L'article que vous me renvoyez ne peut pas beaucoup me surprendre après ceux de Vienne. Il y a quelque dix ans, ces éreintements m'exaltaient ; à présent ils me laissent indifférent ; dans dix ans ils me démoraliseront peut-être — j'en doute pourtant — et je doute aussi qu'on en écrive de pareils dans dix ans.

Y répondre ? Non. Mes positions ne sont pas assez fortes ; je préfère différer le combat. Même vis-à-vis du Mercure, je doute s'il y a lieu de rien faire ; j'irai cependant demain exposer le cas à Vallette et examiner avec lui le plus ou moins d'opportunité d'une note (34)— il est de bon conseil et fort bien disposé à mon égard ; mais, je vous le disais je crois, entouré de gens qui ne peuvent me sentir et qui ne me craignent même plus depuis que j'ai lâché la « critique ».

La partie a été mal engagée dès le début. C'est conseillé par l'impatient démon de la curiosité, et de l'amour du risque, que j'ai consenti à laisser jouer Candaule avant Saül. Saül n'eût rencontré sur sa route aucune ombre d'aucun Hebbel. Les défauts même de cette première pièce — romantisme, grandiloquence, pathos et complication — m'eussent acquis sans doute un public qui « vult decipi » et l'eussent rendu indulgent pour les qualités de Candaule.

Quand on prendra Saül — si on ose le monter désormais — les critiques diront que j'ai «fait des progrès». C'est là que je les attends.

Il faut, pour que mes positions se raffermissent, que je publie du nouveau. Mon tort énorme, mon seul tort, c'est, après avoir pris une attitude à la fois combative et dédaigneuse d'être demeuré depuis six ans presque complètement silencieux. Si après Candaule j'avais donné quelque autre drame, différent, mais de même qualité — après l'immoraliste aussitôt le roman que j'achève à présent (35) — ma « situation » serait tout autre — et Candaule déjà tout différemment jugé. — A présent encore je ne m'arme que de patience et travaille « comme si de rien n'était ».

Et de cette aventure un peu meurtrissante je ne veux me souvenir que d'une chose : c'est d'y voir acquis un ami.


Au revoir mon cher Haguenin ; merci encore et croyez moi bien affectueusement votre reconnaissant

ANDRE GIDE (37).

Notre propos n'est pas d'écrire l'histoire de cette représentation de Candaule ; nous voudrions seulement souligner ce que les deux lettrés publiées ici, et surtout la première, apportent de neuf à la connaissance du Gide de cette époque, dans la conscience qu'il avait alors de son esthétique et de ce qu'on pourrait appeler son «éthique de littérateur ». Elles peuvent en effet permettre de préciser ses « idées directrices » en 1907, les maîtres qu'il se reconnaissait et son sentiment nouveau quant à «l'importance du public» et de la critique. On aura également remarqué au passage ses déclarations sur le caractère à ses yeux profondément français de son œuvre, et les distances qu'il entendait prendre par rapport à l'Allemagne.

C'est d'ailleurs encore à un correspondant d'outre-Rhin que, quelques mois plus tard, Gide adressait une autre longue lettre (38), de visée certes différente mais qui, par là même, nous semble compléter les indications plus personnelles de l'exposé envoyé en octobre 1907 à Haguenin : il s'agit ici d'un véritable « tour d'horizon » de ce qui compte, selon lui, dans la littérature française d'alors :

23 Avril 08
Cher ami,

Il est bien entendu que je vais vous parler ici indépendamment de toute sympathie personnelle non seulement — mais même de toute affinité littéraire... Par exemple, que Gourmont me soit (en tant qu'écrivain) odieux (39), cela ne m'empêche point de le considérer aujourd'hui entre tous... Au reste, vous ne vous adresseriez pas à moi, je pense, si vous ne me sentiez capable de garder ma tête au dessus de mon cœur. Je reprends donc votre liste et la repasse, nom après nom, avec vous (40).

