mardi 20 novembre 2012

Gide et Augiéras (3/3)



L'épisode vampirique d'un Gide buvant la vie au poignet du jeune Augiéras est sans doute trop belle pour être vraie. Ce qui est sûr, c'est qu'à la suite de leur première rencontre en juin 1950 à Taormina, Gide se reprochait « de l'avoir accueilli en Sicile d'une manière qu'il aura trouvée trop distante un peu... et de ne pas lui avoir laissé voir ma joie. Quel étrange souvenir je garde de cette rencontre. »*

Augiéras, de son côté, était aux anges. « Ai été reçu par Gide à bras ouverts. M'a embrassé devant tout l'hôtel ! », télégraphie-t-il à sa tante. A Jean Boyé il annonce même : « Gide fait réimprimer. » On peut imaginer qu'il se proposait de soumettre Le Vieillard et l'Enfant à Gallimard. En attendant il demande à Gaston Criel d'en faire une note pour la N.R.F. La seconde rencontre à Nice, longuement mise en scène et attendue par Augiéras pour lui donner une allure fortuite, allait encore piquer la curiosité gidienne...

Aussi lorsque début 1951 Gide envisage un voyage au Maroc, la Petite Dame note, le 24 janvier : « A propos d'un arrêt éventuel à Périgueux pour rencontrer un jeune auteur qui précisément souhaite aller travailler dans une ferme au Maroc... et qui peut-être se laisserait emmener, il nous parler du livre de ce jeune homme : Le Vieillard et l'enfant. J'y reviendrai s'il y a lieu. »** Le voyage ne se fera pas, et d'ailleurs Augiéras était déjà à Fès depuis le 22 janvier. Gide meurt le mois suivant.

Le 14 juillet 1953, Augiéras est encore au Maroc. De Marrakech il écrit à Jérôme Lindon, des Editions de Minuit, qui comme on l'a vu dans le témoignage de Jacques Brenner, veulent publier Le Vieillard et l'Enfant:

« Monsieur,

Je vous suis très reconnaissant d'envisager une option pour l'Édition du Vieillard et l'Enfant. Mon ami Criel dont le dévouement me touche beaucoup vous a sans doute appris que des pourparlers sont engagés avec la N.R.F., Fasquelle et Corréa. Monsieur Blaise Cendrars est intervenu en ma faveur auprès de Denoël ; mais il me semble que mes ouvrages réunis en un seul livre seraient davantage à leur place dans le cours actuel de vos publications. Vous avez donc mon accord.
Voulez-vous avoir la bonté de faire parvenir l'option à mon adresse de France qui fera suivre.
Vous avez sans doute entre les mains les trois tomes dans leurs meilleures versions ; éditer d'abord le tome premier permet de se servir en librairie de l'opinion de Gide qui n'a connu que cet ouvrage ; mais les trois forment une œuvre plus curieuse encore, très capable d'intéresser profondément le monde des artistes.
[…]
Quels seront les héritiers de l'art moderne qui actuellement marque le pas ; au-delà de la peinture une succession est ouverte, à laquelle Le Vieillard et l'Enfant prétend assez bizarrement ! Voici très précisément les propos de Berthelé, à la N.R.F. L'on ne sait à vous lire si l'on est en présence d'un homme déjà âgé, cultivé, et qui retrouve avec un rare bonheur le style de son enfance... ou si l'on est en présence d'un jeune sauvage qui a rencontré quelques-unes des pointes les plus avancées de la culture... mais qui reste un sauvage et éprouve quelques difficultés à écrire. C'est une position unique, un art très raffiné au meilleur sens du mot.
C'est aussi le dernier chant de l'Afrique que Gide ait entendu et auquel il répondit aussitôt avec une étrange violence. Son dernier cri de joie.

Croyez, Monsieur, à mes sentiments très respectueux et très reconnaissants. »***




L'extrait de la première lettre de Gide figurera bien en regard de la page de titre du livre. Un « dernier cri de joie » qui peu à peu, Augiéras forgeant son étrange légende – et épousant sa cousine, comme un autre écho gidien ! – deviendra une quasi épectase dans Une adolescence au temps du Maréchal (Christian Bourgois, 1968) : « Pour un peu André Gide mourait dans les bras d'Augiéras : il est de plus triste fin. »


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* Lettre citée par Serge Sanchez dans François Augiéras, le dernier primitif, Grasset, 2006.
** Maria Van Rysselberghe, Cahiers de la Petite Dame, t.4, NRF, Gallimard, 1977.
*** Lettre versée dans le dossier sur François Augiéras paru dans Masques, Revue des homosexualités, printemps 1982, n°13.


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