[Article paru dans les « Notes »
de la N.R.F. N°152 du 1er mai 1926 à l'occasion de la parution d'une nouvelle édition du livre et qui ne figure donc pas dans le
dossier de presse d'Amyntas des Gidian Archives.]
« NOTESLITTÉRATURE GÉNÉRALEAMYNTAS, par André Gide (Editions de la N. R. F.).Voici, après une longue attente, la nouvelle édition d'un livre précieux. Les ouvrages où l'auteur a voulu se peindre ou se construire ne sont pas toujours les plus révélateurs de sa personnalité : je suis moins sûr de trouver tout Gide dans André Walter ou l'Immoraliste que dans cet Amyntas.C'est le livre de l'Algérie, de ses villes, de ses oasis, de ses routes, — le livre, avant tout, d'une terre avec ses odeurs, ses musiques et la saveur de ses fruits. Déjà son prologue virgilien met entre les Nourritures terrestres et lui la distance nécessaire pour un nouvel élan : dans ce Mopsus tout est tranquille monotonie, répétition de l'instant, lumineuse ferveur, voluptueux écoulement sans but. Puis se déroulent les Feuilles de Route en leur diversité colorée. De Biskra à Touggourt conjure le défilé des paysages d'une subtile fluidité ou d'une splendeur brutale, affirme la leçon d'exaltation donnée par le désert qui force l'homme à « comprendre ce que veut dire culture » à concevoir un dangereux classicisme dominant ce déchaînement romantique qu'il excite sans trêve afin d'y chercher sa vivante nourriture. Une bonne moitié d'Amyntas s'intitule le Renoncement au Voyage ; notes encore, tableaux, évocations à peine poussées, ivresses murmurées, atmosphère langoureuse, parfois trouée d'un cri : « S'il pend encore à la branche une grenade, j'en ai soif ! » André Gide chante la joie du corps qui a retrouvé là-bas sa virginité ; il suggère aussi l'anxieuse poursuite du mystère qui rôde derrière toutes ces portes et dans ces jardins ; les phrases d'Amyntas sont chargées d'un désir qui tantôt les étrangle et tantôt les plie à son tournoiement. Mieux que les enseignements nietzschéens, cette terre charnelle exorcise l'éducation puritaine. Pourtant l'esprit se connaît divisé : les premières sensations épuisées, il se révolte contre l'envoûtement des habitudes, il proclame qu'il faut à l'artiste une résistance, des contraintes. Renoncement ? C'est de Normandie qu'en terminant Amyntas Gide disait adieu à l'Algérie ; mais quand cet Amyntas reparaît, il est parti de nouveau pour arracher à l'Afrique chaleureuse son plus profond secret. Comme, en décrivant ses voyages, André Gide a bien dévoilé l'âme du voyageur !Qu'en pareil cas l'intelligence prenne un air de complicité, il le prévoyait lorsqu'il nous confiait ces pages : « Elles seront, écrivait-il, comme ces sécrétions résineuses, qui ne consentent à livrer leur parfum qu'échauffées par la main qui les tient. » J'ai déjà répondu, pour ma part, qu'Amyntas est un livre précieux.RENE LALOU »
(NRF, 13e année,
n°152, 1er mai 1926, pp. 616-617)
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