Dichter (ce mot est fort bon en effet et ne trouve guère son équivalent dans le Poètes français) : Claudel, Gide, Barrés, Suarès (je ne crois pas du tout en Suarès. Certains voient dans son informité même la marque sûre du génie ; ceux-ci, de l'espèce Mauclair (41), sont de professionnels jobards, qui ont toujours « pris des vessies pour des lanternes ». Ils trouvent (je n'invente rien) Suarès « bien plus fort que Claudel ». Ses drames Electre, Achille (42), etc., sont à mes yeux des monstres de l'époque préartistique et ne relèvent d'aucune critique ; mais le chaos épate certains esprits et le bluff leur en impose. — Au demeurant, je reconnais que certaines pages parues récemment dans l'Occident sont assez fastueusement écrites. Peut-être sortira-t-il quelque chose de tant de fumée. En tout cas, il n'est pas mauvais que vous le citiez, car, à tort ou à raison, il domine aujourd'hui sur nombre d'esprits généreux, et incapables de critique), Verhaeren (naturellement. Je l'aurais situé plutôt parmi les lyriques, s'il n'était venu me lire, le mois dernier, d'importantes parties du drame auquel il travaille à présent, Hélène (43), qui m'ont paru de la plus grande beauté. C'est donc un Dichter, sans hésitation).

Denker. Remy de Gourmont (naturellement. Sa place est, je crois bien, unique aujourd'hui ; je veux dire que, à côté de lui, on n'est tenté de nommer personne d'autre. Cependant, Lasserre, si vous voulez; il nous a donné l'an passé un des plus importants volumes de critique parus depuis de longues années (44)). Mais pas Gaultier (45), figure de second ou troisième ordre, gonflé par le Mercure de France où il a de bons amis qui l'insufflent, ni sérieux philosophé, ni bon écrivain, «penseur» à l'usage des gens du monde ou des gens-de-lettres, toujours flattés de voir un philosophe s'occuper d'eux, appeler Bovarysme une théorie, et fort reconnaissants de cet hommage. Pas sérieux.
— Et, en tant que philosophes proprement dits, un Bergson, un Durkheim, sont bien autrement importants; mais, n'est-ce pas, vous ne parlez ici que de littérature). Hello : mort depuis 15 ans (46) ; laissez les morts; il y aurait, sinon, trop à citer — et de plus importants que Hello.

Lyriker : Jammes (naturellement)
             Signoret (mort, — laissez)
             Van Lerberghe ( ''     ''   )
             Elskamp (exquis, mais de bagage bien mince ! vraiment pas bien important. Ceci soit dit entre nous, car j'ai pour lui une affection très vive) (47)
             Moréas (naturellement) (48)
             Vielé-Griffin (qu'il ne faut pas oublier)
             Saint-Pol-Roux (oui, certainement)
             Montesquiou (jamais de la vie ! pas un littérateur mais un clown)

Roman : Jules Renard (n'hésitez pas, c'est un écrivain prestigieux excellent)
             Philippe (oui certes)
             Anatole France (immanquablement)
             Rachilde (complètement inutile)
             Régnier (déjà nommé)
             Lorrain (Laissez les morts)
             Jean de Tinan ( ''   ''    , fait du reste double emploi avec Léautaud (oui) (49))

N'oubliez pas : Elémir Bourges (un peu sorti de la circulation, mais dont le Crépuscule des Dieux était un maître livre !) (50)
Péladan (51) (v. Montesquiou, etc., articles de bazar ; ne fait pas partie de la littérature)
et si vous nommez Aurel et Villetard (52), vous pourriez également nommer Boylesve (53). Pour Aurel et Villetard, il me semble que c'est leur faire beaucoup d'honneur ; eux-mêmes seront tout stupéfaits de se trouver sur votre liste. Je crois que ce sont de gentils écrivains... mais si peu représentatifs ! Au reste, pour ces deux derniers, je peux me tromper, n'ayant jamais rien lu d'eux.

Si vous citiez des morts, n'oubliez pas Jarry (54).

Il me semble que c'est à peu près tout.

