« Qui sont les héritiers de Gide aujourd'hui ? » demandait l'Express en février dernier à Pierre Masson, qui répondait :
« Pas évident. Les romanciers français d'aujourd'hui sont souvent en empathie avec eux-mêmes, là où Gide garde toujours une distance ironique, et bien peu s'essaient à une réflexion générale sur la nature humaine. De la poésie hédoniste des Nourritures terrestres, Le Clézio (je pense au Chercheur d'Or) est l'un des rares représentants. Pour la critique moraliste, Kundera est peut-être son meilleur héritier, mais en plus amer. »
Comme Gide et quelques-autres, Kundera entre dans la Pléiade « de son vivant ». Deux volumes, réunis dans un beau coffret noir, parus le 24 mars et qui ont donné lieu à de nombreux commentaires. Retenons l'article très factuel deMohammed Aissaoui dans Le Figaro littéraire ou celui plus tourné vers le contenu du coffret de Maxime Rovère pour evene.fr.
Mais c'est la Lettre de la Pléiade n°43 du mois de mars 2011 qui offre les éclairages les plus intéressants sur la composition d'une Pléiade « du vivant de l'auteur » : « textes établis par l'auteur », « ne varietur » et autres entorses au fil de la plume, dont le premier Journal de Gide n'était pas exempt.
Pour Kundera, « La présente édition ne propose donc pas des Œuvres complètes, mais une Œuvre, complète dans la mesure où l’auteur en a lui-même dessiné les contours, fixé le titre et arrêté la présentation. » Elle contient notamment dans le volume II les essais (L'art du roman, Les Testaments trahis, Le Rideau et le récent Une rencontre), par où se touchent Kundera le romancier et Gide l'écrivain :
« Je relis le court essai de Sartre « Qu’est-ce qu’écrire ? ». Pas une fois il n’utilise les mots roman,romancier. Il ne parle que de l’écrivain de la prose. Distinction juste :L’écrivain a des idées originales et une voix inimitable. Il peut se servir de n’importe quelle forme (roman compris) et tout ce qu’il écrit, étant marqué par sa pensée, porté par sa voix, fait partie de son œuvre. Rousseau, Goethe, Chateaubriand, Gide, Camus, Malraux.Le romancier ne fait pas grand cas de ses idées. Il est un découvreur qui, en tâtonnant, s’efforce à dévoiler un aspect inconnu de l’existence. Il n’est pas fasciné par sa voix mais par une forme qu’il poursuit, et seules les formes qui répondent aux exigences de son rêve font partie de son œuvre. Fielding, Sterne, Flaubert, Proust, Faulkner, Céline.L’écrivain s’inscrit sur la carte spirituelle de son temps, de sa nation, sur celle de l’histoire des idées. Le seul contexte où l’on peut saisir la valeur d’un roman est celui de l’histoire du roman. Le romancier n’a de comptes à rendre à personne, sauf à Cervantès. » (Milan Kundera, L'art du roman, in Œuvre, tome II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2011)
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