Hasard du calendrier ou choix éditorial délibéré ? C'est en tout cas une excellente idée d'avoir choisi début novembre pour publier le cahier inédit de Maria Van Rysselberghe connu sous le nom de Cahier III bis (Gallimard, Les Cahiers de la NRF) : parce que c'est le 11 novembre 1918 que la Petite Dame commence à prendre des notes sur sa vie aux côtés de Gide, entreprise qui durera jusqu'à la mort de celui-ci en 1951, et parce que ce volume renferme essentiellement des souvenirs liés à la première guerre mondiale.
Dans sa présentation, Pierre Masson rappelle les circonstances, le « malheureux hasard » qui est à l'origine de ce companion piece aux quatre volumes déjà publiés des Cahiers de la Petite Dame : la perte le 1er octobre 1925 de son troisième cahier de notes pour la période de 1923 à juillet 1925 – période pourtant riche en évènements.
« Après de longues et vaines recherches et quelques mois d'un abattement dont elle ne pouvait pas se plaindre devant Gide, grâce à ces encouragements [ceux de Loup, Martin du Gard et Elisabeth], et surtout grâce à sa ténacité naturelle, la Petite Dame entreprit de reconstituer le cahier perdu. Comme elle continuait par ailleurs sa chronique ordinaire, deux cahiers s'écrivaient ainsi en parallèle, qui allaient en faire naître un troisième, comme l'explique leur auteur en février 1926 :«La reconstitution que je fis cet hiver du cahier perdu, d'après des souvenirs récents, il est vrai, m'a donné l'idée d'en faire une autre, celle des premiers temps de la guerre, d'après un journal tenu quotidiennement pour Loup, dont j'étais séparée. Tel qu'il est, tout personnel et tout mêlé aux préoccupations de celle pour qui il fut écrit, ce journal ne peut ici me servir à rien. Mais de l'avoir relu avant de le brûler m'a tellement imprégnée de l'atmosphère de cette époque, que je suis tentée par l'entreprise; et puis, il m'a fourni des dates, des faits précis, à quoi accrocher les souvenirs de cette période où je vécus presque tout le temps à côté de Gide. »
Autrement dit, un cahier de perdu, deux de retrouvés, grâce à ce travail de recomposition qui faisait passer la Petite Dame du statut de diariste à celui de mémorialiste. »
Entre 1926 et 1939, Maria Van Rysselberghe va consigner les souvenirs qui lui reviennent dans ce Cahier III bis « ouvert aux vents de la mémoire » et « domaine privilégié de l'anamnèse », comme le dit très joliment Pierre Masson. Ce sont d'abord les évènements du début de la guerre, entre 1914 et 1916 : la communauté du Laugier, chez les Van Rysselberghe, où viennent s'installer Gide, Schlumberger, Copeau, Ghéon, l'activité du Foyer Franco-Belge qui donne l'occasion d'un savoureux portrait de Charlie Du Bos. Sans concession est aussi le portrait de Madeleine Gide.
Ce sont ensuite les souvenirs du voyage en Allemagne de 1903, où l'on voit la petite bande non-conformiste faire mine de pousser la sœur de Nietzsche et son secrétaire, « un jeune baron de Münchhausen », dans le coffre-fort renfermant les manuscrits du philosophe... Même regard aigu de la Petite Dame sur les fastes de cour de Weimar où Gide donnera sa conférence sur «L'Importance du public ».
Pour évoquer enfin le voyage en Italie en 1908-1909, Maria Van Rysselberghe choisit de donner des extraits des lettres qu'elle envoie à son amie Loup, Aline Mayrisch. C'est le temps des confidences échangées entre Gide et la Petite Dame, et qui scelleront leur amitié sous le double sceau de l'honnêteté et d'une forme de fraternité. Avec, déjà, Aline Mayrisch pour témoin. Pour elle, dix ans plus tard, Maria Van Rysselberghe ouvrira le premier de ses Cahiers.
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