Autre chose — réponse à votre lettre précédente : je me chagrine beaucoup à l'idée de ne rien pouvoir vous envoyer de neuf pour Hyperion (55), mais je ne peux ni ne veux me distraire du travail qui occupe depuis quelques mois, et pour quelques mois encore, toute ma vertu poétique (56).

Je songe à ma Bethsabé, ma plus récente production lyrique, passée complètement inaperçue dans l'Ermitage d'il y a deux ans (57), et que peut-être vous pourriez reprendre. Peut-être même arriverais-je à élaborer le troisième acte qui y manque encore... ?

Au revoir. Avec toute ma sympathie.

Votre

ANDRÉ GIDE.


Même lorsqu'il faisait régulièrement de la critique littéraire, à La Revue blanche puis à L'Ermitage (58), et quand il y devait reprendre goût pour La Nouvelle Revue Française, Gide s'en tint rarement
à la conception stricte du compte rendu ; on sait — et c'est ce qui fait de lui l'auteur d'un des plus importants ensembles critiques de notre temps (59) — qu'il s'élevait toujours volontiers, à propos d'un livre ou d'un auteur, à des considérations plus générales, constituant peu à peu un corps de doctrine, une esthétique qui était d'ailleurs pour lui sa suprême Weltanschauung, englobant, selon le célèbre mot final d'une de ses chroniques, la morale même (60). Qu'il ait à ce point mêlé, identifié l'art proprement créateur, la réflexion théorique et l'éthique individuelle l'insère naturellement dans la lignée symboliste, même si, dès Paludes, il a en fait rompu avec une littérature que marquait une certaine peur de la vie, des sens et de l'aventure, et qui «sentait furieusement le factice et le renfermé » (61) ; mais c'est aussi la raison pour laquelle il est assez malaisé de dégager, de cette complexe totalité, l'évolution de la pensée esthétique de Gide, au sens étroit du terme. En 1907-1908, toutefois, la situation nous paraît moins mouvante, plus saisissable, et les lettres qu'on a pu lire plus haut prennent un relief particulier.
Depuis 1902, depuis L'immoraliste, Gide n'a donné que quelques brefs articles, Amyntas (en 1906, à trois cent cinquante exemplaires) et Le Retour de l'Enfant prodigue, écrit en quinze jours au retour
d'un voyage à Berlin avec Maurice Denis et publié en mars dans Vers et Prose. A près de quarante ans, il est celui dont on dira encore en 1911 qu'il « semble mettre autant de soin à fuir la publicité que d'autres à la rechercher» (62), et qu'il y a même «dans cet isolement une superbe qui sent le fagot » (63). Qu'il y ait là une attitude délibérée, une stratégie dont le choix remonte sans doute, par réaction, au temps où Pierre Louys lui énumérait avec complaisance « les règles de l'autolançage » (64) ; que Gide soit décidé, et qu'il doive d'ailleurs le demeurer toujours, à «laisser [s]es livres choisir patiemment leurs lecteurs» (65), c'est incontestable. Il est non moins certain qu'à cette époque il commence à souffrir vivement de ce que, n'ayant rien fait pour se mettre en lumière, il reste dans l'ombre... « Il faut savoir ce que l'on veut », écrit-il en avril 1906 à Christian Beck, en lui parlant du «silence de la "critique", silence soigneusement entretenu jusqu'à ce jour par moi-même».

Et, ajoute-t-il, « ça n'est pas déjà si facile » (66) ; trois jours plus tôt, il était plus clair avec Jammes : «Depuis quinze jours environ [...], je plonge dans le noir. [...] Il est pourtant assez naturel qu'aucun critique ne parle d'un livre que, systématiquement, je n'envoie à aucun critique ; mais je m'en aperçois un peu trop. Ma fierté n'est pas naturelle ; je me raidis » (67). Et, dans son Journal de mai : «Insomnie prolongée. Souffrance aiguë à mon orgueil [...]. Oui, cette position était facile à prendre ; elle est cruellement pénible à garder. [...] Artisan de ma souffrance ! » (68). En janvier 1907, enfin : « Pourquoi parler du silence qui m'enveloppe, à quelqu'un qui, vivrait-il trois fois, ne pourra jamais comprendre que, ce silence autour de moi, c'est moi qui l'ai fait. [...] La beauté de cette attitude ne vaudra que si j'ai le courage (et la force) de la maintenir jusqu'au bout. Et j'ai tort de parler ici d'attitude, sans ajouter : naturelle aussitôt ; car c'est lorsque je m'en dépars que je me contrefais et me ride » (69).

Courage et force lui manquèrent-ils ? Du moins conçoit-on que, huit mois plus tard, lorsque survient la proposition de Haguenin, il commence à « être las de ne pas être » et en vienne à juger qu'il y a quelque... coquetterie dans son attitude, qu'il serait peut-être bon que Galatée se laissât enfin apprivoiser : certes, Berlin est loin, les représentations projetées du Roi Candaule ne se présentent pas dans les meilleures conditions et l'occasion, au fond, est médiocre ; n'importe, cette fois-ci, et pour la première fois, il joue le jeu — il s'explique, se présente, consent à la « publicité»...

On a vu qu'il n'est guère récompensé de ce changement de tactique. Du moins dans l'occurrence immédiate, car, coïncidant du reste avec « la reprise de son activité créatrice » (70), il est manifeste que cette époque est dans la carrière de Gide celle où il va rapidement s'imposer à la vue d'un public élargi ; à peine la tentative de renflouer Antée s'avère-t-elle un échec, au printemps 1908, que, tenace, Gide s'attache au projet d'une revue qui soit « bien à lui », à lui et à son groupe : de La Nouvelle Revue Française, il ne prendra pas nommément la direction, mais le rôle de maître d'œuvre qu'il y entend jouer implique l'abandon du superbe isolement où il s'est maintenu jusqu'ici. Assurément, Galatée n'aguichera pas le public, mais elle ne le fuira plus.


CLAUDE MARTIN



Notes :
29. Le 9 janvier, Gide recevait le télégramme suivant : « BIEN JOUE GURLITT TRES BONNE
GRAND SUCCES POUR MOITIE DE LA SALLE LE RESTE RECALCITRANT = HAGUENIN » (Bibliothèque Doucet, y 580.9, cf. Journal, p. 257). L'actrice Angelina Gurlitt tenait le rôle de Nyssia.

30. Voir Journal, p. 258-262 : « M'entendre dire que j'ai spéculé sur... m'entendre traiter de pornographe, de boulevardier, de vaudevilliste; accuser d'imiter Maeterlinck ! ou Donnay dont je n'ai jamais rien lu ! [...] monotonie effrayante de ces articles dont je n'ai lu entièrement que les premiers. Un, commence ainsi : « Le Roi Candaule a remporté un éclatant succès à Paris. (!) Cela ne nous étonne pas..., etc., - eine solche Schweinerei..., etc.» [...] Hier, 20 janvier, je recevais ma cent cinquante-troisième découpure (Candaule s'est joué le 9) — toutes injurieuses, malhonnêtes, stupides, infâmes ». V. une vue d'ensemble de la critique berlinoise dans la chronique de Lucile Dubois : « La France jugée à l'étranger : Le Roi Candaule à Berlin », Mercure de France, 1er
février 1908, p. 566-569.

31. Avant les deux comptes rendus élogieux de la représentation qu'il donna à la National Zeitung et à la Zeit, E. Haguenin avait publié, dans Der Tag du 6 janvier 1908, un article intitulé André Gide où il s'inspirait en partie de la longue lettre de Gide que nous publions.

32. Gide avait en effet fait traduire l'article précité du Tag pour Antée, la revue belge fondée en 1905 par Henri Vandeputte et Christian Beck, morte en septembre 1907 mais qu'en ce début de 1908 Vielé-Griffin et Gide essayaient de ressusciter à Paris : leurs efforts n'aboutirent qu'à un numéro sans lendemain, celui du 15 janvier (v. Michel Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes, Toulouse, Privat, 1960, p. 221-222) : l'article de Haguenin demeura donc inédit en français. Gide avait d'ailleurs spontanément renoncé à le faire paraître : après en avoir parlé à Vielé-Griffin (v. sa lettre du 6 février 1908, publiée par Béatrice W. Jasinski : « Gide et Vielé-Griffin », Modern Philology, novembre 1957, p. 114), mais de façon très hésitante («Ma "modestie" — ou mieux :
mon vif sentiment des convenances ! et mon désir d'obliger Haguenin sont en lutte »), il lui récrit, le 12 février : « J'ai fait traduire l'article, l'ai relu, mis au net... mais ma pudeur l'emporte : ne comptez pas sur la copie de Haguenin pour Antée. »

33. Nous n'avons pas retrouvé la précédente lettre de Gide, qui devait répondre à celle de Haguenin datée du « 9-10 Janvier 1908, 1 heure du matin » (Bibliothèque Doucet, y 580.10), où il racontait longuement (9 pages) la représentation du Kleine Theater. Gide répond ici à une nouvelle lettre de Haguenin, du 11 janvier (y 580.11), où celui-ci lui parlait du critique attitré de la National Zeitung qui venait d'écrire qu'il n'avait vu « aucun des mérites que signalait, dans l'œuvre de Gide, son compatriote » et ironisait sur les articles de Haguenin : « M. Haguenin nous a déchargé du soin
de raconter le Roi Candaule, non de celui de dire notre avis »...

34. Sans doute cette entrevue de Gide avec le directeur du Mercure fut-elle à l'origine de la chronique de Lucile Dubois citée page précédente, note 5 [30 ici].

35. Depuis L'Immoraliste, achevé en octobre 1901, Gide n'avait en effet rien publié d'important et avait connu de longues années d'apathie, d'atonie, de découragement dont témoigne le Journal. Mais en février 1907 il a achevé en une quinzaine de jours son Retour de l'Enfant prodigue, publié le mois suivant dans Vers et Prose... Et en cette année 1908, il écrit La Porte étroite, qu'il terminera le 15 octobre et qui paraîtra en 1909 dans les premiers numéros de la N.R.F. Quant au théâtre, Gide n'y reviendra que près de vingt ans plus tard, avec Œdipe, achevé en novembre 1930 et publié en
1931.

36. Dans sa lettre du 9-10 janvier, Haguenin se félicitait d'avoir amené, par son article, à s'intéresser à Candaule « au moins deux personnes — dont l'une est l'importante, influente et intelligente Mlle von Bunsen » ; en post-scriptum il demandait à Gide un livre dédicacé pour elle : « J'ai été très ému de l'ardeur qu'elle a mise à vous applaudir. Or, c'est une autorité, une influence, et un renom de gravité (elle a au moins 40 ans) »...

37. Double dactylographié, Bibliothèque Doucet, y 580.12. Le 15 janvier, Gide note dans son Journal : « La partie était mal engagée. J'ai gardé le double de ma lettre à Haguenin. Je voudrais qu'on la publiât, si jamais... »

38. De cette lettre (collection privée), sans enveloppe conservée, nous ne pouvons affirmer en toute certitude quel fut le destinataire ; très vraisemblablement, il s'agit de Franz Blei, qui allait traduire Bethsabé pour Hyperion.

39. Gide à Francis Jammes, quinze jours plus tôt : « Les deux Gourmont écrivent de jolies choses dans le Mercure ! Ce sera pour moi le signe de la vieillesse quand ces deux là auront cessé de m'indigner. [...] J'éclaterai si je n'écris pas un jour ce que je pense de ces déboiseurs. » (Lettre du 5 avril 1908, Correspondance Jammes-Gide, édition R. Mallet, Paris, Gallimard, 1948, p. 251)

40. Il apparaît que Blei, en demandant à Gide de l'aider à brosser un tableau de l'élite littéraire française, lui a soumis une liste de noms sur lesquels il sollicite son avis.

41. Camille Mauclair (qui, à ses débuts, avait conquis l'estime et l'amitié de Gide) avait, en mai 1907, porté aux nues Voici l'Homme — où Gide, que Claudel avait pourtant rendu « désireux d'aimer Suarès », n'avait puisé que « de l'exaspération » : « Je souffre à penser que cette informité même, aux yeux des Mauclair, passera pour la plus pure marque du génie » (lettre du 14 mars 1907 à Claudel, Correspondance, p. 72). Pourtant, trois mois plus tard (juillet 1908), il restera « confondu » devant la « magistrale étude de Suarès sur Ibsen », lira sa « Visite à Pascal avec une admiration plus grande encore » (lettre à Claudel, Correspondance, p. 86), et, finalement, rendra
visite au Condottière la veille de Noël 1908 (voir la Correspondance Gide-Suarès, édition S.D. Braun, Paris, Gallimard, 1963, p. 14).

42. La Tragédie d'Elektre et Oreste avait été publiée en 1905 par les Cahiers de la Quinzaine ; mais le drame d'Achille, commencé en 1895, était resté inachevé et avait été transformé en Achille vengeur, paru dans Vers et Prose de septembre 1907.

43. Journal de Gide, 8 février 1908 (p. 262) : « Verhaeren vient me lire d'admirables passages de son Hélène ». C'est la N.R.F. qui, en 1912, publiera Hélène de Sparte.

44. Le brillant et passionné Romantisme français, essai sûr la Révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle, de Pierre Lasserre, avait paru en 1907. Cette sorte de synthèse des idées de Taine, Fustel, Maurras... avait eu, on le sait, un immense retentissement.

45. Jules de Gaultier, l'auteur du Bovarysme.

46. En fait, depuis 23 ans (1885). Gide relira en 1929 « une grande partie de L'Homme de Hello, où de très belles pages de critique assez pénétrante avoisinent d'effarantes niaiseries. L'absence de composition de ce livre reflète le désordre mystique de cette pauvre cervelle.» (Journal, 7 avril 1929, p. 918.)

47. Quoique né en 1862, le poète anversois n'a en effet publié que deux recueils. La Louange de la Vie et Enluminures (1898), et l'essentiel de son œuvre est soit inédite ou dispersée, soit encore à venir (v. ses Œuvres complètes, publiées par B. Delvaille, Paris, Seghers, 1967). Sous la plume de Gide, il n'est guère question de lui qu'à propos de Charles-Louis Philippe (dont le poète était l'ami), dans sa conférence de 1910 (O.C. VI, 145) et dans deux lettres à Jammes (Correspondance, p. 268-270), qui était également un grand ami d'Elskamp. Il ne le citera pas dans son Anthologie de la poésie française (Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1949).

48. Après une rencontre avec Moréas en avril 1906, Gide notait : « Je voudrais lui dire combien j'aime ses vers, mais je ne puis sortir de moi le moindre compliment » (Journal, p. 210), Quarante ans plus tard, son jugement sera tout autre : « Son insuffisance paraît tristement aujourd'hui » (Anthologie de la poésie française, p. 45)...

49. L'auteur des Essais de sentimentalisme et du Petit Ami (1903) avait d'ailleurs préfacé en 1899 l'Aimienne posthume de son ami Jean de Tinan, mort à vingt-quatre ans en 1898.

50. D'Élémir Bourges (1852-1925), Le Crépuscule des Dieux avait paru en 1884, Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent en 1893, mais le grand drame de La Nef, dont la première partie fut publiée en 1904, ne devait être achevé qu'en 1922.

51. Alors qu'il était à Munich, au printemps 1892, le jeune Gide avait marqué une curiosité amusée pour le premier Salon de la Rose-Croix que le « Sâr » Joséphin Péladan organisait chez Durand-Ruel (v. la lettre du 25 mars 1892 de sa Correspondance avec sa mère, à paraître chez Gallimard) ; mais il ne le rencontrera pour la première fois qu'en 1912 (Journal, p. 356).

52. Deux romanciers publiés au Mercure. Assez bien en vue, Pierre Villetard avait obtenu des voix pour le Prix Goncourt ; la célèbre et remuante Aurel (Mme Alfred Mortier, née Aurélie de Faucamberge), une des cibles préférées des sarcasmes de Léautaud, venait de publier Les Jeux de la Flamme et Pour en finir avec l'Amant.

53. Gide a toujours eu une vive estime pour l'auteur de La Leçon d'amour dans un parc (« J'aime beaucoup Boylesve », écrira-t-il encore en 1947 à Martin du Gard, Correspondance, éd. J. Delay, t.III, p. 379). Deux mois plus tôt, en février 1908, il l'a loué en termes chaleureux pour Mon amour (lettre inédite, collection privée).

54. Qui vient de mourir, à trente-quatre ans, le 1er novembre 1907. On sait que le personnage de Jarry avait beaucoup frappé Gide, qui l'introduira dans un chapitre des Faux-Monnayeurs (III, VIII : « Le banquet des Argonautes »), tel qu'il l'avait vu au cours de dîners du Mercure à la Taverne du Panthéon (voir Christian Beck, dans Feuillets d'Automne, Paris, Mercure de France, 1949, p. 129-130).

55. La revue allemande dont s'occupe Franz Blei, et où il publiera en effet sa traduction de la Bethsabé de Gide (t. II, p. 108-124).

56. Il s'agit de La Porte étroite, qu'il achèvera le 15 octobre.

57. Les deux premières scènes de Bethsabé étaient en effet prévues dans L'Ermitage, non pas deux mais cinq ans plus tôt, dans les numéros de janvier et de février 1903 ; comme il l'écrit ici à Blei, Gide va trouver le temps, tout en terminant sa Porte étroite, de composer la troisième et dernière scène de Bethsabé, qui paraîtra, complète, dans Vers et Prose, t. XVI de décembre 1908.

58. Voir Kevin O'Neill : « Gide and L'Ermitage (1896-1906) », A.U.M.L.A., n° 20 (novembre 1963), p. 263-286.

59. On pourra bientôt lire l'ouvrage de M. Kevin O'Neill (de l'Université de Melbourne) sur La Pensée et la Critique littéraire de Gide et de son groupe jusqu'en 1914; quant à l'ensemble des Œuvres critiques de Gide, il constituera un volume de la Bibliothèque de la Pléiade, à paraître en 1971.

60. « — Mais qu'est-ce donc, selon vous, que la morale ? — Une dépendance de l'Esthétique » (Première visite de l'Interviewer, dans L'Ermitage de janvier 1905, reprise dans Nouveaux Prétextes [Prétextes, Paris : Mercure de France, 1963, p. 168]).

61. Préface de 1927 aux Nourritures terrestres (Romans, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1958, p. 249).

62. Paul Souday, «André Gide», Le Temps, 25 juillet 1911 (repris dans son André Gide, Paris, Kra, 1927, p. 7).


63. Jean de Pierrefeu, « L'immoraliste et son Disciple », L'Opinion, 25 décembre 1911.

64. Lettre de Louÿs à Gide, 1890 (Paul Iseler, Les Débuts d'André Gide vus par Pierre Louÿs, Paris, Ed. du Sagittaire, 1937, p. 75).

65. Journal, 29 novembre 1921, p. 703.

66. Lettre du 29 avril 1906 (Lettres à Christian Beck, Bruxelles, Ed. de l'Altitude, 1946, p. 39).

67. Lettre à Jammes, 26 avril 1906 (Correspondance, p. 234. Le livre dont il est question est Amyntas). Cf. Journal, 7 mai 1906, p. 215 : « Je commence à croire que j'ai encore plus de fierté que d'orgueil »...

68. Journal, 19 mai 1906, p. 221.

69. Ibid., 9 janvier 1907, p. 230-1.

70. Suivant la formule qui sert de titre à l'analyse faite par Daniel Moutote des cahiers IX, X et XI du Journal (Le Journal de Gide et les Problèmes du Moi (1889-1925), Paris, P.U.F., 1968, p. 185)."

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